14 – Feyn : Les basses-terres de Chryse

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Voici déjà quatre mois que son vaisseau, l’Akasha, est amarré en orbite. Bloqué, attendant que la mission diplomatique de Norway sur Mars soit terminée. Feyn ne comprend pas que la corporation laisse un vaisseau et son équipage à l’arrêt aussi longtemps. Et c’est sans compter le voyage même : un vol à vide, avec seulement deux passagers, trois en comptant la peluche de l’enfant. Mais voilà, la corporation a décidé.

Après, Feyn reconnaît que la planète rouge est un endroit très sympathique. C’est probablement ce qui se rapproche le plus de la Terre, si on se limitait aux zones les plus désertiques. L’architecture coloniale de Mars pousse au respect en vrai. Contrairement aux dômes d’autres corporations, Mars a construit de véritables bulles transparentes, entièrement composées de carbonates, de diamants et d’aérogels. Pour un peu, on aurait vraiment l’impression d’être à l’extérieur.

Mais l’astronaute adore l’espace et l’envie de repartir se fait chaque jour plus pressante. Au moins, les équipes techniques martiennes font du bon travail et le vaisseau est maintenu dans un état impeccable. L’IA de bord, Akasha, lui rapporte régulièrement l’état du vaisseau et lui fait un compte rendu des travaux effectués à bord. En ce moment, c’est l’optimisation des moteurs de propulsion qui est en cours à la demande de Suan.

En attendant, ce sont des vacances forcées dans une opulence presque écœurante. Heureusement, Mars est historiquement riche et c’est un véritable pèlerinage que l’astronaute a entrepris.

Le site d’aujourd’hui est particulier. Situé à plus de mille-cinq-cent kilomètres au nord de Marineris, la capitale martienne, le lieu revêt une importance quasi-religieuse. À l’époque, c’était la première fois que des images étaient envoyées depuis le sol martien. À vrai dire, lui-même n’était pas né à l’époque.

Pour éviter tout risque de projection, la navette s’est posée à plus de cinquante kilomètres du site. Une fois les appuis assurés, Feyn se prépare pour sa longue activité extravéhiculaire à venir. Enfilant sa combinaison spatiale, il observe son reflet sur la visière du casque. Son visage de raton laveur n’a pas pris de ride. Plutôt qu’un museau, il avait opté pour une version intermédiaire plus proche d’un visage humain. Le résultat aurait pu être affreux, mais Exobodies maîtrise son sujet et a su éviter tous les écueils. Au final, l’astronaute apprécie sa bonne « bouille ». Bien plus que lorsqu’il était encore humain, même avant sa décrépitude.

Équipé, les vérifications faites, Feyn cycle le sas. L’atmosphère équilibrée avec l’extérieur, il ouvre l’écoutille avant. Le désert martien de Chryse Planitia se déploie devant lui, intouché. L’astronaute se serait attendu à voir des centaines de traces d’atterrissages, mais il semble que les Martiens soient finalement assez peu friands des sorties culturelles.

Le déploiement, plus exactement le montage, du rover prend une bonne heure. C’est un modèle léger sans habitacle pressurisé capable d’avancer dans le chaos de cette plaine à une vitesse confortable de quarante kilomètres par heure. Au moins, la vue sera bonne.

Durant le trajet, Akasha continue de lui envoyer les données de télémétrie et les indicateurs principaux de son vaisseau, rappel que contrairement à ce que ses yeux lui disent, la civilisation n’est pas si loin que ça. Et que les travaux avancent bien.

Le voici enfin à cent mètres de son objectif. Comme promis, il arrête son véhicule. Le reste du chemin se fera à pied. De là où Feyn se tient, l’atterrisseur est bien visible. Viking 1 semble effectivement l’attendre depuis 1976 : la poussière martienne le recouvre abondamment. S’approchant, Feyn affiche les étiquettes techniques ainsi que le périmètre interdit qui viennent se superposer à travers la réalité augmentée. « Et voici donc Big Joe. », s’amuse Feyn. Sur les images historiques, les dimensions, bien que notées, sont difficiles à évaluer par manque de repères. Mais devant lui, le massif rocher ne lui arrive qu’à la taille, malgré son petit mètre-soixante. Même l’atterrisseur est plus grand !

Se déplaçant en s’efforçant de laisser le moins de traces possible, même si elles auront certainement disparu lors de la prochaine tempête de sable, Feyn s’immerge dans ce cadre surréel. Un message relayé par la navette lui parvient : ce n’est pas Akasha mais l’un de ses flux de nouvelles. Quelque chose d’important s’est produit.

Revenu au rover avec précautions, Feyn ouvre la note d’information : « Incident : un transporteur lourd converge vers la Terre avec une vitesse supérieure à la vitesse de croisière standard, Aesir et l’ONU travaillent à un plan d’interception. ». La nouvelle soulève de nombreuses questions et vient, presque, gâcher le moment. Mais l’astronaute n’y peut rien de toutes façons et reprend son plan initial. Il doit encore aller voir le bouclier arrière et le parachute tombés plus loin.

C’est dans ces instants, loin de tout, que Feyn se sent le plus vivre. Plus d’un siècle de vie peuvent rendre tant de choses fades, mais une passion s’entretient. Marcher dans les traces des précédents, de ces géants qui le portent métaphoriquement sur leurs épaules, lui donnent un sentiment fort.

Une image, un dessin pour être exact, a longtemps marqué l’astronaute en devenir qu’il était : un homme en combinaison spatiale nettoyant l’un des panneaux solaires d’Opportunity. Une grande question s’était posée lorsque les premières colonies furent construites : devrait-on rapatrier tous les engins construits par l’humanité et les ranger dans des musées ? Mars, HIARTech à l’époque, décida de laisser les engins dans leur état là où ils étaient, ne laissant que quelques touristes comme Feyn les observer sans les toucher. Curieusement, trop menacés par l’activité orbitale des solaires, les orbiteurs ont été récupérés et exposés dans les musés orbitaux quelques années plus tard.

Pendant plus de deux heures, l’astronaute contemple ces témoins des prouesses de l’humanité. Difficile de s’imaginer que, rien qu’avec son propre link, il dispose de plus de puissance de calcul que tout ce qui était à disposition de l’humanité à l’époque. L’existence même de ces engins à la surface de ces mondes hostiles est un hommage à leurs concepteurs.

Examinant le colossal bouclier thermique, plusieurs centaines de mètres plus au nord, son link le notifie qu’il ne reste plus que quatre heures avant le coucher du soleil. Inutile de prendre des risques inconsidérés. Feyn reviens vers le rover, non sans jeter quelques regards à l’incroyable structure échouée plus d’un siècle auparavant.

Le retour en rover est empreint d’un peu de nostalgie. Pour un peu, il serait bien resté la nuit dans la navette pour refaire un passage le lendemain. Mais Mars lui a déjà fait l’extraordinaire honneur de pouvoir profiter du site tout l’après-midi. Sans compter le prêt du matériel, la navette incluse. Quoi que Norway soit en train de négocier, ça lui ouvre de sacrées portes.

Après un démontage soigneux du véhicule léger, Feyn contemple une dernière fois la plaine désertique. Puis il referme l’écoutille et lance la procédure de nettoyage pour débarrasser sa combinaison et les pièces du rover de la tenace poussière rouge. Après une bonne demi-heure, il sécurise les pièces de l’engin dans la soute de la navette. Et se défait de sa combinaison de sortie pour reprendre celle de vol.

Affalé dans le poste de pilotage, il examine les nouvelles pour se détendre un peu : malgré l’excellente suspension du rover, le raton laveur a eu l’impression d’avoir été secoué comme s’il était passé au mode essorage d’une antique machine à laver. Le dernier rapport d’Akasha ne lui apprend rien : l’équipe est dans les temps, les variables vitales du vaisseau sont parfaites… Rien de la part de Suan ou Norway.

Bah, tout le monde doit être en train de suivre, avec anxiété, l’affaire du Meerk. Voyons où ça en est. Tiens, l’incident est désormais nommé, l’Attentat de Meerk : au moins ça a la franchise d’éliminer la cause accidentelle. Les revendications ne sont pas vraiment crédibles pour le moment…

Le plan de défense conjoint, lui, a porté ses fruits : le vaisseau, ou ce qu’il en reste après une attaque à l’arme nucléaire, a été dévié et manquera la Terre d’environ soixante-dix-mille kilomètres. Les analyses politiques sont étonnamment policées : visiblement Aesir souhaite continuer son rapprochement avec la Terre. Le secrétaire général de l’ONU a, lui, annoncé la mise en place d’une défense planétaire propre à la Terre, fustigeant au passage, mais poliment, ses prédécesseurs. Du brassage de vent de politique probablement. « La Terre ne changera décidément jamais ! », déplore Feyn en minimisant les flux de news à leurs icônes.

Initiant les vérifications pré-vol, Feyn analyse le plan du retour. Satisfait, il annonce son décollage au contrôle aérien et spatial de Mars et allume les moteurs. Sous une poussée de pratiquement un G, le petit vaisseau s’élève dans les airs et prend de plus en plus de vitesse.

Direction Coprates Chasma et la grande cité de Marineris.

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