I - Chapitre 4

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Avec l'aide de son valet, Théandre enfilait son armure. La plus belle et la plus complexe qu'on lui avait forgée. Il n'était pas forcé de la mettre pour les entrainements, mais il avait tenu à le faire, ce que Ludwill ne comprenait pas.

- Franchement, souffla-t-il à Théandre, tu avais vraiment besoin de mettre cette armure aujourd'hui ? Tu ne vas réussir qu'à l'abimer.

- Je tiens à être présentable devant ma mère. Resserre un peu plus cette jambière.

Ludwill obéit tout en continuant de se plaindre. Théandre, de son coté, sentait le trac monter peu à peu.

- Après ce que j'ai vécu la nuit dernière, tu te doutes bien que je ne suis pas en forme pour travailler, insista Ludwill. Regarde mon œil ! Il me fait encore mal !

Théandre soupira, exaspéré, puis répondit : « Considère ça comme le châtiment que tu aurais dû recevoir. Allons-y maintenant. N'oublie pas mes épées. »

Derrière lui, le valet soucieux de son apparence marmonnait dans sa barbe de deux jours. Théandre ne se permettait pas souvent de contrarier Ludwill, mais parfois, ça lui faisait du bien.

Le Prince avait tenu à ce que sa mère soit présente lors de son entrainement à l'épée. Il ne savait pas très bien si sa stratégie allait marcher ou non ; en réalité, il ne savait pas très bien lui-même ce qu'il essayait d'accomplir. Ce qui lui importait, c'était de voir sa mère pour qu'elle soit témoin de ses progrès.
Enfin... progrès était un bien grand mot. Il était plus juste de dire que Théandre avançait dans le temps tout en restant à un niveau égal. Il faisait le désespoir de son maitre d'armes qui commençait à perdre patience, se permettant de faire des remarques que nul autre au monde se serait permis de faire à un jeune prince. Heureusement pour cet homme, Théandre avait compris que ce comportement irrespectueux était le produit d'une immense frustration. Il ne pensait pas à mal. Néanmoins, Théandre espérait que la présence de sa mère à l'entrainement puisse inciter son maitre d'armes à rester à sa place.

Théandre s'avança sur le terrain, un grand espace encerclé par les murs du château au-dessus desquels se trouvait un passage couvert. Une chaise y était déjà installée en prévision de l'arrivée de la reine. C'était bon signe.

Ludwill suivit son maitre et déposa les épées sur le râtelier prévu à cet effet. Il s'étira en faisant craquer ses vertèbres.

A l'autre bout du terrain, on pouvait apercevoir la silhouette d'un grand homme aux longs cheveux gris, élégamment vêtu d'une belle armure de cuir verte. Il prit une épée des mains de son valet, puis avança sur le terrain.

- Vous n'êtes pas en retard aujourd'hui, Votre Altesse ! C'est une prouesse !

Sa voix portait sur plusieurs mètres. Théandre était certain que l'on pouvait l'entendre à l'intérieur du château malgré l'épaisseur des murs. En peu de temps, l'homme se tint juste en face de lui et lui adressa une révérence exagérément basse.

- Avez-vous décidé de me faire l'insigne honneur de changer vos habitudes ? poursuivit-t-il. Suis-je en droit d'espérer un combat contre un véritable adversaire ?

Son sourire moqueur énervait Théandre ; il refusa pourtant de laisser place à la colère. Il se permit même de rendre le sourire de son maitre. Effectivement, pourquoi ne pas changer ses habitudes ?

- Sans doute, maitre, fanfaronna Théandre. Il est toujours possible d'espérer.

Le sourire du maitre d'armes s'effaça pour laisser place à une moue dédaigneuse. Il haussa les épaules pour tenter de camoufler l'effet que ce trait d'esprit avait eu sur lui. Loin derrière eux, Ludwill pouffa de rire.

- Je vois que Son Altesse a eu le temps de potasser ses répliques, répondit le maitre d'armes. Méfiez-vous, cependant : la plume ne saurait combattre éternellement l'épée.

Théandre lança un regard complice à son valet. Ces grandes phrases étaient peut-être impressionnantes en combat réel, mais ici, elles paraissaient plus comiques qu'autre chose. Avec son allure raffinée et sa voix tonitruante, le maitre d'armes ne manquait pas de prestance. Seulement, il la mettait mal à profit.

Ludwill leva les yeux en direction du balcon. Théandre l'imita et aperçut sa mère, accompagnée de sa suivante, qui se dirigeait vers la chaise posée à son intention. Elle s'y installa sans un bruit, sans même un regard pour Théandre. Il avait pourtant espéré une réaction de sa part, n'importe quoi ...

- Bien ! s'exclama le maitre d'armes après avoir testé l'efficacité de son arme. Nous allons commencer par quelques passes d'échauffement. Et cette fois ci, faites-moi le plaisir de ne pas vous battre comme une fillette !

Lorsqu'il réalisa que sa remarque n'avait pas provoqué de réaction chez le jeune prince, le maitre d'armes chercha la source de cette distraction. Il tomba immédiatement sur la reine qui le dévisageait d'un air profondément las. Puis, soudainement, elle lui offrit son plus beau sourire narquois.

Le maitre d'armes se sentit aussitôt en position de faiblesse. Il tenta de rattraper son erreur en s'agenouillant avec révérence. Il balbutia un « Votre Majesté... » en essayant tant bien que mal de contenir les tremblements de sa voix.

- Je vous en prie, maitre, l'interrompit la reine. Poursuivez votre enseignement ! Vous semblez au meilleur de votre forme !

Le ton qu'employait la reine mit Théandre en joie. C'était tellement inhabituel de la voir s'exprimer sur un ton aussi espiègle, surtout pour se moquer de quelqu'un. C'était d'autant plus agréable de la voir s'en prendre à son maitre d'armes en faisant preuve d'autant d'humour. Théandre n'aurait pu espérer de meilleure vengeance.

La reine Mathilde vit que son fils la regardait avec un grand sourire. Elle appréciait que sa réplique l'ait amusé, cependant, elle ne pouvait pas faire preuve d'une trop grande familiarité en public. Elle lui fit donc signe de se préparer au combat.

Tandis que le maitre d'armes se relevait en tenant fermement son épée à deux mains, Théandre récupéra son épée des mains de Ludwill. Celui-ci lui fit un clin d'œil discret, une manière de lui souhaiter bonne chance.

De la chance, Théandre allait en avoir besoin : le maitre d'armes avait l'air particulièrement vexé suite à l'humiliation qu'il venait de vivre. Il ne raterait certainement pas une occasion de se venger sur le jeune prince en lui assenant des coups particulièrement puissants. Théandre pressentait que cet entrainement serait beaucoup plus rude que les autres.

Effectivement, il ne s'était pas trompé : ces simples passes d'échauffement avaient été échangées avec une grande violence, tant et si bien qu'à la fin, Théandre était davantage épuisé qu'échauffé. Cela eut pour conséquence de rendre l'entrainement désastreux, encore pire que les précédents. Le maitre d'armes n'avait eu de cesse de lui assener des coups qu'il prétendait lui avoir appris depuis des mois, prouvant ainsi l'incompétence du jeune prince sans avoir à être ouvertement blessant. Théandre s'était demandé s'il ne préférait pas se faire traiter de tous les noms par une personne inférieure à son rang plutôt que d'humilier sa mère ainsi. Même s'il savait que le maitre d'armes le mettait intentionnellement dans l'embarras, il devait bien reconnaitre qu'il était le seul responsable. Il n'avait jamais fait le moindre effort pour apprendre à se battre, et c'était bien la première fois qu'il en éprouvait des remords.

A la fin de cette épreuve, Théandre épousseta son armure, recouverte d'une poudre jaune. Il s'était retrouvé au sol tant de fois qu'il en avait perdu le compte. Le maitre d'armes et lui se saluèrent sans aucune sincérité, puis chacun partit de son côté. Théandre leva la tête vers le balcon en espérant voir sa mère, mais il n'aperçut que le tissu violet de sa robe qui s'éloignait de son champ de vision. Il en eut un pincement au cœur.

Ludwill récupéra l'épée des mains de son maitre, puis l'accompagna au vestiaire. En temps normal, il se serait fendu de quelques commentaires moqueurs, à la suite de quoi, les deux jeunes gens auraient traité le maitre d'armes de tous les noms en riant à gorge déployée. Mais cette fois-ci, l'air abattu du jeune prince ne prêtait pas à l'hilarité. Ludwill regretta de ne rien avoir à dire. Il n'avait jamais vraiment su comment s'y prendre pour égayer une situation gênante.

Il était très clair à présent que le prince avait sollicité la présence de la reine pour tenter de se rapprocher d'elle. Il n'avait pas espéré la rendre fière par son aptitude au combat –cela aurait relevé du miracle- mais il avait tout de même espéré pouvoir éveiller son attention. Cette entreprise s'était soldée par un échec complet : elle était partie sans que personne n'ait pu la remarquer, sans un salut pour le maitre d'armes ou pour son propre fils. Théandre interprétait ce silence comme une volonté de cacher sa honte derrière un mur de glace. Ce n'était pas étonnant venant d'elle...

En aidant Théandre à ôter son armure, Ludwill osa enfin ouvrir la bouche.

- Dis, euh... je ne sais pas ce que tu comptes faire maintenant mais moi, j'ai bien envie de me rafraichir au Houblon Doré.

Le prince tourna la tête en direction de son valet, qui délaçait sa dernière lanière en prenant un air innocent.

- Tu crois que c'est le moment, toi ?

- Il n'y a pas de moment particulier pour ce genre de choses, lui répondit Ludwill. Après, c'est toi qui vois.

Théandre regarda dans le vide. Il pensait à la tristesse qui l'envahissait depuis que sa mère avait, une fois de plus, décidé de l'ignorer. En fait, il avait l'impression que cet état n'était que la version exacerbée d'une sensation permanente. Une mélancolie qui lui rongeait l'âme. Malgré la hauteur de son rang, son luxueux confort de vie et son excellente santé, le jeune prince se sentait incapable de trouver le bonheur. Heureusement, il pouvait compter au moins un ami dans le palais. Un ami qui, en ce moment même, lui proposait d'oublier cette expérience pitoyable à l'aide d'une bonne chope de bière. Théandre n'était pas orgueilleux au point de refuser cette invitation.

- D'accord, dit-il à Ludwill, je veux bien venir avec toi.

Le valet lui adressa un sourire radieux, heureux de pouvoir faire quelque chose pour son maitre et ami. Il lui donna une claque sur l'épaule en se réjouissant à l'avance de cette soirée.

Tandis que les deux jeune gens avançaient dans le couloir menant au hall d'entrée, Théandre aperçut une silhouette féminine qui avançait vers eux. Ludwill ne la remarqua pas, trop occupé à vanter les mérites de la taverne.

- ... des chopes aussi grosses que des marmites ! Et je ne te parle même pas des serveuses. Ah, il y a vraiment de beaux morceaux là-bas. Si elles te laissent indifférent, tu es vraiment un cas désespéré !

Théandre donna un léger coup de coude dans les côtes de Ludwill. Il avait reconnu la suivante de la reine, une femme d'une trentaine d'années récemment engagée qui ne lui avait encore jamais adressé la parole. Ludwill retira vivement la main de l'épaule du jeune prince.

- Mes hommages, Votre Altesse, dit la suivante en s'inclinant. Je viens de la part de la Reine. Sa Majesté désire vous voir dans sa chambre.

Théandre sentit la joie qu'il avait difficilement accumulée laisser une nouvelle fois place à l'angoisse. Son premier réflexe aurait été de protester, mais comment aurait-il pu ? Il ne pouvait pas se permettre de dire non à sa mère, surtout après lui avoir fait subir un tel affront.

A contrecœur, il décida de suivre la suivante. La beuverie viendrait plus tard...

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