Chapitre 9 : The last

11 minutes de lecture

— Quel est votre nom ?

— Ali Taylor

— Quel âge avez-vous ?

— 18 ans.

— Où vivez-vous ?

— À Greelay à quelques kilomètres du centre-ville.

L'homme face à moi hausse les sourcils. Il semble déçu. Mais il reprend avec sa concentration habituelle.

— Avez-vous des intentions honnêtes envers la mission  "Save the World" ?

— Je n'ai aucune intention malhonnête, déclaré-je  d'une voix monocorde.

— Avez-vous été contacté par la résistance ?

— Jamais.

Et merde. Je n'ai pu empêcher mes jambes de s'agiter. C'est sûr... je suis foutue. Je vais devoir recommencer.

— Ali ! Je t'ai dit de faire attention aux moindres de tes gestes ! On reprend !

— J'ai besoin d'une pause Lissandro ! Ça fait un mois qu'on répète ça en boucle. Tu vois bien que je fais des erreurs stupides... Je vais finir par craquer, lâché-je plus fort que je ne le souhaitais.

— Je préfère que tu craques ici. On reprend... après dix minutes de pause.

J'adresse une moue de remerciement à mon bourreau, mais celui-ci a déserté la pièce, une cigarette au bec. J'arrache les électrodes collées à ma poitrine. Je suis à bout de nerfs. Je sais que je dois être prête pour l'étape suivante. Mais il faut croire que je suis une piètre menteuse. Je quitte la salle d'interrogatoire, et déambule dans les dédales du vieux hangar rénové qui n'ont plus de secret pour moi.

Cela fait un mois qu'Emanuel m'a tout révélée. Au début, j'ai eu peur qu'il tente de me tromper. Mais plus les jours passent plus ce qu'il me dit sonne juste. Maman qui était devenue absente, papa mort du jour au lendemain sans trop d'explications, les discours entendus durant mon enfance sur l'environnement et sur la place de l'Homme sur Terre. De plus, ces gens connaissaient mes parents depuis longtemps. Je n'ai eu de cesse d'entendre des anecdotes de la part d'Emanuel et d'Adriana. Tous les quatre semblaient réellement amis.

Tout naturellement, Adriana et moi nous nous sommes rapprochées. Elle demeurait très proche de ma mère avant ma naissance. Elle m'a montrée un grand nombre de photos qui ont renforcé l'idée que tout ça était vrai. Depuis un mois, j'ai appris beaucoup de choses sur la résistance. Sur leur cause. Et j'ai aussi envie d'y participer. Bien que je ne sache pas très bien comment je pourrais livrer le vaisseau Kapt à la résistance. Mais je veux rendre fiers mes parents. Même si un motif plus sombre que je tente de nier a sa propre raison : celle de la vengeance !

Je décide d'aller prendre des nouvelles de Louis. J'arrive après plusieurs minutes dans la pièce où se trouve mon frère. Celui-ci ne décolle plus de la salle de jeux. Quelques enfants traînent autour de lui. Cela me paraît toujours étrange de voir des gens vivre dans cet endroit. Mais Emanuel m'a bien fait comprendre que la résistance est avant tout une famille qui lutte ensemble contre la répression imposée par la milice. Je dois avouer qu'ils sont bien organisés. Chaque personne à son utilité, sa valeur. Personne n'est mis de côté. Pas même moi. Ni même Louis. En parlant de lui, il semble s'être acclimaté à la situation bien que ses nuits sont tout de même très agitées. Tout comme les miennes. Je revois en boucle, maman en sang dans notre salon. Cette vision, non loin de s'éteindre, devient de plus en plus difficile à dissiper de mon esprit. Alors pour tenter d'oublier, je plonge avec tout mon cœur et toute ma rage dans le mouvement de la résistance. Même si mes actions me paraissent sans intérêt au vu de ce qu'il doit se tramer dans les réunions secrètes. Je suis toujours énervée quand je les vois tous se diriger vers la salle de réunion. Mais Emanuel affirme que cela ne concerne aucunement ma mission et qu'il est dangereux avec le test de vérité, de me tenir au courant. Quand bien même ; vivre ici, avec ces gens, me donne l'impression d'être plus proche de mes parents.

Sans crier gare, Louis vient se réfugier contre mes jambes. Ses petites mains d'enfant serrent mes cuisses. Je me baisse pour être à sa hauteur et le serrer dans mes bras. Je prends quelques secondes pour humer son parfum si délicat. Il n'y a rien qui me donne autant de forces que lui. Après cette étreinte, je lui ébouriffe ses jolies boucles blondes.

— Je suis désolée de ne pas avoir déjeuné avec toi ce matin, bonhomme. Tu me pardonnes ? je lui murmure à son oreille.

— Non, me dit-il avec son sourire de canaille. J'ai mangé avec Théo et sa mère. Elle m'a fait du gâteau au chocolat.

Je suis heureuse que Louis ait trouvé en Bry, la mère de Théo, une épaule d'adulte sur laquelle se reposer. J'aimerais que se soit la mienne. Mais je suis peut-être trop anéantie de l'intérieur pour aider qui se soit, même mon petit frère.

Je partage mes dernières minutes à jouer au lego avec Louis avant de retourner, la mort dans l'âme, dans la salle d'interrogatoire où m'attend Lissandro, mon bourreau...

Le lendemain me voila dans une voiture avec Adriana, en direction du centre spatial de Denver. Un silence agréable plane entre Adri' et moi. Je repense à mon frère, à son refus de me laisser partir. Il angoisse de ne plus me revoir. J'ai dû prendre plusieurs minutes avant que ses pleurs diminuent et qu'il consente à rompre son étreinte. Ses larmes m'ont brisé le cœur. Je ne sais toujours pas comment lui dire que bientôt je ne serais plus avec lui, plus sur la même planète que lui. Rien qu'à l'idée de mettre en pièces la promesse que je lui ai faite, une douleur affreuse se répand dans mon estomac.

— Tu ne trouves pas bizarre l'apparition du trou de ver ? Du hasard chanceux d'être tombé sur cette découverte pile au moment où l'humanité en avait le plus besoin ?

La voix d'Adriana vient interrompre brutalement mes pensées. Je prends quelques secondes avant de réaliser ce qu'elle vient de me dire.

— Je t'avoue que je n'y est jamais réfléchi. Mais c'est vrai que le hasard fait bien les choses, je déclare sur un ton conspirateur.

Cette question me hante durant tout le trajet. J'ai l'impression d'évoluer dans un milieu sur lequel je n'ai aucune donnée. Cette mission reste un grand mystère pour moi. Peut-être que j'en serais plus aujourd'hui. La dernière étape avant l'embarcation est proche. Plus le délai se raccourcit, plus j'ai des difficultés à me tenir en place. La résistance reste très évasive sur ce que je vais devoir accomplir à bord de Kapt. J'ai beau harceler Emanuel, celui-ci reste très flou. Sa seule réponse est que j'aurais des nouvelles d'eux à bord et que j'aurais des directives lors de notre transport vers le système solaire V. Selon lui, moins j'en sais, moins j'aurais à mentir. À vrai dire, je n'étais pas au courant que je devrais passer un test de vérité. De le savoir, mes nuits n'en sont que plus difficiles. Mais je suis prête ! Après un mois pour apprendre à camoufler les battements de mon cœur je suis prête à répondre aux questions posées par le personnel de Kapt.

— Tu te sens comment, Ali ? me demande Adriana.

— Bien. Enfin pour tout t'avouer je suis tendue. Très tendue.

— Ne te fais pas de bile. Tu t'es entraînée tellement fort que tout va bien se passer. Sois-en sûre !

Son ton doux et rassurant apaise quelque peu les battements de mon cœur. Mais bon, plus facile à dire qu'à faire.

— Ta mère serait fière de toi, Ali, tu le sais ? Et ton père aussi... chuchote timidement Adriana.

Je laisse le silence envahir l'habitacle. Je ne sais pas si ma mère serait fière de moi. Après tout, j'ai l'impression de ne plus savoir grand-chose ces derniers temps. Mon estomac se contracte. Maintenant, un mois qu'elle est décédée. Un mois, où mon cœur est prisonnier d'un étau insupportable. Et plus les jours passent plus ma peine devient incommensurable. J'ai constamment peur. Peur d'oublier son rire, d'oublier sa voix claire et de ne plus parvenir à visualiser ses doigts remettant de l'ordre dans sa chevelure. J'ai peur de l'oublier comme j'ai oublié certaines choses sur papa. Alors je me force à la faire apparaître dans mon esprit. Même si c'est douloureux, je préfère ça au vide noir et opaque que la mort entraine. Je stoppe net toutes ces pensées lugubres. Je ne dois pas m'éparpiller. Je dois rester concentrée sur ma tâche. Mentir alors que l'on me teste pour savoir la vérité. Je repenserai à maman ce soir, dans mes draps froids, en pleurant sur l'avenir plus qu'incertain qui m'attend. Je reporte mon attention sur Adriana. Son visage est d'une pâleur extrême. Sans soleil, nous sommes tous blancs de neige ici. Mais le contraste des cheveux blonds semés de mèches roses rend cette dissemblance plus visible. En comprenant un peu la personnalité complexe d'Adriana, cela n'a rien d'étonnant.

Après plusieurs minutes de route, nous voilà parvenus au lieu de la deuxième étape. Si je n'avais pas appris que l'on nous ferait passer un test de vérité, j'aurais bêtement pensé à une visite du bâtiment ou du vaisseau. Naïve que j'étais. La voiture noire de la résistance stoppe net bien avant l'entrée.

— Je suis désolée, Ali, mais à partir de là tu vas devoir marcher. Je ne souhaite pas attirer l'attention sur toi.

Une question s'immisce dans mon esprit. Je profite de ce moment pour interroger Adri'.

— Dis, comment se fait-il que le gouvernement ne se pose pas de questions ?

— Comment ça ? me demande-t-elle yeux dans les yeux.

— Je veux dire, que je trouve bizarre que le gouvernement ne se pose pas des questions sur le fait que je ne réside plus à Greeley et qu'il ne sache plus où me contacter.

Un silence pesant de quelques secondes s'installe entre ma conductrice et moi. Puis Adri' se met à rire sincèrement.

— Ali, tu apprendras avec le temps que notre groupe est un mouvement ancien avec suffisamment de réseaux pour s'assurer que certaines personnes ne posent pas de questions. Ou en tout cas ne se posent pas les bonnes questions, me dit-elle avec un clin d'œil.

Sa réponse me semble vague, mais je n'ai pas le temps ni l'énergie pour prolonger davantage mon questionnement. J'adresse un dernier sourire à ma nouvelle amie et file en direction du centre-ville, de la station spatiale des États-Unis.

****
Je rentre dans une pièce blanche dépourvue de la moindre décoration. Seules une table et une chaise en verre ornent la salle. Je m'assois comme conseiller par la femme de l'accueil. Je suis impatiente de commencer. Plus vite, l'interrogatoire débute, plus vite je rentrerais à la maison. Soudain, la porte s'entrouvre et laisse apparaitre des bottes noires en cuir. Je relève le nez et mon visage change subitement de couleur. Jace O'Brien va conduire cet entretien. Je suis foutue. S'il se la joue grand macho des temps modernes, je ne suis pas sûre de rester calme bien longtemps.

— Bonjour, cadet Taylor.

— Euh bonjour, mon..., mince je ne me souviens plus de son grade. Bravo, je vais encore m'attirer les foudres de celui-ci.

— Lieutenant serait appropriée. Je vois que vous n'avez pas commencé la lecture de votre guide de mission.

Et encore zut ! J'étais tellement occupée avec l'entrainement et les missions de collage d'affiche que je n'ai pas pensé une seule seconde à lire ce fichu guide. Mon silence doit être éloquent, car Jace fronce les sourcils de manière prononcée.

— J'avais dans l'espoir que vous auriez gagné en maturité. Mais tout le monde peut se tromper à ce que je vois. Bien, vous êtes ici, pour passer un test de vérité. Rien de bien difficile, quoiqu'avec vous, miss Taylor, on ne sait jamais. Bref, vous devrez seulement répondre de manière la plus honnête possible à mes questions. Cela me permettra de connaître vos véritables intentions, et de savoir si vous êtes un danger ou non pour cette mission. Maintenant, je dois juste attendre que la diode verte s'allume pour débuter le test.

C'est la première fois que je l'entends parler aussi longtemps. Sa voix a un côté envoûtant, une certaine chaleur. Mais il est hors de question que je bave devant cet homme, charmant ou pas.

Un silence pesant règne dans la pièce. Ses yeux sont accrochés au mien. Mes joues chauffent légèrement. Les minutes semblent être des heures. J'étouffe dans cette pièce. Le regard de mon superviseur n'aide pas à me sentir mieux. Je porte une attention particulière à mes phalanges. Je n'avais jamais remarqué que mes doigts étaient si longs et si fins. C'est stupide, mais je n'ose plus relever la tête. Voir son air arrogant me donne envie de le frapper. Pas seulement une petite gifle, mais plutôt un poing à le mettre à terre. Je prends conscience que cette agressivité n'existait pas avant. Depuis que maman n'est plus, je sens quelque chose grandir en moi. Cela m'effraie autant que cela me plait. J'ai l'impression qu'il s'est écoulé des années entre la fille qui s'habillait avec les vêtements de son père et la femme qui se trouve dans ce lieu. Une femme qui doit mentir, qui doit être forte, ne jamais flancher. Je suis prête. Comme une fortuite providence, la diode verte sur le moniteur s'allume. Le signal pour démarrer l'interrogatoire. Je lève les yeux vers Josh en me concentrant le plus possible pour garder toute neutralité.

— Nous allons commencer. Si tu veux bien déboutonner le début de ton chemisier, dit-il d'une voix neutre.

Je pique un fard. Je me sens idiote de rougir comme une adolescente. Et lui semble prendre un malin plaisir de ma gêne. Puis les minutes qui suivent défilent comme dans un brouillard. Je tente de rester le plus neutre possible, mais le regard de Jace a le don de faire battre mon cœur plus rapidement. Le moindre froncement de sourcils de sa part m'énerve et m'agace au plus haut point. L'entretien se termine. J'ai la sensation d'avoir quitté mon corps durant cette échange. Comme si une Ali beaucoup plus disciplinée avait pris ma place et que je l'observais agir comme une parfaite menteuse. Et je ne peux m'empêcher de penser que Lissandro serait tout de même fière de moi.

— Faites venir les gardes, lance Jace d'une voix blanche, dénuée d'émotions.

Je suis sous le choc. Je ne comprends pas. Je veux ouvrir la bouche, mais aucun mot ne peut sortir. Je suis démasquée, j'en suis sûre. Sinon, pour quelle raison appeler les gardes ? Je tente tout de même de calmer mon pouls. Mais deux gardes font leurs entrées et se dirigent vers moi. Les deux hommes me prennent sous les aisselles et me trainent malgré ma résistance en direction d'une porte, que n'avais pas vu. Je suis paniquée. Je tords mon cou afin de capter le regard de mon superviseur. Les yeux de Jace regardent les miens. Bien que son visage soit dénué d'émotions, j'arrive à percevoir quelque chose dans ses yeux... on dirait... de l'espièglerie. Je ne vois pas en quoi cette situation peut le faire rire. Je reporte mon attention sur les gardes, ils ne bougent pas d'un pouce, malgré mes gesticulations agressives. Mes pieds finissent par ne plus toucher terre et je suis trainée à travers un couloir sombre où je ne croise personne pour m'aider. Avant même de pouvoir organiser ma pensée, les deux hommes me poussent à l'intérieur d'une pièce. Je me retourne à grande vitesse, mais ils ont déjà fermé la porte derrière moi. Je tambourine comme une folle contre le métal à m'en faire saigner les poings. Mais personne ne semble venir. Je suis seule. Je vais surement mourir seule dans cette pièce.

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