I - Chapitre 3

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Dans les jardins, à l'autre bout du palais, la reine Mathilde prenait l'air, profitant de la douce chaleur du soleil. Elle espérait que ce moment de détente puisse la libérer un court instant du mal qui la rongeait.

Depuis quelques temps, la reine respirait mal, au point où chaque odeur qu'elle sentait lui rappelait l'odeur des cendres encore chaudes. Cette sensation désagréable la poursuivait jusque dans son lit, dans lequel elle avait fréquemment l'impression de se consumer de l'intérieur. Les promenades dans les jardins du palais avaient heureusement un effet bénéfique: les jardiniers avaient fait pousser beaucoup de plantes aromatiques qui dégageaient un parfum enivrant. La reine respirait à cet instant une douce odeur de lavande.

Pessimiste par nature, la reine se doutait qu'elle ne pourrait plus profiter de ces plaisirs simples encore très longtemps. Elle avait refusé de faire venir un médecin, craignant qu'il ne sache pas tenir sa langue. Mais plus les jours passaient, plus ses symptômes devenait alarmants. Tout l'amenait à cette conclusion : elle était malade. Mortellement malade.

Elle qui chantait si bien était désormais incapable de monter dans les octaves, sa respiration étant sans cesse coupée. Elle maigrissait à vue d'œil, son teint était plus pâle de jour en jour... Ce mal finirait par la tuer, et ce n'était certainement pas le bon moment pour que la Mort vienne l'emporter.

La reine Mathilde se doutait bien que son fils ne tenait pas tant que ça à lui succéder. Il ne lui en avait jamais parlé, mais les rapports que faisaient ses conseillers de toute cette affaire étaient préoccupants. Le jeune prince rechignait à suivre ses leçons, préférant passer son temps avec ce valet prétentieux. La reine n'aimait pas ce garçon ; elle parvenait néanmoins à tolérer sa présence tant que son influence sur Théandre restait limitée. Après tout, se mêler aux gens du peuple une fois de temps en temps permettait de se rendre compte des véritables problèmes, et savoir répondre aux attentes du peuple était tout ce que l'on attendait d'un souverain.

La reine se demandait si elle donnait un mauvais exemple à son fils, ou bien un modèle qu'il ne se sentait pas capable de suivre. Depuis le début de son règne elle avait imposé des mesures draconiennes pour être certaine de satisfaire la plus grande majorité de la population, c'est-à-dire : les plus pauvres. Pour ce faire, elle n'avait pas hésité à emprisonner systématiquement ceux qui désobéissaient à ses lois. Son ambition avait toujours été de créer une société ou personne n'aurait à souffrir d'un mauvais partage des richesses. Pour cela, rien de plus simple : tout le monde se devait de partager. Tous ceux qui n'étaient pas d'accord n'étaient pas faits pour vivre dans son royaume. En général, la prison aidait ces dissidents à prendre la meilleure décision. C'était ça, ou la peine de mort. Ce fut ainsi que nombres de nobles égoïstes avaient choisi la hache du bourreau plutôt que de se dégrader en offrant leur or aux pauvres. La reine doutait que son fils puisse faire preuve d'une telle fermeté.

Pour tout dire, Théandre avait peur de beaucoup de choses, et elle en faisait partie. Il avait toujours obéi scrupuleusement à ses ordres par crainte de subir des conséquences démesurées. La reine se souvenait d'un jour où, étant enfant, Théandre avait volé un pot de confiture aux cuisines. La faute n'était pas grave, mais quand elle en avait été informée, Théandre s'était jeté à ses pieds pour l'implorer. Il n'arrêtait pas de répéter : « Ne me tranchez pas la tête ! Ne me tranchez pas la tête ! ». Cette supplication l'avait rendue tellement perplexe qu'elle n'avait pas eu le cœur à le punir. Théandre avait toujours été beaucoup trop impressionnable, et les discours qu'elle avait prononcés sur le sort qu'elle réservait aux voleurs avaient dû le terrifier.

La reine pensait à présent qu'il était urgent que Théandre se forge une personnalité plus robuste. Ou du moins, de faire en sorte de passer pour un roi crédible. Sans cela, le royaume courait à sa perte. Heureusement, il n'était pas encore trop tard. Il lui faudrait simplement avoir une bonne discussion avec son fils. Elle ne se rappelait plus de quand datait la dernière. Ils se voyaient finalement très peu, surtout depuis qu'elle peinait à sortir du lit. Le souper était pour eux la seule occasion de discuter, et dans cette pièce pourtant richement décorée qui inspirait la gaité, le silence régnait toujours.

Ses réflexions furent interrompues lorsqu'elle vit une silhouette qui se frayait un chemin parmi les arbustes touffus. Elle reconnut l'habit bleu et les cheveux grisonnants de son conseiller. Elle soupira. Ne pouvait-elle donc pas avoir un seul moment de paix ?

- Votre Majesté, s'annonça le conseiller après s'être incliné respectueusement, je vous cherchais.

- C'est ce que j'ai pu voir, répondit froidement la reine.

- Je suis navré de vous déranger, Son Altesse le Prince Théandre m'a chargé de vous demander si vous désireriez assister à son entrainement au combat.

La reine Mathilde haussa les sourcils. On ne lui avait jamais encore proposé une chose pareille. Elle avait suivi quelques cours d'escrime élémentaires et connaissait la théorie par cœur, mais cela était un privilège réservé à elle seule. Les autres femmes de la cité n'étaient pas initiées à cet art et, en général, les hommes pensaient qu'elles n'y portaient guère d'intérêt.

- Et que me vaut cet honneur? demanda-t-elle avec une ironie prononcée.

- Eh bien... Son Altesse souhaitait vous montrer ses progrès. Je lui ai répondu que vous aviez mieux à faire, mais...

La reine se leva brusquement du banc, coupant la parole à son conseiller. L'expression de son visage était étrange. Elle semblait à la fois agacée et flattée.

- J'irai. Appelez ma suivante. J'aurai besoin d'être accompagnée.

Le conseiller hocha la tête. Cependant, la reine n'avançait pas. Elle le dévisageait, imperturbable. Ses yeux paraissaient lancer des éclairs.

- Au fait : veuillez cesser de répondre à ma place. C'est agaçant.

Sur ce, la reine quitta les jardins. Laissant derrière elle un conseiller penaud.

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