Chapitre 6

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Je me glissai dans le couloir, Ayhan sur les talons. J’avançais lentement, guettant l’obscurité. L’énergie d’Amarante emplissait l’atmosphère, mais aucun son ni aucun bruit ne venaient troubler l’apparente quiétude du Domaine Occulte. Un guet-apens.

Arrivé aux panneaux fléchés, je tournai à gauche en direction du Coin des Érudits. Trois marches en pierre vieillie me menèrent devant une lourde porte en bois.

Je la poussai.

Ayhan passa devant moi, pénétrant dans la pièce plongée dans les ténèbres. Dès qu'il mit un pied à l’intérieur, un crépitement discret retentit. Des chandelles violettes s’allumèrent brusquement. Elles étaient posées sur de longues tables d’étude, prêtes à accueillir les apprentis du Domaine. Un sortilège imaginé par Chrystel, tout spécialement pour le Coin des Érudits. Il s’activait lorsqu’il détectait une présence à proximité.

Mon ami avait sursauté, mais ne fit aucun commentaire. Le souffle court, il appréhendait probablement la bataille que nous pressentions tous les deux.

Des livres étaient ouverts çà et là, un détail inhabituel pour ce lieu où l’ordre faisait loi. Les étudiants semblaient être partis précipitamment. Je ne dis rien. Ayhan se faisait certainement la même réflexion. Il observait, impressionné. Je le comprenais. Cet endroit m’avait tout autant déstabilisé autrefois. Il imposait le respect. D’immenses étagères regorgeant de grimoires tapissaient les murs et formaient de larges allées labyrinthiques. Je savais que le Domaine Occulte jouissait d’une sélection d’ouvrages de qualité.

Pendant quelques minutes, nous inspectâmes chaque centimètre carré de la salle, circulant entre les rangées de livres et de tables. Pas le moindre indice sur ce qu’il se tramait. Le silence pesait sur nous, donnant à l’atmosphère quelque chose de surnaturel et d’angoissant.

Je tirai Ayhan à l’extérieur et remontai jusqu’à l’intersection de départ. Du menton, je désignai le panneau indiquant le Jardin des Mages. Si nous devions être attaqués, il fallait espérer que ce serait ici. L’idée d’affronter Amarante dans le sous-sol, dans l’Antre des Maudits, sans échappatoire, ne me disait rien.

Je fus surpris de trouver Chrystel au milieu de ses plantes, comme si rien ne se passait. Assise sur un tronc d’arbre, elle bondit en me voyant entrer.

— Kami, j'ai cru que tu n'allais pas venir !

Elle se précipita vers moi, l’air inquiet.

— Que se passe-t-il ici ?

— Je ne sais pas vraiment, je crois que c'est la sorcière qui t'a attaqué. Elle est en bas, avec plusieurs autres personnes. Elle a fait sortir précipitamment les clients, m'a regardée bizarrement quand je lui ai dit que tu n’étais pas encore arrivé et a ordonné aux autres de me laisser attendre au Jardin des Mages.

— Tu veux dire qu'elle n'a fait que venir et vous faire perdre quelques clients ?

— Exactement. Mais Ogora et Mahé sont leurs otages. Je pense que je devais t'emmener en bas.

— Mais comment savait-elle que je viendrais ce soir ?

Ayhan se racla la gorge. Je l’avais oublié.

— Je te présente Ayhan. Ayhan, voici Chrystel.

— J’ai beaucoup entendu parler de toi, Ayhan. J’aurais préféré te rencontrer dans d’autres circonstances.

Il hocha la tête.

J’étais tendu. Amarante allait-elle activer le Serment ? Était-elle venue pour ça ?

— J’ai quelque chose pour toi, Ayhan. Un cadeau de Kami.

Elle sortit, de derrière un bureau en bois, une boîte métallique. À l’intérieur se trouvait une épaisse chaîne, longue de trois ou quatre mètres, terminée par une pointe massive en argent. Elle peinait un peu à la soulever, et Ayhan s'empressa de s'en saisir par la pensée. L'arme vola jusqu'à lui et s'enroula, presque entièrement, autour de son bras gauche ne laissant dépasser que l'extrémité acérée et une trentaine de centimètres de maillons.

— Merci, dit-il simplement.

— Je crois que tu as bien choisi Chrystel. 

Je regardai la chaîne tournoyer paresseusement autour de mon compagnon. Il me paraissait moins vulnérable comme ça. J'étais plus rassuré.

— Kami, heureuse de constater que tu as eu la bonne idée d'apporter tes massues. Eh bien, maintenant nous devrions peut-être descendre ?

— Combien sont-ils ?

— Je ne sais pas vraiment. Je dirais quatre hommes, plus la sorcière. Mais on peut supposer qu'ils sont beaucoup plus, je n'ai vu que ceux qui sont entrés ici.

— Où est Raven ?

— Il est en entraînement avec deux nouvelles recrues. Je ne pense pas qu'il arrivera tout de suite, ils sont en forêt, loin de Lyon.

— Bon, on se débrouillera sans lui.

Sur ces mots, Chrystel se tourna vers le comptoir et en sortit deux baguettes métalliques. Sous mon regard interrogateur, elle esquissa un petit mouvement du poignet et les deux lames se déployèrent en éventails aiguisés.

 

***

 

Nous descendîmes en silence les escaliers qui menaient à l'Antre des Maudits. Arrivé en bas, je tendis l'oreille. Aucun son, autre que plusieurs respirations profondes, ne me parvenait. Je fis signe à Ayhan et Chrystel de ne pas bouger. Joignant mes deux massues pour reformer le bâton de frappe, j’apposai ma main libre sur le mur.

Je fermai les yeux, projetant mon esprit loin de la scène. Mes doigts se crispèrent sur mon arme. Je sentis Chrystel tressaillir et Ayhan retenir son souffle. L'atmosphère devint glaciale autour de moi. La température chuta de plusieurs degrés sur les quelques centimètres carrés qui m'entouraient, ce qui força mes deux amis à reculer un peu. Je continuai à me concentrer pour que l'air refroidisse encore jusqu'à atteindre zéro degré. Sans bouger, je murmurai :

— À mon signal, on y va.

D'un geste sec, je propulsai ma main droite en direction de l'entrée. L’atmosphère autour de moi se réchauffa instantanément. J'accompagnai des yeux la bulle glaciale que je venais de créer. Elle explosa dans la salle. Lorsque j'entendis des cris dans la pièce, je m'élançai en avant.

— Allez !

En entrant dans l'Antre des Maudits, ma course fut freinée par le froid que j’avais provoqué. Mon regard se posa sur Mahé et Ogora, attachés par des lianes sur le bar en marbre, tremblants d'inquiétude. En face de moi, plusieurs personnes, engoncées dans des robes noires, poussaient des hurlements rageurs. En nous apercevant, le plus grand nombre se jeta sur nous. Ils étaient peut-être une dizaine.

La main en avant, je projetai mon énergie sur un homme chauve. Il fut percuté de plein fouet, tombant par terre. Je remarquai alors quelques corps inertes, sûrement en état de choc à cause du changement brutal de température. Ayhan souleva par la pensée plusieurs zafus qu'il catapulta dans toutes les directions, pendant que Chrystel lançait une rafale de magie verte sur ses adversaires.

Je fracassai, avec mon bâton, la tête d'une femme qui s'était approchée, et cherchai Amarante. Au bout de quelques secondes, je la distinguai au fond de la pièce, donnant des ordres à plusieurs de ses acolytes qui s'élancèrent derrière le rideau carmin marquant l’entrée du labyrinthe d’Ulome.

Chrystel me fit signe d'avancer, joua des éventails et arracha les lianes qui entravaient les deux serveurs de l'Antre. Aussitôt, Mahé darda une énergie blanchâtre sur un homme sur le point d'attraper Chrystel, tandis qu'Ogora allait prêter main-forte à Ayhan en distribuant des projectiles rouges autour d'elle. Traversant ce semblant de chaos, je tentai de rejoindre Amarante qui n'avait pas changé de place, assise sur le canapé où Raven m'avait accueilli la dernière fois.

Des cris s'élevaient partout autour de moi, du sang recouvrait déjà le sol. J'essayais de me concentrer sur mon ancienne amie, mais les lueurs des projections d’énergies m'aveuglaient par intermittence. Le pieu d'argent d'Ayhan passa à dix centimètres de mon visage et s'enfonça dans le thorax d'un garçon grassouillet qui s'apprêtait à charger Ogora. Mahé fit un vol plané, touché par un éclair noir. Il se releva et courut sur un groupe d'hommes en hurlant.

Amarante m'observait de loin. Un rictus déformait ses lèvres. Si elle activait le Serment, j’étais fini. Ses cheveux violines tombaient en cascade sur ses épaules, on aurait cru qu'elle assistait à un spectacle. Une projection fit exploser le bar en marbre. Chrystel passa par-dessus et se cacha dans les décombres. Ses deux éventails traversèrent la pièce, virevoltants à grande vitesse, puis s'encastrèrent dans le visage d'une vieille femme.

J'arrivai devant la fille responsable de ce chaos.

— Tu es allée trop loin ! Pourquoi le Domaine Occulte ? Comment savais-tu que je serais là ?

— Kami, tu as toujours été si orgueilleux ! Crois-tu que tu étais ma seule cible ? C’est ton amie, dans le jardin, qui m’a prévenue de ta probable visite ce soir. J’ai donc pensé que je pourrais m’occuper de vous deux en même temps. Quoiqu’il soit un peu coriace, Ulome est piégé. Et, maintenant, tu l’es aussi. Je vais accomplir mes deux missions le même soir. Alors, à toi l’honneur.

— Qu’est-ce que la Levée du Voile ?

Elle changea de position, visiblement embrassée par ma question.

— Eh bien ! Il est vrai que j’ai un peu trop parlé lors de notre dernière rencontre. L’excitation de nos retrouvailles probablement. Je vois que tu n’as pas encore compris. C’est parfait. Tu n’étais pas si lent d’esprit dans mon souvenir. Mais tout ça n’a aucune importance pour toi. Tu vas mourir ce soir, la Levée du Voile ne te concernera pas.

— J'en doute. Nous mettrons un terme à l’existence des Descendants d’Eren.

Amarante éclata de rire et se leva.

— Imbécile ! Nous sommes partout. Nous pourrions être mille à disparaître aujourd'hui qu’il n’y aurait aucun impact sur la puissance de notre Ordre !

Son fouet claqua dans l'air. Mon bras me brûla instantanément. Néanmoins, je ne cillai pas. Le sang chaud coulait sur mon membre. Je chassai la douleur. Une nouvelle fois, son arme vola dans ma direction. Je dressai mon bâton de frappe devant moi, la lanière s'enroula autour, je tirai sèchement et catapultai la liane de cuir loin derrière. Elle parut surprise une fraction de seconde et leva la main : son énergie verdâtre effleura ma jambe. Ma cuisse vibrait, engourdie par le choc magique. Je répliquai instantanément, mais la manquai.

Un homme affrontant Ayhan la bouscula. Elle repoussa le malheureux qui fut immédiatement transpercé  par le pieu de mon compagnon. Elle sembla se calmer, attrapa une grande femme qui passait et lui donna des instructions. Celle-ci se précipita sur moi, me sauta dessus et me roua de coups. Dans la confusion, je vis son poignet tatoué du même serpent que celui d’Amarante. Je regardai tant bien que mal autour de moi et m'aperçus que tous les Descendants d'Eren portaient un symbole identique.

Je repoussai la femme énergiquement, et lui envoyai une bonne décharge magique. Elle n'eut pas l'air sensible à ma riposte. Ogora apparut alors et écrasa un morceau de table basse sur mon assaillante qui s'effondra. Mon amie n'eut pas le temps de redresser la tête qu'un homme la tira par derrière et tenta de la poignarder. Une lumière rouge éblouit entièrement l'espace clos. Le moribond hurla d'horreur. Son corps tomba non loin de moi, à moitié calciné.

Je me relevai et fis face à Amarante. Des explosions retentissaient maintenant. Mon adversaire n'avait pas l'air d'en être plus intriguée que ça. Elle semblait concentrée. Des plantes recouvrirent le plafond. C’était elle. Son pouvoir pulsait dans les végétaux. Cette fille prenait possession de l'Antre et peut-être même du Domaine entier. Un feu se déclara à l'endroit où elle était assise quelques minutes avant. Mahé roula à côté, aux prises avec deux hommes robustes qu'il éloigna de lui par une pluie d'énergie.

Mes yeux se posèrent sur Amarante, juste à temps pour que je voie la sorcière courir sur moi. Elle bougeait rapidement, évitant mes projections. Je divisai mon bâton et lançai quelques coups de massue dans l'air. Ma mâchoire craqua, son poing s'enfonça dans ma figure et un liquide chaud envahit ma bouche. Je reculai un peu et abattis la masse sertie de pierre dans ses côtes. Elle hurla. J'envoyai mon pied exactement au même endroit. Encore un cri. Elle s'effondra. Je balançai mon genou dans son visage, la propulsant un peu plus loin sur le sol.

Dans un mouvement rapide, elle se rétablit sur ses deux jambes, me fixa, le nez ensanglanté, et souffla sur moi. Je n’arrivai plus à bouger. Je baissai le regard. Des racines glissaient sur mes pieds et s’enroulaient autour de mes mollets.

Une nouvelle explosion m'obligea à fermer les yeux pendant un millième de seconde. Lorsque mes paupières se relevèrent, je vis Ayhan se faire renverser par une énorme liane et Ogora lutter contre des lierres robustes. Amarante n'était plus devant moi. Chrystel traversa la pièce en courant pour aider Mahé qui était blessé au bras.

Soudain, j'aperçus Amarante à quelques mètres. Elle se dirigeait vers la sortie. Dans un ultime effort, je lançai ma massue en direction de son dos. La scène parut se dérouler au ralenti. Mon arme tournoyait, sa pointe brillante, passant à côté d'Ayhan qui se relevait, effleurant l'un des rares adeptes à être encore debout, pour finalement se ficher entre les omoplates d’Amarante. Les végétaux me recouvraient entièrement. La femme s'effondra alors que j'étouffais.

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