Chapitre 60 : la colère de l’Ombre

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  La terrible voix parla :

– Amusant… de voir combien vous êtes ignorants. Et… que vois-je ? Arianna… la reine des fées en personne, quel honneur ! Mais il était inutile de se déplacer, car vous resterez tous ici ! Vous ne vous enfuirez pas. Je vous observais depuis un moment… j’ai regardé avec attention vos pitoyables tentatives, et j’y ai découvert combien les humanoïdes sont faibles et pathétiques. Mais rassurez-vous, c’était un spectacle réjouissant pour moi.

– Je ne suis pas un humanoïde, clama Swèèn, ne me mettez pas dans le même sac ! J’ai quatre pattes, deux ailes et un formidable cerveau, moi !

– Et je ne pense pas que l’on puisse considérer une fée comme faible et pathétique, complétai-je pour poursuivre la moquerie.

 J’eus envie de rire malgré le drame qui se profilait. Swèèn et son humour à toute épreuve…

 L’Ombre s’amusa alors à pendre la forme du Limosien quelques secondes, puis celle d’Arianna, reconnaissable à ses ailes de papillon, mais en nuées noires. La créature devenait ainsi l’ombre de nos deux sauveurs. Puis, brusquement, notre ennemi cessa son petit jeu pour retrouver sa masse sombre, informe.

– Trêves de plaisanteries ! lança l’Ombre, pleine de rage. Je n’ai pas été là pour empêcher ma jeune prisonnière de détruire mes boucliers… j’ai pris les choses à la légère et été trop confiant. Insolente petite rebelle ! Je te pensais bien moins téméraire ! Tu m’as désobéi, je ne permets jamais cela, je vais devoir sévir ! Je te punirai comme il se doit lorsque j’en aurai fini avec eux.

– N’en sois pas si sûre ! Ton orgueil te perdra, trancha Avorian d’une voix forte et assurée.

 La créature ricana de son horrible rire démentiel. Elle se fit l’ombre d’Avorian, comme pour le troubler et s’adressa à lui dans cette forme, à l’image d’un miroir.

– Si tu as réussi à passer, c’est parce que j’en ai décidé ainsi… Il me tardait de te revoir. La destruction de quelques boucliers n’aurait jamais suffi. Mon royaume se protège lui-même… et si l’une des défenses est anéantie, une autre se remet en place. Vos esprits sont tellement limités, vous ne pouvez comprendre cela. Tu te crois puissant, imbattable, mais que peux-tu contre le néant ? Je suis le maître de ces lieux, et je peux aussi être ton miroir…

 Avorian semblait légèrement perturbé par cette dernière remarque, et surtout par le fait de se trouver devant son propre « reflet » de ténèbres.

– C’est ce que l’on va voir ! protestai-je.

– Quel dommage… Ma chère Kiarah, sache qu’Avorian ne t’apportera rien d’autre que la confusion de ton esprit et la destruction de ta puissance…

 Sur ces mots, l’Ombre repris son aspect initial, nous dardant de ses yeux immenses. Son amas de ténèbres entouré d’un halo violacé semblait se mouvoir lentement, telle une onde à la surface de l’eau.

– La puissance ! m’impatientai-je. Vous n’avez que ce mot-là à la bouche ! Tout n’est que puissance ici, c’est l’unique sens de votre existence : maîtriser les choses pour vous estimer invincible, pour vous prouver votre propre existence, et au final, pour vous rassurer. Vous êtes aussi pitoyable que nous dans ce cas… et tout aussi humain. Je n’ai aucune importance à vos yeux : vous désirez simplement m’utiliser, telle une vulgaire machine à tuer pour détruire la planète Terre ; alors qu’Avorian, lui, reste avec moi parce qu’il m’aime ! Et c’est bien ça qui fait toute la différence. Avorian est toujours là lorsque j’ai besoin de lui, la preuve : encore une fois il est venu me sauver. Vous m’avez emprisonnée ! Vous m’avez obligée à me battre et à tuer un Métharcasap ! Je vous déteste !

 Je hurlai ce dernier mot, tremblant de rage, puis décochai de nombreuses sphères que l’Ombre dévia machinalement par un mouvement de sa masse sombre. Elles s’écrasèrent contre l’armoire qui vola en mille morceaux. Adieu, robes sombres ! Orialis plaça de suite ses bras devant elle pour se protéger des débris, mais reçu un bon nombre d’échardes sur ses avant-bras. Elle poussa un petit cri, je sursautai. Arianna fut plus rapide que moi : elle fit disparaître les aiguillons à l’aide de sa magie et soigna les petites plaies de la Noyrocienne. L’Ombre la laissa faire, presque amusée de la scène. Ce qui témoignait encore une fois de son sadisme.

– Ah… l’amour… je comprends… oui, c’est bien cela qui demeure en toi et qui m’empêche de te posséder. Tu détiens cette inutile compassion en ton cœur, ce besoin d’éprouver des émotions, des sentiments pour les autres. Tu désires donner… apporter ton aide et ta lumière, ta chaleur. Tu ne veux pas tuer. Alors, c’est cela que tu veux ? L’amour ? Mmmh… intéressant.

– Taisez-vous ! Je n’ai pas besoin de votre amour. La vie vous a épargné ce sentiment ! Ou plutôt, vous l’avez ôté de votre âme ! accusai-je. Vous me croyez influençable et naïve, vous vous trompez !

– Tu crois me haïr jeune enfant… mais en vérité tu aimes les autres malgré leur apparence, malgré ce qu’ils sont, et c’est bien là ta faiblesse, affirma l’Ombre. Je l’ai bien vu… avec Sèvenoir par exemple…

  L'Ombre se transforma alors en Sèvenoir. Elle avait bien compris mon point faible et en usait pour me troubler. Mais je m’y attendais. Je ne me laissai pas influencer et projetai mon rayon lumineux. Un vent puissant sortit de la créature, et mon rayon disparut, comme dispersé par le souffle magique. L’amas sombre trembla pour reprendre une forme neutre.

– Kiarah est de notre côté, que vous le vouliez ou non ! la toisa Orialis. La lumière est sa destinée.

– La lumière et l’amour… Quel joli couple bien assorti ! Mais l’ombre n’est-elle pas de la lumière non éclairée ? Et cette petite… n’est-elle pas la création du néant lui-même ? Vous êtes tous persuadés qu’elle appartient à la lumière, mais en vérité, qu’en savez-vous ? Rien ! Vous verrez que tôt ou tard, elle changera de voie et viendra me rejoindre.

– Jamais ! objectai-je avec conviction. Pour qui vous prenez-vous ? Il est évident que vous ne me connaissez pas pour affirmer une telle chose ! Je suis une véritable tête de mule !

– Oh si… que tu le veuilles ou non, tu me reviens de droit !

– Arrêtez de parler de moi ainsi ! Je n’ai pas pour habitude de me laisser duper, rétorquai-je les poings serrés, en tentant malgré tout de garder mon calme.

– Ce n’est pas à vous de décider pour elle, ni à personne d’ailleurs, intervint Orialis en s’adressant au néant.

– Tu ne pourras jamais la contrôler. Ignores-tu donc la puissance et la volonté de cette jeune fille ? Cela pourrait presque te faire peur, n’est-ce pas ? provoqua Avorian, son regard impassible posé sur les yeux rubis de l’Ombre.

– Détrompe-toi. Je peux aisément la faire changer d’avis… j’en ai le pouvoir et tu le sais mieux que quiconque ici.

 Sur ces mots, l’Ombre s’approcha de nous. Sa présence imposante nous glaça le sang. Avorian se posta devant moi aux côtés d’Arianna et de Swèèn qui écoutaient la scène sans rien dire, le regard droit. Orialis plia les genoux et leva ses poings devant sa poitrine pour se parer à l’attaque imminente. Tous se placèrent de façon à former un cercle autour de moi, décidés à combattre et même succomber s’il le fallait pour me protéger. Je saisissais en cet instant combien mes amis tenaient à moi. L’émotion me submergea. Je préférais de loin combattre à leur place afin que leur vie soit épargnée plutôt que de les voir mourir pour moi.

 Arianna stationna son vol juste devant l’Ombre, sans tressaillir. Elle n’avait pas prononcé un mot depuis son arrivée et s’était faite discrète.

– C’est maintenant que tu te décides ! Mais voyons, Arianna… tu ne peux rien contre moi dans ton état et tu le sais, se moqua notre adversaire d’un ton sarcastique.

– Prends garde ! Tu sous-estimes les pouvoirs de la grande reine des fées, répliqua Avorian, qui visiblement ne supportait pas les injures de l’Ombre.

 Mais Arianna se contrefichait éperdument de cette offense, elle gardait ses petits yeux verts plissés par la concentration. Puis, sans prévenir, elle passa à l’action. Un jet multicolore sortit de ses fines mains. L’Ombre se défendit avec une rapidité déconcertante en contrant l’attaque par une nouvelle bourrasque, comme si elle anticipait chacun de nos mouvements. Le rayon la bouscula malgré tout. Notre ennemi riposta en lançant une nuée noire. Arianna la fit disparaître sans dommages. La reine des fées avait déjà utilisé tant de ressources pour nous aider depuis son arrivée ! Allait-elle tenir bon ?

 Alors que le combat reprenait de plus belle, Avorian me chuchota à l’oreille :

– Orialis et toi, sauvez-vous. Cherchez un moyen de sortir du royaume, on se contactera par télépathie. On va essayer de retenir cette chose le plus longtemps possible, mais il faut faire vite.

 Je pris Orialis par la main et l’entraîna vers la porte de ma chambre. L’Ombre était bien trop occupée à se défendre contre les trois attaques simultanées d’Avorian, de Swèèn et d’Arianna, pour nous empêcher de décamper.

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