Isabelle

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Elle ouvrait la porte et nous étions illuminés.

Elle irradiait du bonheur sincère de nous retrouver. Elle gloussait sans fin, la presque centenaire ! À peine un coup d’œil, vif et pétillant, aux parents, qu’elle était déjà penchée sur la marmaille qu’elle abrutissait :

— Oh, ils sont là les pitchounes ! Que vous êtes beaux mes petits chéris. Oh, comme vous avez grandi. Que les parents doivent être fiers de la belle famille ! Et toi, gazou, gazou… Tu ne la connais pas encore la vieille amie, toi ? Elle est zinzin la vieille, hein ? Se tournant vers les trois plus âgés : Pas vrai, qu’elle est zinzin, la mamie Isabelle ?

Le tout avec un accent chantant, une voix pleine, pleine de cailloux, mais des cailloux ronds, des galets qui roulaient au rythme de ses roucoulades. Elle saisissait chacun des mioches à son tour et l’écrasait sur sa poitrine, entre ses bras potelés. Sa peau sentait le savon à la rose et sa blouse l’eau de javel. Le dernier dans son cosy, elle lui effleurait la joue de l’index avant de lui chatouiller le ventre : « guili, guili ». De ses rudes mains tavelées, elle entraînait tout son petit monde à l’intérieur. Elle s’emparait du bébé en soulevant l’anse de sa coque sans effort apparent, repoussait l’offre d’aide des parents d’un « tss, tss » impératif.

Elle pivotait sur ses jambes, pâles, variqueuses, en traînant ses chaussons de laine. Docilement les enfants subjugués répondaient à son invitation et contournaient la massive table de salle à manger. Elle se faufilait à leur suite, manœuvrant avec vivacité pour ne pas cogner le siège du bébé qui passait tout juste, entre la table et le buffet de chêne à deux corps, paré de ses miroirs et de ses bas-reliefs floraux ouvragés.

Elle posait le cosy, asseyait les bambins sur le canapé :

— Alors, il faut tout conter à mamie Isabelle depuis l’année dernière. J’ai tellement pensé à vous, mes pitchounets.

Les garçons et la petite, du haut de ses trois ans, démarraient leur babil sans plus se faire prier, ayant reconnu en elle un auditoire authentiquement attentif à leurs aventures.

Elle les interrompait bientôt :

— Mais vos parents doivent avoir soif, par cette chaleur ! Qu’est-ce que je vais vous donner à boire ?

Elle repartait vers la cuisine, se déportant d’un léger déhanchement pour éviter habilement la collision avec l’un ou avec l’autre meuble.

— C’est la petite étudiante qui me fait les courses. Je lui ai demandé du jus pour les enfants. (Elle leur fait un clin d’œil.) Et aussi un gâteau. Je lui ai demandé le Brossard, c’est celui que je préfère. C’est toujours celui qu’on prend quand les copines viennent jouer au bridge.

Elle revenait, se campait devant le père de famille :

— Tu ressembles de plus en plus à ton père. En plus grand. Et en plus jeune, bien sûr.

Elle éclatait de rire en montrant les dents, et sa trogne hilare secouée de soubresauts avait tout à fait l’aspect de celle d’un chimpanzé. Elle essuyait ses mains, paumes et dos, sur le devant de son tablier, avant de me prier :

— Vous allez venir m’aider à porter le reste, vous voulez bien ma petite chérie ?

Et comme je tançais les enfants qui se disputaient les bonbons qu’elle leur avait rapportés :

— Laissez, ça fait du bien, moi qui n’ai pas connu d’enfant. Enfin, j’ai eu un fils, mais je ne l’ai pas vraiment connu. On me l’a pris qu’il était encore tout petit.

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