Chapitre 9

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L’orgueil est sûrement le péché le plus dangereux avec lequel il nous est donné de flirter. L’illusion du pouvoir nous envahit et nous pousse à nous détruire. Qui peut affirmer qu’il a conscience de ce dont il est véritablement capable ? Qu’il a la pleine mesure des risques lorsqu’il fait un choix ? N’était-ce pas de l’orgueil de croire que j'étais en mesure d’affronter plus de trois puissants mages ? La vanité était-elle en mon cœur comme dans celui de la plupart des personnes qui pensent se suffire à elles-mêmes ? Suffisait-il d’avoir une tactique logique pour que la victoire m’appartienne à coup sûr ?

J’avais besoin d’aide. Je commençais seulement à le comprendre. Je n'allais pouvoir me débarrasser de mes ennemis sans personne à mes côtés lors de l’affrontement final.

 

Jeudi matin. L’église, la veille, avait réparé les dommages physiques que j’avais subis lors de ma rencontre avec Shin, Gi, et Taï. La nuit paisible que j’avais passée m’avait donné l’occasion de reposer mon esprit et mon âme. Bien entendu, les questions qui tourbillonnaient en moi n’avaient pas disparu, et la fuite cuisante et douloureuse d’Adam restait toujours aussi vive. Néanmoins, j'étais plus sereine face à ce que j’entendais faire pour les frères asiatiques.

Même si je n'en étais pas certaine, je pensais que Gi n'oserait pas me tuer. Ses raisons m'échappaient encore, mais j'étais soulagée de savoir qu'il n’était pas vraiment une menace. La phrase mystérieuse de mon indicateur invisible ne pouvait concerner que ce garçon. N'oublie pas que, un jour ou l'autre, ce sont tes ennemis qui t'aideront à avancer.

Mon travail de journaliste ésotérique me donnait beaucoup d’avantages lorsque j'étais en déplacement. Je connaissais les spécificités magiques de la plupart des régions. Et Dieu sait qu’en Bretagne, la sorcellerie et les superstitions étaient profondément ancrées dans les traditions.

Il existait, entre autres manifestations bretonnes, de grandes fêtes nocturnes que célébraient les habitants des villages voisins de celui où je me trouvais. Les croyants, ainsi que les sceptiques, venaient du monde entier pour y participer, car ne comptaient que la bonne humeur et le lâcher-prise. D'immenses feux étaient alors allumés, des sortes de bûchers d’après ce que j’avais entendu dire, et tout le monde se regroupait en une multitude de cercles, de plus en plus étendus, autour des flammes afin de danser et chanter à la lueur des étoiles.

Ces célébrations peuplées de noctambules étaient ininterrompues pendant les deux semaines qui précédaient la Saint-Jean, et se pratiquaient dans des clairières perdues au milieu de la forêt. On racontait que c’était pour célébrer la nature et la vie, ainsi que le Soleil et le renouveau.

Lors de ces soirées, en plus de croiser des sceptiques adorateurs des folklores bretons et des jeunots en mal de sensations fortes, j'étais certaine de pouvoir trouver de vrais sorciers et sorcières. Ne songeais-je pas à obtenir de l’aide ?

 

***

 

 

J'étais assise tranquillement sur une balancelle bleue striée de blanc qui se trouvait sur l’aile ouest de l’hôtel. Il était bientôt midi. Devant moi s’étendait l’océan, à perte de vue, comme si la planète n'avait pas connu de limites.

Je me souvenais, jadis, lorsque j’étais partie en vacances avec ma cousine. Nous étions venues par ici en train, puis en stop. Deux filles de dix-huit ans, belles et insouciantes, sur les routes bretonnes, en quête de celticisme mystique. Nous avions marché pendant huit jours, rencontré quantité de personnes étonnantes et visité un nombre incalculable d’églises et de cathédrales.

Nous dormions dans les campings les moins chers possible, nous sous-alimentions volontiers et préférions ne pas entrer dans les magasins, plutôt que de ramener des souvenirs, afin d'avoir de quoi revenir en train. Combien de fois, cette semaine-là, nous étions-nous baignées dans l’eau glacée de l’océan ? Combien de fois avais-je crié, de peur qu’un crabe ne me pince le pied sur les récifs ? Et ma cousine éclatait de rire, les yeux moqueurs, un doigt pointé sur moi et la main posée sur le ventre.

Est-ce que la Bretagne m’avait conquise pendant cette semaine-là ? Sinon, était-ce plus jeune, lorsque je partais en stage là-bas, dans un château, et que je travaillais comme guide amateur pour des touristes qui n’y connaissaient rien ? Ou, tout simplement, lorsque j’y habitais avec mes parents, alors que je n’étais même pas en âge de parler ?

Les effluves fantômes que je sentais — et que je sens encore parfois — lorsque je m’endormais chaque soir, ces exhalaisons chargées du doux piquant salin des vagues, étaient-ils les relents de ma mémoire refoulée de nourrisson ?

Dans le ciel, aucun nuage. Seul le soleil troublait le bleu placide de la toile tendue au-dessus de ma tête. Il n’y avait aucun bruit, à part le savoureux fracas des rouleaux contre la falaise, et les rares mouettes qui osaient s’aventurer par ici. Je fermai les yeux, lentement, pour faire disparaître de ma vue ce reflet persistant, le sombre éclat du soleil brûlant.

Ulome était couché devant moi, vautré plus exactement, sur le dos entre des coussins bleus et noirs. Je ne connaissais pas la pièce, mais la personne dont je visitais les souvenirs savait où elle se trouvait. Nous avions traversé le labyrinthe, pour rejoindre Ulome dans son antre. Point de damnés ici, point de supplices, il n’y avait qu’un seul maudit et c’était lui. Il semblait fâché contre moi.

— Nous avons conclu un marché, insolente !

L’homme s’exprimait abruptement, des éclairs dans les yeux. Il était vêtu d’une sorte de robe noire, sa tête gonflée et ses courts cheveux hirsutes le faisaient ressembler à un horrible fou furieux. Ses joues étaient rouges malgré sa peau mate. On aurait pu le croire sur le point d'étouffer.

— Je n’ai que faire de tes marchés maintenant, Ulome. Je suis aussi puissante que n’importe lequel de tes sbires ! Ton enseignement va m'être utile. J’userai de ce savoir pour détruire Kami.

Un rire glacial sortit de ma bouche, comme s’il m’avait échappé. Je le ravalai aussitôt. Mon hôte regarda les draps suspendus au-dessus du mage courroucé, puis fit glisser son regard sur la multitude de tentures collées aux murs, en imaginant combien de temps il faudrait pour que tout cela s’enflamme.

— Tu sais bien que ce n’est pas le bon moyen pour arrêter le cycle des incarnations humaines ! Tu as déjà réussi à les faire s’entretuer dans les autres vies. C’est ridicule. Sois patiente, nous découvrirons comment vous en sortir !

— Peu m’importent tes promesses, mage raté ! Et je révélerai tout ce qu’il se passe dans ton antre. Je suis persuadée que tes petits apprentis seront enchantés d’apprendre quel monstre tu es !

— Ne fais pas ça. Tu ne peux me trahir ! Pas avec tout ce que j’ai…

Il se prit la tête dans les mains, en agitant sa graisse de spasmes paniqués.

— Je savais qu’avec un enseignement accéléré nous courions au désastre ! Qu’ai-je fait ?

Il releva son visage ruisselant de sueur et planta ses yeux dans les miens.

— Respecte au moins l’année qui vient de s’écouler, je t’en prie !

Il parlait maintenant d’une voix aigüe et désespérée, conscient qu’il était inutile de supplier. Il joignit les mains, comme une dernière sommation, l’ultime chance de revenir dans le droit chemin.

— Imbécile. Et tu te prétends un puissant voyant ?

— Tu es bannie, petite prétentieuse ! Disparais de ce lieu !

— Bannie ? Tu ne comprends donc pas Ulome ? C’est moi qui pars.

Des projections, bleues, assombries par la colère, jaillirent brusquement de mes mains, m’aveuglant pendant une fraction de seconde. Lorsque ma vision revint, Ulome était entouré d’une bulle de protection. Il leva les bras au ciel et hurla de rage.

— Sors d’ici, impie ! Jamais tu ne pourras revenir dans ce sanctuaire d’érudits ! Tu es bannie jusqu’à la fin des temps !

L’énorme sorcier se mit à luire fortement, d'une lumière rougeoyante et aveuglante, jusqu’à disparaître dans cette flamme terrifiante qui semblait naître de son corps. On aurait dit qu'il s'embrasait. Je fermai les yeux et levai les mains pour me protéger la figure lorsqu’une violente secousse m’arracha du sol. Je hurlai.

Le soleil brûlait mes rétines à travers mes paupières closes. J'en clignais à plusieurs reprises pour tenter, encore une fois, de chasser les persistances solaires. Une nouvelle vision et toujours pas de nom.

En tout cas, à présent, ça allait être beaucoup plus simple de savoir comment elle s’appelait, cette furie qui me persécutait. Il n’y avait eu que deux êtres à avoir quitté le Domaine Occulte. Officiellement, seuls Kami et une mystérieuse fille, que je n’avais pas rencontrée, avaient choisi de renier l’enseignement d’Ulome. Je savais que Kami et Ogora ne la connaissaient pas, car nous avions fréquemment évoqué le sujet ensemble. Ça s’était passé avant leur arrivée au Domaine.

En vérité, seuls Chrystel et Raven devaient partager le secret du sorcier. Mais accepteraient-ils, si je le leur demandais, de me donner ce renseignement qui était resté confidentiel depuis toujours ? Car c’était uniquement parce que Kami nous en avait parlé que nous étions au courant de sa rupture avec le Domaine. Sinon, mis à part Raven et Chrystel, tout le monde l'aurait ignoré jusqu'à la fin.

Pendant très longtemps, ils avaient d’ailleurs fait comme si rien ne s’était passé, avant de s’apercevoir que Kami avait parlé à tout le monde du conflit l’opposant à Ulome. En y réfléchissant, je me rendais compte que Raven et Chrystel resteraient sûrement loyaux à Ulome. Ils ne le trahiraient pas en me révélant l'identité de cette fille.

Il y avait, autour du Domaine, un exceptionnel amour du secret, une affection fantastique pour le non-dit et les mystères. Il m'arrivait parfois de me demander pourquoi. Bien entendu, je ne pouvais pas soupçonner Raven et Chrystel. Ils étaient, sinon inoffensifs, honnêtes et loyaux – malgré leur passion pour le mutisme. Ils étaient mes amis. Mais nous savions tous qu'Ulome cachait quelque chose.

Dans ma vision, il semblait que la fille avait tout découvert. On chuchotait, d'ailleurs, qu'à l'époque où Kami avait quitté le Domaine Occulte, un grand scandale avait éclaté à propos d'Ulome. Naturellement, celui-ci s'était empressé d'étouffer l'affaire, et plus personne n’en avait jamais reparlé. Des rares adhérents de cette époque, il ne restait plus que Raven et Chrystel. Les autres avaient été envoyés à l'étranger pour s'occuper des nouvelles succursales et, par conséquent, il n'y avait personne pour répondre à mes questions sur Ulome ou sur cette fille.

En revanche, j'étais prête à parier que Kami savait quelque chose à propos d'Ulome et qu'il nous avait quittés à cause de ce secret. Il nous avait dit, à Ogora et moi, que les idées portées par le Domaine ne lui convenaient pas ; que Raven, Chrystel, et surtout Ulome, avaient beaucoup changé depuis l’école. Mais ces divergences d'opinions qu’il proclamait m’avaient toujours semblé incohérentes par rapport à la haine viscérale qu’il nourrissait pour Ulome.

Et si Kami avait découvert la même chose que la fille de ma vision ? Auraient-ils quitté le Domaine pour la même raison ?

 

Je me balançais doucement lorsqu’Elizabeth se manifesta à ma droite.

— Bonjour ! Je peux m'asseoir à côté de vous ? lança-t-elle à mon attention.

Tout en lui faisant signe que oui, je la détaillais du regard. Une belle fille aux cheveux auburn. Un peu petite peut-être, je dirais un mètre soixante, et légèrement potelée, ce qui n’enlevait rien à son charme.

Ses grands yeux verts illuminaient son visage rond et deux fossettes se creusaient dans ses joues lorsqu’elle souriait. En fait, elle était un peu à mon opposé, moi qui étais filiforme, franchement rousse et qui avais les iris noisette. Elle était habillée d’une jolie robe bleue, un peu trop décolletée à mon goût, sur laquelle était attaché un tablier blanc.

— Je suis désolée de vous déranger, mais je voulais fumer une cigarette avant de servir le repas du midi. Je viens toujours ici quand je suis en pause. La vue est si belle, et puis la balancelle est confortable.

Elle joignit le geste à la parole et alluma une longue cigarette mentholée. La fumée me venait dans le visage, ce que je n'aimais pas tellement. Je n’appréciais pas vraiment l’odeur du tabac, et je trouvais qu'Elizabeth n'était pas le genre à fumer… Comme s'il y avait un genre.

— Oh, vous ne me dérangez pas du tout Elizabeth. Ça fait du bien d’avoir un peu de compagnie.

— Alors, vous plaisez-vous en Bretagne, Mademoiselle ?

— Pitié, appelez-moi Syrine ! Oui, j'aime cette région. J’y viens régulièrement depuis que je suis toute petite.

Elle tourna vivement la tête dans ma direction, rivant ses yeux envieux sur moi. On avait l’air de deux gamines en vacances se jalousant mutuellement.

— Ah oui ? Vous avez de la chance ! J’ai découvert ces splendides côtes lors de mes premières vacances sans mes parents, à l’âge de dix-sept ans.

— Mais vous n’êtes pas bretonne ?

C’était, cette fois-ci, à mon tour de la fixer d’un regard ahuri. J’aurais juré que cette fille était de la région.

— Non ! J’ai des origines irlandaises, et je travaille ici tous les étés, alors c’est vrai que je dégage une aura bretonne. C’est ma patrie de cœur.

— Et la mienne.

Nous restâmes assises sans rien ajouter, toutes les deux absorbées par l’azur lointain. Je repassais en mémoire tout mon séjour ici, jusqu’à me souvenir d’un détail évoqué par Elizabeth. Je me tournai vers elle, les yeux plissés, redoutant sa réponse.

— Elizabeth, mardi vous m’avez parlé de trois hommes et d’une femme qui sont arrivés dans la nuit.

— Oui, c’est exact. Pas si pénibles que je le pensais puisqu’ils ne prennent aucun repas ici et ne sortent de leurs chambres que tard dans la nuit. À croire que ce sont des vampires !

Elle éclata d’un rire cristallin, si innocent.

— Vous pouvez me les décrire s’il vous plaît ?

Il est vrai que ma voix n'aurait pas dû autant la presser, mais elle ne sembla pas remarquer l’angoisse qui me tiraillait. Elle me fixa de ses grands yeux candides, le sourire aux lèvres, et fit mine de réfléchir pendant quelques secondes.

— Oh, ils sont jeunes tous les quatre, il y en a un qui ne doit même pas être majeur. La femme et le deuxième homme doivent avoir nos âges environ, et le troisième quant à lui… Je ne sais pas, il est difficile de lui donner un âge, il semble malade comme si sa peau s’apprêtait à devenir transparente.

Sur ces mots, mon cœur se serra douloureusement.

— Les trois hommes sont asiatiques. Japonais, je pense. Ils font un peu mauvais genre, mais dans l’ensemble ils sont discrets. Mise à part la femme. Je crois que c’est une de ces gothiques, ou quelque chose comme ça. Vous savez, elle s’habille tout en noir, avec un maquillage affreux, des bijoux en métal à profusion… Comme si c’était encore de son âge. Comme si elle se rebellait encore contre ses parents. Non, croyez-moi, ces garçons ont l’air, malgré tout, plutôt sympathiques, mais elle… Il doit lui manquer quelques cases, si vous voyez ce que je veux dire !

Elle pouffa de rire une nouvelle fois, mettant sa petite main dodue devant sa bouche. Elizabeth m’apparaissait à la fois malicieuse et mégère. Je notais intérieurement les renseignements que ma nouvelle amie venait de me donner, pour y réfléchir au calme. Mais je savais, au fond de moi, que ces trois hommes étaient bien ceux de la plage. Je jetai de nouveau mon regard dans l’immensité bleue, songeant à notre prochaine rencontre. La dernière, je l’espérais.

— Oui, je vois exactement ce que vous voulez dire.

 

***

 

C'était le début de soirée. Je regardais par la fenêtre. La nuit n’était pas encore tombée. L'après-midi, j’avais commencé à rédiger mon nouvel article pour le journal ésotérique qui m’employait. J'en étais relativement satisfaite. Ce qui était rare, pour moi qui avais toujours été une irréductible perfectionniste. Un défaut d’après mon entourage. D’après moi aussi d’ailleurs. Mais que pouvais-je y faire ? Cela faisait partie de mon caractère.

J'avais aussi pu faire une petite sieste réparatrice, de trois heures. Oui, trois heures, car je dormais dès que j’étais contrariée, comme si je tentais de fuir dans le sommeil. Comme si je cherchais, dans cet univers onirique, une force nouvelle pour affronter le monde « éveillé ». Je savais bien qu'il était stupide de réagir de cette manière, qu'il fallait que je me confronte à la réalité.

Mais c'était plus fort que moi. Mon corps et mon cerveau se liguaient contre moi, mon inconscient provoquait à chaque fois un gigantesque coup d'État contre ma volonté et je ne pouvais pas réagir. Je n'avais pas le choix, je dormais dès qu'une chose ne me plaisait pas, ou que je ne réussissais pas à maîtriser une situation. Et avec ces fous furieux à mes trousses, je pouvais affirmer ma contrariété.

Malgré cet « interlude », de trois heures, j'avais eu le temps de préparer mes bagages. Pourquoi donc ? Je n'en savais rien à vrai dire, mais j'avais l'intention d'en finir le plus rapidement possible avec ces frères japonais et de ne pas rester ici par la suite. Peu importait ma prochaine destination, le principal serait de : soit fuir une scène de crime ésotérique, soit fuir des personnes qui voulaient ma peau. Cela dit, j'allai tout faire pour détruire ces imbéciles.

Je terminai ma séance d'habillage. Je m'étais enfin décidée pour une légère jupe blanche qui m'arrivait jusqu'aux mollets, et un long débardeur kaki rappelant un peu la texture du papier crépon. Mes cheveux étaient détachés, pour une fois, et formaient une cascade flamboyante sur mes épaules.

Je levai les bras, faisant tinter les quelques bracelets argentés qui ornaient mes poignets, et observai mon reflet dans le miroir. Quelle bêtise incorrigible ! Non, ce n’était pas de la bêtise, mais une terrible coquetterie. Ma passion pour les vêtements était peut-être le seul trait superficiel dans ma personnalité. Mais j’avoue que je l’entretenais à la perfection.

J'ouvris un petit coffret en bois de rose. Un cristal de roche, en forme pentagonale, reposait à l'intérieur de cet écrin, au milieu d'un mélange de sel et de terre. C'était Amulline. Je la pris respectueusement entre mes mains, la nettoyai, et l'embrassai. Je nouai mon talisman le plus précieux autour de mon cou. Ce n'était d'ailleurs pas un grigri quelconque, mais une gardienne puissante.

Si Amulline était à ce point supérieure, c'était parce que je l'avais considérée comme vivante dès que je l'avais aperçue. Comme si elle avait possédé une âme propre, une volonté distincte et un destin à elle. C'était inexplicable en fait. On ne pouvait pas parler de ma gardienne. Il fallait la connaître, ressentir sa présence, son pouvoir, sa grandeur. Je ne l’avais pas toujours sur moi à l'époque, car sa force me coupait du monde si je la portais trop. Elle avait un pouvoir écrasant, qui me happait et me protégeait du bon comme du mauvais.

Voilà, j'étais prête à célébrer la nature et à danser pour la lune et les étoiles.

 

***

 

Le soleil se couchait, dévoré par l'horizon au large des côtes bretonnes, et la lune, déjà haute dans le ciel, reprenait de droit son pouvoir sur nous, pauvres mortels. Au-dessus de la forêt, une ombre glaciale s'étendait langoureusement, un bleu sombre et mystérieux couvrait les arbres et les clairières. Il ne faisait pas encore nuit noire, mais on pouvait deviner quelques chimères sortir de leur retraite, leurs yeux brillants et inquiétants nous observant depuis un bosquet ou un entrelacs de lierres.

Je marchais à travers bois, d'un pas rapide, suivant le rythme de mon cœur, me laissant aller à une excitation née seulement de mon esprit. Oui, rien ne me motivait sinon mes fantasmes sur ces réunions païennes, car aucun bruit ne troublait la tranquillité de la soirée. Quelques insectes chantonnaient dans l'herbe fraîche, quelques bruissements de feuilles caressaient le silence et, parfois, le houlement du vent sur l'océan, proche de mon chemin, murmurait mon nom.

Il n'y avait pas, non, de quiétude naturelle aussi peu étouffante. Mes pas martelaient la terre humide. Je savourais la sérénité du moment, libérant enfin mon esprit en m'autorisant à ne penser à rien. Une chouette hulula quelque part en se réveillant. Je tendis l'oreille et l'entendis prendre son envol, majestueuse j'imaginais lorsqu'elle chassait souris et musaraignes. Je marchais encore, je courais presque à vrai dire. Mon rythme cardiaque était comme un tambour, rapide et lancinant. Il me pressait d'arriver, menaçait de m'entraîner dans une transe extatique sans avoir pu danser auparavant autour des flammes. Boum, boum, boum.

J'avais mal aux oreilles. Je m'élançai les yeux fermés, les mains en avant. Le sang bouillonnait dans mon crâne. Boum, boum, boum. Mon corps semblait s'alléger. Je sombrais dans un étrange mélange de douleur et de plaisir, me laissais complètement aller au son qui devenait obsédant, qui paraissait battre autant à l'extérieur de mon corps qu'à l'intérieur. Boum, boum, boum.

Tout s'arrêta.

Je gémis, je n'étais plus que la chose du son, quand soudain un chant s'éleva au-dessus du reste, transcendant les battements réguliers redevenus néanmoins plus lents, moins tortueux. J'étais agenouillée dans un talus d'herbe fraîche. Je relevai la tête. La stupeur me paralysa. Des dizaines de personnes dansaient et chantaient autour d'un feu gigantesque au milieu d'une clairière. Ma vision me brûla, brûlure que je commençais à connaître autant que le vertige dont je fus prise.

J'étais dans une chambre plongée dans la pénombre. La petite fenêtre en face de moi laissait passer quelques fins rayons de lune, me procurant tout juste assez de lumière pour que je puisse distinguer les contours des objets. Je baissai les yeux. Un rat était couché à mes pieds. Il était mort.

Mon cœur s'emballa quelque peu, sans pour autant me faire mal ou m'essouffler. Dehors, au milieu de la nuit, la branche d'un arbre grattait le mur de ma chambre. Je n'étais pas effrayée par l'ambiance macabre. Ce noir, ce bruit que produisait l'arbre. Non, c'était comme si j'avais eu l'habitude d'être là. Je devais vivre ici. Pourtant, ce rat m'intriguait.

Une bougie était posée à mes côtés, sur une table de chevet. Je l'allumai et m'en emparai. D'une flamme incertaine, j'éclairai la bête inerte. Sa gueule était restée ouverte, figée dans un spasme qui, j'imaginai, traduisait la peur. Qu'est-ce qui avait pu l'effrayer au point de la tuer sur place ?

Un bruit me surprit, plus loin, vers la fenêtre. Un grattement. Non, pas vraiment un grattement, mais plutôt un frottement. Entre les rideaux et la fenêtre, une ombre s'agita discrètement. Qui pouvait être là ? Il n'y avait rien dans cette chambre deux minutes avant, j'en étais certaine. Je ne bougeai pas. L'entité sortit d'elle-même. Je fixai la silhouette noire, dépourvue de détail, sans aucune couleur, et même presque sans aucune forme.

Ce manque de matière n'était pas lié à la pénombre ambiante, car la bougie éclairait assez pour faire apparaître ne serait-ce qu'un visage. Elle était haute, peut-être un mètre quatre-vingt, fine, et dégageait une aura pleine de grâce… mais aussi de menaces, sourdes et puissantes. Je la connaissais. Qui était-ce ? Une fois de plus, j'entendais ma voix articuler, sans que je puisse intervenir.

— Qui est là ?

J'attendis quelques instants et plissai les yeux.

— Salem, c'est toi. Je reconnais l'énergie que tu dégages. Qu'est-ce qu'il se passe ? Comment es-tu arrivé dans ma chambre ?

— Tu payeras toi aussi, me dit l'ombre dans un murmure glacé avant de disparaître.

Je me relevai péniblement. La vision, qui me rappelait fortement quelque chose sans que je réussisse à me remémorer quoi, m'apparaissait secondaire devant le spectacle qui s'offrait à moi. Nous étions dans une immense clairière où cinq bûchers avaient été allumés et autour desquels des groupes hétéroclites festoyaient.

Sur ma gauche, deux hommes et une femme étaient assis à même le sol et tapaient, avec une régularité et un rythme presque surnaturels, sur des tambours massifs. La lune jetait sur cette célébration un voile doux et lumineux, comme un remerciement béni pour ce témoignage d'affection et de respect. Les voix s'élevaient des danseurs dans un chant mélodieux, puis une vague de psalmodie féminine répondait aux vers de ces messieurs.

J'étais figée, mes jambes ne me répondaient plus. Je n'arrivais pas à détacher mes yeux de la beauté du spectacle. L'énergie qui se dégageait de ces danses et de ces mélodies, me traversait littéralement, m'empoignant comme une main invisible, m'enjoignant à venir danser et chanter. Ce n'était pas que je résistais, ou que je refusais, mais je captais autre chose que de l'énergie pure.

Je me fis violence une minute et fermai les yeux, pour me recueillir et comprendre ce que mon instinct me criait. Une autre vague de pouvoir me surprit, mais cette fois-ci elle était bien différente, moins homogène, plus humaine aussi. Puis des sentiments, des pensées, me parvinrent. Cette émanation était un mélange de magies dégagées par des sorciers et sorcières, ici, à proximité. Voilà ce que mes sens me disaient, tu n'es pas seule, tu trouveras ici ce que tu cherches.

Je remarquai que, sur toute la périphérie de la clairière, d'autres personnes observaient la cérémonie. Comme moi, ils semblaient transfigurés par l’envoûtement commun. Soudain, un homme s'élança vers l'un des feux et se mêla aux chants et aux danses. Ce fut le tour d'une femme. Puis une autre. À ces venues, des allées répondaient, et certains participants sortaient des cercles, épuisés par l'effort. Qui pouvait dire depuis combien de temps ils se laissaient aller à la transe ?

Brusquement, la première lame d'énergie ressentie revint à l'assaut, s'agrippant à moi, me menaçant de regrets si je ne me jetais pas à l'eau. Alors je me laissai complètement aller à ce courant magique. J'avais la sensation d'être enveloppée par le lit d'une rivière, puis de respirer un air mystique.

Des paroles s'insinuaient dans mon esprit, je murmurai d'abord quelques phrases puis m'entendis chanter plus fort. Je comprenais sans comprendre les paroles, ce devait être du breton, lorsque je fus happée vers le bûcher le plus proche. On déposa une couronne de fleurs sur ma tête.

Je me figeai d'abord devant ces flammes gigantesques, me remémorant ce que Kami m'avait raconté de ses visions de notre passé, lorsque nous fûmes brûlés vifs, morts hérétiques sur la place publique. Puis soudain, mes pensées s’enfuirent loin de moi, et mon corps fut entraîné dans la danse magique.

Ma jupe décrivait de grands cercles autour de moi, mes jambes bougeaient plus vite que je ne pouvais les voir. Je sautais et tournoyais, chantais à gorge déployée. J'avais la sensation d'être parcourue de spasmes de bien-être. Plus je me laissais aller, plus je me sentais légère. Je ressentais la magie m'envahir. Je percevais le battement de la Terre dans mon sang.

Je regardai le ciel, et les étoiles me parurent briller d'un feu immortel. J'ai besoin d'aide, sorcier ou sorcière, entends-moi. Toi qui as le courage et le goût de l'aventure, accepte de m'aider, d'affronter le danger, de risquer ta vie, je ne peux réussir sans toi. L'ivresse de la danse m'emportait loin de la cérémonie, loin de la Bretagne.

J'avais la sensation de voler à une allure folle, traversant l'univers aussi vite que la lumière. Rien ne m'était inaccessible, j'étais le cosmos, j'étais la création, j'étais le tout.

Des flashs crépitaient autour de moi, des images fugitives passaient devant mes yeux. Soudain, j'eus la sensation de manquer d'air, des voix me parlaient, me criaient des mots que je ne comprenais pas. Syrine, réagis, utilise l'énergie commune pour débloquer ta mémoire ! La puissance de la mise en commun peut te faire comprendre !

 

J'étais assise sur le muret en pierre, Kami était avec moi, comme dans ma première vision. Au loin, Salem approchait, Kami paraissait vraiment désemparé.

— Va lui parler, Kami !

— Mais pour lui dire quoi ?

— Je ne sais pas moi ! Essaie de savoir si c'est lui qui nous menace !

— Mais comment veux-tu que je fasse ?

— Oui, tu as raison, c'est bête. De toute façon, tu me crois, non, lorsque je te dis que c'est lui ?

J'avais la voix veloutée et chaleureuse de la manipulation.

— Oui, bien sûr, je te fais confiance, Malia.

 

Je me trouvais encore dans cette salle de danse, je la reconnaissais, avec ses barres d'appui et ses immenses glaces.

— Crois-moi Salem, il faut se méfier de Kami.

— Tu en es certaine ? Je ne suis pas convaincu, je ne sais pas vraiment ce que je dois faire. Je n'arrive pas à croire qu'il nous veuille du mal. 

Salem faisait pendre ses pieds sous le banc où il était assis, les balançant d'une manière nonchalante, un peu pitoyable. Il faisait peine à voir, les yeux rougis par les larmes.

Je saisis son menton et le forçai à me regarder.

— S'il y a une chose à faire, c'est le détruire avant qu'il nous détruise. Soit nous sortons du cycle sans lui, soit il en sort seul. Tu as eu la vision aussi bien que lui et moi. Nous allons nous affronter, et il faut qu'on le démolisse ! Il va falloir être forts.

— Alors, nous verrons en temps voulu.

— Non ! m'entendis-je crier.

Une fois de plus, mon hôtesse semblait avoir perdu son sang-froid. Elle se ressaisit instantanément et reprit de sa voix placide et sucrée à la fois.

— Il faut agir dès à présent, ne pas prendre de risque. Maintenant que nous savons que tu es capable de nous en débarrasser, il va tout faire pour trouver plus de force. N'attendons pas qu'il devienne plus puissant !

— Finalement, je crois que tu as raison, Malia.

 

Je revenais au jour où mon hôtesse avait rencontré Salem.

— Tu es Salem, je suppose ?

— Oui, c'est ça. Je suis nouveau, ici. Je viens d'arriver.

— D'accord. Tu es au lycée public ?

— Oui, en Première Littéraire.

— Bien. J'ai un ami à te présenter. Il est dans ton école. Ça te fera une connaissance.

— Excuse-moi, mais… qui es-tu ?

— Je m'appelle Malia.

 

Tout devint clair. À cet instant précis, la transe relâcha son emprise et j'eus la sensation de faire une chute depuis les étoiles. La terre sous mes pieds reprit sa consistance, sa réalité, sa dureté. Malia, Malia, Malia. Son nom résonnait en moi, des portes se déverrouillaient et le savoir se déversait dans mon esprit comme une cascade d'eau glacée.

J'ouvris les yeux, les flammes m'agressèrent. Je crus perdre l'équilibre, mais mon corps ressentait encore les effets de la cérémonie et pivota sur lui-même esquissant des sauts et des pas de danse.

 

***

 

Tout me paraissait évident maintenant. C'était donc Malia qui était derrière tout ça. Je n'étais pas vraiment étonnée. Je n’avais jamais apprécié cette fille. Kami l'avait rencontrée au collège, et ils étaient devenus rapidement très proches. Trop proches.

Quand nous étions au lycée, elle lui avait présenté Salem, puis les avait montés l'un contre l'autre pour qu'ils se détruisent. Finalement, elle n'avait pas pu et était sortie de la vie de tout le monde. Mais Kami s'interrogeait régulièrement sur ce qu'elle avait pu devenir après sa disparition. Maintenant, je le savais. Elle avait bénéficié du savoir du Domaine Occulte, avait découvert les secrets d'Ulome et s'était enfuie.

Et, à présent, elle tentait de réussir là où elle avait jadis échoué. Elle ferait tout pour détruire Kami et Salem, pour sortir du cycle des incarnations humaines.

 

J'étais assise en face des feux où dansaient les célébrants. Tout était semblable au moment où j'étais arrivée ici, les danses, les chants, même les flammes paraissaient ne pas avoir évolué. Il y avait toujours ces étranges allées et venues entre les cercles et la lisière de la clairière, les mêmes rythmes de tambours obsédants, entêtants comme seul cet instrument sait en produire.

Combien de temps avais-je dansé ? Je n'en avais pas la moindre idée, mais bien assez longtemps pour que la nuit soit entièrement tombée sur nous et que les feux, les étoiles et la lune, demeurent les uniques porteurs de lumière. Il n'y avait plus cette douce illumination du crépuscule qui se diffuse secrètement sur la nature, lorsque vient le soir, comme si le ciel déposait un baiser sur le front de ses enfants.

Plus de trace des tentatives du soleil pour atteindre l'éternité en laissant une empreinte discrète sur la nuit en témoignage de son existence. Non. Il n'y avait plus que l'obscurité, laissée par l'absence du jour, qui luttait à forces inégales contre des lueurs du ciel et de la terre, toujours moins imposantes que celles du soleil, toujours moins naturelles, inextricablement insuffisantes.

J'aimais la nuit, c'était un fait. Je l'aimais justement pour sa force tranquille, implacable. Elle était tellement différente du jour — j'entends la journée ensoleillée — qui luttait sans cesse contre nuages et pluies. La nuit, elle, surmontait tout sans difficulté. Évidemment, le jour ne pouvait qu'être, lorsque la nuit fuyait. Mais, le plus souvent, il n'était qu'à moitié, parfois grisonnant, parfois sombre ou couvert. Il était toujours teinté, contrasté, soumis aux aléas.

Je divaguais, je ne savais même pas comment j'étais arrivée jusqu'à ma place. Je me tenais adossée à un arbre, assise sur l'herbe fraîche et laissais le vent, tiédi par les bûchers, me caresser doucement le visage. Quelle expérience fantastique ! Quelle harmonie, quel partage dans cette danse extatique ! Et ce chant qui avait couru sur mes lèvres, ce chant que je ne connaissais pas et que je ne connaîtrais plus. Il avait été si beau, si touchant par sa sonorité, chargé de sens que le cœur comprenait parfaitement.

Je l'entendais encore résonnant dans ma poitrine, dans mes mains, dans ma tête. J'avais l'impression qu'un fleuve invisible traversait cette clairière, qu'il nous charriait jusqu'à l'Eden sans se soucier de nos réticences ou de nos personnalités, qu'il nous donnait la force et la grâce sans s'interroger si nous les méritions ou même si nous les cherchions. Ici, je découvrais la notion de partage et de douceur.

Je me remettais à divaguer. Je devais me ressaisir, ne pas oublier ce que je venais d'apprendre ou, plus précisément, de me souvenir. Malia. Retourner à Lyon au plus tôt et parler à Kami. Trouver quelqu'un d'assez puissant pour vaincre les frères japonais.

Je fronçais les sourcils, concentrée pour que mes priorités ne disparaissent pas dans une nouvelle savoureuse divagation, et me rendis compte que quelque chose troublait mes sens. Derrière le son des tambours, des chants et du bruit des danses et des rires, j'entendais la musique divine d'une lyre.

Je me levai, sûrement trop vite, car ma vue se brouilla pendant quelques secondes, et me tenta de repérer d'où provenait la mélodie. Je m'accrochai intérieurement aux quelques notes que j'arrivais à saisir parmi le flot de sons qui m'assaillait, et ne perçus bientôt plus que la mélopée jouée par ce mystérieux et exquis instrument.

J'étais sur sa trace, imperceptible aux oreilles des autres, me semblait-il, et m'engouffrais dans la forêt. En chemin, j'ôtai ma couronne florale et la déposai au pied d'un arbre. Je ne marchai pas très longtemps et arrivai à une deuxième clairière.

Ici, les gens étaient plus calmes. Il n'y avait qu'un feu, plus petit, et beaucoup moins de monde. Une femme dansait comme une déesse devant la flamme, elle ressemblait à une jeune sorcière tzigane. Un homme jouait de la flûte tout en tournoyant légèrement sur lui-même, et un autre tirait les cartes à une fillette âgée d'une douzaine d'années.

Un peu partout, les gens vaquaient à leurs occupations, sereins, et les sons des différents instruments ne paraissaient même pas s'entrechoquer. Je regardais un peu mieux : guitare, flûte, xylophone, violon… Pas de lyre. À cet instant, je me rendis compte que je n'entendais plus sa mélodie cristalline.

— C'est normal, me dit une jeune femme en s'approchant de moi. Le son de la lyre attire les êtres magiques qui ont besoin d'aide jusqu'à cette clairière. Et crois-moi, il y en a plus que tu le penses.

Elle était grande et élancée. Ses cheveux blonds descendaient jusqu'à ses reins, en formant de belles boucles soyeuses, et étaient attachés par une grosse pince rouge en leurs extrémités.

Je me demandai, d'ailleurs, à quoi lui servait cette attache. Elle portait une robe couleur rubis, fluide et légère, qui lui arrivait juste au-dessus des genoux.

— Ma pince me sert, sois-en certaine. Tu le verras plus tard.

— Mais comment… ?

— Tu pensais peut-être que les télépathes étaient des inventions romanesques ?

Elle rit un peu, sans méchanceté aucune, me fit un clin d'œil et avança en me prenant le bras.

— Non, je… Tu lis dans mes pensées alors ?

— Oui, c'est comme ça d'ailleurs que ton appel m'est arrivé lorsque tu dansais, Syrine. Je t'ai fait venir ici pour que nous nous rencontrions.

J'ouvris la bouche, dans l'intention de lui expliquer ce qui m'amenait, mais elle m'en empêcha.

— Ne dis rien, c'est inutile. Je sais.

Elle paraissait très sympathique, mais ses intrusions mentales commençaient à m'agacer. Je lui fermai sèchement mon esprit. Elle tourna ses grands yeux noisette vers moi et sourit. Elle avait de hautes pommettes et de longs cils blonds. Son visage long et fin n'était pas maquillé, mis à part un rouge à lèvres bien choisi.

— Tu apprends vite, c’est bien. Je m'appelle Gabrielle.

— Et vous organisez ces célébrations pour aider les gens ?

— Non. Je fais partie d'un coven breton qui célèbre la nature et la vie. Quand ils ont commencé à mettre en place ces cérémonies, ils se sont aperçus que beaucoup de monde affluait. Certains traversaient la France ou l'Europe pour y assister. Et parmi ces gens, quantité de sorciers, sorcières, et autres venaient demander de l'aide. Ainsi, très vite, ils ont créé cette clairière artificielle pour que ceux qui le voulaient trouvent l'assistance dont ils avaient besoin. Mais le service que l'on apporte et les célébrations sont quand même deux choses différentes.

Elle s'arrêta de marcher et se tourna vers moi. Ses grosses boucles d'oreilles dorées tintèrent légèrement contre sa joue.

— Seulement, il faut que tu comprennes que, la plupart du temps, l'appui que nous donnons est psychologique et rarement magique. Il n'est pas inhabituel que l'on nous appelle pour récupérer un mari qui est parti avec une autre, se venger d'une femme briseuse de cœurs, etc. Bref, des choses que nous ne cautionnons pas en tant que coven et que nous préférons régler… normalement, dirons-nous.

— Je comprends. 

Elle secoua négativement la tête. Sa peau semblait faite d'or, avec la lumière du feu qui nous éclairait.

— Sache que je suis là pour t'aider, » me dit-elle en plongeant ses yeux dans les miens. Je pars avec toi, je sais que tu as un plan plus ou moins réfléchi, mais je ne peux te promettre la réussite de ce que nous ferons, ni même notre survie.

— La mort ne te fait pas peur ?

Elle me sourit tristement, abaissant lentement ses paupières.

— Il serait sot de dire que la mort ne me fait pas peur. Cela dit, je pense que nous avons tous un destin et que ce qui arrive doit arriver. Je suis confiante, j'ai foi en ma destinée.

Tout en me parlant, elle leva les yeux au ciel et inspira profondément.

Allez, nous devons partir. J'ai une voiture pas loin d'ici, suis-moi.

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