40 – Feyn : Le dernier hommage au port

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Le module du contrôle spatial s’avère particulièrement simple à trouver : placé au centre de l’anneau de coursives menant aux quais, il emploie plus d’une vingtaine de personnes à temps plein. En s’approchant, Feyn est immédiatement accueilli par une multitude de regards, allant de la curiosité au mépris, voire au dégoût. Son enveloppe n’est visiblement pas au goût de tout le monde, ce qui n’est pas surprenant vu les politiques conservatrices de la Terre. À vrai dire, son enveloppe issue de la biotechnologie des colonies serait même probablement interdite à la surface de la planète bleue.

L’une des contrôleuses se détache de son siège et vient l’accueillir en flottant dans les airs : « Bonjour, vous devez être le commandant Feyn, de l’Akasha ! Je suis Namja Otteli, je suis chargée de la coordination de l’équipe qui doit effectuer le déchargement de votre vaisseau et son ravitaillement.

– Bonjour, vous avez bien deviné, dit-il en renvoyant la politesse. Par quoi commençons-nous ?

– Venez-vous asseoir, ce sera plus simple pour prendre des notes. », l’invite-t-elle en retraversant la salle. Feyn la suit et se pose sur le siège qui lui est indiqué.

Après s’être installée, la contrôleuse reprend : « D’après votre rapport, nous avons quatre-vingt-deux corps à rapatrier. Dans quel état ont-ils été entreposé ?

– Ils reposent dans des sacs mortuaires réfrigérés à moins trente degrés Celsius, explique Feyn.

– Avez-vous pu les identifier ?

– Tous les membres de l’équipage avaient leur uniforme nommé. Pour les passagers, j’ai pu retrouver leurs identités grâce au registre du vaisseau, précise Feyn.

– Même les militaires de l’ONU ? s’étonne la femme.

– Oui, confirme Feyn.

– Vous nous avez beaucoup simplifié la tâche… », constate Namja, avec une pointe de reconnaissance dans la voix. « Certains ici vous ont reproché de ne pas être arrivé à temps pour en sauver plus, mais j’ai eu le rapport entre mes mains et s’il y a quelqu’un à blâmer ce n’est certainement pas vous, continue-t-elle.

– L’inimitié entre la Terre et les colonies ne disparaîtra pas en un seul jour, plaisante Feyn. Ne vous en faites pas, je fais ce métier depuis longtemps et j’ai appris à faire avec le regard des familles des infortunés.

– Dans combien de temps est-ce que les corps seront accessibles ? demande la contrôleuse en détournant le sujet.

– Ils sont déjà prêts, indique Feyn. Nous pourrons commencer quand votre équipe sera prête.

– Parfait. », s’enthousiasme-t-elle, sans doute un peu trop.

Jetant un œil autour de lui, Feyn entre-aperçoit quelques regards furtifs dans sa direction, lui rappelant qu’en dépit des quatre années qui ont suivi la guerre, les colonies ne sont toujours pas les bienvenues dans l’espace terrien.

Feyn répond ensuite à de nombreuses questions d’ordre plus administrative. Quelles marchandises, en dehors des dépouilles, transporte-t-il ? Le vaisseau présente-t-il un risque quelconque ? Quelle est la nature de la masse de propulsion de l’Akasha ? Quelle quantité en faut-il pour le ravitaillement promis ? Y a-t-il des réparations ou de l’entretien à faire ? Combien de temps, le vaisseau devra rester ici ?

Pour cette dernière question, Feyn est bien embêté : maintenant que Tsadir est parvenue à poser pied dans une installation de Sol6, elle voudra reprendre sa mission. Il répond évasivement : « Je ne sais pas. Mon vaisseau et moi avons été réquisitionnés par la Solar Wardner Tsadir et elle ne m’a pas fait part de ses plans. »

La réponse ne semble pas plaire à Namja, mais elle n’oppose aucune objection. Le reste de l’entretien se montre plus technique et dure encore une bonne demi-heure. Après avoir approuvé les conditions d’amarrage et confirmé sa connaissance des lois en vigueur sur la station, Feyn est finalement libéré de ses obligations administratives.

Namja l’invite alors à suivre l’opération de déchargement et le conduit à l’entrepôt connexe au centre médical pour y rencontrer l’équipe. Le module est particulièrement vaste et de nombreux cercueils sont alignés, prêt à recueillir les infortunés du Mona Lisa. Les boîtes de composite sont attachées au sol par des sangles reliées à des crochets fixes prévus à cet effet. De nombreux containers encombrent le fond de l’entrepôt et doivent probablement contenir les fournitures de l’hôpital orbital.

Là encore, l’accueil est plus froid qu’il n’y paraît et l’astronaute est heureux de ne pas avoir à gérer l’opération et, surtout, ces hommes. Parmi la quinzaine d’hommes et de femmes, quelques-uns l’observent toutefois avec curiosité et même pour deux d’entre eux quelque chose qui lui fait penser à de l’admiration : finalement le raton laveur se sent plus gêné par ces deux-là que par l’hostilité des autres.

Namja le présente succinctement à l’équipe : « Bonjour tout le monde, voici Feyn. C’est le commandant de l’Akasha. Il vous guidera à l’intérieur de son vaisseau. ». Après une brève pause qui ne laisse pas place à la moindre contestation, elle ajoute : « Bien. On y va ! ».

Le groupe traverse à nouveau les coursives qui « descendent » vers l’anneau faisant le tour des quais. La station, maintenant constamment sa gigantesque voile face au soleil, ne procure aucune gravité artificielle, ce qui explique pourquoi le sens « bas » du grand anneau est dirigé vers l’un de ses côtés et non vers l’extérieur. Ils parviennent rapidement au quai cinq où l’Akasha s’est amarrée.

Devant le tube de connexion, plusieurs des manutentionnaires semblent halluciner : moins avancés technologiquement, les vaisseaux terriens utilisent tous la méthode d’amarrage écoutille contre écoutille. Mais, comme il leur explique, l’Akasha doit pouvoir s’amarrer à un vaisseau même si la coque de sa cible a été endommagée au point de l’empêcher de se coller. Ça laisse aussi plus de place entre les vaisseaux s’il faut effectuer des réparations en EVA.

Le raton laveur ne leur fait pas visiter le vaisseau et les conduit le plus directement possible à la cale numéro deux qui contient tous les corps. L’intérieur de la pièce est frigorifique : refroidie à moins trente degrés Celsius pour préserver les corps, il serait très ennuyeux que quelqu’un s’y retrouve enfermé. Profitant de son pelage formant une isolation « naturelle », Feyn transmet les sacs mortuaires aux autres hommes et femmes restés dehors.

Le transfert, d’après les estimations de Feyn, devrait prendre un peu plus d’une heure. Il aurait pu accélérer l’opération en envoyant les robots d’Akasha, mais l’astronaute n’était pas trop certains de la réaction des terriens et s’il a bien appris quelque chose dans l’espace, c’est qu’il vaut mieux faire un effort de plus que de tenter quelque chose d’inconnu. Et puis, en apesanteur, transporter plusieurs corps en une seule fois ne demande pas tant d’efforts que ça.

L’opération se déroule dans un calme et un silence presque religieux. Quatre des hommes de Namja assemblent les cercueils de composite dans lesquels Feyn dépose les sacs mortuaires, avec le soin approprié pour ces défunts. Par groupe de deux, le reste des gens de Sol6 emportent les boîtes mortuaires hors de l’Akasha pour les déposer dans l’entrepôt.

Finalement, les hommes de Namja évacuent l’Akasha et laissent Feyn à son vaisseau. Namja lui souhaite un bon séjour et s’en va avec le reste de la troupe. Alors qu’il s’apprête à repartir à l’intérieur, Tsadir fait irruption sur le seuil du tunnel d’accès. La satisfaction sur son visage semble indiquer son entretien avec Jordan s’est bien passé.

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