Chapitre 8 : Conflit interne

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Ma main est toujours posée sur la poignée. Ses paroles m'ont figée. Comment ça « TES parents » ? Papa est mort d'une crise cardiaque il y a plus de sept ans. Je ne vois pas le rapport entre son décès et celui de maman. J'ai cette impression que je ne maitrise plus rien. Ou tout ce que je croyais savoir part en éclats. À l'intérieur de moi, je suis déchirée. Deux parties entreprennent une lutte acharnée. La première ne demande qu'à prendre Louis et partir le plus loin possible. Mais une autre partie souhaite plus que tout obtenir des réponses. Je songe alors à maman. À la femme qu'elle est devenue après la mort de papa. À son chagrin immense que même Louis et moi n'arrivions jamais à apaiser. Je ne veux pas y repenser toute ma vie sans savoir. Je ne veux pas que sa mort reste pour toujours inexplicable pour Louis et moi. Et puis je le dois à maman. Je lui dois beaucoup. Je retire ma main de la poignée. Plus aucun bruit ne traverse la pièce. Je me retourne pour faire face au chef de la résistance. Il me regarde avec, il me semble, de la compassion et de l'espoir. J'ai fait mon choix. Ma lutte interne est terminée. J'ai besoin de savoir, de comprendre. Je me redirige vers ma chaise avec une certaine appréhension. J'ai le pressentiment qu'à partir d'aujourd'hui, tout va changer. Qu'une part de moi ne sera plus jamais la même. Qu'elle partira au vent, balayant tout sur son passage ! Je prends une profonde respiration et finis par déclarer :

— Je ne comprends rien ! Comment puis-je vous faire confiance ? Je ne vous connais pas. Je ne sais rien de vous et de votre cause. Seulement, que vous participez à rallonger la liste des décès ! Comment pourrais-je savoir que vous allez me dire la vérité ? m'enfammé-je.

Mes émotions commencent à se remplir comme un puits après la pluie. Je suis à la limite du débordement. Et ça ne sera pas joli à voir.

— C'est une très bonne question Ali, reprend l'homme face à moi. Tu as raison de te méfier des inconnus. Mais ce que tu ne sais pas c'est que nous ne sommes pas complètement des étrangers pour toi et ton frère.

Les yeux d'Emanuel n'ont pas quitté les miens. Malgré la haine et la tristesse que je ressens, il tient bon.

C'est quoi ce charabia ? Je ne suis vraiment pas en état de jouer aux devinettes. Mon humeur est telle, que je peux rapidement, soit partir en pleurs, soit laisser déverser ma rage. Mon regard a dû être éloquent, dans la mesure où Emanuel me donne hâtivement une photo. Je l'inspecte. Cette photo est un peu vieille, car le contour est abimé et les couleurs sont devenues ternes. Elle représente plusieurs personnes, aux mines heureuses, autour d'une table. Je parcours les visages. Et là, mon sang se glace. Ceux souriants de mon père et de mère apparaissent sur la photo à côté du fameux Emanuel et de la blonde aux cheveux roses, Adriana. Je n'arrive pas à en croire mes yeux. Des larmes s'échappent de mes yeux, sans prévenir. Mes parents ont l'air si radieux que ma poitrine se serre à l'idée qu'ils soient partis tous les deux. Je passe mes doigts sur leur portrait. Un flot de douleur assaille mon cœur. J'aimerais tellement que leur mort n'existe qu'à travers un sombre cauchemar. Un instant, j'imagine revenir chez moi et les retrouver sur le perron. Si je me concentre bien, je peux même sentir le souffle de mon père qui dépose un léger baiser sur mon front. Je peux presque entendre le rire de maman, nous sommant de rentrer pour manger. Je tourne alors mon visage baigné de larmes vers Emanuel.

— Je ne comprends pas, je balbutie. Qu'est-ce que ça veut dire ?

— Je vais te raconter une histoire. Cette histoire est celle de tes parents, de la mienne et de toutes les personnes sur cette photo. Après ça, je t'assure que tu comprendras beaucoup de choses. Tu veux bien ?

La question ne se pose même pas. J'ai besoin de savoir. Il n'existe aucun aller-retour maintenant ! La vérité est devenue comme l'oxygène ; vitale. Je hoche la tête légèrement.

— Quand j'avais vingt ans avec ton père, nous étions dans la même école d'ingénieur à Chicago. Nous sommes rapidement devenues amis. Les meilleurs amis. Il était comme un frère pour moi. À cette époque, nous avions des idéaux utopiques. Nous voulions un monde où Homme et nature ne s'opposeraient plus, mais deviendraient égaux. Ton père et moi avons créé « EHN », un groupe pacifique qui avait pour but de conscientiser la population. Mais en 2130, il était dur de s'imposer. Même si notre équipe grandissait, c'était difficile de changer les choses. Les gens se foutaient de l'écologie, enfin disons, qu'ils comprenaient, mais n'altéraient en rien leurs habitudes. Tu sais, Ali, se battre sans voir aucune once de progrès cela devient vite rageant. Nous étions jeunes et nous voulions changer le monde. Mais c'est le monde qui nous a changés. On a très vite compris que les gens ne réagissaient pas à l'espoir ou à l'utopie, mais plutôt à la colère. Alors nous avons voulu faire naître leur colère. Nous voulions être entendus ! Alors, nous avons été plus violents, plus stratèges. Les manifestations ont cessé d'être pacifiques et nous avons basculé dans la dégradation et l'opposition. Ce fut une période sombre pour notre groupe. Et encore aujourd'hui je n'en suis pas fière. Il faut que tu comprennes qu'à l'époque, ce n'était pas le gouvernement qui posait problème, c'était les mentalités. La Terre était si belle, Ali. Elle nous abritait face au vide de l'univers. C'était un berceau, mais nous l'avons trahie. Les détritus, les destructions, la pollution, le nucléaire... Rien n'était jamais suffisant pour l'Homme. Nous en voulions toujours plus. Mais la Terre n'est pas l'univers. Elle n'est pas infinie. C'est comme ça que les catastrophes naturelles en 2140 ont émergé et perduré. Les gens ont compris trop tard que face aux événements naturels, nous n'avions aucune chance. Notre cause durant cette période a pris de l'importance, nous étions enfin écoutés. Mais il était trop tard. Les dégâts étaient faits. De nombreux continents ont été immergés et la population s'est vue réduite de moitié. C'est à cette période-ci que ton père et ta mère se sont rencontrés. Leur amour était si évident. Dès que ton père a vu ta mère, il en est tombé éperdument amoureux. Et puis ils étaient unis par la même cause, le même idéal.

Les paroles d'Emanuel refont couler des larmes sur mon visage. Penser à mes parents amoureux me donne à la fois de la chaleur mais aussi de violent coup à l'estomac. Ils me manquent tant. Je reporte mes yeux sur la photo, sur leur visage.

— La photo que tiens dans tes mains nous représente durant cette période. Mais peu sont encore vivants. Dit-il avec un regard triste et nostalgique. Nous étions une famille Ali. Quand tu es née. Tes parents étaient remplis de bonheur. C'était le plus beau jour de leur vie. Ton père disait souvent que tu étais sa plus belle lumière dans ce monde.

— Pourquoi je ne vous ai jamais vu ?

On s'est déjà rencontré. Mais tu n'étais qu'un bébé. Puis tes parents ont voulu se désister de notre cause. Ils voulaient t'élever sans danger. Ce que j'ai compris. Tout comme Adriana. Je n'ai revu ton père qu'à de rares occasions durant huit années. Mais la prise de pouvoir par la milice a rendu notre cause différente. Nous ne luttions plus seulement pour l'environnement, mais pour notre liberté. Ton père percevait chaque jour le mal qu'entrainait la milice. Il ne voulait pas d'un monde comme cela pour toi. Il voulait que tu puisses réaliser tes rêves. Que chacun d'entre nous puisse le faire. Nous ne sommes pas des terroristes Ali. Mais nous avons dû prendre des chemins pour que les meurtres de nos amis, et d'autres citoyens ne soient plus impunis.

— Je ne comprends toujours pas comment mon père est mort ? ma voix est légèrement brisée. J'ai l'impression que des épines ont éclos au fin fond de ma gorge.

— Un homme, Lucien, qui participait à « EHN », depuis de nombreuses années, fut capturé. Ton père avait trop confiance aux gens, Ali. Il donnait trop d'indices sur sa vie. Mais il était comme ça. Et j'avais beau lui dire d'être plus prudent quand il ne s'agissait pas de moi ou d'Adriana. Mais il n'a jamais pu faire différemment. La nuit où Lucien a été kidnappé par la milice fut le soir où beaucoup d'hommes et de femmes ont été assassinés. Ton père..., il avale d'un trait son verre d'eau, en faisait partie.

— Pourquoi ma mère ne m'a-t-elle jamais rien dit ? Pourquoi me faire croire que mon père était mort d'une crise cardiaque ? je me sens trahie. J'ai vécu tant d'années dans le mensonge, que j'ai du mal à discerner le vrai du faux.

— Je ne sais pas Ali. Hélène a toujours été un mystère. Elle voulait surement que tu grandisses en ne sentant pas cette ombre qu'elle ressentait elle-même. Je reste certain qu'elle désirait te protéger. Te préserver. Dit-il en murmurant le dernier mot. Un silence étrange envahit la pièce. Je regarde Emanuel plus précisément. Son tatouage sur le poignet représente un oiseau que je ne reconnais pas en plein envol. J'ouvre la bouche, puis la referme. Je tousse espérant que ma gorge réponde à mon cerveau :

— Pourquoi tuer des gens innocents ? J'ai entendu à la radio votre acte terroriste à Denver. C'est quoi le but ? a part faire plus de victimes ?

Emanuel n'hésite même pas une seconde. Malgré l'émotion qui semble l'envahir, il reste droit comme un arbre, dont le vent n'aurait aucune emprise. Sans le vouloir, une part en moi l'admire.

— Il faut que tu saches une chose, sur les gens qui nous dirigent, ce sont des menteurs. La radio est contrôlée, comme tout d'ailleurs. Nous n'avons pas tué une centaine de victimes innocentes, Ali. On a posé une bombe, au sein même, de la caserne dédiée à la milice de la ville. Ils sont responsables de l'assassinat de tes parents. Ils ne restent plus rien d'humain en eux. Ce sont des êtres entrainés et choisis pour devenir impitoyables.

Je pense alors, à l'enfant à Greelay qui est surement morte pour avoir voulu voler une boite de conserve. Je me rappelle la rage, l'impuissance que j'avais ressentie. Comme un automatisme, elle se rallume en moi encore plus forte qu'avant. Emanuel poursuit loin de savoir ce qui se joue dans le fond de mes entrailles :

– Je ne dis pas que le meurtre est la solution, mais c'est le seul moyen d'affaiblir leur gouvernement. De s'attaquer à la milice qui les protège nuit comme jour. Ta mère était présente ce jour-là. Nous ne comprenons pas encore comment, mais nous sommes sures qu'elle fut assassinée par eux à cause de ce jour-là.

C'est pour cela qu'elle s'absentait aussi longtemps. Je croyais qu'elle m'évitait depuis ma sélection à Save the World. Mes pensées vont trop vite pour que je puisse les exprimer. C'en est trop. J'ai l'impression que ma tête est au bord de l'explosion. Trop d'informations, trop de mensonges révélés, trop d'émotion pour que je réussisse à encaisser. Mais ce qui me laisse le plus avec un goût amer c'est le meurtre de mes parents. Si ce que dit Emanuel est vrai, je vais faire payer les personnes responsables. Ma tristesse est remplacée par de la haine. Je veux qu'ils meurent tous, autant qu'ils sont.

— Nous avons besoin de toi, Ali. Plus que jamais, nous avons besoin d'aide.

La voix d'Emanuel m'interrompt dans mon conflit interne. Que vient-il de dire ? Besoin d'aide ? Comment ?

— Pour faire quoi ? En quoi une fille comme moi peut-elle vous être utile ? je ricane sans joie.

— Pour livrer le vaisseau Kapt... à la résistance.

Je ne ris plus.

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