Chapitre IV : Arrestation sylvestre

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Le tuyau était mince mais les deux flics savaient pertinemment que ledit Delaseine n’était pas homme à rapporter des bobards car la tenue de bure et les espadrilles n’étaient absolument pas son style vestimentaire ! Ils partirent à « fond la caisse » en direction de la forêt de Sénart qui était assez éloignée de Paris, plus d’une vingtaine de kilomètres.

« Pas si vite, Leroux ! A cette vitesse nous allons nous tuer !

– Allons, commissaire ! Il faut savoir vivre dangereusement... une petite pointe à 50 km/h, c’est grisant !

– Oui, mais si on doit mourir, plus tard sera le mieux et après avoir appréhendé ces trois escarpes ! J’espère que nous serons assez avec les quatre hommes qui essaient de nous suivre avec leur vieille guimbarde. J’ai beau pleurer auprès du directeur pour avoir de nouveaux véhicules ; peine perdue, ça ne sert à rien !

– Pas de problème, la gendarmerie a été prévenue et surveille l’endroit. »

Le commissaire semblait soucieux. Il se souvenait de quelques arrestations musclées lorsqu’il était encore inspecteur et qu’il coursait les « bandits tragiques » : la fameuse bande à Bonnot ! Personne ne faisait dans la dentelle ! Imaginez...

« Cessez de vous inquiéter, commissaire ! Ce ne sont pas des anarchistes que nous allons appréhender !

– Ce n’est peut-être guère mieux !

– Oui ce sont toujours des criminels, mais de ceux-là, on a l’habitude ! On sait comment ils fonctionnent !

– Bon raisonnement ! »

Simon se prit à sourire : il se remémorait la fameuse « bataille » qui les avait opposés aux complices de Bonnot et Caillemin, à Nogent ! Pour une bataille, ce fut une sacrée bataille ! La villa où se planquaient les deux anarchistes – oui ! Ils n’étaient que deux : Garnier et Vallet – fut entièrement encerclée par un bataillon de zouaves, des gendarmes et des policiers !

« C’est vrai que vous avez participé à la neutralisation de Garnier et Vallet autrefois ! On raconte que ce fut un vrai champ de bataille ! Il ne restait plus rien de la baraque ! »

L’inspecteur semblait ironique...

« D’accord, on n’a peut-être un peu exagéré ! Mais il faut dire que l’on avait à l’esprit la mort du commissaire Jouin et du siège du pavillon où Bonnot s’était réfugié...

– Un peu exagéré ? Des bombes, de la dynamite, des mitrailleuses, des chiens policiers !

– Oui mais on les a eus ! Et puis je n’y suis pour rien dans cette débauche, je n’étais qu’un simple inspecteur !

– Vous les avez eus... mais morts ! »

Le commissaire comprenait que son subordonné se foutait de lui.

« Qu’est-ce qu’il pouvait être agaçant ce godelureau ! » se dit Simon.

La voiture avait pénétré dans la forêt et ils n’étaient plus très loin du refuge de Belzébuth, l’Aristo et l’Elégant. Dieu merci ! C’était un jour de semaine et L'Hermitage, la bâtisse où s’étaient planqués les trois escarpes était un endroit des plus calmes qu'on puisse trouver dans le coin... à part quelques amoureux, pratiquement personne ! Cela aurait été un dimanche ou un jour férié, il y aurait eu panique... le repaire des assassins était mitoyen avec un restaurant – une ancienne chapelle – spécialisé dans les mariages, les baptêmes et les communions.

Belzébuth et ses complices n'hésiteraient sûrement pas à faire le coup de feu et dans ce cas-là, les balles perdues ne le seraient pas pour tout le monde. Donc la quiétude des lieux en ce milieu de semaine était vraiment propice.

Pour contrecarrer le bénéfice du calme environnant, l'accès à la propriété étant mal-aisée car enclos et possédant un étage et les trois compères pouvant se trouver n'importe où, le commissaire Simon et l'inspecteur Leroux savaient que l'effet de surprise était leur seul et meilleur atout. Les gendarmes étaient déjà à pied d’œuvre.

Un brigadier s’approcha discrètement des policiers pour faire son rapport ; il fit un salut réglementaire.

« Brigadier Archédut, vos gus n’ont l’air de n’être que deux. Un que nous connaissons pour l’avoir déjà coffré : un certain Paul Lautrec...

L’Elégant, opina Leroux. Et l’autre ?

– Inconnu au bataillon ! Une sorte de dandy, la quarantaine...

Belzébuth ou l’Aristo, coupa le commissaire, pensif. Le problème est qu’on ignore tout de ce fameux diable ! L’Aristo est connu de nos services même s’il a toujours échappé à la justice... Leroux, as-tu apporté avec toi les photos ? »

L’inspecteur sortit de sa poche de veste deux photos et les donna au pandore.

« Ce sont nos deux gars ! Pas d’erreur ! »

Simon était inquiet. Mais où était leur chef ? On ne pouvait pas attendre que ce dernier apparaisse ; les gendarmes surveillaient le lieu depuis déjà quelques temps et seuls l’Aristo et l’Elégant étaient visibles. Aucun autre énergumène dans les parages. Il fallait se décider à investir la place en espérant qu’ils n’étaient que deux.

Par bonheur les deux malfrats étaient en bras de chemise et disputaient tranquillement une partie de boules comme de paisibles ouvriers, un dimanche après-midi !

« On y va ! ordonna Simon au brigadier et l’inspecteur Leroux. »

Une trentaine de policiers et de gendarmes envahit le jardin, le revolver au poing.

L'assaut ne fut pas long : l’Aristo et son complice n'eurent pas le temps d'attraper leurs revolvers qu'ils avaient négligemment laissés sur la table à proximité de leurs verres d'anis... Ils pensaient être tranquillement cachés, loin des recherches policières. Aussi il ne suffit que de quelques coups de poings, envoyés de part et d'autres, il faut bien l'avouer, car nos mauvais garçons étaient de coriaces pugilistes !

Au bout de quelques minutes, ils étaient, la chemise dépenaillée et la figure en sang, devant le commissaire Simon qui montrait un sourire d'auto-satisfaction : voici une affaire rondement menée !

Les policiers eurent du mal à faire rentrer, dans le panier à salade, les assassins de la dame en vert car ils se démenaient encore, les bougres ! Etait-ce d’avoir été dérangés pendant une partie de boules et sous un beau soleil qui les mettait en colère ?

La bicoque fut fouillée de fond en comble mais aucune trace de Belzebuth.

« Je me demande s’il existe vraiment ce lascar ? se dit Simon. Tout compte fait, nous n’avons que les dires de cet olibrius de Delaseine.

– C’est vrai que nous n’avons jamais entendu ce nom dans le mitan... Mais pourquoi Delaseine nous aurait-il raconté un bobard ?

– Moi je ne sais pas, mon petit Leroux, mais je suis sûr que ces deux messieurs vont être bavards et nous raconter plein de belles histoires ! Et puis faites la tournée des « petites oreilles », on doit jaser après ce crime ! »

Leroux était déçu : un beau crime mais une enquête qui n’en était pas une ! Il se sentait l’âme d’un chasseur qui aurait tiré sur un canard posé... ce n’était pas du boulot !

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