Chapitre 61 : un royaume vivant

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 Nous courûmes ensemble main dans la main à toutes jambes, ne sachant vraiment où aller ni ce qu’il fallait faire.

– Nous devons détruire toutes les protections de ce royaume, soufflai-je à Orialis.

– Mais si la neutralisation des boucliers n’a pas suffi, que peut-on faire de plus ? Il faudrait se débarrasser de l’Ombre elle-même pour s’enfuir, soupira-t-elle.

– Je ne sais pas exactement. Retournons à la salle du trône. C’est le centre névralgique, le point culminant du royaume. Je suis sûre qu’on trouvera un indice là-bas.

– Mais elle doit être pleine de gardes ! s’époumona Orialis, essoufflée par notre course effrénée.

– Quelque chose nous a échappé, je le sens. Nous devons essayer, continuai-je, convaincue de cette intuition.

 Pourtant, Orialis avait raison. Il semblait à première vue illogique de retourner dans la salle du trône.

– On pourrait torturer un garde jusqu’à ce qu’il nous dise comment retirer les défenses, suggéra Orialis.

– Quelle drôle d’idée ! Tu plaisantes j’espère, tu voudrais te rabaisser à leur niveau ? Moi pas…, grondai-je, déconcertée par les propos d’Orialis.

 Je ralentis le pas. Orialis devait vraiment se sentir à bout pour penser à une telle chose.

– Et moi je te rappelle qu’eux n’hésiteraient pas à nous tuer ! fit valoir la Noyrocienne.

Nous arrivions à la salle du trône : je me repérais bien à présent.

– Je vois que tu es têtue ! Lorsque tu as une idée en tête, impossible de t’en défaire, hein ? persista Orialis.

 Je m’arrêtai un instant et la regardai droit dans les yeux en guise de réponse, impassible.

– Bon, allons-y, on n’a rien à perdre désormais, abdiqua-t-elle.

– Parfait ! Enfin disposée à m’écouter ? plaisantai-je pour la réconforter, le sourire aux lèvres.

J’ouvris la porte, et, à la grande surprise d’Orialis mais à mon contentement, la salle du trône était entièrement vide cette fois.

– Les gardes doivent nous chercher au niveau de la salle des boucliers. Mais à part ces jolies statues, il n’y a rien ici ! se lamenta la Noyrocienne.

 Je pris une profonde inspiration en me dirigeant vers le trône. La lueur bleu-turquoise émanant des murs rendait cet endroit à la fois magique et inquiétant. Les statues de pierre blanche qui bordaient l’allée centrale semblaient nous observer, provoquant en nous un certain malaise. Pourtant, elles évoquaient des créatures pacifiques : Limosien, Noyrocienne, ange, Komac, fée, sirène, et se dressaient fièrement à côté des colonnes azurées, dont un fin tuyau transparent s’enroulait autour de chaque pilier. À l’intérieur de chaque tube flottaient de petites bulles dans un liquide violet, tout comme dans la salle des boucliers. Cela me rappelait quelque chose, mais je n’arrivais pas encore à savoir quoi. Ma peine me rongeait tellement que j’évitais de penser au drame qui venait de se produire. Je devais à tout prix anesthésier mes émotions pour pouvoir rester maître de moi-même, et trouver un moyen de nous sortir d’ici.

 Orialis passa devant moi et s’employa à manipuler plusieurs endroits du trône cristallin, cherchant un mécanisme, quelque chose à enclencher.

 Heureusement pour nous, aucun garde ne nous dérangea. Pour le moment du moins.

– L’Ombre a bien dit que son royaume se défendait tout seul. Comme s’il s’agissait d’un être vivant, doté d’une intelligence. Mais il y a forcément quelque chose qui contribue à cette intelligence et qui relie le tout, raisonnai-je. Cette salle se trouve justement en plein milieu du royaume. Tel un centre de commandement. Tout est ici, mais nous ne le voyons pas forcément.

 Je réfléchis quelques minutes pendant qu’Orialis palpait à présent chaque statue, explorant leur moindre recoin. En la voyant ainsi tâter la poitrine de la sirène, de manière brusque et innocente, je ne pus me retenir de rire malgré les circonstances. Elle tourna la tête pour me regarder, les mains posées sur les coquillages qui recouvraient les seins de la sirène. Elle ne se rendait pas compte. Avec son air candide, c’en était comique.

– Bah quoi, je trouve ces coquillages bien épais ! Ça cache quelque chose ! se justifia Orialis.

– Oui, ça cache surtout les seins de la sirène…, m’amusai-je.

– Oui, et bien justement, sa poitrine est beaucoup trop grosse ! C’est suspect ! rétorqua Orialis avec une pointe de jalousie dans sa voix.

 Pourtant, elle n’avait rien à envier à cette réplique : Orialis était d’une beauté à couper le souffle. Même épuisée, son visage resplendissait. Et j’estimais la taille de sa poitrine plus que respectable.

 Puis, elle se figea devant la statue de la Noyrocienne, effigie représentant son espèce. En la rejoignant, je remarquai que les antennes en pierre étaient incroyablement bien sculptées, à la fois fines et entortillées en leur extrémités. Une véritable prouesse à réaliser ! À moins d’employer la magie ?

– C’est surprenant ! Cette statue représente ma grand-mère ! À l’époque où elle régnait. s’écria-t-elle les yeux écarquillés. Je ne l’avais même pas remarquée tout à l’heure.

– Nous étions trop occupées à échapper aux gardes avec le sort d’invisibilité, lui rappelai-je. D’ailleurs, nous avons beaucoup de chance qu’ils ne soient toujours pas intervenus ! Ta grand-mère est très belle.

 Et elle lui ressemblait comme deux gouttes d’eau. Je notai comme seule dissemblance la chevelure longue et lisse de la statue.

– Vous êtes reines de mères en filles, c’est ça ?

– Oui, la couronne passe du côté maternel, tout comme le pouvoir de la Pierre en général.

 Pendant qu’Orialis scrutait son ancêtre, je retournai à mes piliers en regardant plus attentivement les tuyaux qui ondulaient autour, et compris enfin. C’était donc cela qu’il voulait dire… Décidément, notre ami Métharcasap nous avait réellement sauvés, et ce, bien au-delà de nos espérances.

– Je sais ! m’écriai-je. Avant de mourir, le Métharcasap a prononcé un mot dans ma tête « les tuyaux ». Il faut s’occuper de ce drôle de liquide ! Il n’existe pas de hasard chez l’Ombre, rien d’inutile. Tout sert à quelque chose, même ce qu’on pourrait prendre pour des décorations ! Je crois que ce liquide réagit comme un anticorps. Tant qu’il coule, notre magie restera inefficace, car c’est ce qui donne vie au royaume et le fait interagir avec le monde extérieur. J’ai vu ces mêmes tuyaux enroulés aux colonnes dans la salle de défense ; nous avons tout détruit là-bas, mais il reste ceux-ci, et peut-être d’autres ailleurs.

– Tu penses qu’il faut les couper pour stopper l’alimentation des boucliers ?

– Je ne suis pas sûre que ce soit la solution. Cette demeure semble réellement vivante. L’Ombre nous l’a bien dit tout à l’heure. C’est une hypothèse mais… ce liquide, c’est comme le sang du royaume ; une énergie dotée d’une intelligence et d’une réactivité. Elle peut donc se défendre ou reconstituer les boucliers si on l’attaque. Tout comme nos cellules réagissent aux virus, par exemple. D’ailleurs, le halo lumineux qui entoure l’Ombre est exactement de la même couleur que ce liquide violet qui coule dans chaque tuyau. Si on coupe cette alimentation, c’est comme si on coupait la circulation du sang chez un être vivant, sauf qu’il y a plusieurs veines… ce ne sera pas suffisant. Il faudrait plutôt contaminer le liquide, à la manière d’un virus, afin qu’il se propage partout puisque j’imagine que tous les tuyaux sont reliés et que cette salle est le centre névralgique du royaume.

– Je vois ce que tu veux dire, c’est tout à fait plausible. Et si tu essaies d’infecter le système avec ta magie ?

– À vrai dire, avec ma magie je ne sais que détruire ou guérir, pas contaminer quelque chose.

 Soudain, je réalisai que je pouvais me servir de mon rayon empoisonné, l’un des premiers pouvoirs que j’avais appris avec Avorian et que je n’utilisais jamais parce que je n’aimais pas du tout le fait d’empoisonner quelqu’un. Allais-je me souvenir des gestes pour qu’il sorte de mes mains ? Cela faisait de nombreux mois depuis mon apprentissage dans le jardin d’Avorian. Je m’approchai, malgré mes craintes, de l’une des colonnes, observant le fluide violacé et ses petites bulles circuler dans le tuyau. Puis, en me concentrant bien, je projetai un fin rayon contre le tuyau. Mais il ne pénétra pas dedans, ne l’endommagea pas non plus. Je remarquai alors que les microbulles s’agitaient de plus belle, comme si elles étaient conscientes de l’attaque et qu’elles voulaient se défendre, ce qui confirmait mon raisonnement. Orialis se rapprocha de moi et retint son souffle, attendant le moindre signe de faiblesse. Devais-je essayer de le couper comme Orialis le suggérait ? Je sortis mon couteau de mon sac et entrepris d’entailler le tube à un endroit accessible. Mais en vain... la matière en laquelle était constitué le canal ne se fendait pas sous la lame. Et, à chaque fois que je l’effleurais, le tuyau se mettait à briller d’une lueur mauve, les bulles tourbillonnaient. Plus je le touchais, plus je me rendais compte que cela me brûlait. Je m’efforçais alors d’utiliser mon rayon empoisonné un bon nombre de fois, mais sans succès.

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