Chapitre VI : Les silences de l'Aristo

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Une vraie stature d'aristocrate, cet Aristo ! Bien que dans la bagarre, il ait perdu de son flamboyant, les yeux pochés, les arcades éclatés et la chemise en loque, il restait grand seigneur. Assis bien droit sur la chaise, le regard au-delà de la fenêtre, il semblait méditer : un Châteaubriand fixant l'horizon et essayant peut-être d'apercevoir encore plus loin : la liberté... Mais bien moins romantique que l'écrivain !

« Etrange personnage que nous avons devant nous, mon petit Leroux ! »

Le commissaire Simon tapotait sur un dossier assez épais en regardant l'Aristo.

« Votre nom est bien du Puisaye de la Morinière et vos prénoms : Jean, Hyacinthe, Marie ?

– Oui.

– Vous êtes né le 29 mai 1890 à Montfort-sur-Meu en Ille-et-Vilaine ?

– Oui. »

Le commissaire, un sourire aux lèvres, se tourna vers l'inspecteur Leroux :

« Ce sont les seules paroles que nous obtiendrons de M. le marquis !

– Quoi ! C'est un vrai aristocrate ?

– Monsieur le marquis du Puisaye de la Morinière, rejeton d'une honorable famille bretonne dont le père était général et l'un des oncles évêque ! Cela a l'air de vous étonner, mon petit !

– J'avoue que ça m'épate !

– Vous avouez, Leroux ? Eh bien ! Ce seront les seuls aveux que nous aurons pendant cet interrogatoire ! Et puis des nobles qui tombent dans la cour des miracles, il y en a d'autres : rappelez-vous : il y a le baron Gaétan, acoquiné avec les Marseillais Carbone et Spirito ! Les canailles sont dans toutes les classes !

– Vous avez raison, commissaire, il n'y a qu'à voir les hommes politiques et les banquiers !

– Leroux, vous êtes un anarchiste ! Vous êtes pire que Bonnot ! »

L'Aristo regardait toujours le ciel à travers la fenêtre.

« Bien ! On va tout de même établir certains faits, M. du Puisaye. Vous avez été dénoncé par Mme Emma Castellano. Connaissez-vous madame Emma Castellano ?

– …

– Connaissez-vous Marie ?

– …

– Madame Castellano, alias Marie, qui s'est suicidée à votre entrée au 36 et qui semblait vous connaître, vous a accusé du meurtre de madame veuve Le Braz... Connaissiez-vous madame veuve Le Braz ?

– ...

– Un vrai taiseux ! Pire qu'un paysan de chez moi ! s'exclama l'inspecteur Leroux.

– Je vous avais prévenu ! M. le marquis ne s'abaisse pas à converser avec le bas peuple ! Il a un très bon avocat pour cela ! Celui-ci parlera et répondra à sa place ! C'est ainsi que M. le marquis est devenu le roi des non-lieux et des acquittements, pourtant la liste des affaires dans lesquelles il a trempé est longue : faux et usage de faux, traites de cavalerie, jeux clandestins, arnaques, trafics en tout genre, etc.

– Qui est donc cet avocat expert ?

– Me Perrot des Monots.

– Quoi ! Pierrot des moineaux ! Un sacré baveux ! malin et roublard !

– Inspecteur ! Je vous rappelle à l'ordre ! Nous sommes en bonne compagnie, de plus c'est un client assidu de Me Perrot des Monots ! »

Simon prit son paquet de Maryland et en proposa une à l'Aristo.

« Cigarette, M. le marquis ?

– ...

– Excusez-moi, j'oubliais uniquement du tabac turc ! Mon petit Leroux, allez voir Germaine et demandez-lui discrètement une ou deux Abdulla.

– Qui ? La Grande Germaine ?

– Mais non Germaine, la standardiste !

– Elle fume ?

– Si vous vous serviez de vos yeux, vous le sauriez ! Amateur ! »

L'inspecteur sortit du bureau à la conquête des fameuses cigarettes turques.

« Reprenons : Le confesseur de madame Le Braz, le père Gervais vous a reconnu. Le père Gervais... vous le connaissez !

– ...

– C'est également votre confesseur ! Quelle coïncidence ! Vous croyez aux coïncidences ?

– ...

– Personnellement, je m'en méfie. »

L'inspecteur Leroux était de retour avec deux Abdulla qu'il déposa sur le bureau.

« Sacrée Germaine ! »

Simon en tendit une au marquis qui l'accepta toujours sans rien dire, pas même un merci. Leroux craqua une allumette puis se roula délicatement une cigarette.

« Toujours du gris ! s'exclama le commissaire. Bien on va s'arrêter là et ménager notre client qui ne nous dira rien de toute manière ! Un vrai taiseux comme vous dites !

– Il me fait penser à ce gâ qui vient d'être arrêté pour le meurtre d'un politique ! A part qu'ils ne sont pas de la même classe, ils ne sont pas plus bavards l'un que l'autre !

– Vous parler de Guennec ? Encore un Breton ! Je vais finir par croire que votre Bretagne est un repère de criminels ! Tous des chouans ! D'ailleurs notre propre affaire est plus que bretonne !

– Ah ?

– Bien sûr ! Une femme des Côtes du Nord est assassinée par un marquis d'Ille-et-Vilaine qui se fait arrêter par un policier du Finistère !

– Exact commissaire ! Il ne manque plus que le Morbihan et la Loire-Atlantique et toute la Bretagne est impliquée !

– La Loire-Atlantique en Bretagne ? Vous êtes sûr, Leroux ? Ce n'est pas plutôt en Vendée ?

– En Bretagne ! Je suis catégorique ! Nantes est même la capitale historique !

– Mouais... j'ai pourtant souvenance d'avoir, lors d'une enquête à Nantes, traversé le « quartier des Bretons » ; c'est ainsi que les Nantais nomment le quartier Saint-Anne avec dédain... Ils n'aiment pas les Bretons à Nantes, mon pauvre Leroux !

– Je reste catégorique : la Loire-Atlantique est bretonne !

– Et qu'en pensez-vous, M. le marquis ?

– ...

– Même là, il ne répondra pas ! Ah ces Bretons ! Tous des Chouans ! » soupira Simon.

Leroux eut un petit sourire ironique : Vous avez dit chouans... Il se retint de clamer que quelques-uns de ses ancêtres étaient restés dans la baie de Quiberon en combattant la République !

« Quant à Guennec, c'est foutu pour lui ! reprit Leroux C'est Bonny qui l'a serré... et quand on est dans les griffes de Bonny... Je n'aime pas ce genre de policier mi-voyou mi-escroc.

– Bonny se ramasserait en beauté avec M. l'Aristo ! quelles que soient ses méthodes ! »

L'Aristo écrasa le mégot de son Abdulla dans le cendrier publicitaire pour les cigarettes Laurens, cendrier récupéré je ne sais où, mais dont le Sphynx qui en ornait le fond avait sûrement dû plaire au commissaire.

« Barbier ! Barbier ! Ramenez M. le marquis dans ses appartements !

– On l'a notre Nantais ! Pierrot des Moineaux ! s'écria tout guilleret l'inspecteur.

– C'est vrai que Me Perrot des Monots est natif du quai de la Fosse ! Il y possède même encore un hôtel particulier et des intérêts commerciaux dans je ne sais quoi. Mais redevenons sérieux, ce crime est un crime purement parisien !

Le brigadier Barbier remit les menottes à l'Aristo et les deux hommes sortirent du bureau.

– Maintenant, au tour de l'Elégant ! s'écria le commissaire en frappant dans ses mains. L'Aristo était l'amuse-gueule, l'Elégant sera notre plat de résistance !

Les deux policiers espéraient bien que l'Elégant serait aussi bavard qu'une pie et moins avare de révélations que l'Aristo qui n'avait répondu que deux fois : oui... seuls mots qui sortiraient de sa bouche.

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