Chapitre 14 : Jacob 

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Un an auparavant

Je me demande comment tout cela a commencé. Comment en suis-je arrivée là ? À être accroupie près d’un corps sans vie ? Peut-être que je suis punie. Peut-être que le destin me joue un tour mortel. Être détruite pas à moitié. Mais plutôt en entier. Sentir ce froid me parcourir sans pouvoir l’empêcher. Je suis devant ce rouge, ce sang et pourtant je ne pleure plus. Je ne bouge plus.

— Alors vas tu m’aider jolie, Ali ?

Les derniers poils de ma nuque se soulèvent. Sa voix à lui. Au tueur, au sauvage qui n’a que le prénom pour se dire Homme. J’aimerais tant lui cracher ma rage au visage. Mais un muselet invisible me contraint. Et avec l’envie de vomir, je hoche délicatement ma tête. J’acquiesce et deviens alors sa complice. Je reporte mon attention sur le visage cireux face à moi. Il n’y a plus aucune joie. Plus rien. Pourquoi lui ? Pourquoi Jacob ?

Aujourd’hui

Voilà une semaine que Jace a pris mon bipeur. Je suis terrifiée, aujourd’hui, qu’un message s’affiche sur l’écran. J’ai peur de le voir franchir cette porte, son arme braquée sur mon visage. Je soupire bruyamment. Étendue sur mon matelas douillet, je ressens d’autant plus le poids qui pèse sur mes épaules. Toutes mes nuits sont écourtées par les battements accélérés de mon cœur, victime d’un cauchemar supplémentaire. Les moments d’accalmie sont souvent de courte durée. Et principalement lors de mes entraînements. Mon corps poussé à bout laisse peu de temps à mon esprit de cogiter. C’est pour cela que je m’entraîne durement, espérant vaincre cette détresse qui ne devrait pas être mienne.

De plus, la disparition de Jacob sème la discorde et le trouble dans notre fragile société. Beaucoup de citoyens s’imaginent un complot ou bien une rébellion latente qui attendrait dans l’ombre. Il ne se doute pas que c’est la brutalité et la sauvagerie propre à l’être humain qui en sont responsables. Garder ce secret alors que tout le monde chuchote sur ce sujet écrase lourdement ma poitrine. Car je sais où se trouve Jacob Whide. Je le sais. Il est dans les tréfonds de mon âme déjà trop noire.

Je m’extirpe difficilement de mes draps rêches. Kloé et Lizzie ne sont pas dans la chambre. Je suis seule avec mes sombres pensées. Leurs présences, particulièrement celle de Kloé égayent et jettent un peu de lumière sur ma morosité quotidienne. Comme un heureux hasard, Lizzie fait son entrée dans notre dortoir. Je ressens un certain malaise en sa présence. Son visage si souriant et sa bouche si loquace sont devenus rares. Savoir que je suis responsable de son malheur me plonge dans une tristesse sans fond. Elizabeth était en couple avec Jacob. Ils formaient un duo bien particulier. En effet, ils ne se sont pas aimés d’un premier regard, bien au contraire. Tous les deux étaient de parfaits opposés. Elle ; si extravertie, et lui ; si rêveur. Ils n’étaient pas du même monde. Mais sur Kapt, il n’en existe qu’un seul. Et finalement, cette différence, cette divergence les a unis. Je me souviens encore très bien de son visage souriant quand elle l’a embrassé pour la première fois. Il y a de ça plus d’un an. Nous avions eu droit avec Kloé à l’histoire dans ses subtils détails. Ce qui est finalement peu étonnant, quand on la connait. À partir de ce jour, ils sont devenus inséparables. Ils étaient devenus une famille. C'est crucial quand on est arraché aussi brutalement, comme nous, à notre foyer.

Alors, avoir connu l’amour et se l’être fait enlever si vite, cela laisse de nombreuses cicatrices, à l’encre indélébile.

Et quand on est responsable de la souffrance de son amie, on se déteste encore plus.

— Toujours en train de dormir à ce que je vois.

Son sourire allume quelque chose en moi. Je le lui retourne.

— Que veux-tu ? Je suis irrécupérable quand il est question de mon lit.

— En parlant de lit, celui de Kloé n’a pas été défait de la nuit ! On doit s’inquiéter à ton avis ?

Elle lâche ses derniers mots sur un ton conspirateur. Cela me fait du bien de retrouver la Lizzie pleine de vie. Mais comme un nuage celui-ci passe bien trop vite. Je profite tout de même de ce moment, et souris à l’idée des nuits mouvementées de Kloé. Lizzie plonge sur son lit, et s’installe sur le dos, les yeux braqués sur le plafond. Je me demande à quoi elle pense. Je fixe à mon tour le plafond, espérant trouver un apaisement à regarder tournoyer le ventilateur. Plusieurs minutes passent, sans qu’aucune de nous deux le brise.

— Tu as des nouvelles ?

Sa question est prononcée à messe basse.

Je sais de quoi elle parle. Je n’ai pas besoin de détail pour en deviner le sens. Cette question elle me la pose tous les jours.

— Aucune... je suis désolée.

— Pas besoin de t’excuser

Oh si Liz... Si tu savais le nombre d’excuses que j’aimerais te dire. J’aimerais tellement être cette fille que tu imagines en moi. Je voudrais tellement tout t’avouer et finir avec ces mensonges et ce silence pesant. Je voudrais être l’amie que tu mérites, mais je suis seulement la complice du tueur. J’ai tué Jacob... voilà ce que j’aimerais te dire...

Une larme coule doucement de son œil jusqu’à sa nuque. Je ne peux m’empêcher de la regarder. Je tente sûrement de me punir. Car c’est tout ce que je mérite. Après de longues minutes de silence, je décide de sortir de mon lit, mon tour de garde étant bientôt venu. Je prends mes affaires dans la penderie que l’on a en commun. La pièce est exiguë mais bien agencée. Les trois lits sont disposés aux quatre coins de la chambre. Et une grande armoire blanche orne le dernier pan de mur. On pourrait s’attendre à un décor futuriste. Mais cette chambre ressemble en tout point à une pièce classique. Seul l’IA qui allume la lumière ou règle la température semble appartenir à ce futur. Durant ma douche, je ne croise âme qui vive. Il est 11 h. Tout le monde doit s’affairer sur Kapt. Quand j’y pense, j’ai l’impression d’être dans une immense fourmilière où chaque personne à sa mission, son utilité. J'aime le fait d'avoir des horaires différents. Avoir ces moments d'accalmie me semble essentiel.

La douche chaude diffuse une légère vapeur dans la pièce. Un sentiment d’apaisement m’envahit. Mes muscles courbaturés se détendent progressivement. Je repense à ce foutu boitier. Je déteste voir mes plans être contrariés. Je me sens démunie sans ce petit objet. Et plus éloignée de Louis que jamais. Jace, quant à lui, ne m’a quasiment pas adressé un mot de la semaine. Je crois que c’est la cassure de trop. Celle qui ne peut être réparée. Particulièrement par deux âmes aussi torturées que les nôtres.

Sitôt séchée, je me précipite en direction des ascenseurs. Ceux-ci sont d’un blanc immaculé. Ici, sur Kapt, tout semble neuf. Comme si nous n’étions pas trois cents personnes à vivre à bord. Je tourne mes yeux vers le miroir. Je m’observe à la dérobée. Depuis le décollage, mon corps à évolué. J’ai repris des formes, particulièrement sur les hanches et les joues. Mes bras sont musclés par les efforts quotidiens que je dois déployer. Je dois avouer que je suis bien plus femme que lorsque je vivais sur Terre. Et cela n’est pas pour me déplaire.

En allant vers les salles de réunions du palier deux, je perçois Riley ou plutôt j’entends le rire amer de celui-ci. Je tends alors l’oreille, tout en restant hors de vue, derrière une colonne métallique.

— Vous rigolez Msieur’ ? Mes gars et moi on ne peut pas réparer le générateur principal en une journée. C’est complètement infaisable. Dans les meilleurs des cas, je peux le faire en une quinzaine de jours, mais sûrement pas en une seule journée.

— Si vous ne pouvez pas le faire, je trouverai un autre ingénieur en chef pour vous remplacer.

Marcus, le lieutenant de l’autre secteur, semble au bord de la crise de nerfs. Et le connaissant, son humeur risque de s’aggraver par ce que va rétorquer mon ami. En effet celui-ci, lui balance sans aucune politesse :

— Comme si vous aviez quelqu’un capable de faire mieux ! Quand je vous dis que je vais le réparer, je vais le faire. Mais laissez les délais pour vos toutous. Je suis ingénieur, je ne marche pas à la baguette. Si une machine ne veut pas fonctionner, elle ne veut pas. Et tous vos ordres ne changeront rien à ça. Alors, laissez-moi faire mon job. Je suis le meilleur pour faire ça ! Arrêtez de vous inquiéter et de venir me retarder !

Je ne peux m’empêcher de rire devant le caractère bien trempé de Riley. Depuis que je le connais, il n’a jamais eu sa langue dans sa poche, et ce n’est pas face à Marcus que cela va débuter. Certaines intonations dans sa voix, illustrent bien sa vie passée dans la rue. Et je crois qu’il ne cherche pas à s’en débarrasser. Cela fait partie de lui. On pourrait croire qu’il s’estime beaucoup trop. Moi je dirais pas assez. Il n’avait que lui-même pour se complimenter. Alors il n’attend pas que l’autre le fasse à sa place. Et même encore aujourd’hui.

Je décide de ne pas aller à la rencontre de mon ami. Le connaissant, il ne va pas décolérer avant plusieurs heures et je ne peux pas arriver de nouveau en retard à ma prise de poste. Le mieux pour moi est de rester dans l’ombre avant de trouver un plan en béton pour récupérer ces foutus codes.

En courant dans le couloir, je repense à la discussion entre Marcus et Riley. Le générateur principal est endommagé ? Je vois que la journée a bien commencé...

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