Prologue

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La pluie froide d’automne tombait, impitoyable. La chaussée ressemblait de plus en plus à une rivière dont le lit menaçait de déborder à tout moment. La lune se trouvait déjà à son zénith. Deux hommes sortirent d’une ruelle pour s’engager dans la petite avenue résidentielle. De modestes petites maisons de ville s’alignaient sur toute la longueur de celle-ci. Un quartier paisible et sans histoire, se dit Friedrich, le plus grand des deux individus. Du moins, ça l’était jusqu’à maintenant. Approchant de l’intersection, il pouvait voir à présent les lueurs des gyrophares se refléter sur les bâtisses adjacentes. Son compagnon émit un soupir sonore.

  • Les autorités humaines semblent être arrivés rapidement pour une fois, affirma Walter sur un ton mécontent, replaçant son chapeau sur ses cheveux blonds soigneusement coiffés.
  • C’était à prévoir, les voisins ont dû entendre des cris. Ça ne change rien au plan, nous avons ce qu’il faut pour gérer la situation, répondit-il.
  • Je sais bien, mais ça aurait été plus simple, continua-t-il en maugréant.

Friedrich afficha un sourire amusé pour lui-même. Son collègue n’avait décidément aucune patience pour ceux qu’il qualifiait de “gens ordinaires”. Il passa une main sur sa tête pour repousser vers l’arrière les boucles brunes trempées qui obstruaient sa vue.

Alors qu’ils tournaient le coin, il put avoir une meilleure vue d’ensemble de la situation. Cinq voitures de polices et deux ambulances occupaient toute la largeur de la rue devant une petite demeure. Cette dernière était, à première vue, tout aussi banale que les autres. Des agents de police s’agitaient dans tous les sens afin de mettre en place un périmètre de sécurité. Quelques voisins se risquaient sur leur perron afin de chercher à assouvir leur curiosité. Son collègue n’avait pas tort. Le nombre de témoins sur les lieux les forcerait à envoyer une équipe de Deceptis. Ces derniers, communément appelés des nettoyeurs, se trouvaient à être chargés d’effacer la mémoire des humains ordinaires lorsque des incidents magiques se produisaient.

Un coup d’oeil circulaire rapide lui permit de repérer l’officier en charge de la scène de crime. Il se dirigea vers lui tout de suite, Walter sur ses talons. Fried sortit de la poche de son long manteau une petite pierre. Il sentit le pouvoir de la gemme s’activer alors qu’il resserrait les doigts autour d’elle. Arrivé au cordon de sécurité, il sourit avec assurance à l’agent de police qui s’y trouvait.

  • Bonjour, je suis l’inspecteur Bauer, et voici mon collègue l’inspecteur Brown. Nous faisons partie des crimes majeurs et sommes ici pour prendre le relai.
  • Puis-je voir votre badge?
  • Oh bien sûr, ou ai-je la tête? répondit-il sur un sourire désolé.

Il sortit sa main libre de sa poche et la montra à l’officier. Ce dernier regarda la paume vide quelques secondes, comme s’il y voyait quelque chose qu’il était le seul à apercevoir. L’humain releva ensuite le regard pour regarder Friedrich à nouveau et lui sourit.

  • Parfait, inspecteurs, vous pouvez passer.

Ils franchirent donc tous les deux le ruban, se dirigeant vers l’officier en charge, se servant du même subterfuge. Heureusement, personne n’avait encore pénétré dans la maison. Ils auraient donc le champ libre.

Fried prit les devants et gravit les quatre marches menant sur le perron, dont les planches grincèrent sous son poids. Ses yeux noisettes se posèrent sur la porte d’entrée. Entrouverte, celle-ci avait sans aucun doute été défoncée. Une longue trace de griffure la parcourait sur presque toute sa longueur. Walter s’arrêta à ses côtés, fixant aussi les traces.

  • Cinq griffes...constata-t-il en lui jetant un coup d’oeil de ses yeux pers. Un lycanthrope?
  • Peut-être, mais ça ne fait pas de sens...ils n’attaquent pas comme ça des maisons au hasard, en plein milieu de la banlieu, répondit-il en poussant la porte prudemment, un air inquiet sur le visage.

Si cette théorie s’avérait vrai, ça n’augurait rien de bon. Les lycans étaient des créatures intelligentes et organisées. Cela voudrait donc dire qu’ils avaient cibler pour une raison bien précise, qu’ils se devaient de découvrir.

  • Attention, la maison est envahie de tellement d’énergies négatives, que je n’arrive pas à sentir s’il y a encore des créatures à l’intérieur.
  • Ne t'inquiète pas.

Les deux mages entrèrent dans le vestibule plongé dans la pénombre. L’odeur métallique du sang les accueillit immédiatement. Sa puanteur empoisonnait l’air environnant malgré qu’ils ne puissent encore en voir la source. L’endroit semblait tout à fait typique d’une coquette petite maison de banlieu. Friedrich ne s’attarda pas plus longtemps au décor, puisqu’il était là pour une raison bien précise. Walter se chargeait de l’enquête et de la collecte des indices. Ce dernier s’occupait déjà de ramasser des échantillons ici et là, tout en analysant chaque détail des lieux.

Fried s’avança dans le long couloir jusqu’à une ouverture qui devait mener vers le salon. Il y jeta un oeil, son coeur se serrant. À 30 ans, cela faisait déjà près de 10 ans qu’il faisait ce travail. Des monstruosités, il en avait vu des tonnes, mais jamais il ne s’habituerait.

Le corps d’une femme reposait dans une mare de sang. De nombreuses marques de griffures, semblables à celle de la porte d’entrée, déchiraient sa chair. Si profondément que ses entrailles semblaient s’être déversés au sol. Horrifié, il aperçut dans ses bras crispés le corps d’un enfant d’environ deux ou trois ans. Vu la position, la mère semblait avoir essayé de le protéger, en interposant son corps entre lui et l’assaillant. Jamais n’aurait-elle pu deviner que la lacération serait assez dévastatrice pour les faucher tous les deux.

Fried prit une grande inspiration et se détourna de la scène, le coeur cognant durement contre ses côtes. Il suivit Walter qui avait poursuivi son chemin sans s’attarder, l’air toujours si imperturbable. Comment faisait-il? On aurait presque dit qu’il était dépourvu de sentiments par moment…

Contournant l’escalier du deuxième, ils débouchèrent dans la cuisine ou un spectacle tout aussi horrifiant les attendait. Le corps du père était empalé au mur par une large poutre de bois qui devait avoir été arraché du portique arrière. Le cadavre portait le même genre de blessures que celui du salon, à quelques détails près: certaines parties semblaient avoir été arrachées par de puissantes mâchoires, laissant croire que les créatures s’en étaient nourri. Des gouttelettes de sang tombaient à un rythme irrégulier sur le carrelage, rompant le silence pesant qui régnait. Ça voulait donc dire que la scène était encore très récente.

Walter observa le tableau quelques secondes à la recherche d’indices, puis regarda Friedrich.

  • Ce qu’on cherche doit être à l’étage. Il y a vraiment des vibrations étranges qui en émanent, affirma-t-il en posant une main sur le médaillon magique qu’il portait. Vas-y, je te rejoins.

Friedrich hocha la tête et rebroussa son chemin pour retourner aux escaliers, commençant à les monter. Un mauvais pressentiment le gagnait au fur et à mesure qu’il progressait dans la maison. Arrivé en haut, son regard s’accrocha sur un cadre suspendu au mur. Une petite famille heureuse: des parents souriants entourés de quatre adorables enfants. Une famille innocente décimée probablement sans aucune raison.

Quittant la photo des yeux, le magicien reprit son chemin avec l'impression d’avoir du plomb dans l’estomac. N’attendant pas son partenaire dont les pas résonnaient dans l’escalier derrière lui, il se dirigea plutôt vers la pièce du fond. Aucune raison logique ne le justifiait, mais il avait la certitude que c’est la qu’elle se trouvait. Chacun de ses pas accentuait le poids qui opprimait sa poitrine. Quelque chose d’innommable l’attendait dans cette chambre. Quand il franchit le seuil de la porte, son coeur manqua un battement.

La chambre d’une petite fille, transformée en scène de film d’horreur. Les murs décorés de papier peint fleuri étaient recouverts d’éclaboussures de sang et de morceaux de chair arrachée. Des traînées d’hémoglobine constellaient le tapis autrefois rose. Au centre de la pièce, une petite fille d’à peine cinq ans était assise. La gamine leva ses yeux gris sur lui, l’observant sans réaction apparente. Couverte de sang des pieds à la tête, l’enfant tenait dans ses bras le corps sans vie de sa soeur, flattant machinalement ses cheveux du même roux que les siens.

Des jumelles, se dit l’homme, se rappelant la photo. À quelques pas d’elles gisait le dernier membre de la famille, leur soeur aînée, qu’il estimait être âgée d’une dizaine d’années. Son corps sauvagement mutilé semblait avoir été déchiré en deux. Son coeur battait à tout rompre. Il n’osait imaginer ce dont la petite avait été témoin.

Friedrich reporta son regard sur la survivante clairement en état de choc, retenant Walter d’une main pour lui faire comprendre de le laisser prendre les devants. Ce dernier pinça les lèvres, insulté, mais n’insista pas.

Fried replaça ses lunettes nerveusement et se risqua à faire un pas vers elle, levant les mains en signe de non violence.

  • Tu t’appelles Livia, n’est-ce-pas? Moi c’est Friedrich. Et lui Walter, nous sommes là pour t’aider.

L’enfant, qui s’était un peu reculé en le voyant approcher, se contenta de l’observer avec méfiance. Il devait s’efforcer de se calmer, de lui montrer qu’elle ne devait pas le craindre. L'homme se concentra pour envoyer des ondes positives vers elle, espérant la détendre.

  • Nous allons t’amener quelque part où tu seras en sécurité, où des choses comme ça n’arriveront plus jamais.

La petite fille eut d’abord pour réflexe de resserrer sa soeur contre son coeur. Elle ne voulait pas la laisser là, toute seule. Plongeant son regard dans celui de l’homme, une étrange certitude l’envahit. Elle pouvait lui faire confiance.

La voyant se détendre, Fried, soulagé, se pencha vers elle pour lui tendre une main, qu’elle prit après une seconde d’hésitation. À ce moment, une petite sphère lumineuse se posa sur elle, l’endormant aussitôt. L’agent de terrain la rattrapa, lançant ensuite un regard mécontent à Walter qui rangeait dans sa poche l'artefact qu’il venait d’utiliser.

  • Ce n’était pas nécessaire d’en venir là. Maintenant, on va avoir du mal à gagner sa confiance, affirma-t-il, irrité, en prenant la petite correctement dans ses bras.
  • Tu es trop imprudent. Regarde la comme il faut, dit il en désignant la gamine. Elle n’est pas recouverte que de sang humain.

Friedrich regarda la petite, reconnaissant facilement ce à quoi son collègue faisait allusion. Des traces d’un fluide noirâtre , dont l’odeur ne laissait place à aucun doute. Non-humain, appartenant possiblement à la dimension des tenebris.

  • Ce qu’il y a sur ces murs non plus d’ailleurs, continua Walter en pointant un monticule de chair plus loin, que Fried n’avait pas encore remarqué. Ce sont les restes d’une des créatures. Elle en a tué une. Réduite en bouilli pour être exact. Cette enfant est dangereuse.
  • C’est surtout une des nôtres. Qui vient de voir toute sa famille se faire massacrer. Aie un peu de compassion pour une fois, répliqua-t-il d’un ton sans réplique en faisant volte face pour sortir.
  • La tienne te perdras. Je préfère de loin être rationnel, dit-il sur un soupir en prenant un échantillon des restes de l’assaillant avant de lui emboîter le pas. Une enfant de cet âge ne devrait pas avoir de pouvoirs aussi puissants, tu le sais comme moi.
  • Ils viennent de se déclencher, normal qu’elle ne les maîtrise pas. Surtout dans l’état d’esprit qu’elle devait avoir à ce moment là. De toute façon, les voyantes nous ont dit de venir la chercher, c’est donc qu’il y a une raison.
  • Si ça se trouve, c’est elle qui a tué ses soeurs dans la confusion.
  • Leurs blessures n’ont pas l’air d’avoir été infligées par magie. Même si c’était le cas, ça serait un accident. Et une raison de plus de l’aider, conclua-t-il, énervé par le manque d’empathie de son compatriote.

Avant de descendre les marches, Friedrich se libéra une main et prit la photo de famille pour la mettre dans sa poche. L’homme n’était pas naïf. Son camarade n’avait pas tort. Il sentait vibrer la puissance de l’enfant alors qu’il la tenait contre lui. Une énergie jamais vue, totalement différente de tous les magiciens élémentaires faisant partie de son ordre. Pourtant, les oracles avaient confirmé que l’enfant faisait bel et bien partie des elementa, comme eux. La voix de son Walter, qui venait d’appeler l’équipe de nettoyeurs, le sortit de ses réflexions. Il reprit son chemin alors qu’une pensée s’imposait à lui comme une vérité absolue, une évidence. Il devait protéger cette petite fille coûte que coûte. Rien ne serait plus pareil, il en avait la conviction.

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