44 – Alice : L’ange de la guerre

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La cantine de la section ingénierie est suffisamment grande pour permettre à plus d’une quarantaine de personnes de manger en même temps. À côté, le mess de l’Akasha ressemble à une cabine de douche.

En même temps qu’elle lui montre le fonctionnement du distributeur, Ilenia lui explique : « Là, l’équipe est en plein travail. Ton cycle a sept heures d’avance sur le nôtre. Mais ne t’en fais pas, tu seras recalée en quelques jours.

– Oui, pendant ma formation on nous a fait faire des semaines en horaires décalés pour nous préparer à ça, rassure à Alice.

– Tu viens d’Ouganda c’est ça ? demande l’assistante en récupérant une poche de soupe.

– Oui, confirme la cadette.

– Ça te manque ? la sonde-t-elle.

– Non, je ne suis partie qu’il y a cinq jours. En plus, j’ai passé ma vie depuis mes neufs ans à me préparer pour ça, explique-Alice.

– Je vois, opine l’assistante. Tu verras, l’équipe est très sympathique.

– Sur quoi je vais être formée en premier ? s’intéresse la jeune femme.

– Je ne sais pas exactement, Aasima, la chef de l’équipe, n’a pas encore eu le temps de se préparer.

– Ah ? s’étonne la cadette. Monsieur Rombes avait l’air de dire que tout était prêt pourtant ?

– Oh… Administrativement sûrement, corrige Ilenia. Mais il a surtout sauté sur l’occasion de renforcer les effectifs. L’équipe est en crunch et ton dossier est exemplaire.

– Je pensais que j’aurais encore des cours, se soucie Alice. Je n’ai pas encore la moindre certification pour travailler.

– Vois ça comme une formation sur le terrain. Ne t’inquiète pas, tu seras bien encadrée. », la rassure l’assistante.

Les deux femmes se tiennent de part et d’autre d’une table. Ici au moins, constate Alice, ils ne se sont pas embarrassés de chaises inutiles. Pour tenir en place, il suffit juste de coincer ses pieds sous les barres de maintien prévues à cet effet, au sol. La surface de la table est recouverte d’un velours et les différentes poches possèdent le velcro correspondant.

Ilenia n’a rien pris pour elle : après tout, seule Alice est décalée. La première poche contient une soupe tiède. Au goût, Alice devine bien les poireaux et les pommes de terre, mais elle n’arrive pas à identifier ce petit arrière-goût. Ilenia indique à Alice qu’elle doit s’absenter pour répondre à un appel. La cadette acquiesce d’un hochement de tête et l’assistante s’éloigne avec son link : un modèle tenu à la main comme ces très anciens terminaux.

Continuant son repas, Alice constate que le second mets est une sorte de barre en gelée contenant une sorte de viande de synthèse. Rien à voir avec ce que le synthétiseur de l’Akasha produit : la jeune femme a l’impression de manger un œuf en gelée dont le seul goût proviendrait d’une sauce à base de crème. Ce n’est pas fondamentalement mauvais, mais l’ensemble perturbe Alice. Le dessert est heureusement plus classique : une sorte de yaourt sans lactose. Heureusement d’ailleurs, vu qu’Alice fait partie des soixante-cinq pourcents de la population qui ne le digèrent pas.

Alors qu’elle termine son repas, Ilenia revient et lui explique : « Mikaël a besoin de moi, je te laisse.

– Rien de grave ? s’inquiète Alice ?

– Non, ne t’en fais pas. Tu as quartier libre jusqu’à dix-neuf heures. On se retrouve ici ensuite pour te présenter à l’équipe. Les poches vides se jettent dans la boîte de recyclage à gauche du distributeur.

– D’accord. À plus tard ! », confirme la cadette alors que l’assistante de l’administrateur part le rejoindre.

Après cette discussion, Alice se demande si toute cette affaire est bien juste. De ce qu’elle a pu comprendre, l’administrateur a profité de sa venue sur Otessa Orbitals pour intercepter une ressource normalement destinée à la colonie Tolkien. La cadette se demande comment la cité mercurienne a bien pu prendre la nouvelle, en plus du désastre du Mona Lisa. Si elle a été mise au courant.

Quittant la cantine, après avoir déposé les restes de son repas dans le collecteur, Alice se demande quoi faire. Vu qu’elle a un peu plus de cinq heures devant elle, elle pourrait passer voir Feyn et Tsadir pour leur parler de Joshua.

Invoquant l’interface virtuelle, elle s’aperçoit qu’elle a plus d’une centaine de messages à lire. Principalement des messages de ce « sfgerui » et autres variantes. Il y a un message de Tsadir : « Alice, je ne sais pas si tu as encore ton link, mais si tu lis ce message fais attention : Donnart s’est échappé et plusieurs onusiens sont impliqués. Si tu peux lire ce message réponds nous ! ».

La cadette effleure l’immatériel bouton de réponse. Le système tente d’établir la connexion à travers le réseau de Sol6 qu’il qualifie « d’Ancien Réseau Télécom ». Heureusement, l’Akasha étant destiné à secourir toutes sortes d’appareils, son matériel a été conçu spécifiquement pour être compatible dans ce genre de situation. L’avatar de Tsadir apparaît devant elle : le reflet virtuel de la samouraï ressemble à son original comme deux gouttes d’eau mais avec une tenue plus traditionnelle. Alice se demande à quoi elle ressemble de l’autre côté.

Tsadir engage la conversation immédiatement :« Alice, comment-vas-tu ?

– Je vais bien, confirme la cadette. J’ai eu ton message, comment ça se passe de votre côté ?

– Nous ça va, rassure la samouraï, mais le capitaine des forces onusiennes est à l’infirmerie. Il s’en sortira mais, en attendant, les forces onusiennes sont désorganisées.

– J’ai une info qui peut vous aider. Quelqu’un se fait passer pour un de mes collègues dans l’équipe d’ingénierie.

– Tu en es sûre ? demande la wardner.

– Certaine : c’était un de ces types qui faisait pas mal de conneries. Du coup, il était assez connu sur le campus, confirme Alice.

– Ok, reçoit Tsadir. Tu as son nom ?

– Joshua Irwani, donne-t-elle.

– Bien reçu, répond la samouraï. Je vais voir ce que l’ONU a sur lui.

– Je préférerais qu’Alice nous rejoigne sur l’Akasha, intervient Feyn. Si quelqu’un est impliqué dans son service, elle est en danger.

– Tu as entendu Alice ? demande la wardner.

– Oui, confirme-t-elle.

– Vole, je viens à ta rencontre ! », ordonne Tsadir.

Automatiquement, l’interface de son Link trace la route vers l’Akasha. À travers les murs, elle peut voir Tsadir comme un petit point au niveau du ventre de l’Akasha. Elle doit probablement être en train d’attendre le cycle du sas. La cadette imagine que la wardner peut la suivre de la même façon.

Avançant raisonnablement vite, Alice sort de la section d’ingénierie. Les coursives retrouvent leur aspect plus rustique, exposant des peintures plus anciennes. Descendant vers le port, elle constate que Tsadir progresse plus rapidement encore. La cadette parvient à la zone centrale de la station : dans la grande zone ouverte, de nombreux ouvriers convoient de nombreux containers et machines. S’il y a un goulot d’étranglement sur cette station, c’est bien ici qu’il se trouve.

S’orientant au sein de ce trafic dense, Alice aperçoit une tête connue : Joshua, ou tout du moins celui qui se fait appeler ainsi. L’homme s’engage dans une coursive latérale qui mène aux stockages secondaires. Que fait-il loin de sa zone de travail à cette heure-ci ? Immédiatement, la jeune femme le suit, laissant un message textuel simple à Tsadir : « J’ai trouvé Joshua : je le suis. ». Droite, la coursive n’offre pas de couverture, mais heureusement, sa cible semble pressée et fonce sans regarder derrière lui.

Alors qu’il semble ralentir, Alice se glisse dans l’antichambre d’une des salles de stockage. La jeune femme enlève sa paire de lunette, le link de l’Akasha, et s’en sert pour observer la coursive à l’abri. Les caméras montées dans les montures lui permettent de suivre la scène et elle constate que l’homme entre dans un des entrepôts du fond. Remettant son link, Alice sort de sa cachette et progresse, en alerte, vers la porte où sa proie a disparue.

Arrivée au niveau de la porte, elle se sert de la même astuce pour s’assurer que personne ne surveille l’ouverture. Dans l’espace encombré de la salle de stockage, elle n’aperçoit personne. Prudemment, elle s’aventure dedans et entend des gens discuter à voix basse.

« Non, le réseau n’est pas sûr ! On ne peut pas envoyer ce putain de message.

– On en reste au plan, enfile cette combinaison !

– On a une putain de Solar Wardner à bord : il faut prévenir le commandement. Vous auriez dû me laisser en taule.

– Quoi, tu vas nous faire croire qu’ils n’auraient pas réussi à te tirer quoi que ce soit ?

– Tu sais très bien que personne ne tient indéfiniment.

– Sauf que vous avez blessé le capitaine de cette station ! Tout l’ONU va…

– Écoute, c’est Martha qui va reprendre les rênes, pendant qu’il sera à l’hosto. Et elle est avec nous !

– Pourquoi vous voulez m’exfiltrer, alors ?

– Tout le monde connaît ta tronche maintenant.

– Donc, je suis inutile et vous allez me balancer dans l’espace ?

– Non, tu restes celui qui nous a fait gagner plusieurs mois. Avec Simh mort, l’opération peut continuer.

– T’es un héros mec ! Tu vas aller sur la flotte, on a encore besoin de toi !

– Mets cette combinaison.

– Ok… Et la fille ?

– Elle va bosser dans mon service : j’ai truqué son dossier pendant que Rombes avait le dos tourné. T’en fais pas : elle nous a fait merder une fois, elle ne le fera pas deux fois. »

Sur le link, Tsadir lui indique : « Je suis juste derrière toi. ». Alice se retourne et voit la samouraï, enveloppée dans un manteau long s’approcher. À travers le link elle lui dit : « Ne dit pas un seul mot. Utilise les messages. ». Alice lui répond d’un hochement de tête affirmatif.

De leur côté, les hommes ont cessé de parler. Des bruits de chocs et de froissements indiquent qu’ils sont en train de préparer une combinaison spatiale pour une EVA.

La samouraï semble évaluer la situation avant de dire : « Si je pouvais les faire parler un peu plus… ». La cadette envoie une réponse : « Je peux le faire. ». Tsadir réfléchit quelques instants et accepte : « Très bien. Je serais avec toi. Si quelque chose dérape, tu n’auras rien à craindre. ».

Rabaissant sa capuche, la samouraï disparaît en se fondant dans le décor. La cadette est surprise : jusqu’ici, les camouflages thermo-optiques n’étaient que des légendes pour elle. Se ressaisissant, Alice s’avance dans le module. Contournant les empilements de caisses attachées dans des filets, elle se présente aux traîtres.

C’est le moment d’extraire la vérité.

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