Julie venait d'entrer dans le parc. Elle ne savait pas encore qui elle allait rencontrer, mais elle en était convaicune, la rencontre allait être intéressante. Son intuition ne la trompait jamais. Elle avait pensé souvent à ce parc récemment et c'était une évidence, elle devait s'y rendre, mais le moment ne s'était jamais présenté, jusqu'à aujourd'hui.

Lorsque son rendez-vous de 10 heures avait été annulé, Julie avait tout d'abord été déçue. Sa carrière dépendait de ce rendez-vous et elle ne pouvait pas envisager que les choses n'avancent pas comme elle les avait planifiées.

– Respire et ressaisis-toi ! se dit-elle.

Encore sous le choc de la nouvelle, elle s'est assise sur une terrasse et a commandé une tisane réconfortante pour remettre ses idées en place. C'est alors qu'elle a repensé à ce fameux parc. C'est décidé, elle irait maintenant.

Julie déambulait dans les allées, sans trop savoir ou aller, maintenant qu'elle y était. Son intuition, habituellement en éveil, lui faisait défaut.

Elle s'arrêta, prit une grande respiration, puis se souvint de ses cours de méditation. Elle s'apaisa progressivement, calma ses attentes, admira les arbres centenaires et les allées fleuries et, tout à coup, sut. Oui, c'est là qu'elle devait aller, en direction de ce petit bosquet. Il semblait rayonner plus que le reste du parc, le signe était clair.

Quand elle approcha du premier arbuste du bosquet, elle l'aperçut. Elle rayonnait. Elle avait de magnifiques cheveux gris, simplement lâchés sur les épaules et faisaient ressortir sa peau noire. Elle était vêtue simplement, mais avec goût. Elle tenait un livre d'occasion et le parcourait lentement, en souriant.

Julie approcha lentement, ne sachant pas trop comment l'aborder. Lorsqu'elle fut à environ un mètre d'elle, la femme leva la tête. Elles se regardèrent. En souriant, la femme lui dit :

– Bonjour, je m'appelle Marie. Je vous attendais. Asseyez-vous à côté de moi, je vous en prie.

– Bonjour. Vous m'attendiez ?

– Bien sûr, bien que vous me sembliez plus jeune que dans mes rêves.

– Vous avez rêvé de moi ?

– Evidemment. Et vous, pourquoi êtes-vous venue ? N'avez-vous pas rêvé ?

– En fait, non, je n'ai pas rêvé. Mais j'admets que j'ai souvent pensé à ce parc. C'était presque devenu une obsession. Et aujourd'hui, par hasard, j'ai eu le temps d'y venir.

– Par hasard, dites-vous ? Au fait, vous ne m'avez pas dit comment vous vous appelez... si vous le voulez bien sûr, vous êtes libre.

– Désolée, je croyais vous l'avoir dit. Je m'appelle Julie. Oui, par hasard, un de mes rendez-vous a été annulé. Et comme je n'avais jamais le temps de venir, j'en ai profité.

– Enchantée Julie, c'est un plaisir de vous connaître. Donc pour vous, c'est un hasard ?

– Euh... Je n'avais encore jamais vraiment réfléchi à la notion de hasard, en fait.

– Je comprends. Avez-vous déjà entendu parler de la notion de synchronicité ?

– Non, pas du tout, qu'est-ce que c'est ?

– Une synchronicité, c'est quand un évènement arrive apparemment par hasard, sans cause logique, provoque un impact émotionnel et nous amène à une situation capable de nous transformer intérieurement.

– C'est super intéressant ! Ca voudrait dire que si mon rendez-vous a été annulé et que j'ai suivi mon idée persistante de venir dans ce parc, c'était pour vous rencontrer et que nous ayons cette discussion ?

– Peut-être bien. Vous seule pouvez savoir si cette rencontre provoque en vous une transformation. En tous cas, pour moi, ça ressemble fortement à une synchronicité.

Marie avait dit cette dernière phrase avec un air radieux. Julie était pensive. Déjà que la notion d'intuition était récente dans sa vie, maintenant venait s'y ajouter la notion de synchronicité. Ca faisait quand même beaucoup, surtout pour elle. Elle avait grandi avec des parents scientifiques, cartésiens. Afin de se démarquer, elle avait choisi de suivre des études de droit et travaillait comme juriste dans un grand cabinet d'avocats. Le rendez-vous qu'elle avait manqué représentait une opportunité d'évolution de sa carrière. Au début, lorsqu'elle l'a manqué, c'est son monde qui s'est écroulé. Et maintenant qu'elle est venue dans se parc et a rencontré Marie, tout est bouleversé. Ses repères n'en sont plus et elle ne sait plus quoi penser.

Marie poursuivit :

– Je comprends bien que ça représente beaucoup à assimiler. Je tiens à vous féliciter, car vous êtes venue. Tout le monde ne vient pas, bien au contraire.

– Comment ça tout le monde ne vient pas ?

– Et non, certains, comme vous, vont penser au parc, avoir l'occasion d'y venir. Mais ils ne suivent pas leur intuition et ne viennent jamais. Pour eux, cette idée n'a rien de rationnel et elle s'avère trop déstabilisante, même s'il s'agit uniquement de se rendre dans un parc inconnu.

– Mais il n'y a aucun risque à venir se promener dans un parc, même si on ne le connaît pas encore.

– C'est un point de vue, effectivement. Pourtant, venir dans un parc inconnu signifie aussi sortir de sa zone de confort, aller vers l'inconnu. Et dans le cas présent, aller vers l'inconnu sans raison valable.

– D'ailleurs, je ne sais toujours pas pourquoi je suis venue.

En effet, il n'y avait aucune raison objective à sa venue. Elle aurait pu rester tranquillement sur la terrasse ou elle s'était installée et ne pas venir. Mais que s'était-il passé ?

Marie scruta Julie avec attention, puis demanda :

– C'est une excellente question Julie, pourquoi es-tu venue ?

Julie pris le temps de réfléchir puis, finalement, déclara :

– Je crois que je voulais arrêter de penser tout le temps à ce parc, et y venir m'a semblé être une bonne idée.

– Ca me semble être une bonne raison, en effet. Je voulais te demander, si ce n'est pas trop personnel, est-ce que tu as souvent des idées persistantes comme celle du parc ?

– En fait, c'est la première fois que ça m'arrive. Ou peut-être qu'avant je ne m'en rendais pas compte. Il y a quatre mois, j'ai commencé un cours de méditation et j'ai appris à être plus attentive aux pensées qui passent.

– Ah, tout s'explique alors.

Julie, à son tour, scruta Marie et demanda :

– Mais j'y pense, et toi, tu vas souvent quelque part attendre quelqu'un à cause d'un rêve ?

Ce fut au tour de Marie de réfléchir, semblant partie très loin dans ses pensées. Puis elle finit par répondre :

– En quelque sorte. Dans ma vie, j'essaie de provoquer les signes et les suivre pour multiplier les synchronicités et accélérer l'évolution. Pourtant, parfois, rien ne bouge, rien ne se passe. Ca fait plusieurs semaines que je viens sur ce banc et je commençais à me dire que cette fois non plus, personne ne viendrait. Et pourtant tu es là.

– Comment ça provoquer les signes ?

– Ca l'air compliqué, pourtant, dans les faits, c'est plutôt simple. Tout commence avec un questionnement. Si la question est bien formulée, la réponse nous parvient par une synchronicité. Et être conscient de ses pensées et de ce qui nous entoure est nécessaire pour le percevoir. Je pense que ton initiation à la méditation a facilité le processus et que c'est pour cette raison que tu as compris qu'il y avait quelque chose avec cette idée de parc. Mais comme l'idée seule ne venait pas, il y a eu le rendez-vous annulé, comme par hasard, pour te donner l'impulsion pour venir.

– Mais pourtant je n'avais pas formulé de question...

– Peut-être pas consciemment, en effet. Probablement que tout n'est pas exactement comme tu le souhaites dans ta vie.

– Je ne vois vraiment pas ce que vous voulez dire. Ma famille est parfaite et mon plan de carrière se déroule exactement comme prévu. Je ne vois pas ce qui pourrait être différent ?

– Aucun problème, ce n'est peut-être pas ça. Mais je t'invite à y penser.

– Oui, oui, je vais y penser. Mon prochain rendez-vous approche, je vais devoir y aller.

– Bien sûr, c'est normal. Si jamais tu veux encore discuter avec moi, je viens ici tous les mardis après-midi, et parfois le dimanche.

Julie se leva du banc et repartit d'un pas tranquille, perdue dans ses pensées. Sa vie était-elle aussi parfaite qu'elle le pensait ? Oui, bien sûr. Elle n'avait aucune raison d'en douter.