Chapitre 9

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— à qui ai-je l’honneur ? dis-je doucement.

J’attendis, en vain, une réponse, fis quelques pas et me figeai. Mes yeux tentaient de percer l’obscurité, mais les ombres trop épaisses ne dévoilaient qu’une vague silhouette. Une magie subtile se dégageait de l’inconnu, quelque chose de familier, mais je n’arrivais pas à la reconnaître.

Une lame étincela dans le noir. Instinctivement, je projetai mon énergie autour de moi pour former une bulle de protection et dégainai mes massues. Le sortilège avait généré une fine pellicule sombre qui tournoyait à quelques centimètres de ma peau. Tendu, les mâchoires crispées, je pointais mes armes en direction de l’apparition. Je voulais gagner du temps.

— Fais un geste et c’en est fini de toi.

Je me concentrai pour libérer mon pouvoir. Si je captais un de ses souvenirs, je saurais qui se tenait devant moi.

— Kami ! C’est moi.

Ayhan s’avança en riant. Le sort de protection qui m’entourait s’évanouit aussitôt.

— Mais que fais-tu là, encore ? Tu ne devais pas rentrer chez toi ?

— Eh ! Tu pourrais m’accueillir avec un peu plus d’enthousiasme ! J’ai changé d’avis dans le train. J’ai fait demi-tour à la première gare. Je ne voulais pas te laisser seul avec tout ce qu’il s’est passé.

— Tu sais très bien que j’aurais préféré que tu sois déjà loin.

— C’est pour ça que je ne t’ai pas demandé ton accord. Maintenant que je suis là, tu ne vas pas me renvoyer quand même…

— Bon, on verra. Montons à la maison. On serra mieux pour discuter.

 

Une fois dans l’appartement, je me dirigeai directement vers le canapé et m’écroulai. J’étais énervé, soucieux, fatigué. De voir Ayhan revenir m’excédait et me réconfortait à la fois. J’avais envie de dormir, à nouveau, pour ne jamais me réveiller.

Ici, nous étions en sécurité. Je pouvais me laisser aller. Mon ami était dans la cuisine, en train de fouiller les placards, tandis que je l'attendais sur le divan, de plus en plus détaché. Je fermai les yeux et m'assoupis lentement. Le rêve m'assaillit à ce moment-là. J'avais conscience d'être à l’orée du sommeil, mais tout me paraissait si clair, si net, comme si j'avais eu une vision en étant éveillé.

 Au début, Amarante était debout dans l'hémicycle. J'avais l'impression que toutes les personnes qui l'entouraient se disputaient avec elle. Elle avait visiblement un certain pouvoir au sein de cette assemblée car, même si ce qu'elle disait suscitait la controverse, les regards étaient craintifs. L'homme qui présidait avait la peau brune et semblait donner raison à Amarante.

La femme se mit alors à rire, puis ses traits se déformèrent. Elle devint un serpent noirâtre, ses cheveux étaient des lianes folles. Elle hurla et s'envola au-dessus des Descendants d'Eren. Tout tournoya autour de moi, puis je sombrai dans le noir.

Une voiture arrivait. Robin était enfin sorti du coma et me parlait. Je ne comprenais pas ce qu'il voulait me dire. Répète. La voiture ? Elle se cache ? Je ne saisis pas, explique-moi. Il disparut lentement. Ses mots se perdirent dans le flot des vagues.

J'étais sur une falaise, le ciel emplissait mes yeux d'un bleu roi splendide. L'air était frais et, malgré le soleil, des frissons parcouraient tout mon corps. Cherche encore. Retrouve-la. Elle ne s'est pas volatilisée par hasard.

 

— Quoi ? Qu'est-ce que tu dis ? 

Le visage au grain fin et agréable d'Ayhan était penché sur moi.

— Tu parlais dans ton sommeil. Tu t'es assoupi en un instant.

— J'ai fait un rêve étrange, c'est tout.

— Encore un rêve prophétique ? Raconte.

— Non, ce n'est pas important.

Il posa deux tasses de thé russe sur la table basse. J'en attrapai une et savourai la douce brûlure que me procurait le breuvage. Il était si beau quand il s'inquiétait. Son regard noisette était fixé sur moi. Il regardait la cicatrice qu’Amarante m'avait laissée en fronçant les sourcils, ce qui lui donnait de petites rides prématurées qui le sublimaient.

— Tu penses que ça partira ?

Il passa la main sur la marque du fouet, caressant doucement mon visage. Je fermai les yeux.

— J’ai le pressentiment que non. Je ne le crois pas, dis-je tout bas. Et ce n’est sûrement pas la dernière que je récolterai avec ce qu’il se prépare.

J’essayais de paraître insensible à cette balafre. En vérité, je bouillais de l’intérieur. Je me sentais défiguré et ridicule avec cette marque.

— Avec ce qu’il se prépare ? Mais arrête avec ça, ce ne sont que des suppositions.

— Plus j'y pense, plus je ressens une menace imminente. Une menace qui pèse sur nous tous, pas seulement sur moi ou sur mes proches. Le monde évolue.

Le téléphone sonna. Je fus soulagé de voir Ayhan ravaler ses arguments. Discuter me fatiguait, surtout de cette manière, surtout à ce sujet. Il avait raison, je n'avais que des impressions et des suppositions. On avançait dans le flou épais du danger, sans distinguer quoi que ce soit de réel, de tangible. Après tout, il était possible que rien ne se prépare et que les Descendants d'Eren ne représentent qu'une secte de plus dans un monde malade. Pourtant, je n'y croyais pas un seul instant.

— Allo ?

— Kami, c'est Ogora. Tu cherchais Salem non ?

— Oui, tu sais où il est ?

— Non pas vraiment, mais j'ai parlé avec mon père. Il semblerait que sa société ait organisé une réception en l'honneur de leurs nouveaux clients qui…

— Ogora, s'il te plaît viens-en aux faits, lui dis-je un peu brutalement.

Je m'en voulus aussitôt, même si je savais qu'elle ne s'en formaliserait pas.

— Oui, oui pardon. La troupe de Salem se produit demain soir dans l'hôtel du « Rouge ». Je crois que la soirée commence à vingt-deux heures. Tu devras sûrement trouver un moyen d'entrer discrètement, car c'est un évènement privé.

— Bon, ne t'inquiète pas. Je vais chercher une solution. Merci beaucoup de m'avoir prévenu.

— Je t'appelle si je sais quoi que ce soit d'autre. À plus !

Je retournai m'asseoir sur le canapé et vidai ma tasse. Ayhan se rapprocha de moi, posa délicatement sa main sur ma cuisse et me fixa sans rien dire. Au bout de quelques minutes, je le dévisageai à mon tour, d'une façon beaucoup moins délicate que la sienne. En fait, je crois me souvenir l'avoir fusillé du regard, agacé par sa question silencieuse.

— C'était Ogora. Demain, j'irai trouver Salem.

— Je viens avec toi.

— Mais, arrête avec cette manie de toujours vouloir venir avec moi ! Tu n'as pas envie d'aller au Domaine Occulte plutôt ?

— J'ai tout mon temps pour découvrir le Domaine. Pour le moment, je dois t'aider.

— Et si je te dis que de me suivre partout ne me facilite pas la vie ?

— Je te réponds qu'il ne faut jurer de rien. Attends de voir.

— Tu m'énerves.

— On va se coucher ? me lança le jeune homme avec un sourire satisfait.

— Pars devant, je te rejoins dans cinq minutes.

Ayhan sortit de la pièce pendant que je m'approchais de la baie vitrée et observais le ciel. Cherche encore. Retrouve-la. Elle n'a pas disparu par hasard.

Qu'est-ce que ça voulait dire ? Pourrais-je venger l'innocent ? Celui que j'aimais, Robin, et qui était victime de cet amour ? Plus j’y réfléchissais, plus Amarante ne me semblait pas liée à l’accident de Robin et à la Rose noire. Elle n’avait pas activé le Serment, Robin n’était pas sorti du coma depuis sa mort, et je continuais à faire des rêves prophétiques incompréhensibles. Si Syrine avait été là, elle aurait pu m’aider à les comprendre. Mais je devrais faire sans elle visiblement, car elle demeurait introuvable.

Si j’avais raison, il fallait que je découvre la vérité. Et ensuite ? Allais-je avoir la force et la volonté ? La Rose noire n'était-elle pas ma condamnation, ma malédiction ? Comment renier le Serment magique que j'avais prêté ? Tuer celui ou celle qui m'avait bridé par la Rose, pour obtenir vengeance, serait-il en mon pouvoir ? Trouverais-je bientôt une réponse ?

 

***

 

L'aigle planait au-dessus de moi, décrivant de grands cercles invisibles en poussant des cris perçants. Admets la vérité !

Je cherchai d'où provenait la voix. Autour, il n'y avait rien. Juste le désert. Des bourrasques soulevaient des montagnes de sable. Je m'enlisais petit à petit. Pense mieux. Retrouve-la. Elle n'a pas disparu par hasard.

J'essayai de m'extirper des millions de grains de poussière qui me paralysaient, mais il y en avait trop. J'étais bloqué jusqu'aux épaules. Je me concentrai sur l'aigle. Qui êtes-vous ? Je ne comprends pas ! Qui dois-je chercher ?

Une autre bourrasque. Je n'arrivais plus à respirer correctement. Mon visage était presque entièrement recouvert. Je penchai la tête vers l'arrière, mais seuls mes yeux restaient à l'air libre. Accepte l'évidence. Il y a un lien entre elle et cette histoire. Retrouve-la ! Elle a besoin de toi comme tu as besoin d'elle.

L'aigle hurlait. Il plongea vers moi en s'enflammant et s'écrasa sur moi. C'est ton unique chance de comprendre !

 

Ayhan n'était pas à mes côtés. Quelle heure pouvait-il être ?

— Mince, déjà onze heures, m'écriai-je en fixant le réveil.

Je sortis du lit. Mes pieds frôlèrent la moquette. Comme j'aimais cette sensation ! Elle me rappelait mon enfance, alors que j’avais une chambre au sol similaire.

J'ouvris les rideaux. Je ne me souvenais pas les avoir fermés. Le soleil me brûla les yeux. J'attendis que la douleur disparaisse, puis regardai par la fenêtre. Il allait faire très beau, si j'en croyais le ciel uniformément bleu.

Je décidais de me composer une bonne humeur pour Ayhan. C'était la moindre des choses. J'entrai dans la cuisine. Personne. Je me dirigeai donc vers la salle à manger, où une odeur de toasts et de café m'assaillit. Ayhan observait la ville par la baie. Je m'arrêtai et le regardai. Il se tourna assez vivement vers moi et me sourit.

— Tu as faim ? Il devait être éveillé depuis un petit moment, car il était habillé, comme prêt à partir.

— C'est gentil d'avoir préparé tout ça.

— C'est normal. Tu as bien besoin de ça, sinon je te soupçonne d'être capable d'une crise de nerfs.

— J'ai encore fait des rêves bizarres. Je n'y comprends rien.

Je le pris dans mes bras, le serrai un peu, le nez enfoncé dans son épaule. Une odeur délicieusement sucrée m'enveloppa. Ses vêtements étaient frais contre ma peau et procuraient une sensation étrange de douceur. Je m'écartai, collai mon front contre la vitre et observai quelques instants la ville et ses citadins stressés.

— Il y avait quoi ?

— Je ne sais plus trop. Un aigle, un désert. Et puis une femme qui parlait. Des phrases incompréhensibles, obscures.

— Si tu veux mon avis, il ne vaut mieux pas te fatiguer à comprendre tes rêves.

Il posa tendrement ses mains sur mes épaules, et me massa légèrement sans rien ajouter.

— Je ne suis pas sûr… En principe, mes songes n'ont rien de particulier, c'est vrai. Mais, là, je sens que c’est différent.

— On verra. Pour le moment, déjeune, m’ordonna-t-il en désignant le canapé et en m'y poussant doucement.

Je m'y installai, admirant la table transparente, encombrée de croissants, de toasts, de café et de diverses sucreries.

Le téléphone sonna. J'émis un grognement qui aurait pu se traduire par « allez au diable », ou « on cherche vraiment à me mettre de mauvaise humeur ? » et ne bougeai pas. Ayhan me regarda un instant et, devant mon absence de réaction ainsi que mon extrême concentration sur le café, saisit le combiné.

— Allo ? … Non, c'est Ayhan… Ah, oui. Bonjour… D'accord. Un seul ? Parce que j'y serai moi aussi… Bon, je me débrouillerai… Non, non, je comprends. C'est déjà bien d'avoir réussi à en obtenir un… Bonne idée, nous y réfléchirons… Oui, ça va. Il ne peut pas te parler là… Je lui transmets, merci encore.

— C'était qui ?

— Ogora.

Sur ce mot, je relevai la tête et m'arrêtai de manger.

— Elle a réussi à convaincre son père d'ajouter ton nom à la liste des invités, reprit-il. Il y a un passe qui t'attend au Domaine.

Mon amie était décidément d’une aide précieuse. Elle avait retrouvé Salem, et me permettait de l’approcher sans difficulté. Je doutai, un instant, de l'utilité de tout cela. Rien, dans mes rêves, ne faisait référence à Salem.

Si je voulais le voir, c’était principalement parce que Tristan m’avait soufflé l’idée. Oui, il avait failli me tuer, dans ma jeunesse. Oui, nos âmes étaient étroitement liées. Mais, à présent, nous étions animés de la même volonté de ne pas reproduire les erreurs de nos anciennes incarnations. Rien ne nous opposait plus, à présent. D'un autre côté, il pourrait être un précieux soutien, mais devais-je vraiment le mêler à cette histoire ?

— Bien. Tu n'oublies rien ?

— Elle t'embrasse, répondit innocemment Ayhan.

— Rien d'autre ?

— Non.

— Qu'est-ce qui est une bonne idée ?

Il fit léviter sa chaîne à travers la pièce. Elle vola jusqu’à son bras et tournoya lentement autour.

— Ah… Eh bien ! puisqu'il n'y a que ton nom sur la liste, je vais être obligé d'entrer par un autre moyen !

— Ou alors tu n'entre pas du tout.

Il ignora totalement ma remarque.

— Elle me disait que je pourrais peut-être m'introduire en me faisant passer pour un employé. Elle croit se souvenir qu'il y a une entrée réservée au personnel derrière le bâtiment. Ce ne sera pas trop difficile de me faufiler par là. Avec un peu de chance, je trouverai un uniforme et me fondrai dans la masse des serveurs. Ni vu ni connu. S'il arrive quoi que ce soit, Salem ne s'attendra sûrement pas à ce que nous soyons deux.

— Tu n'abandonnes jamais ?

— Non, me dit-il en éclatant de rire.

Je sentais que ma mauvaise humeur revenait au galop. Je respirai à fond en fermant les yeux.

— J'en toucherai deux mots à Ogora.

 

***

 

Nous étions dans la forêt, là où j'avais l'habitude de rencontrer Tristan. Ayhan était installé à la place de l'autre sorcier, face à moi. Mon ami avait un problème qu'il n'avait jamais réussi à régler : ses souvenirs s'effaçaient au fur et à mesure qu'il vieillissait. J'avais bien tenté de le secourir, Syrine aussi, et d'autres encore, mais rien n’avait fonctionné.

Je n'arrivais pas à comprendre les raisons de son amnésie atypique et aucun sort ne l'avait aidé jusque-là. Sa mémoire remontait à trois ans. Pas plus. Mais j'avais bien l'intention de le soigner. Un objectif que je m’étais fixé dès notre rencontre. Cela avait du sens, après tout. Il avait un problème avec ses propres souvenirs, j’avais un don qui me permettait de vivre le passé des autres. Nos chemins ne s’étaient pas croisés par hasard.

— C'est ici que je me ressource quand j'ai besoin de me rapprocher de la nature.

— C'est un endroit paisible.

— Je ne t'ai pas amené ici pour cela. Enfin, pas vraiment.

— Ah ? fit-il, intrigué.

— Je voudrais te rendre la mémoire. On a un peu de temps avant de rejoindre Ogora puis de partir à la recherche de Salem. Autant le mettre à profit.

— Kami, tu sais bien que ça ne marchera pas. Ça n'a jamais marché. Ce n'est pas grave finalement. Au moins, les choses qui me font du mal ne me font pas souffrir longtemps. Je n'ai qu'à attendre et tout s'efface.

— Ce n'est pas forcément un point positif. La mémoire sert à avancer. Le passé est une leçon.

Je pris ses mains entre les miennes et plongeai mes yeux dans son âme, mais il se ferma à moi.

— Pourquoi me regardes-tu comme ça ?

— Je veux savoir pourquoi tu as quitté le Domaine Occulte.

— Tu plaisantes ?

Je le lâchai et croisai les bras. Son obstination frisait la pathologie.

— Non. Arrête de dire que tu es parti parce que tu n'approuvais pas les méthodes d'Ulome. Kami, je suis peut-être naïf sur certaines choses, mais je ne suis pas stupide !

— Pourtant, ses méthodes…

— Ses méthodes ne te plaisent pas, j'en conviens. C'est même normal de ne pas aimer ce genre de comportement. D'être observé, surveillé, partout, tout le temps. Je te comprends, mais ce n'est pas ça qui t'a fait partir. Ne me prends pas pour un idiot. Qu’as-tu découvert de si terrible à son sujet ?

— Mais qu'est-ce que ça peut te faire à la fin ?

À cette question, Ayhan sembla se calmer.

— J'ai juste envie de savoir. Pour une raison qui m'échappe, l'expérience des autres ne s'efface pas de mon esprit. Tout ce que tu me dis, les souvenirs, les secrets que tu partages avec moi, sont autant d'éléments qui me nourrissent. Ne perdrais-je pas toute substance sans ce dont je me souviens, ces bribes de vie qui ne m'appartiennent pas ? Ne deviendrais-je pas fou en véritable amnésique, si la seule constante de ma mémoire était le néant ?

— C'est pourquoi je veux te la rendre. Fais l'effort d'essayer, de ne jamais abandonner. Pourquoi se soumettre tant qu'on peut lutter ?

— Quel discours éblouissant de bons sentiments et d'espoir ! Y aurait-il un Kami sensible et gentil finalement ? 

Mes yeux s'embrasèrent et mon visage se fit de marbre. J'étais telle une statue courroucée. Je détestais qu'il puisse m'imaginer sans cœur.

— Bon, je suis d'accord, tu n'as qu'à essayer, encore… mais que proposes-tu ? Il y a des choses que l'on ne peut pas faire. Nous ne sommes pas des dieux.

— Non, mais nous sommes des sorciers et certains de nos talents doivent bien nous servir un peu, sinon à quoi bon en être dotés ?

— C'est-à-dire ?

— Tu es au courant, je vois les souvenirs des gens lorsqu'ils s'ouvrent un minimum à moi. Si tu me racontes la chose la plus lointaine dont tu te souviens, je pourrais peut-être m’y accrocher et ramener le reste qui a été effacé, ou plutôt refoulé si tu veux mon avis.

— Je n'en veux pas. Tu es certain de pouvoir le faire ?

— C’est possible. Au lieu de me projeter dans ta mémoire, je ferai le contraire. Je tirerai le souvenir que tu me donneras, et les autres devraient suivre.

— Je ne suis pas convaincu.

— Bon, jusque-là rien n’a fonctionné. Mais… J’ai l’impression d’être plus puissant de jour en jour. J’ai beaucoup travaillé, ces derniers temps, sur la maîtrise de ce don. Tristan m’a permis d’avancer. Lors de ma rencontre avec Amarante, ici même, j’ai réussi à obtenir des résultats que je n’avais jamais eus avant. Je comprends mieux comment cela fonctionne. Et puis, ça ne coûte rien d’essayer de toute façon. Mais mets-y du tien, veux-tu ? Si tu ne me facilites pas la tâche, je vais avoir du mal à t'aider.

— Peut-être que, au fond, je n'en ai pas envie…

Il baissa les yeux, enfonçant son regard dans la terre et les racines.

— Ma mémoire est comme un gouffre immense dans lequel ce que je vis disparaît. Je ne me souviens pas de notre rencontre, tout ce que je sais se trouve dans ce que tu m'as raconté. Je me suis disputé avec beaucoup de personnes, et j'ai oublié. Je ne reste jamais fâché avec qui que ce soit parce que, quelque temps après l'altercation, il ne demeure en moi qu'une fine et obscure amertume. Je ne me rappelle qu'une chose au-delà des trois dernières années. J'ai dû t'en parler une fois. Je devais avoir une dizaine d'années à peine, j'étais vaniteux, un peu orgueilleux. En fait, ce souvenir, si lointain qu'il soit, me révèle la hauteur avec laquelle j'appréhendais déjà les autres. Ça n'a pas changé apparemment. Je le vois dans les yeux de ceux que je rencontre, cette animosité qu'ont à mon égard la plupart des gens, cette froideur et cet agacement que je suscite de par ma voix, mon comportement, mon regard. Toute ma personne leur est insupportable, car ils ne représentent rien pour moi s'ils n'ont pas l'argent ou le pouvoir.

Comme il mentait bien. Il me mentait, et il se mentait à lui-même. Il avait tant besoin d’amour au contraire, et rien n’importait plus pour lui que d’être apprécié. Oui, il dégageait quelque chose de détestable, mais c’était sa volonté, pas son âme. Il préférait choisir d’être détesté, plutôt que de se livrer et se risquer à être jugé pour ce qu’il était vraiment. Je faisais partie des rares personnes à le connaître intimement, sous un jour agréable et sans mesquinerie. Les autres ne percevaient de lui que suffisance et mépris.

— Nous avions organisé une grande fête de village. Chez moi, tu le sais, les habitants se réunissent fréquemment sur la place du marché pour fêter l'été, l'anniversaire de la fondation de la commune ou n'importe quel autre évènement. J'étais vraiment satisfait, car il me semblait que l'on m'accordait, enfin, l'importance méritée. À dix ans, j'étais chargé de la musique, et mon assistant, le couturier du village, ne manquait pas de me demander mon avis lorsqu'il voulait passer un nouveau titre. Avec le recul, ça me fait rire, parce qu'il n'y avait là aucune marque de respect. On m'avait placé ici, car c'était un point stratégique. Ainsi, il était aisé pour mon parrain de surveiller son filleul, élément quelque peu perturbateur. C'était le meilleur ami de ma mère, il était très présent chez nous, comme un membre de notre famille. C'est lui, d'ailleurs, qui vint lorsque je renversai mon verre sur les fils des machines. Il s'avança en hurlant que j'étais un imbécile, et son immense main me percuta à plusieurs reprises sans que je puisse me soustraire à son allonge. Il avait sûrement un peu bu, et sa violence me paralysait littéralement. On n'avait jamais levé la main sur moi. Comment réagir ? Tous les visages étaient tournés vers nous, des bouches s'ouvraient silencieusement, les regards se croisaient pleins de compassion, d'incompréhension ou le plus souvent, j'en étais sûr, d'amusement. J'étais seul, face à tout mon village, humilié par un homme que je considérais presque comme mon père, essoufflé, les joues en feu. Mon véritable géniteur est intervenu trop tard, il y a eu des cris, ou plutôt des hurlements entre les deux adultes, des propos horribles dont je ne me souviens pas. Finalement, je me suis enfui. J'ai couru pendant ce qui me sembla des heures puis je me suis caché dans un parc municipal, au milieu de bosquets touffus. J'ai passé la nuit ainsi, recroquevillé dans la verdure, à ne pas comprendre ce qu’il m'était arrivé. L'esprit vide, embrouillé, j'ai vu des groupes d'adolescents se réunir sans savoir que j'étais là, à les observer, et que des dizaines d'adultes me cherchaient partout. Les jeunes gens buvaient de l'alcool, et je me surprenais à penser qu'en me saoulant je saisirais peut-être mieux le comportement de mon parrain.

Un triste sourire passa sur ses lèvres. Il hocha la tête, perdu dans ses pensées, puis finit par reprendre.

— Le lendemain, on me retrouva ivre mort dans le parc. J'avais réussi à subtiliser quelques bières aux personnes venues s'amuser près de ma cachette et avais attendu, dans le noir, que me parvienne l'illumination. L’éclair qui me donnerait la force de pardonner à cet homme. Je n'avais rien trouvé de tel, aucune lumière qui aurait jeté une once de logique sur cet adulte cruel que j'avais découvert. Mon père a disparu pendant la nuit, ma mère m'a expliqué qu'ils s'étaient disputés et qu'il avait choisi de partir. Je ne l'ai plus jamais revu. À partir de ce soir-là, je n'ai plus adressé la parole à mon parrain, cet homme qui avait tout gâché. Non, plus aucun mot, mises à part quelques obligations pratiques liées à la vie commune, imposée, que j'ai endurée jusqu'à mes dix-huit ans. Il est venu s'installer chez nous, puis a épousé ma mère. Oh, il a bien tenté des milliers de fois de s'excuser, me pourrissant jusqu'à la moelle, mais j'ai toujours résisté à ses assauts. Le Noël de mes dix-sept ans, quand j'ai pratiquement réussi à l'exclure de mon existence, il m'a écrit une longue lettre que je n'ai pas lue. Elle est encore cachetée, emprisonnée dans mon coffre-fort. Lorsqu'il mourra, je la brûlerai, sans en regarder le contenu.

Il fit silence, me fixant à présent comme à son habitude, les yeux aveuglés par son plus précieux et douloureux souvenir. Je me concentrais, envahi par son ancienne émotion, ce sentiment insurmontable d'enfant humilié. Je voyais la scène dont il parlait, comprenais sa détresse passée, haïssais autant que lui son parrain devenu beau-père et les villageois restés passifs.

D'autres images venaient, masquant la forêt dans laquelle nous nous trouvions. Mes visions se superposaient à la réalité. Il grandissait en adressant à cet homme un silence loquace, un froid sentimental extrême, comme s'il n'y avait aucun lien entre eux. Les années défilaient, chargées du même silence, de sentiments antagonistes pour sa sœur cadette et d'un attachement croissant pour sa mère ; attachement, d'ailleurs, qui se transformait au fur et à mesure en possessivité.

Je voyais l'absence totale d'amis véritables pendant la plus grande partie de son enfance, les trahisons inévitables dues à la sotte confiance accordée à n'importe qui au lycée, la peur d'être rejeté, et son besoin grandissant de briller aux yeux de tous, de gouverner tel un père-monarque sur une immense famille, un clan, une ville ou même un pays. Le temps passant, son amour pour le pouvoir grandissait. Il se confectionnait un masque d’indifférence et se protégeait des autres en les tenant éloignés.

— Oui, c'est vrai. Tu m'en avais parlé il y a longtemps, dis-je enfin.

Je tournai les yeux instinctivement, comme pour signifier à Ayhan que mes visions avaient disparu.

— Tu as réussi à percer le mur qui enveloppe ma mémoire ?

— Partiellement. J'ai entrevu les années les plus proches de ce souvenir. Le début de ton adolescence en fait, un peu avant qu'on se connaisse. Mais j'ai surtout perçu ton enfance, lorsque vous étiez une vraie famille, toutes les jolies choses que vous avez vécues ensemble.

— Comment as-tu fait ?

— Je te l’ai dit. La puissance de mon pouvoir a augmenté dernièrement et, surtout, j’ai saisi la façon dont il fonctionne.

— Raconte-moi ce que tu as vu !

— Il faut que tu comprennes. Trop de souvenirs en même temps peuvent faire disjoncter le cerveau.

— Alors quoi ? Tu en connais désormais plus sur ma vie que moi et tu gardes tout ça secret ?

Il se leva d'un bond, les yeux lançant des éclairs. Cette violence sur son visage m'était complètement inconnue jusqu'alors. Je restai stupéfait de le voir aussi virulent, aussi pressé et passionné.

— Tu ne peux pas taire ce savoir-là ! Ce ne sont pas tes souvenirs Kami ! C'est de ma vie dont il s'agit, alors parle !

— Calme-toi. Ce que je veux dire, c'est qu'il est plus sain pour toi que tu te souviennes au fur et à mesure, pas tout d'un coup. Si tu voyais tout à la fois, ça t'aliènerait. Je vais trouver un moyen pour que tu saches ce que j'ai capté, pour te rendre ce qui t'appartient. Une sorte de transfert de mémoire. Simplement, tu auras les visions de manière distillée, afin que tu ne sombres pas dans la folie.

Il parut réfléchir pendant quelques minutes, puis s'assit, le visage encore plus fermé.

— Désolé d'avoir crié. C'est que, pour la première fois, on arrive à saisir des souvenirs que je n'ai plus. L'impatience, ou la détresse comme tu veux, me gagne en quelque sorte. Mais j'attendrai. Pourras-tu accéder au reste de mon passé ? Tu as une idée sur comment fait ?

— Pas vraiment. Je pense réessayer comme ça. Mais pas maintenant. Je dois réfléchir, poursuivre ma réflexion sur le fonctionnement de mon pouvoir maintenant que je sais que ça marche. Et puis l'heure est déjà trop avancée. Je ne veux pas rater Salem et nous avons encore des choses à faire.

— Bien. Allons-y alors.

Doucement, il déposa un baiser sur mes lèvres, comme pour se faire pardonner de s'être injustement emporté. Nous nous levâmes et parcourûmes le chemin en sens inverse. Il me prit la main, geste qu'il n'avait jamais fait. Pas de cette façon en tout cas. Je me laissai faire, conscient qu'une chose s'était brisée en moi.

En découvrant ses douleurs intérieures grâce à ma magie, je réalisais avoir aimé quelqu'un que je ne connaissais pas vraiment jusque-là. Quelqu’un qui ne se connaissait pas lui-même.

 

***

 

Il était presque vingt-et-une heures lorsque nous partîmes de l'appartement. Dans la voiture, Ayhan me fixait sans rien dire. Le soir, nous nous rendrions à la soirée organisée par la société du père d'Ogora. J'étais donc habillé en conséquence : un costume sombre et une chemise beige dont le col était entrouvert.

Son regard était différent de ce à quoi il m'avait habitué. Ou bien était-ce moi qui transférais mes tortures secrètes et mes tourments ridicules sur lui ? Quoi qu'il en soit, ses grands yeux noisette m'irritaient et me brûlaient.

— Pourquoi me regardes tu comme ça ? finis-je par lancer, un peu brutalement.

— Pour rien.

— C'est ça, tu penses que je vais te croire ?

Nous n'avions plus échangé un mot depuis que nous étions revenus de la forêt. Je m'étais préparé en silence, fermant à clé la salle de bain pour me doucher et me raser. Il avait attendu, tout le long, assis dans le salon, le regard perdu sur l'horizon que l'on apercevait par la grande vitre. Il sembla à la fois soulagé d'entendre ma voix, et blessé par les intonations qu’elle prenait malgré moi.

— N'oublie pas de passer au Domaine Occulte pour récupérer ton badge.

— Ne change pas de sujet.

— Ce n'est pas ce que je fais.

— Dois-je utiliser un sortilège pour savoir ce qui ne va pas ?

Pour appuyer ma menace, je tournai les yeux vers lui. Bien entendu, je bluffais. Je n'aurais jamais usé de la magie sur des personnes qui représentaient, ou avaient représenté, pour moi autant qu'Ayhan. En tout cas, pas ce genre de pouvoirs, pas de ceux qui forçaient l'autre à faire ou dire ce qu'il ne voulait pas. Malheureusement pour lui, Ayhan me croyait capable de pareil acte.

— Tu penses que je ne sens pas que tes sentiments à mon égard évoluent ? Qu'est-ce que j'ai fait ? Quel est ce châtiment muet, cette punition infligée en réponse aux fautes que je n'ai pas commises ?

Cette fois, ses prunelles n'exprimaient que le désespoir, celui que je connaissais secrètement moi aussi. Cette horrible sensation de perdre une parcelle d'âme, de la voir disparaître, sans rien ne pouvoir y faire. Ayhan faisait partie d’une vie que je ne reconnaissais plus vraiment. Mon pouvoir allait lui rendre ce qu’il avait égaré et l’éloigner de moi.

— Tu penses que je ne te comprends pas ? Qu'après tout, nous sommes bien différents ?

— Mes sentiments à ton égard évoluent ? Crois-tu que je sois capable de me lever ce matin en t'aimant et de me coucher ce soir en étant totalement étranger à toi ? Penses-tu comprendre ce monstre qu'est Kami ?

Ma voix était forte, claire et assurée. J'en étais extrêmement étonné, compte tenu des joutes infernales qui se déroulaient en moi.

Cela changeait-il vraiment quelque chose à mon amour, le fait qu'en ce jour je prenne pleinement conscience qu'Ayhan n'était pas un être à part entière, amputé de ses souvenirs, que je ne le connaissais pas vraiment et qu'il ne pouvait réellement aimer sans savoir qui il était ?

— Non, bien sûr que non.

J'avais cru un instant qu'il répondait à mes interrogations. Il tourna les yeux vers la route, plongé, semblait-il, dans ses pensées. J'avais l'impression qu'un orage se déchaînait rageusement dans son cœur, qu'il hurlait sans que je l'entende ni lui, ni ses pleurs, ni ses lamentations. Il m'aimait et il me connaissait. Et moi ? Je l'aimais, oui. Mais s'il avait été quelqu'un d'autre, l'aurais-je su vraiment ?

— Je sais que tu n'es pas un monstre Kami, mais je sens tes doutes. Je sais aussi ce qu'il y a en toi, aussi sûrement que je t'aime. Je me pose les mêmes questions. Mais les sentiments sont-ils soumis au passé de l'autre, Kami ? Mon caractère changera-t-il lorsque je connaîtrai mon passé proche ? Et mon passé le plus éloigné alors ?

— Ne soyons pas fâchés. Attendons de voir. Nous le découvrirons bien assez tôt.

Sa main était posée négligemment sur sa cuisse. Je plaçai ma paume au-dessus, lui faisant comprendre qu'il n'était pas nécessaire de continuer. Je devinais déjà que son amertume envers moi venait de passer le point de non-retour. Mes doutes sur les sentiments que j'avais pour lui l'avaient blessé, et plus que ça, il avait raison : il me connaissait et savait que notre histoire m'apparaissait à présent comme une chimère.

 

***

 

Nous entrâmes au Domaine Occulte. Le calme régnait ici, comme si l’endroit avait été déserté. Dans l’Antre des Maudits, il n'y avait presque personne. Trois clients étaient assis à une table, ils chuchotaient en lançant quelques regards intrigués aux colosses qui gardaient l’entrée du labyrinthe ; et deux hommes buvaient tranquillement un remontant au bar.

Ogora et Mahé semblaient faire l’inventaire lorsque le garçon, élégant comme toujours, leva les yeux vers nous et fit claquer sa langue.

Il portait un débardeur carmin et des bracelets de force en cuir à chacun de ses poignets. Je le dévisageai pendant une ou deux minutes, ses iris bleus qui paraissaient recouverts de givre m’ensorcelaient. Plongé dans ce regard magique, je me rappelais la douceur de sa peau brune sous mes doigts, de ses mains sur mon torse et de ses lèvres, douces et parfumées de vanille.

Le rouge lui monta aux joues. Il m’adressa un signe, un sourire lorsqu’il passa devant moi, et s’enfuit à grandes enjambées par les escaliers, faisant claquer ses bottines rouges sur le sol. Ses longs cheveux noirs, détail que j’aimais le plus chez lui, laissèrent dans l’atmosphère une traîne invisible de volupté. Au moins, j'étais fixé… il n'était pas prêt à parler avec moi.

Ayhan, à mes côtés, parut s’impatienter et fit un geste pour attirer l'attention de la serveuse. Ogora s’approcha d’une démarche féline, sensuelle. Ses bras, tombant le long de son corps, se balançaient imperceptiblement, mus par un souffle inexistant. Ils frottaient, à intervalles réguliers, son corset rouge, à lacets couleur ébène, qui rehaussait ses formes exquises. Sa jupe noire lui recouvrait à peine la moitié des cuisses, ce qui n'avait pas l'air de la gêner, même sous l'œil lubrique des hommes accoudés au comptoir. Sexy, mais pas vulgaire.

— Bonsoir vous deux, dit-elle avec un sourire sur les lèvres. Voici pour toi Kami, le badge qui sert d’invitation. 

Elle mit, dans ma main, un morceau de plastique rectangulaire sur lequel était inscrit mon nom et le service où j'étais censé travailler. Les lettres, noires et soignées, apparaissaient sur un fond rougeâtre.

— Ne faites pas de grabuge s’il vous plaît, mon père n’est pas très à l’aise avec le fait que vous soyez là. Je lui ai demandé ce badge comme une très grosse faveur.

— Ne t’inquiète pas Ogora, nous nous ferons discrets, la rassurai-je. Par contre, puisqu’il n’y a qu’un passe, il vaudrait mieux qu'Ayhan reste ici non ? Je ne veux pas que…

— Kami ! me coupa l’intéressé. Ne recommence pas avec ça, on en a déjà discuté. Ogora, il y a une entrée pour les employés n’est-ce pas ?

— Oui, derrière le bâtiment. Presque à la parfaite opposée de l’entrée pour les invités. Vous savez, j’ai déjà travaillé en extra à l’hôtel du Rouge et je connais tous les accès par cœur. Le seul qui n’est pas gardé c’est celui-ci. En revanche, la porte sera vraisemblablement fermée à clé. Je ne sais pas comment tu pourras faire pour passer.

À ces mots, la mine d'Ayhan s’éclaira, et la mienne s’assombrit. J'étais obligé de l’emmener.

 

En y réfléchissant, je ne suis pas certain que sa protection ait été réellement la raison de mon refus de le voir m’accompagner. La nouvelle ambivalence de mes sentiments pour lui me perturbait.

Et puis, revoir Salem avait toujours été quelque chose de fabuleux. Avais-je envie qu’un témoin assiste à cette osmose ? La magie opérerait-elle quand même ? Ayhan allait-il encore exister lorsque mes yeux croiseraient ceux de mon âme sœur ? Et si Salem était, finalement, lié à la Rose noire et à l’état de Robin ? Aurai-je l'audace de vivre, d’espérer, d’aimer malgré tout ? Pourrai-je trouver en moi la force de me venger ?

Je me souviens avoir prié en silence, sur la route, pour que la panique qui commençait à m'envahir disparaisse de mon cœur, pour me donner un tant soit peu de courage. Seigneur, vous en qui je n'ai aucunement la foi, aidez-moi. Que ce sombre pressentiment me fuit. Que Salem, mon âme jumelle, n’ait jamais visité la nécropole, demeure de ma malédiction. Vous, la divinité inexistante, pourquoi m’avoir laissé m’attacher à une Rose noire ? Parce que mon esprit n’y croyait point ? Que cette fleur fantasmagorique n’était qu’un mythe ? Je vous en supplie, architecte de l’univers, faites que mes intuitions ne soient que mensonges, car plus j’approche du monument rouge, et plus je sais que Salem m’a trahi.

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