Chapitre 1

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17 ans plus tard

Livia se réveilla en sursaut, trempée. Elle s’assit en passant une main dans ses cheveux, retirant par le fait-même les quelques mèches rousses collées à son front. Encore ce cauchemar. Le même. Toutes les nuits. Depuis aussi loin qu’elle se rappelait. Liv prit quelques minutes pour se calmer, respirant profondément. Elle connaissait ces images par coeur. Malgré tout, le même sentiment de malaise l’envahissait à chaque fois. Après avoir essayé une panoplie de méthodes et de thérapies pour s’en débarrasser, elle avait décidé de tout simplement accepter la situation. La jeune femme ne laisserait certainement pas ça teinter toute sa vie.

Une fois son rythme cardiaque apaisé, Livia parcourut la petite chambre de ses yeux aux iris gris bleu. Tout dans cet endroit lui plaisait et contribuait à l’apaiser. Le soleil du matin étirait ses rayons au travers de la seule fenêtre, qui était entrouverte. La brise printanière s’y engouffrait, agitant doucement les épais rideaux de velours bleu royal. Malgré l’heure précoce, Kali, sa colocataire et meilleure amie, était déjà partie, à une de ses nombreuses activités parascolaires. La pièce contenait en deux exemplaires: un lit, un bureau de travail, un coffre de rangement et une petite commode, tous en bois ouvragé. Tous les meubles semblaient avoir une histoire, un vécu, qui leur donnait beaucoup de cachet.

La rouquine descendit de son lit, faisant grincer le plancher de bois foncé, qui devait dater de la construction de la tour. Le bois de l’ameublement et du sol adoucissaient le caractère austère que conféraient à la chambre les murs de pierre polie. Livia se dirigea vers la salle de bain et referma la porte derrière elle. Minuscule, la pièce se dotait du stricte minimum: une douche, un lavabo et un miroir. Du lambris peint en turquoise recouvrait les cloisons, alors que le même parquet que la chambre se poursuivait sur le plancher. Elle laissa glisser sa chemise de nuit et sa culotte au sol, puis entra dans la douche.

Liv ajusta la température puis ouvrit le jet sous lequel elle se faufila. L’eau délicieusement chaude s’écoulant doucement sur sa peau diaphane s’avérait réconfortante et salvatrice. Elle ferma les yeux, laissant le flot nettoyer les dernières traces de son mal-être. Livia se lava rapidement, puis ferma le robinet et sortit. S’enroulant dans une serviette, la jeune femme se regarda dans le miroir presque entièrement recouvert de buée. Liv saisit une brosse pour démêler sa chevelure. Elle leva ensuite une main et dit “ventus calor”. Une souffle chaud émana de sa main et termina de sécher ses cheveux ondulés d’un roux flamboyant.

Ces derniers touchaient d’ailleurs désormais à peine ses épaules, et elle devait avouer qu’elle adorait ça. C’était simple à démêler et le changement faisait du bien. Kali les lui avait coupé la veille, sur un coup de tête. Ses doigts glissèrent dans ses boucles soyeuses alors qu’elle s’observait dans le miroir, un air satisfait au visage. Livia délaissa son reflet pour quitter la salle de bain, se dirigeant vers sa commode. Elle enfila prestement des sous-vêtements, puis des capris en jeans avec une camisole longue à bretelles minces, verte, toute simple. Vêtements par dessus lesquels la magicienne mit la veste d’été de son ordre, soit un cardigan noir en tissu léger, avec le logo d’Elementa brodé dans le dos.

Liv prit sur son bureau son pendentif qu’elle passa à son cou. Chaque sorcier portait un médaillon orné de la pierre représentant le mieux l’énergie vitale qui leur était propre. Cette dernière s’avérait essentielle pour effectuer certains sortilèges. De son côté, le rubis, symbolisant la passion et la vitalité, la représentait à merveille. Elle ferma avec peine son sac à bandoulière rempli à rabord, puis regarda l’heure sur son téléphone, avant de le glisser dans sa poche arrière de pantalon. Encore 45 minutes avant le cours, ça lui donnait le temps d’aller prendre l’air dans le jardin intérieur.

Livia mit son sac sur son épaule et sortit en refermant la porte derrière elle, prenant le chemin pour sortir des dortoirs. Ceux-ci se situaient dans une tour haute de dix étages Le couloir, aux parois faites de pierre massive, possédait donc une forme circulaire. Des portes de bois numérotées s’alignaient le long de celui-ci. L’éclairage provenait de lanternes accrochées aux murs, dont le feu magique projetait des reflets rougeâtres sur la roche. Puis, tout au bout se trouvait un escalier en colimaçon descendant vers les étages inférieurs.

Liv descendit les marches sans trop se presser, question de ne pas se rompre le cou. Vive la maladresse, se dit-elle! À l’aube de l’épreuve de sélection pour le conseil de protection, ce n’était vraiment pas le moment de se briser un membre. Elle attendait ce moment depuis si longtemps! Avide de connaissance, chaque minute passée en classe, en compagnie d’éminents magiciens, représentait un plaisir indescriptible pour elle. Cependant, l’appel du monde extérieur se faisait sentir de plus en plus, implacable. Sortir le nez des livres, explorer le monde, voir de ses propres yeux toutes les créatures décrites par ses professeurs. Et surtout: avoir un impact sur le monde, une utilité. Se servir de tout ce savoir et toutes ces compétences pour faire le bien. Pour sauver des vies. Changer des vies.

Son regard resta accroché sur le paysage offert à sa vue par la fenêtre la plus proche. Étant encore presque au sommet du bâtiment, le panorama coupait le souffle. Des champs colorés par les nombreuses fleurs sauvages, suivis d’une luxuriante forêt. Les silhouettes des gratte-ciels de la ville humaine se dessinaient au loin. Comme elle avait hâte de pouvoir librement en parcourir les rues!

Cessant de rêvasser, Liv reprit son chemin, arrivant finalement au pied de la tour. Elle s’engagea dans le couloir principal de l’aile ouest et atteignit rapidement le hall d’entrée principal. Une grande pièce aux murs de pierre entièrement travaillés. De fines gravures ornaient les colonnes qui soutenaient le haut plafond cathédral. Une immense porte de bois massif servait d’entrée principale. Une autre, plus petite, menait au réfectoire d’où lui provenait le bourdonnement des conversations matinales. Le corridor se poursuivait de l’autre côté de la salle pour accéder à l’aile est.

La rouquine bifurqua plutôt vers la sortie située sur le mur opposé à l’entrée du bâtiment. La porte étant grande ouverte, elle se retrouva tout de suite dans la cour centrale. Un sourire sublime se dessina immédiatement sur son visage. Son endroit préféré. Avec la bibliothèque évidemment! De grande dimension, l’espace, entièrement gazonné, regorgeait d’une végétation d’une beauté indescriptible. Des fleurs aux couleurs surréalistes dont les pétales s’ouvraient ou se refermaient selon qui les regardait. D’autres ne s’épanouissaient que la nuit, scintillant sous les rayons de la lune. Il y avait également des arbres s’apparentant à des saules, dont les feuilles, comme dotées d’une volonté propre, semblaient danser au rythme d’une musique imaginaire.

Ses prunelles grises firent le tour de l’endroit avant de finalement repérer ses amis. Ces derniers se trouvaient près de l’étang, dans lequel se prélassaient de petites créatures ailées ressemblant à des grenouilles. Leur nom lui échappait tout le temps! Livia retint un rire en voyant son amie Kali gesticuler, ses cheveux finement tressés s’agitant dans tous les sens. La couleur rose de ceux-ci contrastait de façon flagrante avec sa peau caramel. Des jeans savamment déchirés et un haut court à l’effigie de son groupe de rock préféré complétaient son style à merveille. Du haut de ses cinq pieds, elle semblait expliquer quelque chose de façon très enthousiaste à Hans, un de leurs camarades.

Liv les rejoignit rapidement, leur faisant un grand signe de la main en s’approchant.

  • Salut vous deux!!
  • Hey si c’est pas ma sublime meilleure amie qui nous honore de sa présence! s’exclama Kali, un grand sourire aux lèvres, soutirant un rire à Livia.
  • Exagère pas trop quand même!
  • Salut Liv, la salua Hans sur un air gêné, passant une main dans ses cheveux blonds.
  • Salut! Vous êtes drôlement matinaux tous les deux, fit-elle remarquer en s’arrêtant devant eux.
  • Entrainement du club de combat, répondit Hans en croisant les bras. Pour le tournoi du mois prochain.

Livia afficha un air de compréhension.

  • Oh c’est vrai ! J’avais oublié, dit-elle, glissant une mèche derrière son oreille en souriant innocemment.
  • Pas étonnant, madame la distraite! Tu n’en as que pour l’épreuve de sélection du conseil ces temps-ci! rétorqua Kali, taquine, ses yeux verts brillants d’amusement.
  • C’est normal, ça fait des années que j’attends ça!
  • De toute façon, c’est évident qu’ils vont te prendre, tu es de loin la meilleure de ta promotion, affirma Hans, non sans un air gêné qu’il tenta en vain de camoufler.

Liv le regarda et lui sourit, reconnaissante.

  • C’est gentil, j’espère vraiment que tu as raison.
  • Oh et moi je compte pour du beurre alors! ajouta Kali, sur un ton faussement scandalisé.

Hans l’ignora totalement, paraissant totalement obnubilé par Livia qu’il fixait de son regard bleu azur. Une teinte rouge se glissa sur ses joues.

  • De rien, je le pense...hum, je dois y aller, on se voit plus tard! dit-il en s’éloignant presque au pas de course.

Liv le regarda s’éloigner un peu perplexe alors que Kali lui entourait les épaules d’un bras.

  • Tu vas finir par le faire fondre tu sais.
  • Mais j’ai rien fait! se défendit Livia en jetant un oeil à son amie
  • Je pense que ta seule présence suffit, dans toute ta magnificence! répondit-elle sur un sourire moqueur.

Liv la repoussa en riant.

  • Arrête! Ça t’amuse beaucoup trop! Je veux pas qu’il aille de la peine à cause de moi.
  • Tu as été très clair avec lui la dernière fois. Tu n’es pas responsable de ses sentiments ou ses réactions. Ça lui appartient, répliqua-t-elle en haussant les épaules.

Kali lui sourit gentiment en poursuivant.

  • Tu n’as pas besoin de prendre le poids du bonheur de tout le monde sur tes épaules, où tu vas finir en martyr!
  • Oui oui! Je sais, ça doit faire mille fois que tu me le dit! Et si on parlait plutôt d’autre chose en se mettant en route vers notre salle de classe?
  • Comment pourrais-je te dire non? répondit Kali en se mettant en route avec elle, la tirant par un bras.

Livia la suivit donc, amusée. Une fois à l’intérieur, Kali lui pointa vaguement la salle à manger.

  • Tu as déjeuné?
  • Non, j’ai pas très faim mais j’ai des trucs à grignoter dans mon sac.

Sa meilleure amie lui lança un regard réprobateur. Son air laissait aussi poindre un soupçon d’inquiétude. Livia ne se laissa pas démonter et entraîna sa copine avec elle vers le corridor où se donnait la majorité des cours.

  • J’imagine que c’est parce que tu as fait ton cauchemar juste avant de te réveiller. Ça arrive souvent ces derniers temps, non? dit-elle en la suivant sans vraiment avoir le choix.
  • ...Effectivement, mais c’est pas si grave, je suis habituée, répondit Livia en se passant une main dans le cou, légèrement mal à l’aise.

Elle savait ce que son amie en pensait. Ses mauvais rêves demeurait l’un de ses seuls sujets sur lequel elles se querellaient. Kali leva les yeux au ciel, exaspérée.

  • Tu ne devrais pas juste ‘’accepter’’! Je suis sûre qu’il y a quelque chose à faire. On est des magiciens bon sang! Il y a forcément un sortilège ou un artéfact qu’on a pas essayé!
  • Tu sais bien que j’ai testé des dizaines de méthodes, et rien n’a jamais fonctionné. Parfois, il faut savoir quand cesser de s’acharner.

Relâchant le bras de Kali, Livia croisa les bras et tenta d’afficher un air inflexible, malgré ses doutes. Rien ne lui ferait plus plaisir que de se débarrasser de ce problème, mais elle ne voulait certainement pas que sa vie tourne autour de ça. Des techniques soit-disant miracles elle en avait assez vu échouer pour ne plus avoir envie de risquer d’être déçue. Encore.

  • Bien. Mais tu devrais au moins être honnête avec le professeur Bauer. Ce n’est pas juste de lui faire croire depuis près de cinq ans que tes cauchemars sont partis.

Livia fut surprise qu’elle abdique si rapidement. Elle baissa les yeux une seconde avant de regarder sa complice de toujours. Un sentiment de culpabilité naissait au creux de son ventre, comme à chaque fois qu’elles abordaient le sujet. Mentir à Friedrich ne lui faisait pas du tout plaisir.

  • J’ai mes raisons. Rien ne fonctionnait et je voyais bien que ça lui faisait du mal de ne pas pouvoir m’aider. Il était en train de se rendre malade. Alors, je reste persuadée que c’est la meilleure solution, affirma-t-elle alors qu’elles s’arrêtaient devant l’entrée de la classe.
  • Tu as beau te mentir à toi-même si tu veux Livi, mais je vis avec toi. Je suis parfaitement consciente que depuis quelques mois ton sommeil est encore plus agité que d’habitude. Ça empire. Et si tu ne lui dit pas bientôt, c’est moi qui le ferai, dit-elle d’un ton sans réplique en faisant volte face pour entrer dans la pièce.

Livia resta plantée là alors que son rythme cardiaque s’accélérait. Son regard s’aventura dans la salle et elle pinça les lèvres, soudain nerveuse. Le poids dans son estomac s’alourdit lorsqu’elle repéra Fried à son bureau. Fidèle au poste. La seule figure paternelle qu’elle ait jamais connu. Il en prenait déjà bien assez sur ses épaules avec ses responsabilités envers l’ordre pour ne pas en plus qu’il ait à s’inquiéter pour elle. Plus qu’il ne le faisait déjà. Et qu’allait-il penser de son mensonge? Même avec la meilleure des intentions, cela demeurait un mensonge. Le décevoir s’avérait être la dernière chose qu’elle voulait.

Cependant, Kali marquait un point. Ça ne servait à rien de se voiler la face. Ses cauchemars se faisaient de plus en plus violents et monopolisaient ses nuits entières, ne lui laissant plus le moindre répit. Auparavant, il ne lui rendait visite qu’une fois par nuit. Maintenant, il rejouait en boucle dans sa tête dès que ses paupières se fermaient, jusqu’à son réveil. Les détails s’accentuaient également d’une nuit à l’autre, jusqu’à lui laisser parfois l’odeur âcre du sang en bouche. Liv respira profondément pour se redonner du courage puis pénétra dans la pièce. Elle devait le lui dire.

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