26 décembre 2004 1ère partie

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Thaïlande, 26 décembre 2004

C'était la première fois qu'ils partaient à l'étranger ensemble, première fois pour elle qu'elle prenait l'avion, d'avoir des vacances sans ménage, repas à faire. De vraies vacances en somme, au soleil en plein mois de décembre.

Ils avaient pris la décision sur un coup de tête, à la dernière minute. Passer les vacances de Noël rien que tous les deux, loin du quotidien, loin de la famille. Un rêve parfait. De plus, c'était aussi l'occasion de fêter son anniversaire, qu'elle avait malheureusement passé hospitalisée par une mauvaise appendicite le douze novembre de cette même année, le jour même de ses vingt deux ans en plus.. Mais au moins elle avait été gâtée, un magnifique collier avec un cœur en diamant. Vraiment magnifique.

Ils avaient passé le réveillon de Noël à l'hôtel, en compagnie d'autres français. Le buffet à volonté et bien garni avait été excellent et les animations délirantes. Ils avaient vraiment passé un bon moment. Jusqu'à la fin, au moment du gâteau, où il l'avait demandé en mariage, à genoux devant tout le monde. Bien entendu, elle avait accepté. Rien n'aurait pu être aussi beau. Un voyage de rêve, une demande en mariage, une merveilleuse bague...

Ce 26 décembre était leur dernier jour en Thaïlande. Aussi ils avaient décidé de profiter de la plage et de la piscine de l'hôtel une dernière fois. Alicia était très nostalgique. Elle aurait tant souhaité resté un peu plus, avant de retrouver leur quotidien banal et sans intérêt. Ils travaillaient tous les deux dans une banque et leur journée restait routinière. Elle pensait de plus en plus à changer de travail pour quelque chose qui lui plairait beaucoup plus. Comme d'être libraire, comme l'était sa grand-mère qui lui avait donné le goût de la lecture. Mais après tout n'avait-elle pas un mariage à organiser maintenant ? Le reste pouvait attendre.

Ils avaient décidé de faire un tour à la plage, puis de faire un petit plongeon dans la piscine avant d'aller finir leurs bagages.


Ils étaient en train de revenir justement, empruntant le petit chemin les ramenant à leur hôtel lorsqu'ils entendirent les cris, les hurlements. Effrayés, ils se retournèrent sur les personnes qui courraient dans tous les sens, leur intimant à tous les deux l'ordre de s'enfuir. Ne comprenant toujours pas ce qu'il se passait, Alicia attrapa la main de son fiancé.


C'est alors qu'elle la vit. La vague de plusieurs mètres de haut qui fonçait droit sur eux. Elle sentit une secousse dans son bras lorsque Peter se mit à l'entraîner pour se mettre à l'abri. Mais pour aller où ? Comment pouvaient-ils échapper à cette vague meurtrière ? Et surtout avec un telle rapidité.


Ils n'étaient qu'à quelques mètres de l'entrée de l'hôtel lorsque la vague les rattrapa. Alicia eut l'impression d'être frappée dans le dos et ses jambes se dérobèrent sous la puissance du courant. Elle lâcha bien malgré elle la main de Peter, qui cria à plusieurs reprises son prénom, tandis qu'elle était entraînée au fond de l'eau. Tout n'était que tourbillons et souffrances, souffrances de ses poumons privés d'oxygène, souffrance de tout son corps frappé par de multiples objets.


Au bout de ce qui lui sembla d'interminables minutes, elle réussit à remonter à la surface, libérant ses poumons. Mais elle était toujours entraînée par le courant. Elle aperçut des personnes accrochées aux arbres mais elle était bien trop loin d'eux pour qu'ils puissent lui venir en aide. Affolée, elle réussit tant bien que mal à garder la tête hors de l'eau. Ses jambes la lançaient terriblement et elle commençait à s'épuiser. Il était extrêmement difficile de lutter contre la force phénoménale de l'eau.


C'est alors qu'elle sentit une légère différence, la vitesse de l'eau semblait ralentir. Elle réussit à attraper la main tendue d'une vieille dame accrochée à un poteau et à s'accrocher tant bien que mal.


D'autres personnes dans les terrasses en hauteur des maisons leur lancèrent des cordes. Elle aida la vieille dame à enrouler la corde autour de sa taille. La pauvre était à bout de forces. Elle ne tiendrait plus longtemps. Ils réussirent à la remonter, à moitié inconsciente mais elle était sauvée.


Puis ce fut son tour d'enrouler la corde et elle sauta dans l'eau.


Elle entendit les cris d'horreur des personnes essayant de l'aider, ne comprenant pas ce qu'ils essayaient de lui dire. Elle se maintint à la corde mais ne put s'empêcher de se retourner et comprit.


Une deuxième vague, plus haute que la première, arrivait droit sur elle, charriant de multiples débris, voitures, maisons, arbres... Elle avait très peu de temps devant elle. Ses sauveurs essayaient de tirer au plus vite la corde, la faisant remonter petit à petit.


Elle aurait pu être sauvée mais elle le vit : un petit garçon, perdu sur le toit d'une voiture. Il arrivait droit sur elle. Elle ne réfléchit pas à deux fois et leur fit signe de lâcher la corde pour qu'elle puisse aider l'enfant. La voiture arriva droit sur elle, la heurtant violemment mais mue par le désespoir et la rage, elle réussit à grimper sur le toit rejoindre l'enfant, complètement apeuré. C'est alors qu'elle le reconnut, il faisait parti d'une famille française avec qui ils avaient sympathisé. Il n'avait que six ans, elle ne pouvait pas le laisser.


Le courant les entraîna loin de ses sauveurs, mais pour le moment, ils étaient en sécurité sur le toit de la voiture.


Puis tout se calma, le niveau de l'eau baissa, sa vitesse ralentit et la voiture s'incrusta dans ce qu'il restait de la devanture d'un hôtel. Ils étaient sauvés.


Ils furent pris en charge tous les deux par les autorités du pays qui les emmenèrent dans un camp de fortune, construit à la hâte.


Ils avaient de nombreuses blessures mais ils étaient en vie, c'était l'essentiel.


Après l'horreur, venait un temps aussi difficile, l'attente.


L'attente de savoir qui s'en était sorti, qui était mort, qui ne serait jamais retrouvé, emporté par la violence et la colère de l'océan.


Alicia voyait les familles déchirées, des mères hurlant leur détresse d'avoir perdu leurs enfants, des pères à la recherche des siens.


Tant de drames à venir...


Elle espérait, priait au fond d'elle-même pour que Peter ait survécu. Il savait si bien nagé, il était très prudent, très débrouilleur, il n'y avait pas de raison. Il s'en était sorti. Sa vie ne pouvait pas finir ainsi, pas après sa demande en mariage, les beaux projets qu'ils avaient en tête, qu'ils rêvaient de réaliser. Elle fit un pacte avec Dieu. S'il le sauvait, elle irait déposer chaque jour un cierge à l'église en remerciements de ses bienfaits.


Ils restèrent ce qui lui semblait des heures durant, assis sur un banc, attendant de savoir, réconfortant le petit garçon ,Tom, du mieux qu'elle le pouvait.


Mais au fil des heures, au milieu des hurlements de joie ou de douleurs, et plus de douleurs d'ailleurs, l'espoir s'amenuisait.


Elle raconta à Tom, pour le faire patienter, ses souvenirs de Noël les plus beaux, lorsqu'elle croyait encore au Père Noël, qu'elle le guettait à la fenêtre de sa chambre, pour finir par s'endormir et se réveiller dans son lit. Les merveilleux cadeaux qu'elle avait reçu, dont le plus beau, qui avait été déposé dans une grande boîte rose avec un magnifique nœud, un petit chien qu'elle avait appelé Lory et qu'elle avait tant aimé, le souvenir de ses parents émerveillés de la surprise qu'elle avait créé à l'école...


Combien elle regrettait de ne pas être avec eux en cet instant. Ils devaient être morts d'angoisse devant leur télévision, priant comme jamais pour leur salut.


Tom bougea alors de ses bras et il lui échappa. Affolée, elle le suivit et poussa un soupir de soulagement lorsqu'elle le vit se jeter en larmes dans les bras de sa maman. Jamais elle ne pourrait oublier cette scène si touchante. D'ailleurs beaucoup applaudissaient. Les miracles étaient si rares, n'est-ce pas ?


La maman, Laura, lui proposa son portable pour appeler ses parents. Elle ne cessait de la remercier d'avoir sauvé son petit garçon, même si sa fille et son mari manquaient toujours à l'appel.


Elle appela sa mère sur le téléphone fixe, qu'elle devait tenir dans sa main, vu la vitesse à laquelle elle répondit.

- Maman, c'est moi, Alicia. Je n'ai pas beaucoup de temps. Je vais bien et je suis en sécurité.

- Merci mon Dieu, Merci ! S'écria sa mère, éclatant en gros sanglots, Et Peter ? Il est avec toi ?

- Non...,elle n'arrivait à sortir les mots de sa bouche, c'était si dur..., nous avons été séparés.Je...je n'ai pas de nouvelles. Il faut prévenir ses parents.

- Je m'en occupe. A la télé, ils disent qu'ils vont rapatrier les étrangers. Dès que tu peux, rentre ma chérie.

- Pas sans Peter. Je ne repartirai pas tant qu'ils ne l'auront pas retrouvé.

- Très bien ma chérie, sois prudente, je t'en supplie et tiens nous au courant. On t'aime, ton père et moi.

- Moi aussi maman, moi aussi. »


Elle rendit le portable à Laura, la gorge nouée.

« - Nous allons les retrouver, nous ne partirons pas tant que nous ne saurons pas, lui dit alors Laura, vivant...ou mort mais je veux savoir. Je ne repartirai pas d'ici sans savoir, ce n'est pas possible.

- Nous allons tout faire pour les retrouver, oui. »


Toutes les deux se tinrent au moment dans les bras, essayant de se réconforter comme elles le pouvaient.

Des habitants passaient à côté d'elles et leur prodiguait un petit mot d'encouragement, une simple tape sur l'épaule pour montrer qu'ils étaient là et compatissaient. Jamais elles ne pourraient oublier ce peuple si tragiquement touché. Eux avaient tout perdu. Elles pourraient rentrer chez elle, retrouver leur famille, leur foyer, leur travail, leurs amis mais eux avaient tout perdu.

Ravalant leurs larmes, elles décidèrent d'aider à déblayer les décombres, sachant très bien ce qu'elles allaient y trouver.

La première journée passa ainsi, travaillant pour s'empêcher de réfléchir, de penser, de pleurer, de crier, de se morfondre dans la peine.

Des survivants furent retrouvés, parfois, même cela relevait du miracle.

Ce fut dans la nuit que le mari et la fille de Laura furent retrouvés sains et saufs. Ils avaient réussi à se réfugier en hauteur avec d'autres habitants et avaient attendu d'être surs que ce soit fini pour redescendre en ville.

Alicia les regarda avec envie, s'embrasser, rire et pleurer, tout à la joie de ces retrouvailles inespérées.

Elle sentit une personne la prendre dans ses bras, c'était la vieille dame qu'elle avait sauvé. Son geste la fit fondre en larmes et elle déversa tout son chagrin sur son épaule si attentive. Elle pleura jusqu'à ce que ses larmes se tarirent, que la fatigue ne prenne le dessus pour un repos salutaire. Elle savait que c'était fini.


Elle attendit encore une semaine, aidant du mieux qu'elle pouvait sur place, les autres pays dont le France avaient envoyé des aides humanitaires.


Maintenant il était temps pour elle de rentrer et faire son deuil.


Mais tout la ramenait à ce jour maudit, à ce pays frappé par tant d'horreur, à ces personnes qui avaient tout fait pour la sauver.


Aussi, un an après, elle alla s'installer en Thaïlande, aida à reconstruire l'hôtel puis y resta.


Elle retrouva la vieille dame, qui avait pu retrouver ses quatre petits-enfants sains et saufs et elles devinrent les meilleurs amies.


Ce fut à cette occasion, lorsqu'elle rencontra Mylia, une des petites-filles, qu'elle apprit ce qui était arrivé à Peter, même si son corps ne serait certainement jamais retrouvé, emporté à jamais au fond de l'océan.


Elle refit sa vie là-bas, ne revenant jamais en France. Son destin était de se trouver dans ce pays et il en fut ainsi jusqu'à la fin de ses jours.

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