Chapitre VII : Les discours de l'Elégant

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« Alors Tit-Paul... raconte-nous un peu tout ça... »

Tit-Paul, alias l'Elégant, était assis en face du bureau de l'inspecteur Leroux, avachi et larmoyant ; d'Elégant, il n'en portait plus que le surnom ; il faut dire que depuis son arrestation plutôt mouvementé de la veille, il n'avait guère pu se rafraîchir la toilette !

« C'est pas moi ! J'ai rien fait... c'est pas moi qui a tué la vieille...

– C'est vrai que d'habitude, tu es plutôt abonné aux coups foireux avec tes potes ! Si mes souvenirs sont bons, la dernière fois qu'on t'a chopé c'était pour l'attaque d'un hôpital ! Et s'adressant à Leroux : – Ces ânes voulaient libérer l'un des leurs qu'on avait arrêté, dans un piteux état... une jambe cassée ! Mais vu qu'il n'avait pas encore été plâtré, le gonze hurlait à la mort lorsqu'ils ont voulu le transporter ! »

Simon était mort de rire à raconter cet épisode, ce qui était plutôt rare chez lui. Il reprit un visage de circonstance, c'est-à-dire sérieux :

« Qu'est-ce que tu fabriquais avec l'Aristo, dans cette boite ? questionna-t-il.

– Je vous jure... c'est pas moi qui a tué la vieille... j'étais pas dans l'appartement. J'ai joué seulement le rôle du commissionnaire. J'ai apporté la caisse jusqu'à l'appartement avec le Polack.

– Bingo ! Je savais bien que le Polack y était pour quelque chose ! Une caisse comme celle-là, il n'y a pas beaucoup d'artisans, sur la place de Paris, capables ! s'exclama Leroux en frappant des mains.

– Tu veux donc nous faire croire que tu as simplement été payé pour jouer le commissionnaire...

– Tout juste monsieur le commissaire... quelques billets pour livrer la caisse, avec le Polack, et faire croire qu'on avait oublié la clé... Je vous jure que je suis innocent pour tout le reste ! »

Le triste Elégant tremblait comme une feuille sur la chaise et cela amusait les deux policiers : il mentait mal ; il devait sûrement avoir énormément de choses à raconter. Il allait baver pour deux... voire pour trois !

Le commissaire Simon fixait le voyou sans rien dire. Un lourd silence envahissait le bureau pendant quelques secondes qui paraissaient une éternité.

Leroux soupira :

« Tu sais, Tit Paul... Je ne suis pas comme le commissaire. Je veux bien te croire : Tu es contacté par le Polack... tu livres la caisse et on te file quelques billets... et c'est tout !

– Oui ! C'est ça... je n'arrête pas de vous le dire ! Vous me connaissez, commissaire...

– Oh ! Que trop... que trop ! s'exclama le commissaire, le sourire aux lèvres.

– Vous savez bien que je ne suis pas un tueur de vieilles dames. Je bricole par-ci par-là pour vivre mais je ne suis pas un assassin !

– Alors, si ce n'est pas toi, qui était dans la caisse avec l'Aristo ? Qui a tué la veuve Le Braz ? interrogea l'inspecteur qui se tenait derrière lui.

– Mais c'est Belzébuth ! C'est lui ! C'est lui qui a tout manigancé avec l'Aristo et Marie ! pleurnichait l'Elégant tout en reniflant.

– Arrête de tout faire remonter au grenier, c'est sale ! Tu n'est plus un gosse... quoique... je me le demande ! fit Simon. Qu'est-ce que tu en penses Leroux ?

– Un sale gosse oui ! Un sale gosse pris en faute ! Et qui croit à Dieu et diable ! C'est quoi encore cette histoire de démon que tu nous racontes ?

– La vérité ! Je suis innocent !

– Comme je te l'ai déjà dit, mon Tit Paul, je veux bien te croire mais voilà... tu mens !

– Moi ?

– Tu vois quelqu'un d'autre ? » s'exclaffa le commissaire.

L'Elégant ne sut que répondre. Il transpirait.

« Si j'ai bien compris, continua Leroux, tu vivotes bien tranquillement et là un menuisier de ta connaissance, Paul Jaruleski alias le Polack, te siffle et te propose quelques billets pour l'aider à livrer une bonne grosse caisse... Tu le connais le Polack ?

– Oui.

– Et l'Aristo ? Tu veux nous faire croire que tu ne le connais pas ? Idem pour Marie et... comment tu dis...

Belzébuth ! Je les connais à peine... Je les ai parfois rencontrés dans des bistrots, c'est tout. On rencontre plein de monde dans les bistrots.

– Surtout ceux que tu fréquentes ! Et tu passes quelques jours à la campagne avec un gonze que tu connais à peine ! Tu mens mal. »

Plus il s'enfonçait dans le mensonge, plus il transpirait et s'agitait sur la chaise.

« Personnellement, voilà comment je vois les choses, fit d'une voix sèche, le commissaire. Tu as cogité l'affaire avec l'Aristo et Marie ; tu étais dans la boite avec l'Aristo et tu as massacré cette pauvre vieille femme à moitié aveugle.

– Non ! C'est pas moi ! C'est Belzébuth !

Belzébuth ! Belzébuth ! Tu n'as que ce nom à la bouche ! Il est où ? Comment s'appelle-t-il ? tempesta le commissaire Simon. Il n'était pas là quand on vous a alpagués... Il n'y a que toi qui en parle même l'Aristo n'en parle pas !

– Je pense aussi que c'est toi, Belzébuth. Pas vrai Patron ! Sous ses airs de pauvre pégriot minable se cache le cerveau de cet odieux crime. Je ne donne pas cher de sa tête !

– D'accord... lâcha mort de trouille Tit Paul. Je connais l'Aristo... Marie aussi... mais ce n'est pas moi Belzébuth...

– Voilà ! Tu commences à nous intéresser ! On te préfère quand tu ne mens pas. Maintenant raconte ton histoire continua le commissaire. On va même t'aider. »

L'inspecteur Leroux, toujours posté derrière l'Elégant :

« Tu as eu un invité chez toi, depuis au moins un mois... c'est ce que nous a raconté ta bignolle... C'est toujours bavarde une concierge... mais la tienne, je crois qu'on peut la couronner reine des pipelettes !

– J'ai hébergé Belzébuth et l'Aristo qui cherchaient à se planquer

– Encore Belzébuth ! Non ! se fâcha Simon. Selon ta concierge, tu n'avais qu'un invité !

– La bignolle ! La bignolle ! Elle n'a vu qu'un homme parce que Belzébuth ne sortait presque jamais ! Et quand il sortait, il savait être discret, invisible ! Il prenait les vêtements de l'Aristo. C'est aussi simple que ça !

– Simple... simple... peut-être pour toi, fit Leroux. Mais pourquoi l'Aristo cherchait-il à se planquer ? Et comment a-t-il eu l'idée de se cacher chez toi ?

– Je... J'en sais rien, moi ! bredouilla Tit Paul.

– Ben, nous non plus ! répondit le commissaire en souriant. Vous ne semblez pas du même monde... Alors pourquoi toi ?

– On s'est rencontré par hasard...

– Le hasard, coupa Leroux, c'est beau le hasard ! Raconte-nous ce coup du hasard !

– Je me promenais tranquillement, il y a un mois, vers la Huchette quand deux bourgeois m'interpellent...

– Et tu ne les connaissais pas ? interrompit le commissaire.

– Bien sûr que non... Du moins seulement croisés dans des rades comme je vous l'ai déjà dit...

– Alors deux types « presque » inconnus t'accostent et te demandent de les planquer ! Tu te fous de qui l'Elégant ? s'énerva le commissaire. Je pense que tu connais très bien l'Aristo, même si vous n'êtes pas de la même catégorie ; il existe suffisamment de lieux malfamés où vous pouvez vous côtoyer et monter vos coups tordus. Quant à ton Belzébuth, je crois que s'il existe... c'est toi !

– Hé ! Non ! Ça va pas ? Belzébuth existe mais ce n'est pas moi ! Je vous le jure !

– Ce n'est pas ce que nous a raconté l'Aristo, fit Simon. Il a été très bavard...

– L'Aristo ? bavard ? Ça m'étonne beaucoup ! Il ne raconte jamais rien !

– Mon Tit Paul, comment sais-tu que l'Aristo n'est pas un causeur si tu ne le connais qu'à peine ?

– Ben... Euh...

– Sacré filou ! » s'exclaffa le commissaire.

On tambourina à la porte ; l'Elégant était sauvé par le gong !

Leroux se dirigea vers la porte.

« Qu'est-ce que c'est ? »

C'était le brigadier Barbier :

« Le dénommé Delaseine aimerait savoir s'il peut quitter les lieux car il a des rendez-vous importants. »

L'inspecteur se retourna vers le commissaire et exécuta un haussement de tête interrogatif qui semblait vouloir dire : on se le garde encore un peu ?

« Barbier, cria Simon, monsieur Lautrec a besoin d'un peu de repos afin de méditer sur ses prochaines réponses ! Ramenez le dans ses quartiers et invitez Ernesto Delaseine à venir faire un brin de causette avec nous ! Faut qu'on le remercie !

– Tit Paul ! Tu es breton ? interrogea l'inspecteur.

– Non je suis de Toulouse... pourquoi ?

– Paul Lautrec de Toulouse... évidemment... Toulouse... Lautrec... ça ne s'invente pas ! » s'exclaffa le commissaire.

– Tant pis ! » fit Leroux.

Cest un Elégant complètement livide et qui faisait pitié à voir que le brigadier extraya du bureau.

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