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L'idée d'un au-delà, magnifique, incroyablement grand, faisait vibrer le cœur de la jeune femme. Ses yeux s'écarquillaient à chaque fois qu'elle s'évadait dans les tréfonds de son imagination. Les autres la miraient avec curiosité, se demandant ce qu'elle pouvait bien voir à travers cet amas de poussières flasque. Elle marchait doucement, se faisant bousculer par les habitants pressés de se blottir dans leurs lits à l'approche de la nuit. Ils étaient de moins en moins nombreux. Les lampadaires à la lueur orange s'allumaient tour à tour au-dessus des rues bientôt désertes, créant un univers envoûtant dans les hauts quartiers. La nuit s'annonça clairement lorsque la symphonie résonnante des rues changea de ton. De grands bruits de tambours, accompagnés de hurlements atroces, remplacèrent soudainement les hululements humains et les bruits apocalyptiques des vaisseaux qui tranchaient l'atmosphère.

La température chuta à son tour et le mistral s'empara des boulevards. La jeune femme se blottit dans sa laine blanche, en quête d'une source de chaleur. La température glaciale la mordait jusqu'aux os. Ses joues beiges étaient pâles. Son nez en pied de marmite inspirait doucement l'air glacial, empesté d'odeurs de tabac et de gaz carbonique émis par les vaisseaux. Ses lèvres sveltes, haletantes, laissaient s'échapper une légère brise chaude dans l'air froid tandis que ses dents se cognaient dans sa bouche, grelottante. Ses longs cheveux blonds, qui tombaient habituellement en cascade le long de son dos, virevoltaient contre le zéphyr polaire autour de son visage, pénétrant parfois dans ses yeux émeraude. Elle tentait au moins de protéger son visage avec ses mains fines, mais le froid s'emparait rapidement de ses phalanges nues. Elle finissait toujours par les rentrer dans les manches de son poncho épais en croisant les bras contre sa poitrine, unique chaleur qui couvrait son dos recourbé.

Dans l'obscurité, elle ne reconnaissait aucune rue et craignait de s'égarer davantage. Alors, elle décida de se poser sur la place la plus proche, pour une durée indéterminée. Elle ne reconnut guère la petite place verte de son enfance qu'elle aimait à observer avec sa mère. Elle se souvenait de ces grands arbres fleuris au printemps, fruités en été et enneigés en hiver, qui abritaient papillons encore en chrysalide et hirondelles amoureuses dans leurs branches fougueuses. Cette merveille avait été exterminée par l'Empire, songea-t-elle en s'allongeant sur le banc de fer gris. Elle plaça ses mains en coussin sous sa joue ronde et replia ses jambes contre sa poitrine, frigorifiée. En l'espace d'un instant, une vague de sérénité traversa son corps frêle. Elle s'imprégnait du paysage, allant du ciel poussiéreux aux rues sans horizon qui prolongeaient la petite place. Les fenêtres des grands buildings qui s'élevaient tout autour d'elle comme les barreaux d'une prison éclairaient l'endroit, ainsi qu'un vieux lampadaire clignotant. L'air était frais, l'atmosphère relaxant. C'était comme si les bruits de tambours qui éclaitaient dans la cité s'effaçaient, s'estompaient doucement dans les pensées de la jeune femme. Toutes les couleurs brunes, aussitôt claires aussitôt foncées, bleutées par le voile de la nuit, se mélangeaient devant ses yeux fatigués, comme la peinture abstraite d'une chaleureuse ambiance du soir.

Soudain, une larme réchauffa sa joue gelée. D'un geste de la main, elle l'essuya. Mais rapidement, ses yeux se bombèrent d'eau. Pourquoi cet endroit lui rappelait-il autant sa mère ? Elle l'imagina la bordant dans son lit, puis lui contant une histoire de fées avant de s'endormir - l'histoire de la fée Sayuri en quête des couleurs de l'arc-en-ciel - une créature fantastique qu'elle avait dû inventer pour lui faire aimer son prénom. Sayuri signifiait fleur de lys, une plante qu'elle n'avait jamais vue ailleurs que dans les livres et qu'elle rêvait de rencontrer, lui ayant valu sa belle appellation.

Un sourire s'esquissa sur ses lèvres pourpres. Aussi triste était la vie sans sa douce mère, elle devait garder ces souvenirs dans son cœur, afin qu'elle puisse toujours voir la ville grisâtre en couleurs.

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