Chapitre 23- Freya

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Freya poussa un dernier hurlement alors qu’une peau nouvelle couvrait son corps. Recroquevillée dans un coin, Maleïka haletait, les yeux écarquillés. Ses lèvres se retroussèrent lorsque sa sœur se rapprocha en rampant. Ses doigts et orteils plongeant dans la terre. Le Reine poussa sur ses cuisses, trop faible pour marcher. Sa sœur se balançait sur la pointe de ses pieds tandis que ses ongles raclaient la roche de la caverne qui les abritait.

Les mois précédents, les trois jeunes femmes dormaient avant de reprendre le chemin du château, encore habités par la chaleur animale. Cette fois-ci, le sommeil le sommeil les désertait. Freya grognait, incapable d’utiliser le langage humain. Maleïka frappa son épaule. Ce fut dans un enchevêtrement de bras et de jambes que les retrouvèrent Chrysentia et le chasseur.

–Voilà de quoi vous vêtir, mesdames.

–Ne les approche pas !

Trop tard. Freya s’élança pour le happer mais d’un geste vif, Oron s’écarta d’un bond en arrière. Le Reine ne parvint qu’à griffer son poignet.

–La transformation n’est pas encore terminée. Regarde ses ongles et ses gencives. Ils sont encore noirs.

Leurs lèvres bougeaient mais les oreilles de la Reine ne comprenaient pas les sons que leurs bouches produisaient.

–Il y a toujours un laps de temps où le loup doit les quitter. Généralement, elles dorment mais elles ont l’air trop agité pour faire un somme. J’espère qu’il n’est rien arrivé à Chrysentia.

La voix de la sorcière était teintée d’inquiétude.

–Leur corps est principalement humain, reprit-elle, mais leur esprit est encore manipulé par la malédiction.

Après un dernier regard, ils s’éloignèrent de quelques pas. Des branches craquèrent sous les pieds de la sorcière or, Oron se déplaçait sous troubler le silence inquiétant de la forêt. Aucun oiseau ne gazouillait, aucune feuille ne frémissait, même le vent cessait de se plaindre pour tendre l’oreille. Quelque chose se tramait. Si le chasseur croyait aux présages, il prétendrait qu’une heure noire arrivait.

–C’est à ce moment qu’elles sont le plus vulnérables. Malgré le sortilège, leur secret peut être découvert par toutes les personnes qui ont une quelconque résistance à la magie. Heureusement, il n’y en a jamais eu jusqu’à ce que vous veniez. Mon devoir, ainsi que le vôtre, est de les protéger lorsqu’elles ne peuvent le faire elles-mêmes.

En réponse, le chasseur tourna son bras.

–Pas capable de se protéger, hein ?

–Elles peuvent peut-être tuer ceux qui rentrent dans la caverne. Réfléchissez, comment pourraient-elles se défendre des conséquences ?

Les deux sœurs se pelotonnaient l’une contre l’autre, reniflant et les avisant regards assassins. Oron frémit. Un animal n’était pas capable d’une telle haine. Il comprit qu’elle se situait dans un monde médian entre la bête et l’humain.

–On en a pour un moment avec Freya. Vous feriez mieux de trouver un coin pour faire le guet, déclara Chrysentia en contournant quelques arbres.

–Où allez-vous ?

–Sur la colline. Il y a une meilleure vue de là-haut. Vous pouvez venir avec moi si vous le souhaitez.

Freya les observa, tapie contre la terre en grognant sourdement. Les proies disparurent.

–Nous sommes juste au-dessus d’elles.

–Au-dessus d’elles ?

–Un pan de colline s’est creusé avec les années et les caprices du mauvais temps. Au départ, la pierre que vous voyez-là était imbriquée dans la terre. C’est la cachette idéale pour que la transformation se passe à l’abri des regards. Le passage est assez étroit mais pas suffisamment pour que les Agkars soient enfermés à l’intérieru.

–Vous n’avez pas peur qu’on nous voie ? C’est assez à découvert.

–Le sortilège nous protège. Il n’aveugle pas seulement les Reigiiens quand à la transformation mais aussi ceux qui gardent leur secret. C’est pour cette raison qu’il n’y pas de traces dans la neige. J’y ai mis toute ma force. Les autres petits tours que je puisse faire sont grâce aux potions de mes confrères.

–Si je volais une de vos potions…

–Ne vous aventurez pas sur ce chemin.

–Pourquoi est-ce que je ne pourrai pas les manipuler comme vous ?

Les bruits de pas venus du plafond s’estompèrent. Les grognements de sa sœur s’espacèrent.

–Vous ne connaissez pas le danger que représentent ces produits.

–Moi, un danger ? Et que dîtes-vous des sorciers mal intentionnés ?

La sorcière ne renchérit pas de suite.

–Dans ce cas, seule la Déesse pourrait nous sauver.

–Qu’avez-vous donc tous avec les dieux ? Marmonna le chasseur.

–Ne vous méprenez pas. Je ne crois pas aux dieux. J’ai vécu assez longtemps pour savoir qu’il n’y a rien après la mort. Rien. Sauf l’espoir d’une autre fin autre que les ténèbres de l’oubli.

La Reine entendit le chasseur s’asseoir.

–On ne vous a jamais dit que vous faîtes peur ?

–Ce n’est pas la peur qui effraie mais la vérité.

–La vérité… Alors vous êtes morte ?

–Oui.

Elle attendit avant de continuer sur sa lancée.

–Mais je ne vous raconterai rien Oron car il n’y a rien à en dire. Il n’y a que le noir.

–Je refuse d’y croire.

–Croyez ce que vous voulez, je ne cherche pas à vous convertir.

–Vous m’aimez bien, pas vrai ? Répliqua Oron avec un sourire.

–Vous êtes moins idiot que je ne le pensais, je dois le reconnaître même si votre sens de l’humour laisse à désirer.

Freya gronda lorsque sa sœur la regarda avec un œil humain. Elle se sentait seule.

–Vous ne vous inquiétez pas de ce que les gens penseraient s’ils nous voyaient assis sur ce rocher ?

Cette déclaration aurait été pertinente si la voix d’Oron ne sous-entendait rien.

–Je ne suis pas attirée par les hommes et encore moins par vous.

–Vous préférez les animaux ? Ricana-t-il.

–Autant que vous.

Chrysentia ne se départissait jamais de son air sérieux.

Maleïka prit appui sur ses jambes. Sa démarche hésitante et ses jambes chancelantes l’obligeaient à s’appuyer contre la paroi de la caverne. Freya gronda en s’avançant sur quatre pattes.

–Chrysentia ?

Sa voix était rauque, usée.

–Maleïka ? Est-ce que tu es redevenue...

–Humaine ? La coupa-t-elle. Moi, oui.

Elle jeta à sa sœur un regard noir qu’elle ne put déchiffrer.

–Et Freya ? Où en est-elle ?

–Elle en a encore pour un moment. Envoie-moi quelque chose : j’ai froid.

Une robe tomba du rocher. Elle s’accrocha aux branches qui ployèrent son poids.

–J’aurais pu descendre, protesta Chrysentia.

–Non, reste en haut, répliqua Maleïka. Freya est encore trop sous l’emprise de l’Agkar. Elle ne me reconnut plus.

Seule son odeur lui était familière. C’est la seule raison pour laquelle Freya n’attaqua pas l’inconnue. L’hybride posa sa main sur le sol avec délicatesse, tel un renard qui déroulerait sa patte. Ce geste la rendait dangereuse car Maleïka ignorait si sa sœur désirait lui sauter dessus. Les muscles nerveux de la jeune femme se tendaient sous sa peau et la jeune femme vit les contours de l’omoplate se dessiner sous une chair trop fine.

–Je vais sortir, prévint Maleïka en pivotant sur ses talons.

Freya flaira l’odeur des feuilles mortes qui émanait de ses pieds mêlées à une senteur humaine.

–Nous t’attendons en haut comme toujours, d’accord.

L’hybride ne la quitta pas des yeux lorsqu’elle s’éclipsa derrière le passage. Elle entendit la voix plaintive de la neige lorsque sa sœur dérapa du rocher pour écraser les flocons sous son poids. Mieux encore, elle renifla le parfum cuivré du sang.

–Vous vous êtes fait mal ? Demanda Oron.

–Je me suis coupée, grommela-t-elle.

L’odeur du sang s’affaiblissait mais Freya en était déjà ivre. Elle hurla, à demi folle, grattant la pierre et la terre de ses ongles noirs, incapables d’emprunter le passage pour rejoindre sa proie.

–Pourquoi ne peut-elle pas sortit ? S’enquit l’homme.

–Seuls les Agkars ou les humains ont le droit de passer ? Le sortilège les oblige à rester à l’intérieur lorsqu’elles ne sont ni l’un ni l’autre. Elle a senti le sang de Maleïka et pense encore comme un animal. En tant que chasseur, tu devrais savoir ce qui se passerait si elle pouvait sortir ;

–Ce serait un carnage.

Pendant un instant, Freya ne les entendit plus, obnubilée par l’odeur du sang qui refusait de céder la place à toute autre pensée cohérente. Elle s’imprimait dans son esprit pour la précipiter vers le gouffre de la folie. Des frissons parcouraient ses bras et jambes. Ses ongles laissèrent des marques dans la terre.

–Ne te crispe pas. La neige va te picoter un peu mais la douleur sera anesthésiée jusqu’à ce que l’on rentre au château.

–Je peux la ramener, proposa Oron.

–Non, elles doivent rester ensemble. Même si Freya ne s’en rend pas compte, elle partage avec un lien avec ses sœurs. La savoir proche d’elle la calme.

–Vous appelez ça être calme ?

–Oui, elle se tient tranquille.

–Ce n’est qu’une égratignure, assura Maleïka.

–Une égratignure peut s’infecter. Beaucoup ont été amputés de la jambe pour moins que ça.

Freya entendit un drôle de bruit mais ce n’était que la déchirure d’un morceau de tissus.

–Comprime la plaie avec ça. Une fois que le saignement aura cessé, tu le noueras autour de ton pied mais pas trop fort. Par mégarde, tu pourrais comprimer les veines et les artères et le flux sanguin cesserait d’irriguer tes pieds.

L’hybride retomba sur ses mains, toujours aussi furieuse. Même si le fumet se dissipait légèrement, ses proies s’asseyaient non loin d’elles ! Pourquoi ne pouvait-elle les atteindre ?

–Tu t’es décidé à nous protéger ? Demanda Maleïka d’une voix tranchante au chasseur.

–Je n’ai jamais douté de ce que je devrais faire.

–C’est ma sœur qui te motive pour rester muet ?

–Elle a promis de couper mes parties intimes si je ne me taisais pas, ricana-t-il.

–Cesse de plaisanter avec moi. Je ne suis pas mes sœurs et tu n’es qu’un serviteur dans mon château. Tu réponds à mes questions si je t’en pose. Est-ce ma sœur qui te motive pour rester muet ?

Devant son ton glacial, le chasseur se contenta d’un « oui » tout aussi froid.

–Que représente-t-elle pour toi ? Une Reine, une récompense ?

–Je l’aime, d’accord ? Je ne vous trahirai pas parce que je l’aime. Etes-vous rassurées maintenant ?

–L’aimes-tu comme un homme aime une femme ou comme un homme aime ses putains ?

Freya colla son nez au sol. Le craquement des feuilles mortes sous son poids résonnèrent dans la grotte jusqu’à couvrir les voix. Elle détestait ses humains qui l’assourdissaient. Pourquoi l’enfermait-elle ? L’hybride ne désirait que la neige, les parties de chasses et l’air brûlant dans ses poumons. Qu’avaient ces misérables contre elle ? La laisseraient-ils pourrir ici, dans cette cage ? Etait-elle un trophée qu’ils exhibaient ? Brusquement, comme surgie du fond de son esprit, comme un voile arraché par le vent, Freya sut comment parler avec les bipèdes.

–A…Allez…Vous…En, rugit-elle avec un timbre plus animal qu’humain.

–Freya ?

–Al… Allez…

Les muscles de son cou se contractèrent, avalant les derniers mots. La phrase se finit dans une éructation de douleur.

–Si elle arrive à parler, c’est qu’elle redevient humaine.

–Regarde-moi dans les yeux, Oron, et dis-moi que l’amour que tu portes à ma sœur est véridique.

–C’est la vérité, soupira-t-elle.

Une heure plus tard, Freya s’extirpa de la grotte en étirant ses membres.

–Depuis combien de temps attendez-vous ?

–Assez, pesta le chasseur.

–La louve était coriace cette fois-ci. Continue à te battre.

Chrysentia énonça ce conseil comme elle aurait parlé d’un petit-déjeuner fade. Toutes deux savaient que Freya n’avait pas le choix.

–Qu’en penses-tu ? Demanda la Reine à Oron.

–Que c’est de la folie.

–Je t’avais prévenu. La dernière fois n’était qu’un court extrait de la réalité.

–Nous devons rentrer, intervint Chrysentia. Je dois examiner la blessure de Maleïka.

–La blessure ?

Sa sœur hocha la tête.

–Je me suis écorchée en escaladant la colline.

Le sortilège ne prenait fin que quelques heures après la dernière transformation de l’Agkar en humain. Exténuée par la perte d’énergie liée à la force croissante de sa louve, Freya se fit distancer. Le chasseur ralentit la cadence pour cheminer à ses côtés.

–Est-ce que vous avez écoute ce que nous disions ?

–Non, je n’avais pas le contrôle de mon esprit. Ai-je manqué quelque chose d’intéressant.

–J’ai…, commença-t-il avant de se raviser. Chrysentia m’a dit être attirée par les femmes.

–Tu as aussi tenté de la séduire ? Quel arrache-cœur tu fais.

Elle lui lança un regard malicieux mais Oron ne répondit pas à sa boutade. Il se mura dans le silence.

–Non, je n’ai rien entendu.

Freya sentait encore les yeux de la louve sonder son âme mais Oron ne la dupait pas. S’il perdait son sens de l’humour, une rixe avait dû éclater entre lui et ses sœurs. La Reine renonça à lui tirer les vers du nez. Les secrets venaient toujours à elle…

* *

*

–Essaye celle-ci

Freya lança une seconde arme au champion. Sa main se referma sur le corps mais son regard intéressé dévia vers la lame arrondie ornée de minuscules dents effilées. Il la passe d’une main à l’autre, vérifiant poids et maniabilité.

–L’autre était mieux.

Il désigna une double faux. L’instrument simple n’était qu’un outil de fauche pour les agriculteurs mais la Reine tenait à la remodeler pour l’art de la guerre. Les grosses lames se sont vues remplacées par des plus fines et des petites rendant la manipulation plus aisée. Une arme moins lourde signifiait des mouvements plus rapides portés avec plus de force. Le bâton tournoya entre les mains du chasseur avant de roulet sur son poignet.

–Elle me semble meilleure.

Freya informa Zorak du choix d’Oron avant de se rendre au terrain d’entraînement.

–Tu devrais faire attention à ce que ton adversaire reste le plus éloigné possible. Cette arme a été conçue pour embrocher sur une largeur de deux mètres. S’il se rapproche, c’en est fini de toi.

Depuis sa transformation (mais surtout grâce à des exerces de renforcements), Freya n’avait plus besoin de ménager sa jambe. De leur altercation, il ne restait qu’une tâche rouge et une croute épaisse. Elle arqua ses genoux.

–Lance-là moi.

La jeune femme rattrapa l’arme d’un geste vif puis tendit le bras pour stopper l’élan.

–T’es-tu déjà servi d’un bâton, chasseur ?

–Je ne suis pas berger de métier mais il m’est arrivé de prendre app…

–Oui ou non ?

–Oui.

–Tu connais les quelques rudiments du spectacle que tu devras offrir à Shagal mais es-tu capable de le manier correctement ? Je l’utiliserai pendant que tu m’attaqueras. Observe-moi.

Oron s’élança puis s’aplatit au sol pour faucher les jambes de sa Reine. Freya évita son attaque d’un large bond en arrière. La double faux n’avait pas bougé dans la main de la jeune femme.

–De face maintenant.

Oron se jeta sur sa Reine mais le sifflement de la lame qui tournoyait le dissuada rapidement. Il chercha un point faible mais n’en trouva aucun.

–Tu dois apprendre à danser avec cet objet, à être gracieux et menaçant.

Ses premières tentatives se soldèrent par des échecs mais la quatrième fois fut convaincante. Au bout de onze essais, il parvenait à éluder quelques coups de son entraîneuse. Porté par un sentiment de victoire, sa concentration faiblit et une de ses jambes s’enroula sur l’autre. Déséquilibré, il chuta.

Freya se pencha au-dessus de lui, un sourire aux lèvres.

–C’est la danse que tu dois apprendre pas à compter tes jambes.

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