Chapitre 8

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Cette conversation m’avait fait du bien. Kami n'avait pas l'air de savoir que j'étais liée à l'accident. En tout cas, ma sœur n'était pas au courant. Mais il ne fallait pas se faire d'illusions, s’il n'était pas après moi, ça n’allait pas durer longtemps. Il finirait par découvrir mon implication et, ce jour-là, il vaudrait mieux que je sois capable de lui donner des explications.

J'étais assise sur le bord de la falaise, face à la mer. Le ciel était dégagé et je laissais le soleil me réchauffer un peu. Adam arriverait bientôt. Que lui dirais-je ? Je me demandai un instant si je n'aurais pas mieux fait d'effacer sa mémoire. Non. Je ne devais pas recommencer avec ce sortilège. De toute façon, il ferait comme si de rien n'était, j'en étais certaine.

Il allait également falloir que je retrouve les frères qui m'avaient attaquée la veille. Même en y réfléchissant, je ne comprenais toujours pas ce qu'il s'était passé. Tant de questions se précipitaient dans ma tête, tant d'énigmes et de mystères. Les Descendants d'Eren… Une secte peut-être ? Je pouvais essayer de les localiser par magie, mais que ferai-je ensuite ? Provoquer un nouvel affrontement n’était probablement pas une bonne idée pour le moment.

Soudain, ma vue s'obscurcit.

— Devine qui c'est ?

— Hum… Je dirais… Un ange ?

— Perdu, ce n’est que moi. Il enleva ses mains de mon visage, s'installa à côté de moi et m'embrassa timidement en faisant mine de s’excuser d’être là.

— Qu'est-ce qu'on fait aujourd'hui ? Tu as une idée ?

— Syrine… Aujourd'hui, on ne fera rien ensemble.

— Ah. 

Je le fixai, déçue, et trouvai que ses yeux exprimaient quelque chose d'étrange. Ils étaient fuyants.

— Ce n'est pas grave alors. On se rattrapera demain, dis-je d'une voix qui se voulait enjouée.

— Demain non plus, désolé.

— Qu'est-ce que ça veut dire ?

— Je dois partir. Excuse-moi, je m'en vais dans quelques minutes. Tu sais, ce dont je t'avais vaguement parlé l'autre soir. Voilà, on y est. Je dois disparaître un moment.

— Comment ? Aussi vite ! C'est tellement rapide. J'imaginais que l'on aurait un peu de temps devant nous. Je suis désolée, je ne facilite sûrement pas les choses en disant ça, mais je suis si surprise.

Je m'écartai un peu pour mieux l'observer. Ses propos n'étaient pas en accord avec ce que son visage exprimait. Il paraissait tellement excité, ses yeux brillaient de passion, mais pas d'amour pour moi.

J'aurais juré qu’il avait hâte de s’en aller, qu’il était pressé de retrouver ce je ne savais quoi qui l’éloignait de notre idylle. Non, il n'était pas du tout désolé.

— Je sais. Crois-moi, si je pouvais, je resterais ici, mais… excuse-moi. Je ne pourrais donner aucune nouvelle de moi pendant une très longue période.

— D'accord. Si tu dois partir, alors va, lui dis-je, résignée.

— Ne m'en veux pas. S'il te plaît, ne m'en veux pas.

— Pars ! 

Le cri avait franchi mes lèvres sans que je puisse le retenir. Ce n’était pas de la fureur, mais de la peine. J'avais l'impression qu'il n'avait été qu'un rêve, que rien de ce que nous avions partagé ne comptait.

Il se leva, et s'éloigna rapidement. Mes yeux le suivirent, emplis de larmes. Il ne se retourna pas une fois. Il disparut derrière la façade de l'hôtel, me laissant là, minable, en pleurs. Son départ avait-il été précipité par ma confidence du soir précédent ? Mais pourquoi lui avais-je dit ça ? Comme je regrettais le moindre mot d'amour, le moindre geste de tendresse que j'avais eus pour lui !

Il ne me donnerait plus jamais signe de vie, j'en étais certaine. J'avais vraiment tout gâché ! Je ramenai mes jambes contre mon corps, baissai la tête et me laissai aller. J'étais tellement fatiguée, déçue, et déprimée.

 

***

 

Le taxi roulait lentement. J'avais demandé au chauffeur de me laisser profiter du paysage. Je parcourais pour la deuxième fois cette route, plus désespérée que le jour où mon ami m'y avait conduite. Il n'y avait plus seulement le mystère de l'accident qui me minait, il y avait à présent les Descendants d'Eren et la fuite d'Adam.

Mes yeux étaient gonflés. Quelques larmes m'échappaient encore. J'étais écœurée par son comportement. J'avais tellement cru aux promesses non formulées que nous nous étions faites. Le chemin défilait derrière la vitre, me laissant un goût amer quant à mon séjour en Bretagne.

Nous roulâmes pendant très longtemps, en tout cas j’en eus l’impression. Ça ne me dérangeait guère. Enfant, j'avais fait beaucoup de route avec mes parents. Nous habitions des villes différentes pratiquement chaque année, et ils tenaient à ce que nous allions voir régulièrement notre famille dans la région lyonnaise. Il n'était pas rare de parcourir huit cents kilomètres en trois jours. Je crois que c'est une des raisons qui me firent tant aimer les voyages. Le paysage passa sous mon regard nostalgique. Je songeais à l'époque où ma mère vivait encore, quand j'étais enfant, quand tout était plus simple.

Je m'avançai subitement vers le chauffeur et lui criai : 

— Et pourquoi ne serait-ce pas aussi simple maintenant ? C'est vrai, je n'ai qu'à décider de ne plus me soucier des choses. Oui, c'est décidé, j'arrête de penser à Adam !

Je devais paraître complètement dérangée, mais il n’en dit rien, imperturbable, il continua à conduire en me répondant simplement :

— Désirez-vous que j'accélère, Mademoiselle ?

 

***

 

L'église se tenait devant moi, encore plus impressionnante que la veille. J'étais vraiment sotte. Comment ne pas penser à Adam en revenant ici ? Bon, la rencontre du soir précédent m'avait laissé tout de même quelques marques, la visite ne serait donc pas du luxe pour mon pauvre corps malgré le souvenir douloureux de mon amant.

Je levai les yeux lentement, caressant de mon regard le splendide édifice. Tout en haut, non loin du pinacle, je repérai trois gargouilles que je n'avais pas vraiment remarquées jusque-là. Elles semblaient hurler en silence avec leurs globes oculaires exorbités. Leurs longues langues bifides étaient tendues vers moi comme si elles avaient voulu me pourlécher le visage avant de me dépecer. Ces créatures me mettaient mal à l'aise.

Éloignaient-elles vraiment le mal ? Je les observai attentivement, une idée me trottant dans la tête. Je souris discrètement, sans fanfaronnades, car je n'étais pas certaine de moi. Je pensais aux Descendants d’Eren.

Les trois hommes étaient sûrement encore à mes trousses. Et, vraisemblablement, la personne qui les avait envoyés ne s'arrêterait pas avant de m'avoir tuée. D'ailleurs, je doutais qu'elle tarde à se dévoiler. Il se pouvait même que, la prochaine fois que je rencontrerais les frères, ils soient accompagnés par un quatrième individu. Mais qui était-ce ?

Évidemment, quelqu'un qui me connaissait très bien, et qui m'en voulait. Peut-être la même personne qui s'était emparée de mon corps le samedi d'avant. Ça se tenait en tout cas. On souhaitait se débarrasser de moi alors, d'abord, on m'isolait en me mettant en faute vis-à-vis de mes amis, on me poussait à l’exil, et enfin, une fois seule, plus vulnérable, on m'éliminait.

Ça m'agaçait d'avoir été si prévisible ! On avait anticipé que je quitterais Lyon ! Mais qui me connaissait aussi bien ? Il y avait Kami, Ogora, Chrystel et Raven. Impossible que ce soit eux. Aucun n’était capable de posséder un autre être humain et aucun d'eux n’en voulait à ma vie. Tout du moins, pas à ma connaissance.

Quant à Ulome, je n'étais pas sûre. Il en savait beaucoup sur moi, plus que moi sur lui, et ses pouvoirs étaient effrayants. Cela dit, je lui faisais confiance et préférais ne pas le soupçonner. Ma sœur, qui me connaissait par cœur également, était insoupçonnable. Et, de toute façon, son énergie ne pouvait pas lui servir à des choses aussi importantes pour le moment. Trop pure et trop jeune. Elle n'avait pas encore quinze ans et ne pouvait pas faire disparaître des souvenirs de ma mémoire, ou prendre possession de mon corps.

Était-ce une personne de mon passé ? Il y avait eu, autrefois, Sovana. Nous nous connaissions par cœur à l’époque. Mais j'imaginais que, depuis le temps, elle avait dû réussir à m'oublier. Ou, en tout cas, passer outre nos querelles, bien qu’elle ait toujours été très rancunière. Et puis, elle n’avait jamais démontré une grande puissance magique. Elle avait pu changer, mais l’idée me paraissait saugrenue.

Plus je pensais à mon ancienne amie, moins je pouvais la relier à mes visions. C'était elle la fille avec qui je parlais dans la cour du collège, sous l'arbre, lorsque Kami hurlait des ignominies à mon intention. Ce n’était donc pas ses souvenirs que j’avais explorés.

Je recommençai à avoir mal à la tête à force de réfléchir à tout ça. Cette histoire allait me faire devenir folle. Quelle que soit l'identité de mon tourmenteur, je devais agir, et vite.

J'avançai, une fois de plus, sur les dalles qui me menaient au bâtiment sacré. En passant sous le gâble, j'annulai les sortilèges qui avaient rendu mon visage présentable. Inutile de gaspiller de l'énergie, ce n'était plus nécessaire. Du moins, ça ne le serait bientôt plus.

 

***

 

Malgré la chaleur extérieure, le temple chrétien demeurait au frais. Je bénissais la pierre épaisse qui me protégeait de l’atmosphère suffocante à laquelle j’opposais une très faible résistance.

Une nouvelle fois, je parcourus avec précision le chemin de ressourcement.

Cette église était un véritable dôme d'énergie, un catalyseur. J'en avais vu des si noires, si impures dans leur nature que je m'étais abstenue d'y pratiquer le rituel du chemin sacré. Mais celle-ci n'était pas un leurre. C'était une bâtisse qui avait été construite pour la quête de la paix et du bien-être. J'avançai. Chaque pas était mesuré et me menait là où la vie de la Terre pulsait, là où ce cœur me guidait de par sa propre volonté. Mes muscles sursautaient parfois, entraînant avec eux mes membres, mais mes yeux restaient fixés droit devant.

J'avais la sensation de me mouvoir dans un flux énergétique pur, comme si j'avais nagé dans un fluide épais et nourricier, dans une mer où la lumière tenait lieu d’eau. Une fois le signe de croix terminé, au croisement du transept, je demeurai figée. Une magie implacable s’empara de moi, se fondant en moi et se confondant avec mon âme.

La chaleur diffuse, que je connaissais bien, se propagea soudainement de mes jambes au reste de mon corps. J'avais l'impression que mon être s'illuminait et flamboyait tout entier, comme un soleil humain, une étoile dont l’incandescence n’était que bonheur et force.

J'observai mes bras. Les blessures s'estompèrent doucement d'abord, puis disparurent complètement. Mes mains palpèrent mon visage. Plus aucune douleur, plus une cicatrice. Et j'étais prête à parier que je n'en avais plus une sur toute la surface de ma peau. La phosphorescence invisible se déroba à moi petit à petit, sans que je puisse la retenir, puis finit par trépasser. Je titubai un peu, fis un autre signe de croix bien que je n'aie jamais vraiment été une fervente catholique, puis sortis. Je levai la tête vers le ciel turquoise, confiante. Je les aurais, tous autant qu'ils étaient.

J'essayais d'avancer correctement, mais je sentais une présence fondre sur mon âme. Je fermais mon esprit, un vent surnaturel s'éleva autour de moi. Je me figeai. Dans ces rafales terrifiantes, je surprenais des murmures, des paroles étouffées, une voix inaudible. Puis, en me concentrant, j'entendis plus nettement la personne qui parlait.

— Syrine, Syrine, m'entends-tu ? Je dois te parler, Syrine !

La voix résonnait dans l'air, comme si elle venait de loin, d'un autre monde, d'une autre dimension. J'avais la sensation de converser avec un fantôme, la résonance de chaque mot était désagréable et effrayante.

— Oui, je vous entends. Qui êtes-vous ?

— Peu importe ce que je suis, ma nature ou mon identité, Syrine. L'important est de m'écouter attentivement. Je ne pourrais plus rester ici très longtemps.

— Je vous écoute.

— La prochaine attaque des Descendants d'Eren sera pour demain, dans la nuit. Tu devras être prête.

— Je le serai.

— Non Syrine, tu les sous-estimes. Ils te détruiront si tu es seule. Tu dois trouver de l'aide, tu dois avoir un allié à tes côtés demain soir. N'attends pas qu'ils viennent, c'est à toi d'imposer tes règles, sinon ils te détruiront.

— Mais comment savez-vous toutes ces choses ?

J'étais un peu confuse. Soupçonneuse aussi. Cherchait-on à m'aider, ou à me perdre ? J'avais peur de faire confiance, mais je ne voulais pas refuser les rares aides qui se manifestaient.

— Qu'importe, Syrine ? Écoute plutôt ce que j'ai à te dire. Là où étaient les amis, il y a aujourd'hui des ennemis. Les sentiments passés sont traîtres Syrine, n'oublie jamais que le présent à ses raisons, qu'il te faut être forte, et ne pas succomber au désespoir. Chasse tous les souvenirs qui peuvent obscurcir ton jugement.

— Mais qu'est-ce que ça signifie ?

— Tu comprendras le moment venu. N'oublie pas que, un jour ou l'autre, ce sont tes ennemis qui t'aideront à avancer.

Le vent tourbillonna une nouvelle fois, semblant emporter la voix loin de moi. Je vérifiai que personne ne m'avait vue. Les alentours étaient déserts. Seul le chauffeur du taxi m'observait en coin, ses sourcils grisonnants levés hauts sur son visage par l'étonnement.

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