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Mecacity était une ville animée malgré ce qui se tramait à l'exterieur de ses frontières. Les habitants, désinvoltes, marchandaient ce qu'ils pensaient avoir acquis justement, dansaient en musique sur les places publiques, lorgnaient en jugeant le physique des passants qu'ils croisaient et riaient aux éclats en petits groupes au coin des rues sombres et désolantes, dans lesquelles aucun rayon de soleil n'osait s'aventurer. Les rues de Mecacity étaient de très longues avenues dont on ne distinguait pas l'horizon. Personne ne prétendait avoir atteint l'orée de la ville. Parfois, on tombait sur de petites places délabrées, anciennement vertes, composées de quelques misérables bancs sur un tapis de gravier.

Dans les boulevards animés, les habitants battaient le béton aux heures de pointe, en partant au boulot comme en rentrant, ou ramenant les enfants de l'école, toujours exprimant une sorte d'euphorie à la tâche. Qu'est-ce qui pouvait maintenir leur bonne humeur dans un contexte aussi rude, hors des frontières de l'Empire ? Ils semblaient aveuglés par la grandeur de leur cité et par son rayonnement politique, épatés par les belles paroles de l'Empereur, éblouis par les objets brillants dans les boutiques de luxe et distraits par les enfants aux faces joviales jouant au milieu des tours grises.

Le centre-ville de cette cité gigantesque était régi par plusieurs quartiers, tous assignés à une fonction différente et reliés aux extensions de la ville par divers moyens de transport. Le premier, celui des habitations bourgeoises nommé Insomnia, était constellé de gratte-ciels illuminés et entretenus. Ces derniers étaient montés de pièces de béton et de verre, et leur architecture moderne était la même pour chacun d'entre eux : chaque étage se divisait en deux appartements symétriques. Certains possédaient des balcons encastrés dans les murs, les autres étaient d'un design sophistiqué, les fenêtres minutieusement alignées et presque invisibles grâce à des couches de glaces posées en bandes larges à chaque étage. On différenciait les bâtiments grâce à un nom de rue et un numéro, mais nullement grâce à leur apparence. On se déplaçait, en fonction de la distance, à pied, en voiture, en train magnétique ou en vaisseau supersonic, d'un point à l'autre de la cité. En tout temps, ces derniers viraient à la vitesse du son au-dessus des bâtiments, plongeant les passants dans un état de douleur auditive. C'était devenu commun de porter un casque anti-bruit pour sortir de chez soi ou pour dormir.

Dans les quartiers de travail, alias Ellaboria, la place de la Fontaine Bleue et de l'Opalnoir étaient les lieux clés, où se réunissaient les collègues aux heures de pause. Le premier était orné d'une fontaine sèche, sur laquelle on pouvait s'asseoir sans risquer de se mouiller. La seconde était une place tout à fait ordinaire, vaguement parsemée de quelques arbres à l'écorce devenue noire de pollution et de bancs grisâtres retapés au tabac. Cet endroit subissait le plus de contraste démographique entre le jour et la nuit. Souvent, c'était là qu'on trouvait le plus de chats en vadrouille, aux heures creuses, dont le bout de la queue dépassait des poubelles. On ne s'élançait presque jamais dans ces rues désertes, empestées de la puanteur des longues et fatigantes journées de travail. Les buildings y étaient plus hauts que les habitations, mais plus fins, faisant penser à des piquets. Leurs façades aux reflets blancs sur une surface argentée dévoilaient un symptome maladif de professionnalisme aigu, une tendance à aimer tout remettre en ordre, que les choses soient carrées ou sinon qu'elles ne soient pas. Les usines de fabrique, quant à elles, étaient situées dans les extensions de la ville, un peu aux quatre coins, polluant ainsi l'oxygène des quartiers les plus pauvres. Elles prenaient de toute façon trop de place pour pouvoir être implantées au centre-ville et en auraient retiré du charme.

Dans un troisième quartier entourant le palais de l'Empereur, appelé communément le "quartier fonctionnel", mais dans le temps, celui de Beaupalais, les bâtiments étaient d'une tout autre forme, ressemblant davantage aux tours lustrées du Palais d'Andaphite qui lui survolait la cité entière. Les tours marmoréennes au dallage brillant et noir finissaient en pointes élégantes qui transperçaient le matelas de fumées brunes qui recouvrait la ville, pointant du doigt la richesse de la mégalopole. On sentait, en y mettant les pieds, qu'il s'agissait d'un lieu d'une haute importance. Des hommes moustachus en costumes serrés hâtaient le pas, bousculant tout le monde sur leur passage. Leur travail avait trop d'intérêt pour être prises à la légère, répétaient-ils aux citoyens "lambda". Ces derniers ignoraient la vraie nature de leurs missions, pensant que du haut de leurs perchoirs de glaces polies, ils ne faisaient que diffuser les reportages de l'Empire ou la météo, gérer la bourse citadine ou les projets agricoles. Mais la vérité était bien éloignée de ces idées diffuses. À l'extérieur de l'Empire, un plan machiavélique sorti de l'imaginaire de l'Empereur s'exécutait lentement. Tsubasa, de son nom redouté par tous les étrangers mais tant aimé par les habitants de Mecacity, et plus généralement, de tout l'Empire Policylsien, était un personnage d'une hauteur réservée. Il logeait dans une zone interdite de son palais, une bâtisse si grande et dominante qu'elle faisait trembler tous les passants dans les rues de Mecacity. Le palais aux finitions pointues était souvent comparé à une montagne, menaçant d'engloutir les constructions alentours. On avait entendu parler du fils de Tsubasa, Kiiro, l'héritier du trône, comme étant un garçon honnête et prêt à servir son peuple. Il n'avait jamais mis les pieds dehors : son père l'encourageait ainsi à ne pas prendre connaissance des conséquences de ses décisions. Mais malgré cela, le peuple lui vouait un culte particulier, bienveillant, certainement en raison de son jeune âge.

Derrière le palais, un quartier très spécial et particulièrement aimé s'animait entre seize et dix-neuf heures : le grand quartier commerçant, Attaïpu. Les jours de marché, les rues et les parvis faisaient part aux habitants d'un étalage titanesque, où presque toutes les variétés de légumes et de fruits saisonniers étaient représentées. L'hiver étant la saison courante, les marchands clamaient la blancheur des feunilas et la longueur des cèrymphes. Le plus impressionnant était le nombre de boutiques de mode luxueuses qui se succédaient. Chaussures en cuir animal, manteaux en fourrure, bijoux en or ou en vermeil étaient vendus à des prix à couper le souffle. Les étiquettes aux pieds des vitrines indiquaient des chiffres allant de cent mille lins au million, une somme que seule une fraction de la population de l'Empire Policylsien était prête à débourser. D'autres boutiques, n'ayant pas la chance d'être installées au rez-de-chaussée, vendaient à des prix plus raisonnables des bibelots d'une qualité qui suffisait au reste des acheteurs, qui grimpaient volontiers aux étages du semblant de centre commercial.

Lorsque les habitants arpentaient cet immense terrain organisé, ils ne prêtaient quasiment aucune attention à ce qui planait au-dessus de leurs têtes. Tous à l'exception d'une jeune femme à l'allure candide, qui déambulait les yeux levés, clairvoyante, au milieu d'une foule aliénée. Elle mirait le nuage brun qui stagnait au-dessus de la ville, en tentant d'imaginer ce qui se cachait derrière.

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