Chapitre 7

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L'athamé de la massue resta planté dans la chair, donnant au cadavre immobile une allure presque comique. Les racines continuaient de grimper sur mon corps, enserrant mon cou. J'avais pensé que, Amarante morte, le sort aurait pris fin… Je commençais à étouffer.

Chrystel se précipita vers moi et souffla à son tour sur moi. Son pouvoir était similaire à celui d’Amarante. La femme neutralisée, Chrystel pouvait reprendre le contrôle des végétaux. En quelques secondes, je fus libéré.

Mahé, Ayhan et Ogora neutralisèrent les quelques Descendants d'Eren qui subsistaient et qui tentaient de s'enfuir. Je regardai autour de moi, des corps, meurtris ou évanouis, jonchaient le sol. Chrystel me prit la main et s’écria :

— Ulome !

Nous courûmes dans le labyrinthe. Chrystel était sur mes pas. Des cris retentissaient par intermittence, et les échos de ces plaintes participaient à l'angoisse qui me tiraillait. Malgré toute la haine et le dégoût qu’il m’inspirait, j'étais inquiet pour lui.

En pénétrant dans la pièce où il résidait, nous trouvâmes une faction de Descendants d'Eren face à un Ulome affichant un air amusé. Une énergie opaque l'entourait. Chaque fois qu'un ennemi la touchait, il était instantanément réduit en cendres, disparaissant dans un hurlement de douleur.

Chrystel bondit rapidement entre les quelques assaillants qui avaient eu la bonne idée de ne pas s'approcher du gros homme debout au fond de la salle. Moi, je restai planté là, à l'entrée, regardant d'un air incrédule la scène. Je réalisai soudain tout ce qu’il venait de se passer et une bouffée de chaleur monta en moi. Je patientai le temps d'être certain qu'il n'y avait plus aucune menace pour Chrystel et Ulome et tournai les talons.

Mes interrogations sur mes rêves, sur cette Rose noire, et tout ce qu’il m'arrivait attendraient. J'étais las. Tout le monde allait bien, alors je rentrai. En marchant, je me rendis compte du ridicule de la situation. Personne ne savait ce qu'Ulome cachait au fond de ce labyrinthe. À aucun moment, il ne s'était trouvé en danger ; et moi, orgueilleux comme je l'ai toujours été, j'avais cru pouvoir l'aider. Quel imbécile ! Si quelqu'un, ce soir-là, avait été assez fort pour inquiéter Ulome, je n'aurais même pas eu le temps de m'engouffrer dans l'Antre des Maudits.

 

***

 

Ayhan, l'air songeur, se tenait face à la baie vitrée, le regard perdu dans les lumières lointaines de Lyon. Je savais à quoi il pensait. Assis dans mon canapé blanc, je regardais sa silhouette se dessiner devant la vitre. Son corps filiforme se découpait légèrement sur l'obscurité du ciel, entouré par un halo mystérieux.

— Tu n'as pas à avoir de remords.

— De quoi parles-tu ?

— Ayhan, c'était la première fois que tu tuais et j'aurais aimé t'épargner cela. Mais si ce n'était pas eux, c'était toi.

— Suis-je un monstre ?

— Tu es comme moi, simplement. Tout ce que tu as fait était vital, ne te pose pas trop de questions. Monstre ou pas, après tout peu importe, non ?

— Pourquoi as-tu quitté le Domaine Occulte ? Me le diras-tu un jour ? Tu ne veux plus en entendre parler, mais tu te précipites vers eux à la moindre difficulté.

— Écoute… Ulome, celui que nous sommes partis voir, Chrystel et moi, lorsqu’Amarante a été tuée… Il a toujours été présent dans ma vie, depuis que je suis enfant. C'est quelqu'un de bien, mais il ne veut pas des faibles, il ne veut pas des personnes « non magiques ». Et il cache beaucoup de choses.

— C'est un élitiste. Tu ne l'es pas toi ?

Il se tourna et me fixa froidement.

— Je ne suis pas comme lui. Il enseigne des choses à des personnes qui, parfois, ne devraient rien savoir. Je ne sais pourquoi, mais il se constitue une armée personnelle. Quand je m'en suis aperçu, je l'ai quitté. Tu comprends ? Il se nourrit de la vie des sorciers qu'il forme. Peut-être pas au sens propre, mais c'est malsain. Et un jour, tous ces gens lui serviront à survire, j'en suis sûr ! Il est persuadé qu’ils lui appartiennent. Tu sais, une fois que tu fais partie de son « organisation », il te surveille jour et nuit. Sans cesse, il est là, les yeux posés sur toi, jusque dans les moments les plus intimes.

— Il t'a pourtant fait connaître beaucoup de choses.

— Je ne renie pas ce que j'ai appris chez lui, mais ce n'est pas une vie qui me correspond.

— Tu m'as pourtant bien transmis certains de ses enseignements.

— Écoute, si je t'ai enseigné les projections d'énergies ou ce genre de pratiques, c'est que je souhaitais que tu puisses te défendre.

Je m'approchai et lui caressai les cheveux. Il ne bougea pas, se contentant de sourire tristement.

— Ayhan… Je ne veux pas qu'il t'arrive quoi que ce soit, est-ce si terrible ?

— Tais-toi, il ne m'arrivera rien.

— Mais il se prépare des choses. Les Descendants d'Eren, leur obsession pour ce qu'ils appellent la Levée du Voile. Beaucoup de personnes ont prédit des évènements funestes pour les années qui viennent. Finalement, il se peut qu'elles aient eu raison. Tu dois te méfier.

— Ne te tracasse pas pour moi. Tu ne te souviens toujours pas à quoi pourrait correspondre cette Levée du Voile ?

— Non. Je ne cesse d’y penser, à ça, au Serment, à Robin… Mais je suis incapable d’avancer.

Il m'embrassa rapidement, me tira par la main et m'entraîna vers la chambre d'amis. Il me poussa sur le dos, au milieu des couvertures bouffantes et des coussins moelleux, et me grimpa dessus.

— Que tu le veuilles ou non, tu vas songer à autre chose ce soir.

 

***

 

Finalement, Ayhan m'avait un peu changé les idées. La nuit, dans les bras l'un de l'autre, avait été ravissante. Aucune de mes pensées n'avait été tournée vers la Rose noire, Amarante, ou vers les pions du mystérieux Eren. Pourtant, je savais qu'il faudrait, tôt ou tard, comprendre ce qu'il se passait.

Mes rêves avaient été un peu agités, mais je ne me souvenais pas exactement ce que j'y avais vu.

Le train s'éloignait, emportant mon amant loin de Lyon pour les prochains mois où nous serions séparés. Je pensais à rentrer chez moi, mais je ne le pouvais avant d'avoir fait un détour par l'hôpital.

Si le Serment avait été activé par Amarante, c’était également elle qui avait empêché Robin de sortir du coma. Maintenant qu’elle était morte, il devrait s’être réveillé.

 

***

 

J'avais envie de m'endormir pour des siècles et des siècles, de plonger dans un sommeil profond, infini, et sans rêve. J'aurais aimé tout abandonner à l'instant, partir loin et ne plus penser à tout ce qui se passait autour de moi, ne plus connaître cette vie, ces gens, ces sentiments.

En quelques jours, mon monde s'était écroulé, et je ne pouvais réprimer la certitude que ce n'était pas terminé. Bientôt, j'apprendrais et verrais des choses encore plus terrifiantes. Je priais en secret pour me tromper, pour qu'il n'y ait pas de suite aux menaces des Descendants d’Eren, et que cette Rose noire ait été déposée par Amarante. La sorcière morte, le Serment ne pouvait plus être activé.

Ce n'était pas une larme qui roulait sur ma joue. Il pleuvait. J'accélérai le pas, entrai dans l'immeuble où se situait mon appartement et pénétrai dans l'ascenseur. « Dix-huitième étage ».

Je revenais de l'hôpital. Robin n’était pas sorti du coma. En refermant la porte de sa chambre, pris pas une pulsion mystérieuse, j’avais murmuré à son intention « c'est la dernière fois que je viens. Je t'aime Robin, adieu ».

Je n'avais pas réfléchi avant de prononcer ces mots. Je m'étais contenté de faire confiance à mon instinct. Je continuais à faire le deuil de mon ancienne vie. J’avais mentalement renoncé à mon travail et je renonçai à présent à Robin.

Et maintenant, qu'allais-je faire, seul dans cet appartement ? Syrine était toujours introuvable, Tristan m’avait déjà beaucoup aidé, Astrid était sûrement très occupée… Et puis tous les autres, tous mes amis… Des amis à qui je ne pouvais même pas parler, parce qu'ils ignoraient tout de ma nature de sorcier, ou parce qu'ils en avaient peur… J'avais parfois honte de leur mentir par omission, mais, au moins, ils étaient un peu épargnés.

Salem ne m'avait pas téléphoné. Cela me paraissait étrange. C'était pourtant lui qui devait être à mes côtés. C'était lui qui partageait mon sort, aussi sûrement qu'il partageait mes sentiments.

Salem, Malia et moi, un triangle d'âmes qui s'entretuaient de vie en vie. Nous avions été créés ensemble — il y avait de cela longtemps, très longtemps — et depuis, nous nous étions détruits mutuellement. À chaque incarnation.

J’avais fait cette découverte alors que Malia était l’une de mes plus proches amis, et que je vivais une histoire passionnelle avec Salem. Mon pouvoir avait commencé à se manifester, m’imposant des visions de nos anciennes existences. Peu à peu, j’avais recollé les morceaux, comprenant le lien entre nous et ses enjeux.

Nos incarnations nous menaient forcément à nous rencontrer, à nous aimer, et à nous affronter. Parfois, il n’y avait qu’un siècle d’intervalle entre deux vies, d’autres fois, c’était un demi-millénaire. Nous avions été des animaux, puis des êtres humains, mais nos relations n’avaient jamais changé. Nous étions chacun un poison irrésistible pour les deux autres. Sauf que, cette fois, nous avions souhaité modifier les choses.

Lorsque nous avons compris les dangers de nous fréquenter, alors que Salem perdait l’esprit et que je le sauvais par mon Serment, nous avons décidé de nous séparer. Tous les trois, nous étions résolus à briser ce destin maudit.

J’avais ainsi renoncé à mes âmes sœurs. Volontairement. Mais la situation me pesait. Ils me manquaient et je savais que cette distance entre nous ne pourrait suffire. La vie réussirait, à un moment ou à un autre, à nous rapprocher à nouveau et nous forcer à accomplir notre danse macabre. Si je voulais mettre fin à cette malédiction, je devrais tôt ou tard en découvrir les origines. Comprendre le but de nos incarnations. Pour survivre, pour nous sauver, je devrais trouver les racines de nos âmes.

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