VIII - Chapitre 4

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Le lendemain matin, la jeune femme se rendit au Temple de l’Ordre Céleste après avoir veillé, au préalable, à engager les services d’Ullrich, dont l’enrôlement parmi la garde du palais avait été officialisé depuis peu. Elle le félicita pour cette promotion, tout en se réjouissant interieurement qu’il ne serait plus nécessaire de lui promettre une récompense qui n’arriverait pas avant son mariage.

Bien qu’il lui fut toujours difficile de se repérer dans les rues du Haut-Sénonges, Fiona mit moins de temps à retrouver le Temple. Arrivée sur le parvis, l’heure du rendez-vous sonna. Le Seigneur Isilbert était déjà en train d’attendre en haut des marches. Surprise par la présence du porte parole, Fiona hâta le pas dans sa direction.

- Bien le bonjour, Mademoiselle ! La salua Isilbert une fois qu’il l’eut repérée. Je vous remercie d’avoir été si ponctuelle. Son Excellence en sera ravi.

La jeune duchesse s’inclina à contrecoeur. Le sourire du porte parole avait quelque chose d’embarassant, comme s’il sous-entendait quelque chose. Elle avait déjà vu cette expression chez ce goujat de Ludwill, ou devait-elle dire : « Baron de Chablis »… Une telle introduction n’était pas faite pour la rassurer.

- Je vous en prie, Monsieur… Pourriez-vous me mener au Haut Prêtre ?

- Bien entendu ! Cependant, je crains qu’il ne faille vous séparer de votre… ami.

Isilbert avait pointé un doigt méprisant en direction d’Ullrich, qui demeura stoïque. Fiona lui lança un regard perdu, auquel il répondit par un léger plissement des lèvres. Il semblait désapprouver la requête du porte parole autant que la fiancée du prince, mais elle savait qu’il ne pourrait pas avoir le dernier mot, même si d’aucuns s’obstinaient à le considérer comme un sauvage du Nord, imprévisible et incontrôlable.

- Monsieur, Ullrich fait partie de la garde royale et veille à ma protection. Je peux vous assurer qu’il ne causera pas d’ennuis.

- Je n’en ai jamais douté, Mademoiselle ! Simplement, son Excellence a insisté pour vous recevoir en privé. Puisque vous avez émis le vœu de parler au nom de son Altesse le Prince, ce qui se dira lors de cette entrevue doit rester un secret absolu, ce qui exclut, de fait, la présence de gardes. Vous comprenez sans doute qu’il nous faille traiter cette affaire avec le plus grand sérieux.

De toute évidence, Fiona le comprenait. Cependant, rien ne lui garantissait que le Haut Prêtre et les fidèles accordent la moindre importance à sa sécurité. Rester seule en compagnie d’un homme aussi puissant que l’était Valrand ne la rassurait en rien, même s’il s’engageait à renoncer à la présence du chevalier à son service. Si la présence de Théandre était reposante, celle de Valrand était profondément intimidante. Fiona fut fortement tentée de tourner les talons, mais craignait que cela puisse être perçu comme un affront. Elle ignorait de quoi ils étaient réellement capables pour parvenir à leurs fins, mais elle ne tenait pas à le découvrir.

- Très bien… décida Fiona, j’irai seule. Ullrich, veuillez m’attendre à l’extérieur, je vous prie.

L’ancien mercenaire haussa les sourcils d’un air désapprobateur. Les hommes du Nord n’aimaient pas laisser les femmes seules avec des inconnus et Ullrich ne faisait pas exception à la règle. Cependant, il n’avait pas d’autre choix que d’obéir aux ordres de la jeune duchesse. Il hocha donc respectueusement la tète avant de se mettre a son poste, contre un pillier, à une distance à peine réglementaire du Seigneur Isilbert.

Visiblement intimidé, ce dernier n’eut pas à se faire prier pour guider Fiona vers l’endroit où se trouvait le Haut Prêtre. Cette fois çi, il ne s’agirait pas de son étude, mais du confessionnal : une pièce sombre et exiguë, faiblement éclairée par un pâle rayon de lumière illuminant une banquette. Valrand s’y trouvait déjà assis.

- Je vous laisse ici, Mademoiselle, la prévint Isilbert d’Ornhac. Que le Ciel vous garde.

Fiona lui rendit son salut, puis lança un regard mal assuré au Haut Prêtre. Celui ci se leva lentement, masquant progressivement la lumière qui traversait la fenêtre. Le confessionnal s’en assombrit d’avantage.

- Soyez la bienvenue, Mademoiselle. Je vous en prie, approchez.

La jeune femme sentait que ses jambes refuseraient de l’emmener plus loins. L’ambiance qui se dégageait de cette pièce était bien trop anxiogène, même si le château de son père l’avait habituée à l’obscurité. C’était le fait de ne pas savoir à quoi s’attendre en restant seule en présence d’un ennemi de la reine qui la paralysait ainsi. La nuit précédente, Fiona n’avait pu s’empêcher d’imaginer les pires scénarios possibles, allant des menaces verbales à la séquestration, puis à la torture… Les récits de certains Appelés ne manquaient pas de détails pour décrire le sort que l’Ordre réservait à ceux qui les menaçaient… Au moment où elle fermerait la porte derrière elle, la fiancée du prince laisserait son sort aux mains du Haut Pretre. Son instinct de survie la suppliait de ne rien en faire.

Fiona avait du rester figée trop longtemps, car Valrand insista, une expression compatissante sur son visage à contre jour : « Vous n’avez aucune crainte à avoir. Voyez par vous même : nous sommes bien seuls. »

La jeune femme se retint de rétorquer que c’était précisément la source de son inquiétude, mais en effet, nul garde, nul chevalier, nulle autre personne n’était présente dans le confessionnal lorsque Fiona s’avança pour y voir de plus près. Loin d’être parfaitement rassurée, elle prit néanmoins soin de fermer la porte ; avant de rejoindre le Haut Pretre, de nouveau assis sur la banquette.

La distance qui les séparaient était bien trop courte au goût de la jeune duchesse, qui se colla contre l’angle du mur. Valrand, quant à lui, s’était légèrement penché, fixant son interlocutrice de ses yeux bleu acier. Fiona se fit l’effet d’être un animal pris au piège, que l’on avait attiré en douceur dans sa propre cage. La peur qu’elle ressentait avait une explication, mais elle n’était pas rationnelle. Cet homme ne s’était jamais montré violent à sont égard. Même en l’absence d’Ullrich, il demeurait courtois, faisant de son mieux pour apaiser cette jeune étrangère, visiblement apeurée.

Alors qu’un silence complet était tombé, Valrand prit la parole après une légère inspiration.

- Ainsi, son Altesse à accepté mon offre. Voilà qui est pour le mieux. J’en déduis que votre relation s’en est trouvée plus forte. Est ce le cas ?

Fiona déglutit, n’ayant aucune envie de songer à ses baisers secrets avec Théandre à un moment pareil. Évidemment, elle n’en dirait rien, mais quelque chose dans l’expression de Valrand lui faisait penser qu’il devinait sans mal ses secrets les plus intimes. La jeune femme sentit ses joues s’échauffer.

- Son Altesse m’a accordé sa confiance, votre Excellence, répondit-elle d’un ton aussi neutre que possible. Je pense donc que nous sommes devenus plus proches depuis ma dernière visite au Temple.

- Fort bien, commenta le Haut Prêtre en hochant la tête. Il aurait été regrettable que son Altesse n’ait pas trouvé en vous la confidente et l’amie que chaque époux doit trouver en son épouse. Maintenant, dites moi : en quoi souhaite-il que je lui apporte mon aide ?

Enfin, il était possible d’entrer dans le vif du sujet… Même si elle ne sentait toujours pas à son aise, Fiona pouvait au moins calmer son esprit anxieux en parlant des visions de son fiancé. Elle prit soin de mentionner dès le début qu’il pensait les recevoir du Ciel, ce qui ne manqua pas d’éveiller l’attention de Valrand. Cependant, ni les hommes vêtus de blanc sautant d’une falaise, ni l’arbre doré entouré d’oiseaux sans plumes ne semblaient lui évoquer quoi que ce soit. Il se contentait d’écouter attentivement la jeune duchesse, sans la moindre interruption. Fiona manqua de se demander si ces informations l’intéressaient réellement. Après tout, les appelés étaient des personnages sacrés pour l’Ordre Céleste. Cependant, le Haut Prêtre semblait ne pas y accorder beaucoup d’importance, comme si tout cela ne l’étonnait guère.

- Son Altesse recevrait donc des messages divins… commenta Valrand au bout de quelques secondes de silence. De part son sang, il est tout naturel que l’héritier d’un monarque soit sensible aux paroles du Ciel, mais c’est bien la première fois que l’un d’entre eux déclare faire partie des Appelés… Si cela se confirme, il est bien possible que son nouveau rôle surpasse celui qui lui incombe aujourd’hui.

Le Haut Prêtre prit quelques instants pour réfléchir, un doigt posé sur ses lèvres fines. Fiona sentit qu’elle se perdait dans la contemplation de son profil, généreusement éclairé. La jeune femme se sentait bien plus calme. Se délester du secret de Théandre avait quelque chose d’agréable. De plus, il devenait clair que Valrand ne lui voulait pas de mal. « En tout cas, pas pour l’instant. »

- Veuillez me donner un instant, je vous prie, demanda t’il avant de se lever. Ce ne sera pas long.

La jeune duchesse resta seule durant quelques minutes dans le confessionnal. Alors qu’elle laissait son regard vagabonder dans les recoins de la pièce, elle remarqua qu’elle s’était habituée à l’obscurité. Elle se sentit stupide d’avoir laissé sa peur prendre le dessus. Elle ignorait s’il s’agissait de la méfiance de la reine qui déteignait sur elle, ou bien de la nature préoccupante de ses propres sentiments…

Lorsque le Haut Prêtre revint, il tenait un codex. Il le tendit cérémonieusement à Fiona avant de se rasseoir auprès d’elle.

- Je suis certain que cet ouvrage saura guider son Altesse dans sa quête de sens. Pour ma part, il m’est impossible de lui offrir une interprétation correcte sans l’aval de sa Majesté. Je crains que son Altesse en soit déçu, mais pour être reconnu comme tel, un Appelé doit renoncer à ses titres et à ses biens pour entrer en entière communion avec le Ciel. Or, je doute fort que sa Majesté l’autorise à s’en remettre à notre Ordre. Cette information doit impérativement rester entre vous, son Altesse et moi même, en attendant qu’il puisse lui même décider de sa destinée. Pourrez vous le lui dire ?

Valrand avait déclaré tout cela avec un tel sérieux que Fiona ne sut quoi répondre. Elle n’ignorait pas que faire de Théandre un Appelé était extrèmement avantageux pour le Haut Pretre. Si l’héritier renonçait au trône, Valrand pourrait légitimement le réclamer. La jeune femme n’aimait pas la tournure que prenait cet échange, même si elle ne se trouvait finalement pas dans une position dangeureuse vis à vis de l’Ordre Céleste. Au contraire, ils semblaient voir en elle une messagère, capable d’emmener le prince dans le « droit chemin ». Une nouvelle responsabilité s’ajoutait et, avec elle, le poids familier du silence. Malgré cela, la jeune femme accepta la requête de Valrand, songeant que ce n’était peut être pas la meilleure décision pour le royaume, mais la meilleure pour Théandre. Son fiancé avait désiré des réponses toute sa vie et, maintenant qu’elle avait le pouvoir de lui en donner, elle n’avait pas le cœur à le lui refuser.


***


Alors que cette entrevue était sur le point de se terminer, Valrand demanda : « A présent, je souhaiterai aborder un autre sujet, si vous le permettez. »

Fiona se redressa, pinçant nerveusement la reliure du codex. La voix du Haut Pretre était devenue plus douce, moins solennelle. Ce changement soudain l’intriguait.

- Bien sûr, votre Excellence.

- Comme je vous l’ai précisé lors de notre première rencontre, mon rôle, entre de nombreux autres, est de veiller au bien-être de la famille royale, et cela même si le reste du monde nous voit comme des ennemis. Comme vous êtes officiellement fiancée à son Altesse, je considère qu’il est de mon devoir de vous aider à apaiser votre âme. Comme nous nous trouvons dans un confessionnal, j’ai pensé que vous aimeriez, vous aussi, vous libérer des tourments que vous ne pourriez pas exprimer ailleurs. Soyez sans crainte : rien de ce que vous pourrez me dire ne sortira de cette pièce.

La jeune duchesse avait redouté une telle proposition… Une fois encore, le Haut Prêtre s’était montré courtois, compréhensif et d’une grande subtilité. Il lui aurait été si simple de soutirer des informations à cette petite étrangère, si elle n’avait pas compris que certains tourments devaient rester secrets, pour le bien de tous.

Pourtant, Fiona avait désespérément besoin de parler. Depuis la mort de ses frères, sa vie était devenue une injonction au silence. Sa colère et ses larmes étaient sans cesse étouffées par la rancœur de son père, qui n’hésitait pas à la lui rappeler à chaque instant qu’elle était la seule responsable de ses propres malheurs.

Contrairement à ce qu’elle avait espéré, quitter le château ducal n’avait rien amélioré : la reine et le prince étaient certes plus agréables à cotoyer, mais ils l’avaient tous deux forcée à prendre la responsabilité de leurs angoisses et de leurs espoirs. Fiona dut s’avouer qu’elle en souffrait énormément, mais elle ne pouvait pas parler de cela. Même si la maladie de la reine semblait s’améliorer, dévoiler une telle faiblesse à son pire ennemi détruirait une relation de confiance durement gagnée. Quant à Théandre, exprimer ses doutes sur ce qu’elle ressentait réellement pour lui lui garantirait une mauvaise réputation au sein de l’Ordre, qui douterait de sa fidélité.

Il y avait pourtant bien une chose qu’elle pourrait confesser, quelque chose qui s’était enraciné dans son esprit, sans cesse nourri de tristesse et de culpabilité. Fiona songea, à sa grande honte, qu’elle n’y avait pas pensé depuis longtemps, comme si le fait d’être loin de sa source avait effacé le passé. Mais ce n’était pas le cas. Ça n’arriverait jamais.

La jeune femme avait la bouche sèche. Elle n’osait pas croiser le regard de Valrand, qui attendait patiemment qu’elle trouve la force d’exprimer ce qu’elle ressentait. Finalement, Fiona prit la parole d’une voix mal assurée : « Je voudrais vous parler de ma mère. »

Ses souvenirs furent retranscrits avec une aisance déconcertante, comme un monologue appris par coeur, mais qui n’avait jamais encore pu être déclamé. Elle parvint à décrire avec précision l’état dans lequel s’était retrouvé la duchesse Anna à la mort de ses fils ainés : incapable de sortir de son lit, ou d’avaler la moindre nourriture, elle semblait pourrir de l’interieur. Pourtant, elle n’était pas malade, mais sa peine avait été si grande que la vie lui était devenue insupportable. C’était, en tout cas, ce qu’avait dit Lukas Guillem.

Fiona et son père n’avaient pas toléré cette idée. Pourquoi cette femme qu’ils aimaient tant préférait les quitter à son tour ? N’étaient-ils pas bien vivants, eux ? N’étaient-ils pas capables de lui faire reprendre goût aux plaisirs de l’existence ? Si le Duc Harald n’avait pas eu d’autre choix que d’avouer son impuissance, Fiona, elle, refusait d’abandonner sa mère à son horrible sort. Elle avait donc supplié son mentor qu’il accepte de chercher une solution avec elle. Devant le désespoir de son élève, il avait rassemblé toutes ses connaissances et tous les moyens à sa disposition pour offrir un traitement à la duchesse.

Selon lui, le mal provenait de l’esprit, mais ce dernier logeait dans un organe que l’on pouvait contrôler, pourvu que l’on fasse preuve d’une extrême prudence. Bien que le pari fut risqué, Fiona avait accepté sans réfléchir. Ce traitement avait duré un mois entier. Certains progrès devenaient notables : la duchesse ingérait de petites quantités de nourriture, acceptait de sortir du lit pour prendre un bain, mais elle ne prononçait toujours pas le moindre mot et s’effondrait régulièrement en larmes.

Désemparée, Fiona avait proposé à son mentor de lui administrer des doses plus fortes, ce qu’il accepta après avoir reçu la bénédiction du Duc. A cette époque, il faisait encore une confiance aveugle à sa fille et à son chirurgien. Malheureusement, ce traitement plus puissant devint la source des malheurs de la jeune duchesse. Sa mère avait repris l’appétit, se levait si elle recevait de l’aide, mais lorsqu’elle reprit la parole, ses nouveaux mots pour sa fille furent : « Qui êtes-vous ? »

Fiona avait eu beau insister, la duchesse Anna oubliait toutes les informations que l’on essayait de lui communiquer. Pire encore, elle semblait prisonnière d’une boucle temporelle, où ses fils venaient tout juste de partir pour la guerre et où sa fille était encore en apprentissage chez une famille de fermiers. Le prix pour la garder en vie avait été bien pire que tout ce que Fiona avait pu imaginer. De toute sa vie, elle ne s’était jamais sentie aussi coupable. Si son mentor avait tenté de la rassurer, jugeant qu’elle avait fait de son mieux, le Duc Harald, lui, n’avait pas accepté le nouvel état de sa femme.

La suite ? Valrand la connaissait : son père s’était muré dans un silence et une colère glaciale, uniquement apaisée par son dévouement envers les préceptes de l’Ordre Céleste.

Le long de son récit, la jeune femme avait tant pleuré que ses yeux la faisaient souffrir. Toutes les larmes qu’elle s’était interdite de verser s’écoulaient en torrents. En croisant le regard compatissant de son interlocuteur, Fiona se rendit subitement compte qu’elle s’adressait à un Haut Pretre. Etaler son malheur de la sorte devant un personnage si important était indigne de son rang… Pourtant, il ne s’en offusqua pas le moins du monde.

- Me permettez-vous ? Demanda-t-il en tendant une main vers celle de la jeune duchesse.

Fiona le dévisagea quelques secondes, hésitante. Que le Haut Pretre veuille lui prendre la main, même dans un simple geste de consolation avait quelque chose d’aussi inconcevable qu’inconvenant. Malgré cela, elle accepta. Un geste amical était bienvenu, peu importe de qui il provenait. De ses deux mains, Valrand couvrit celle que lui offrit la jeune femme avec autant de délicatesse que s’il cherchait à protéger un petit animal blessé. A ce contact, Fiona sentit son cœur s’emballer.

- Je dois vous avouer, Mademoiselle, que je suis heureux de pouvoir entendre votre version des faits. Voyez-vous, votre père et moi entretenons une correspondance, par laquelle il peut librement exprimer sa douleur. Je sais à quel point son sentiment d’impuissance est grand, et je ne suis pas sans savoir qu’il vous en fait injustement payer le prix. Mais croyez moi : votre père vous aime, Mademoiselle. Il est simplement… malheureux. Beaucoup trop pour pouvoir vous le dire, pour le moment.

Subitement, Fiona eut la sensation que cet énorme poids, celui qui écrasait son cœur depuis tant d’années, avait chuté dans l’abîme. Valrand, le Haut Prêtre contre lequel Mathilde et ses partisans l’avaient tant mis en garde, venait de lui dire ce qu’elle avait toujours rêve d’entendre. Sa gratitude fut si intense qu’elle ressentit le désir impérieux de se laisser tomber dans les bras de son consolateur, poser sa tète contre son torse, comme elle le faisait avec Théandre, et réclamer toute la tendresse et l’amour dont cette succession de malheurs l’avaient privée.
Évidemment, une telle chose était impossible. Fiona n’en revenait pas d’avoir eu une telle pensée. Non… seul son fiancé pouvait lui offrir ce genre de réconfort. En proie à une gène extrême, la jeune femme retira sa main de celles de Valrand, puis serra le codex contre sa poitrine. Le regard qu’il lui offrit fut des plus troublants, comme s’il avait compris ses intentions et s’était apprêté à les encourager. Au lieu de cela, il se releva, mettant fin à la confession de la jeune femme.

- Je crois qu’il est préférable que nous nous arrêtions ici. Une absence prolongée de votre part ne manquerait pas d’alerter sa Majesté. Seulement, n’hésitez pas à solliciter un nouvel échange, si vous en ressentez le besoin. Souvenez vous : votre bonheur m’importe autant que celui du prince.

Fiona baissa la tète, remerciant le Haut Prêtre pour sa générosité. Tous deux se dirent adieu, avec toute la distance requise entre deux personnes de haut rang. Mais à chaque pas qui le menait à l’extérieur du Temple, loin de Valrand, la jeune femme sentait une faille se former à l’endroit où le poids avait quitté son cœur.

«Non, c’est impossible », se répétait-elle. « Oublie ça immédiatement. »

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