Chapitre V : La Castellano se fait la belle

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« On traîne Leroux ! On a du pain sur la planche ! Accélère mon vieux ! Accélère !

– Je croyais que vous n’aimiez pas la vitesse ?

– Parfois, tu es d’un esprit contrariant, il va falloir te calmer si tu veux réussir dans la police ! Je te dis : fonce... tu...

– Fonces ! rétorqua l’inspecteur. J’accélère patron mais cela ne sert à rien d’arriver au 36 avant les autres ! De toute manière la « guimbarde », elle trépasse au dessus de 35 kilomètres heure. »

Le commissaire fit un geste de la main et soupira. Il est vrai que les deux flics avaient hâte de ramener leur gibier à la grande maison et de les « travailler ».

« Tu y crois à ce Belzébuth ? interrogea Simon.

– Pourquoi pas... Vous doutez des dires de Marie ?

– De Marie... de Marie... Ne nous emballons pas ! Nous n’avons qu’un son de cloche, celui de Delaseine. Ce Belzebuth, personne n’en a entendu parler et comme par hasard, il est invisible lorsqu’on vient cueillir les oiseaux au nid !

– Bah ! Ces gentlemen nous raconteront leur version et ainsi nous serons fixés. En tout cas, je m’arrête car le « panier à salade » est très loin derrière nous et dans un panache de fumée ! Il vaut mieux les attendre ! »

Le commissaire fit à nouveau un geste désabusé de la main.

« Tu vois, mon petit Leroux, quand j’arrive sur les quais et que j’aperçois ce merveilleux bâtiment... que dis-je... ce monument, je suis fier et heureux : fier d’être policier et heureux d'appartenir au 36 quai des Orfèvres !

– Moi, du moment que je puisse faire mon travail ! Je préfère être sur le terrain ! Ici ou ailleurs, ce n’est qu’un bureau !

– Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre ! On voit bien que tu es arrivé dans la police par hasard ! Aucun respect ! Ce monument est éternel ! Dans un siècle, dans mille ans, le 36 sera encore le 36 !

– Nous ne pourrons pas toujours rester là, au rythme des progrès, du modernisme de la police, un jour il faudra bien déménager pour avoir de l’espace ! »

Le commissaire Simon devint tout pâle puis vira au rouge :

« Déménager ? Et pourquoi pas aux Batignolles pendant qu’on y est ? Mon pauvre ami ! Avec toi, je finirai avec un ulcère ! »

L’inspecteur Leroux était guilleret : une fois de plus, il avait réussi à taquiner son supérieur.

Simon était un flic « pur de chez pur ». Il était devenu policier comme on entre en religion : il avait la foi ! Ces premiers pas dans la grande maison, il les avaient fait à la fameuse « brigade du tigre » créée par Clémenceau. Il avait été sous les ordres du commissaire Jules Sébille, qui venait, dernièrement, de prendre une retraite bien méritée. Simon, c’était un sacré bonhomme ! Petit mais trapu, – c’était plus commode pour les filatures ! – il était un champion à la « canne » et se débrouillait honorablement à la « savate » ! Bref un flic de choc !

« C’est quoi ce boxon ? interrogea Maxence, intrigué.

– C’est la révolution ! » s’exclaffa le commissaire.

Le quai, devant le 36, était noir de monde. Une foule de badauds s’agglutinait. Que voulaient-ils ? Qu’attendaient-ils ? A la vue du panier à salade et de la « Panhard U2» 30 chevaux des policiers, un brouhaha émana de la foule. Nul doute, c’était l’arrivée des assassins de la dame en vert qui était attendue ! Impressionnant comme le « tambour de la brousse » fonctionne vite !

« Encore un imbécile qui a lâché le morceau ! s’exclama Simon ; on ne peut se fier à personne décidément ! »

Alors qu’ils extrayaient les deux criminels du fourgon, une femme réussit à se glisser au premier rang : une dame tout de noir vêtue, le visage caché sous une voilette. On aurait dit une veuve ou une héroïne sortie tout droit d’un roman de Gaston Leroux.

« Regardez cette femme en noir, commissaire, ne serait-ce pas cette dame de Castellano dont parlait Delaseine ? Si c'est elle, je pense qu'elle devrait avoir beaucoup de choses à nous raconter...

– Allez-y mon petit Leroux ! Ne soyez pas timide ! Invitez-la à venir discuter avec nous ! » L'inspecteur avait à peine fait un pas vers elle que la supposée dame de Castellano interpella les deux escarpes :

« L'Aristo... l'Elégant... s'exclama-t-elle en soulevant sa voilette ; ah ! Belzebuth... tant pis fit-elle d’une voix plus basse, comme si elle était déçue. Il faut tout de même que vous voyez le visage de celle qui vous a balancés ! »

Quelle ne fut pas la stupeur du commissaire Simon et de Leroux en apercevant le visage de la femme en noir ! La voilette dissimulait une face ravagée par d'affreuses cicatrices... Aucun doute pour les policiers :

« Castellano... Marie... c’est elle ! s'écria Leroux. Arrêtez la ! »

Deux policiers s'empressèrent vers Marie qui ne bougeait pas. Elle restait impassible à regarder les visages haineux de ses complices. Elle aurait pu tenter de fuir mais non, elle ne bougeait pas et se laissa mettre le cabriolet aux poignets.

« Vous avez voulu me doubler ! lança-t-elle, mais sachez qu'on ne m'a pas comme ça ! Je me venge toujours !

-- Tu es folle ! coléra l'Elégant. Ça t'avance à quoi ? Maintenant, toi aussi tu es épinglée ! Tu iras à la butte avec nous, c'est tout ce que tu aura gagné ! Quelle vengeance ! »

L’Aristo ne disait rien mais son regard parlait pour lui.

Marie partit d'un fou rire ou plutôt d'un rire fou :

« Ne crois pas ça, mon Tit Paul ! Ne crois pas ça ! »

Soudainement elle fut prise de convulsions. A la grande stupeur des badauds, Marie s'écroula dans les bras du policier qui la tenait enchaînée.

Quel beau spectacle, avaient-ils là : Une vraie tragédie hugolienne. Pour un peu, certains auraient applaudi bien qu'ils ne comprenaient pas vraiment ce qui était en train de se dérouler sous leurs yeux.

Leroux se précipita sur l'infortunée dame en noir, pendant qu'on poussait, à l'intérieur du 36, les deux criminels qui commençaient sérieusement à s'énerver et à gesticuler comme pour échapper à leurs gardiens.

La Castellano, alias Marie, ne bougeait plus ; elle ne respirait plus. Elle était passée de vie à trépas. Quelle vengeance ! Ses associés seraient guillotinés mais elle qui n'avait pas été meilleure qu'eux ne le serait pas. Elle avait choisi de mourir avec panache.

« Pourquoi ? A quoi cette dénonciation rime-t-elle ? pensa Leroux. Pourquoi ce suicide – car c'est sûrement un suicide, on assassine rarement au cyanure –, puisqu'ils avaient réussi à piquer les richesses de la mère Le Braz ? Un problème au partage ? Non ! Il n'y avait pas que ça...

C'est à n'y rien comprendre. »

-oOo-

« Cyanure ! Empoisonnement classique... une capsule entre les dents... on croque et c'est plus redoutable que la pomme de Blanche Neige ! Bien que la pomme n'était pas empoisonnée... Mais revenons à nos moutons ! Aucun doute... ça sent l’amande... cyanure !

– Merci docteur, répondit Leroux, et les brûlures ? sa chevelure s'est enflammée lors d'un punch et...

– Vos sources sont erronées, cher inspecteur. Cette femme a joué à Jeanne d'Arc ! Des brûlures, il y en a sur tout le corps ! Cette femme a sûrement réchappé à un incendie et cela par miracle !

– Intéressant ! Vous êtes vraiment très précieux, docteur ! Et vous auriez une époque quant à cet accident ?

– Je dirais environ six mois... »

Cette affaire si simple en apparence continuait à s'assombrir aux yeux de l'inspecteur Leroux. Pourtant les assassins étaient sous les verrous ; quelques interrogatoires et l'affaire irait devant les juges.

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