Chapitre 24- Maleïka

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Des cris extirpèrent la Reine d’un sommeil sans rêve. A l’ordinaire, sa servante qui lui apportait son petit-déjeuner la réveillait. Maleïka attendit que ses yeux s’habituent à l’obscurité pour chercher son plateau mais ne le trouva nulle part. La cohue venait de l’extérieur. La jeune femme se glissa hors de son lit, tout à fait éveillée. Elle écarta les rideaux et ce qu’elle vit lui glaça le sang : des centaines de paysans, fourches brandies se massaient devant les portes du château. Malgré son oreille tendue, Maleïka ne fut pas à la portée de leurs paroles. Elle fit un pas en arrière pour replonger dans la pénombre.

Et Cilanna qui n’était pas là.

Sa sœur aurait pu parlementer avec ces manants pour les apaiser. S’ils manifestaient leur désapprobation de leur règne par des mines maussades et des yeux baissés, Maleïka ne songeait pas à ce qu’ils aient le courage de se regrouper, porté par un but commun. Elle se remémora les torches brandies et les flammes qui léchaient bois avalai goulûment de l’oxygène pour croître.

Si Maleïka doutait de leurs intentions, elle fut certaine que le pacifisme n’était pas son mot d’ordre. Elle s’habilla à la hâte, veilla à poser sa couronne droite sur sa tête avant de filer dans la chambre de sa sœur. Rien ne bougeait et pour cause ; l’aube n’illuminait le château de sa présence que quelques heures plus tard. Maleïka ne fit pas attention au sol froid. Dans sa précipitation, elle avait oublié ses chaussures.

Freya dormait sur le ventre, enroulée dans ses couvertures. Seuls ses cheveux rouges ondulés par les nombreuses tresses de la veille informaient Maleïka de sa présence.

–Réveille-toi, nous avons un problème.

Dans un premier temps, sa sœur demeura aussi immobile qu’un cadavre. La Reine ignorait si sa sœur jouait à la sourde ou si elle rêvait d’ébats charnels avec Oron. Elle tira sur les couvertures avec brusquerie, révélant sa sœur à moitié endormie.

–Que fiches-tu là ? Grommela-t-elle. Il fait encore nuit.

Elle ne le savait que par ce qu’elle dormait avec les rideaux ouverts, « pour ne pas me sentir emprisonnée entre quatre murs». Ainsi Freya justifiait cet acte.

–Habits-toi. Des paysans nous assiègent.

–Quoi ?

–Ils doivent être au moins quatre cents, voire plus. Et je n’ai pas l’impression que leurs intentions sont particulièrement pacifistes.

–Que veulent-ils ?

–La seule manière de le savoir, c’est de leur demander.

Le loquet de la porte grinça lorsque Maleïka ferma la porte de leurs appartements. Au détour d’un couloir, une servante le héla, le visage apeuré.

–Ils sont nombreux, madame.

Elle ne connaissait surtout pas assez de chiffres pour les compter.

–As-tu entendu ce qu’ils veulent ?

–Non, madame. Dès que j’ai vu des lumières dans la forêt, je me suis dépêchée pour vous prévenir.

Des pas trainants se firent entendre derrière elles.

–Bonne nuit, Suzie, bailla Freya. Restez dans votre chambre et prévenez les autres si quelque chose se passe dehors.

–Bien, ma Reine.

La domestique s’inclina avant de déguerpir. Elle a la jambe légère, nota Maleïka.

–Tu en as mis du temps, rouspéta la jeune femme.

Freya ne s’était embarrassée que d’un manteau, un pantalon et ses bottes. Elle ne portait rien d’autre, la courbe de ses seins sous le tissu en témoignait. A travers les vitraux, les flammes dessinaient des ombres mouvantes sur les marches allongées de l’escalier.

–Plus vite nous règlerons leurs problèmes, plus vite nous retrouverons notre lit.

–Ne te méprends pas, ils sont prêts à en découdre.

S’ils se déplaçaient alors que la lune éclairait encore la nuit, leurs problèmes devaient être graves.

–Je ne suis pas formée pour entendre leurs réclamations.

–Tu es Reine autant que moi.

Profite bien de ces derniers instants de règne, il ne te reste que quelques semaines voulaient dire Maleïka mais elle se tut. Au lieu de répondre, elle se contenta d’un regard réprobateur avant de descendre les escaliers. L’odeur du bois calciné effleura ses narines lorsqu’elle s’avança dans la cour. Les doigts froids du vent étreignirent son visage tandis que la nuit portait les beuglements des paysans. Une grille s’élevait entre les deux camps. Fermée lorsque le jour palissait, elles protégeaient le château contre des assauts comme celui-ci. A la lumière des torches, les ombres vacillaient.

–J’espère qu’on vous a pas réveillé ! Cria un homme dans la horde.

Les autres glapirent à sa suite.

–Ma femme et ma fille sont mortes pour que vous puissiez dormir !

–Ouvrez cette grille ! A moins que vous avez peur de nous.

Un homme imposa le silence en levant son poing. Sa robe noire lui apprit son rang : chef et religieux du village. Maleïka demeura pour lui donner coite pour lui donner l’opportunité de s’exprimer.

–Les Agkars nous ont attaqués et notre village a été massacré. Plus d’un tiers de nos maisons sont devenus inhabitables tant les Agkars les ont détruites. Nous enfants ont été égorgées, nos femmes éventrés et les hommes ont servi de repas à ces monstres.

Un murmure s’éleva de l’assemblée pour se muer en une forte acclamation. Maleïka remarqua que beaucoup de hommes jeunes et femmes la constituaient.

–Nous voulons réparation et la mort définitive de ces loups.

–Achevez-les ! S’emporta une voix masculine.

Les fourches s’élevèrent menaçantes.

–Ces créatures sont trop rapides pour que des chasseurs les tuent.

–Faux ! Mon père a réussi à en blesser un. Vos chasseurs sont des incapables. Ils ne savent même pas faire la différence entre un sanglier et un cerf.

En blesser un ? Maleïka jeta un coup d’œil discret à sa sœur. Elle aussi la fixait. Ni l’une ni l’autre n’avait été touchée. Ne restait que Cilanna.

–Vous l’avez touché ?

–Ouais ! Et plutôt deux fois qu’une. Le vieux Gabe lui a transpercé le bras.

Le chef de Valgur Raal se contentait de hocher la tête à chacune des protestations.

–Que s’est-il passé ensuite ?

Pourquoi personne ne nous a prévenues ? Elle partageait cette pensée avec sa sœur.

–Cette saleté l’a arraché comme une écharde mais y avait du sang derrière lui lorsqu’il marchait.

Maleïka surprit son cœur à se serrer. Le religieux entrelaça ses doigts. Il se tenait droit, un air grave sur son visage.

–Nous voulons que vous accélériez vos investigations, que vous remplacez les chasseurs impotents qui garnissent vos soi-disant élites. Mes villageois se demandent si vous ne cachez pas quelque chose.

Il avait beau chuchoter, sa parole fut bientôt connue par tous. Maleïka soupçonnait certains de répéter ces mots pour que chacun puisse profiter des justifications des Reines. L’homme avait conscience dans quelle situation il les plaçait.

–C’est des bonnes femmes, monsieur. Elles ne comprennent pas ce que vous dites.

Maleïka dut appeler toute sa force pour se taire et englober la foule de manants du regard le plus froid et hostile qu’elle connaissant. Son constat fut amer et teinté de regrets. Ses sœurs et son père l’avaient pervertie. Pire que tout, son éducation n’était qu’un mensonge. Le seul qui s’approchait de la vérité fut Shagal. Ces méthodes barbares ne servaient que son intérêt mais Maleïka s’inquiétait pour son peuple. La jeune femme en était convaincue : bonté, tolérance et gentillesse ne servaient à rien. Ces frivolités n’étaient que des babioles dont les riches seigneurs se paraient pour assouvir leur pouvoir. Une fois sa sœur hors de la régence, Maleïka donnerait à la Reigaa une ère dont il pouvait être fier.

–Des bonnes femmes, cingla Freya. Juste utilise à faire la cuisine et les enfants. C’est pour cette raison que votre unique menace reste les Agkars et non les guerres.

–Vous ne devez plus ignorer ce problème ! Regardez.

La foule s’écarta et un homme s’avança. Maleïka ne put voir son visage mais sans ses bras il tenait quelque chose recouvert d’un drap. Il ne cessait de renifler pendant qu’il s’agenouillait. Maleïka reconnut son erreur en distinguant deux petits pieds blancs dépasser. Il tira sur le voile pour exposer ce qui avait jadis été le visage d’une fillette. Défigurée par trois larges estafilades, la Reine constata que le cou n’était accroché au tronc que par quelques filaments de peau et de muscles. Sur la clavicule, la jeune femme reconnut la morsure des Agkars. Elle avait déjà vu la marque de ses crocs. Celle-ci ne se superposait à celle de Freya. Sa sœur blêmit. C’était la sienne.

–Ma Jola a toujours été gentille. Elle a protégé son petit-frère pendant que ce monstre détruisait notre maison.

Le père endeuillé releva la tête vers ses Reines. Ses yeux exprimaient une tristesse infinie. Il sanglotait.

–Aidez-nous, les implora-t-il.

Maleïka n’eut aucune réaction devant l’homme. Il tendit les deux mains vers le cadavre, impuissant.

–Nous ne pouvons pas nous venger si vous nous laissez crever dans la misère ! Déclara un autre homme.

Ses paroles furent emportées par le vent mais Maleïka saisit le courroux qui perçait dans sa voix.

–La pierre ne brûle pas, rétorqua Freya.

–La fumée asphyxie.

Maleïka consulta sa sœur du regard. Un plan se formait dans son esprit. Un plan qui mettrait fin à cette ère de la Reigaa. S’ils nous craignent, ils n’auraient jamais contesté notre manière de gouverner. La crainte seule s’avérait dangereuse. Ils n’auront d’autre choix que de la respecter. Oui, ma régence se basera sur ces deux piliers.

–Nous avons de nouveaux pièges. Ils les prendront pas surprise.

–Qu’est-ce que vous en savez ? Grogna un paysan.

–Ils ont été élaboré par nos meilleurs cerveaux.

–Ce sera un plan foireux comme les précédents.

Parfait. Après cet instant de tristesse partagé, l’hostilité se faisait plus grande encore.

–C’est la justice des Reines que vous souhaitez ? Vous l’aurez. Revenez dans douze jours et vous connaitrez ce que l’on appelle la justice des Reines.

Cette dernière répartie parut les satisfaire.

–Merci de nous avoir écoutés.

–Nous désirons aider ceux qui sont dans le besoin.

Le père recouvrir le visage de la gamine et la hissa sur ses bras avec une tendresse infinie. Le religieux ne donna aucun ordre mais la foule se détourna pour suivre l’homme endeuillé tel un cortège funèbre.

–Douze jours, rappela-t-elle au chef.

–Bien. Nous serons là.

Maleïka et Freya restèrent silencieuses jusqu’à ce que les torches fussent avalées par la pénombre.

–Que t’est-il passé par la tête ? L’interrogea Freya.

Sa sœur se détourna de la grille avec un sourire même si la guerrière ne pouvait le voir. Le ciel nuageux cachait la griffe que formait la lune.

–Il est temps de rappeler qui nous sommes, tu ne trouves pas ? Nous sommes leurs Reines, de simples paysans n’ont pas à nous manquer de respect.

–Ils ont peur.

–Oui, comme tu as peur lorsque cet homme a montré le cadavre de sa fille. C’était tout que l’a tué, n’est-ce pas ?

Le silence répondit pour sa sœur.

–Il y a une différence entre savoir que l’on commet des meurtres et le voir de ses propres yeux.

La jeune femme sentit de l’émotion dans sa voix. Des regrets, peut-être.

–J’espère que Cilanna va bien.

–Nous le sentirions, non ?

Maleïka poussa la porte du château qui grinça dans le silence de la nuit.

–Nous ne sommes pas liées de la même manière que les jumeaux normaux, répliqua-t-elle.

Si Cilanna mourrait, grand bien lui fasse. Elle serait seule à régner. Et si la Reine des Roses survivait, sa vie ne lui causerait pas de problèmes. Sa faiblesse d’avant n’était dûe qu’à la surprise de l’annonce.

–Quel est ton plan ?

Un sourire machiavélique tendit son visage.

–Allons lui dire bonjour.

Elle entraina sa sœur aux cachots. L’odeur de pisse était omniprésente. Des flaques jonchaient le sol. D’urines ou d’eau, seule la Déesse le savait. Au fond d’une geôle croupissait un homme. Maigre et décharné, il avait perdu de son assurance.

–Bien le bonjour, duc. Ou devrais-je dire bonne nuit ? Il fait encore sombre dehors.

L’homme restait pelotonné dans un coin, le visage contre ses genoux et les mains user ses oreilles.

–Redressez-vous.

La sévérité dont la Reine faisait preuve obligeait le jeune vassal à relever timidement sa tête.

–Mieux que ça.

Il ne bougea que de quelques centimètres.

–Donnez-moi à manger.

–Non. Votre repas viendra avec le lever du soleil. Je vais demander à mes cuisiner de renforcer un peu vos plats. De la sauce, de la viande vous plairaient-ils ?

–A quoi joues-tu ?

Maleïka barra ses lèvres de son index.

–Regarde-toi. Où est passé le bel homme qui s’amusait à courtiser notre petit sœur ? Tu es fait d’angles et d’os, un réel gâchis. J’ai des nouvelles pour toi. De bonnes nouvelles.

Cette fois, il se redressa, enfin intéressé.

–Vous ne croupirez plus dans ce cachot bien longtemps. Une douzaine de jours tout au plus.

Maleïka inclina la tête en direction de Freya. Elle protesta.

–C’est de la folie.

–Non, je redonne à la Reigaa un aspect glorieux. Ils doivent apprendre à nous respecter. Pour eux, nous ne sommes que des catins avec une couronne. Ils doivent comprendre que nous ne reculerons devant rien.

–Reconsidère ta proposition. C’est une révolte que tu vas amener.

–Non, je commencerai un âge d’or pour notre royaume. Ma décision est prise, Freya. Ne te mets pas en travers.

–Tu comptes me tuer sinon ?

–Ne dis pas de choses pareilles, voyons ! Tu es ma sœur.

Elle s’approcha de la guerrière et étreignit son poignet avec vigueur.

–Nous partageons le lien du sang. Nous régnons ensemble. Pourquoi crois-tu qu’il y ait trois Reines ? Ensemble nous sommes plus fortes. C’est notre destin de redonner à la Reigaa un souffle nouveau.

Maleïka ignorait si Freya était convaincue mais elle n’eut aucune réaction lorsqu’elle se rapprocha une nouvelle fois des barreaux.

–Je tiendrai ma promesse, mon ami. Dans douze jours, tu mourras.

Elle ne s’attendait pas à des cris mais quelques signes de protestations ; des gémissements, des pleurs, un élément qui lui permettrait d’extérioriser ses peurs. Au lieu d’agir tel que le souhaitait la Reine, il s’arc-bouta dans une position défensive. La tête sur les genoux et les bras enroulés autour de ses jambes.

–Laissons-le, s’exclama-t-elle en se retournant.

Maleïka remonta les allées en éclairant quelques cachots vides. Les coins, des araignées tissaient des toiles aux fils argentés.

–Es-tu sûre de toi ?

–Oui.

Maleïka refusait de recourir à l’illusion des doutes. Il est temps qu’elle découvre qui je suis réellement.

–Tu as changé.

Non, j’ai cessé de mentir.

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