X - Chapitre 4

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Du bout des doigts, Mathilde essuyait les larmes qui s’étaient écoulées par torrents sur ses joues. Entendre les cris de Théandre au loin était plus que ce qu’elle n’avait pu en supporter. La tristesse et le regret l’avaient assaillie sans pitié, sans qu’il lui fut possible de riposter. Éloignée des regards et du jugement des autres, la reine s’était agenouillée à même le sol pour mieux pleurer en silence.

Si seulement il était possible de remonter le temps, de pouvoir maîtriser sa colère et ne pas cracher au visage de son unique enfant l’expression démesurée de sa déception. Mathilde souhaitait ardemment pouvoir se précipiter dans la chambre de Théandre, au mépris des conventions pour le serrer dans ses bras en le rassurant. « Évidemment que je n’ai pas honte de lui ! Je voulais juste lui faire comprendre que le monde n’ira pas toujours dans son sens… » Mais une telle chose était impossible, à son grand désespoir. Quelle conclusion en tirerait-il ? Que ses désirs seraient satisfaits à chaque esclandre ? Ce n’était pas de cette façon qu’elle l’avait élevé.

Un souverain, plus que tout autre, devait prendre ses responsabilités, peu importe ce qui lui en coûtait.

La reine appliqua cette leçon à son propre cas et se remit debout. En voulant forcer le prince à devenir son digne successeur, elle s’était éloignée de lui, au point de lui inspirer un ressentiment irréparable. Elle n’avait jamais vraiment voulu l’admettre, jusqu’à ce que Théandre lui reproche sa solitude d’une manière aussi brutale. C’était pourtant bien la dure vérité : elle avait sacrifié l’amour de son fils pour s’assurer de son obéissance.

Un tel constat manqua d’engendrer une nouvelle crise de larmes, mais la reine s’était relevée, forte et fière, comme elle devait le montrer au monde. La colère du prince ne durerait qu’un temps. Son mariage arrivait à grand pas et aurait tôt fait de lui faire oublier ce garçon du peuple.

Mathilde se souvint subitement des paroles de ce dernier. En voulant se sauver, le valet avait semé le doute dans son esprit : pouvait-elle vraiment faire confiance à Fiona Von Trotha ? La reine avait jugé que ses menaces avaient été suffisamment nettes et radicales pour dissuader la jeune fille de se rapprocher de l’Ordre Céleste, mais si ce n’était pas le cas ? Si la pression de cet inflexible dévot d’Harald Von Trotha avait été plus forte ? Mathilde ne voulait pas y songer. Cette jeune femme avait bien trop œuvré pour son rétablissement pour qu’il fusse possible de douter de sa fidélité. Si elle avait réellement été de mèche avec l’Ordre, elle aurait eu tout intérêt à l’affaiblir le plus rapidement possible.

Pourtant, ce doute continua à la hanter. Elle qui s’était montrée si inflexible, parfois même cruelle, avec ceux qu’elle soupçonnait de traîtrise ne parvenait pas à admettre que sa future belle fille, une personne aussi douce qu’intelligente, puisse faire partie de sa liste d’ennemis à écarter. Son instinct lui dictait la plus grande méfiance à son égard, alors que son cœur lui implorait de faire preuve de clémence. Ce n’était encore qu’une enfant, une étrangère, qui plus est. N’avait-elle pas droit à l’erreur ?

Toutes ces questions l’angoissaient avec tant de puissance que Mathilde se résolut à se confronter à la vérité et ce, le plus rapidement possible.

Une fois ses taches de la matinée accomplies, Mathilde invita la jeune duchesse dans ses appartements, sans que sa suivante, Adrienne, ne fusse présente. Fiona répondit prestement à son appel. Après l’avoir invité à prendre place à ses cotés, la reine l’informa de la sentence qu’elle avait réservée à Ludwill.

- Vous serez sans doute heureuse d’apprendre que j’ai exilé le valet du prince de la cité. Il ne vous importunera plus.

La jeune femme détourna le regard, visiblement honteuse. Elle hocha néanmoins la tète pour indiquer que cette décision la rassurait : « Je vous remercie, votre Majesté ».

- Vous semblez désapprouver ce dénouement, Mademoiselle. Qu’il y a t-il ?

- Je ne le désapprouve pas, votre Majesté. Simplement… Il s’agit de la première fois que je dénonce quelqu’un et que cette personne se retrouve punie en conséquence. Je me sens quelque peu coupable.

- Ne le soyez pas. Ce garçon avait largement outrepassé son rang en osant vous menacer de la sorte. Qui plus est, j’avais tout intérêt à m’assurer que personne ne soit au courant pour vos manipulations à la pharmacie du palais. Il aurait été délicat de trouver une excuse qui n’évoque pas ma maladie.

Un silence s’installa pendant lequel Fiona se montrait évasive, se gardant bien de commenter les paroles de la reine. Cette dernière s’en inquiéta.

- Cependant, quelque chose m’a troublée, reprit Mathilde. Lorsque je lui ai exposé ses fautes, le garçon s’est défendu en donnant un autre motif pour justifier ses actes.

Elle marqua une courte pause afin de mieux observer la réaction de la jeune duchesse. Ses narines se contractaient sous l’effet de la nervosité et ses mains se resserraient sur le tissu de sa robe.

- Rassurez-vous, Mademoiselle. Je n’ai pas l’intention de croire les accusations injustifiées d’un criminel. Cependant, vu leur gravité, j’ai jugé qu’il était utile de vous en informer.

Une nouvelle pause, cette fois-ci involontaire. La reine peinait à trouver les mots adequats pour mettre la jeune femme face à une culpabilité qui devenait de plus en plus évidente. Quand on savait reconnaître leur signification, les gestes nerveux étaient aussi clairs que des aveux.

- Je vous écoute, votre Majesté.

Sa voix, cependant, était d’une neutralité parfaite. Oubliant les détours, la reine répondit : « Selon lui, vous vous étiez rendue au Temple de l’Ordre Céleste, tout en sachant pertinemment qu’il s’agit de mes ennemis. Qu’en dites-vous ? »

Mathilde s’était exprimée sur un ton plus sévère qu’elle ne l’aurait souhaité. La jeune duchesse se raidit instantanément. C’était désormais clair : elle l’avait trahie.

Elle retrouva la rage et la déception qu’elle avait ressentie dans l’obscure cellule où le valet lui avait raconté cette insupportable vérité. Peu lui importaient les justifications de Fiona, à présent. Elle ne la croirait pas.

Pourtant, cette colère ardente n’était pas dirigée contre la jeune femme. Alors que le monde autour d’elle se dissipait, recouvert d’un brouillard de confusion, le visage de Valrand envahissait son esprit. Cette fouine d’Isilbet d’Ornhac l’avait pourtant prévenue : l’Ordre veillerait à ce que la fiancée du prince ne subisse pas son inconstance…

La réaction la plus logique aurait été de se débarrasser de Fiona, quitte à se montrer violente. Il n’aurait plus jamais fallu qu’elle revienne à Sénonges, là où Valrand l’attendrait. Il aurait absolument fallu la dégoûter de la cour, à laquelle elle ne comprenait manifestement rien. Et pourtant, les conséquences seraient impossible à assumer. Exiler la jeune femme si tôt avant son mariage avec le prince entraînerait à coup sur la colère légitime d’Harald Von Trotha. Son alliance avec le royaume ne tenait qu’à un fil. Le couper engrainerait un conflit, certes facilement maîtrisable, mais qui provoquerait la méfiance des états voisins. Cette paix était si délicate à maintenir… C’était le seul exploit que le peuple lui reconnaissait. Si on le lui enlevait, elle ne serait plus rien face à l’Ordre et ses miracles.

Mais l’autre raison qui la poussait à ne pas réagir aveuglément se trouvait dans le regard de Fiona. La reine y reconnut l’étincelle qui avait brillé dans ses yeux au même âge, lorsqu’elle était innocente et encore confiante envers ses semblables. Ce regard la bouleversa, réveillant en elle des sensations depuis longtemps perverties.

La jeune duchesse ouvrit la bouche, mais n’eut pas le temps de prononcer un mot.

- Oubliez cela, l’interrompit la reine. Comme je vous le disais, ce sont des accusations absurdes. Ce garçon se pensait face à la mort. Il aurait dit n’importe quoi pour rester en vie. »

Fiona hocha légèrement la tète, l’air bien plus rassuré. Mathilde ne put s’empêcher de pincer les lèvres. Si elle s’imaginait tirée d’affaire, elle allait au devant d’une grande déception…

- Vous pouvez disposer.

La jeune duchesse s’inclina profondément, toujours silencieuse. En la voyant quitter ses appartements, la reine fut prise d’une frayeur extrème. La laisser ignorante du risque qu’elle prenait était criminel, et pourtant, comment lui expliquer sa nature ? Mathilde s’était jurée de ne plus jamais en parler à quiconque, car les mots invoquaient de terribles douleurs, dont elle avait longtemps peiné à se relever. Tremblante, elle décida pourtant d’avertir la jeune femme.

- Ecoutez-moi, Mademoiselle.

Fiona se retourna, attentive. Mathilde n’osait pas la regarder dans les yeux. Les souvenirs étaient toujours présents, comme une flèche ancrée dans sa chair, mais il lui était impossible de les exprimer. « Ce n’est pas le moment. Je ne veux pas... », songea la reine, les larmes aux yeux.

Cependant, il fallait bien dire quelque chose, sinon, tout recommencerait.

- Ma méfiance concernant le Haut Prêtre ne me concerne pas moi, uniquement, avoua la reine. Il détruit tout ce qu’il touche. Vous ne ferez pas exception.

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