Chapitre 13 : Mentir ou mourir

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Six mois avant

« Je sais ce que tu as fait ». Il le sait. Il sait qui je suis. Je n’ai pas d’autres choix que d’obéir. Je me soumets au mutisme qu’il m’impose. Car il a le pouvoir sur moi. Qu’il a cet ascendant qui me fera courber l’échine. Je comprends qu’il va demander mon aide en échange de son silence. Je sais que ce soir, la Ali naïve partira. Et ne reviendra pas. Car cette Ali là, aura vu un mort droit dans les yeux...

Aujourd’hui

« Alison, qu’as-tu fait ? »

Les mots de Jace sont des poignards qui me transpercent l’abdomen. Je me rejoue ces paroles dans ma tête. Je ne suis plus sûre d’y trouver le moindre sens. Je suis au bord d’un gouffre. Et je n’ai absolument aucun moyen de revenir en arrière. Je sais que je dois tout lui dire. Que je dois être franche, en espérant qu’il m’estime assez pour ne pas me trahir ! Je le regarde dans les yeux. Et mon estomac devient visqueux. Une bile amère envahit ma bouche. Car les yeux de Jace ne montrent aucun amour, aucune empathie. Ils sont froids comme le vent sur Terre. Sa main est proche de son ceinturon. Proche de son arme. Je reste interdite. Un sentiment de tristesse et de rancœur m’anime. Pourquoi ? Peut-être que j’espérais qu’il tenterait de me comprendre avant de me condamner.

— Ali, je te repose la question une dernière fois : qu’as-tu fait ? Un tic nerveux près de sa mâchoire s’agite.

Mes yeux restent ancrés dans les siens, sur son visage. Je me remémore encore la douceur qu’il avait sur mes doigts. Je me rappelle son sourire qui venait éclabousser sa noirceur. Et je me souviens de sa bouche sur ma peau... Je me souviens de tout, Jace. Voilà ce que j’aimerai lui dire. Au lieu de ça, je me prépare à pire. Je m’apprête à lui mentir. Jouer un rôle pour gagner le droit de vivre. Quelle chance, j’ai de m’en sortir ? Mais je me dois de continuer, je n’ai pas le choix. Je me souviens encore très bien de notre discussion avec Emanuel. Je garde en mémoire ma peine immense et ma haine profonde contre nos dirigeants quand j’ai appris… appris que le second voyage, le dernier… n’a pas pour but de faire venir nos familles laissées derrière nous. Avec le recul, je me trouve stupide d’y avoir cru. Comme si le gouvernement pensait d’abord à nous, avant eux. Je ne me souviens pas que dans l’histoire de l’humanité, cela fut une seule fois vrai. Alors savoir que mon frère devrait rester sur terre et mourir de faim m’a donné la force suffisante pour me battre. Et aujourd’hui, je dois gagner ce combat.

— C’est bien à moi.

Je commande à mes yeux des larmes. Je n’ai pas besoin de me forcer. Je suis au bord de la crise de nerfs et ceux-ci étaient déjà larmoyants. Ma tête est baissée. Mes yeux pointés vers le sol. Je sais que Jace a beaucoup de difficulté à rester neutre face à la détresse féminine. Des résidus de son enfance, probablement…

— Ali, parle-moi.

— C’est pour mon frère...

— Comment ça ? Ton frère ?

Je retourne mon regard vers lui. À partir de là, ma vie se résumera à mentir. Peut-être n’est-ce pas un mensonge si horrible, mais c’est celui de trop. Celui qui blesse et qui détruit. Celui que l’on n’oublie pas...

Je prends une profonde inspiration. C’est dernier temps, ma respiration est mise à rude épreuve.

— Il est malade, Jace. Depuis enfant, il est victime d'une maladie orpheline. Je suis effrayée de le perdre et de ne jamais le savoir. Alors j’ai soudoyé une personne pour qu’elle dépose ce bipeur dans le vaisseau. J’avais besoin de ça Jace pour pouvoir partir. Besoin de lutter, contre cette incertitude. Je sais que tu ne peux pas comprendre. Mais, mon frère, il représente ce qu’il y a de meilleur en moi. Je n’ai pas pu...

Les derniers mots restent bloqués dans ma gorge. La nausée me vient. Je m’appuie alors contre le mur, espérant qu’il me supporte. Des larmes aux goûts salés tombent sur mes lèvres. Je suis épuisée. Je croyais être devenue forte durant ces derniers mois. Mais je n'en suis plus si sure. Finalement, les sentiments, les émotions ne disparaissent jamais, vraiment. Je suis encore humaine finalement...

Jace, quant à lui, a éloigné sa main de son ceinturon. Ses yeux sont voilés, mais sa posture semble moins dangereuse. Je me permets de relâcher mes muscles tant contractés.

— Tu ne peux pas le garder. Tu imagines si quelqu’un d’autre t’avait vu avec ça ! Ce que l’on pourrait penser. On t’aurait exécutée Ali. Tu ne réfléchis donc jamais.

Il exulte. Sa main vient ébouriffer ses cheveux noirs. Signe du dilemme qui se joue en lui, probablement. De ce que je connais de Jace, il n'a jamais été bon pour les discours. Il n'a jamais su consoler cette tristesse qu'il percevait chez moi. Et après tout, qui l'aurait pu ?

Je me déteste de lui infliger ça. De jouer avec ses sentiments. De le faire entrer dans ce jeu d’échecs où il n’est finalement qu’un pion parmi tant d’autres. Un pion que je manipule et qui peut tout perdre… même sa vie. Trop honteuse, je baisse les yeux. Ce répit me permet de réfléchir. Mon esprit cherche une solution. Je ne peux pas me séparer de mon boitier. J’en ai besoin pour transmettre les coordonnées d’atterrissage. Mais je ne vois pas comment résoudre ce problème. Les soucis de ses derniers mois m’ont vidé. J’ai l’impression d’être une de ces vieilles dames que je rencontrais au marché, qui a connu le bonheur, mais qui l’a vu en un jour s’envoler. Le bonheur était notre famille, dans cette fermette qui était mon foyer. Mais j’en voulais toujours plus. Je pensais pouvoir changer le monde. Je pensais que l’on pouvait dire tout et n’importe quoi. J’étais si naïve. Aujourd’hui, aucune vérité ne sort de ma bouche. À présent, je suis, l’exacte opposée, de celle que je souhaitais devenir. Je suis la Ali froide qui a une haine qu’elle se doit coûte que coûte d’étouffer.

Perdue dans mes pensées. Je n’ai pas perçu que le corps de Jace était tout proche du mien. Il s’est rapproché. Je ne peux empêcher le mien de trembler de peur.

— Je suis désolé, Ali. Mais aujourd’hui, je vais te donner un ordre et tu vas obéir.

— Oui, ma voix est chevrotante. Je m’intime le calme.

— Je t’interdis de me cacher quelque chose à nouveau. Et je t’interdis de venir un jour le récupérer. Est-ce que tu m’as compris ? sa voix n’est pas celle que je connais dans l’intimité. Elle est froide, gelée. Il doit me détester d’être responsable de son écart vis-à-vis du règlement.

— Oui lieutenant.

— Avant ça donne-moi le code pin.

Je déglutis. Je sais bien que j’ai effacé toutes les preuves qui pourraient m’incriminer. Mais de fines gouttes perlent dans mon dos, par la peur d’avoir commis un impair.

— 917 643, je lâche à voix basse.

Je n’ose pas regarder la scène qui se joue devant moi. J’entends seulement le bruit presque inaudible des touches appuyées par Jace. Le silence qui s’en suit semble durer une éternité. Et s’il vibrait à ce moment précis ? Et si j’ai oublié d’effacer un message ? Et si je n’avais pas détruit les dernières données envoyées ? Ma vue se brouille par la peur. Je manque de discernement et de calme. Mais mes émotions ont pris le dessus sur ma pensée. Je sais que je n’ai rien fait de préjudiciable avec ce bipeur. J’ai juste donnée des informations qui sont sensibles, mais non dangereuses. Mais pour tout le monde, je serais considérée comme une traitre, une meurtrière. Une menace en somme pour leur sécurité.

— Pourquoi je ne trouve pas les messages de ton frère ni tes réponses ?

— Je ne peux envoyer de communication. Seulement en recevoir…

— Et je ne voulais pas que quelqu’un remonte jusqu’à moi si ce bipeur disparaissait. »

Pour une fois, je ne mens pas. Il n’existe aucun moyen pour les contacter. Je peux seulement transmettre des données. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être que c’était trop dangereux pour la résistance de me donner la possibilité d’envoyer des messages textes. Cela m’a beaucoup énervé, aujourd’hui je m’y suis fait. Après tout, la résistance est connue pour sa discrétion. Et il en va de ma survie.

Je me souviens très bien de ma première mission, de l’adrénaline courant dans mes veines. De cette sensation entre la peur et l’excitation. Je devais entrer dans la base de données de Kapt via l’IA, située au deuxième palier, pour transmettre le nombre de personnes sur le vaisseau, l’âge de chaque participant... Un ensemble de données qui semblait crucial pour la résistance, pour Emanuel. Avec mon accréditation, j’ai pu en avoir l’accès aisément. À partir de là, le boitier a fait son œuvre. Il est connecté en Li-Fi. Si je comprends bien les notes transmises avec le boitier. Il emprunte un accès grâce à la lumière, à l’aide de la partie visible du spectre électromagnétique de tout appareil, donc indétectable par les radars de Kapt. Il me suffit d’entrer dans le système requis et activer ce réseau luminaire par mon empreinte digitale au dos du bipeur. Un jeu d’enfant ? Non. Car il existe un millier de raisons de me faire prendre à ce jeu.

Je cligne alors mes paupières, pour chasser toutes pensées qui ne seraient pas utiles aujourd’hui.

Jace hoche la tête. Je ne comprends pas pour quel motif il avale tous ces mensonges. Moi même cela me semble trop gros...

Celui-ci est toujours aussi proche de moi. Sa main droite se lève entre son corps et le mien. Elle hésite. Puis revient se poser contre son flanc.

— Tu ne peux jamais faire comme tout le monde, me chuchote-t-il froidement, près de mon oreille. Puis il tourne les talons et sort de la pièce sans un regard en ma direction. Le bipeur, toujours au creux de sa paume et moi le cœur réduit en compote.

Le cœur lourd, et les yeux maintenant secs je m’assois face à la galaxie, en priant ce nouvel univers de m’offrir ce que je cherche…

****

Désolée pour ce retard. J'ai beaucoup de mal à prendre le temps d'écrire en ce moment. Mais le voilà finalement. Bien qu'il n'est pas aussi dark que je le voulais au départ... Merci encore de vos encouragements :)

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