Partie 3 ? 22 – En mode Winner

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« Seigneur, ô seigneur, si seulement ce soir

je pouvais m’arracher mon putain de cœur

et le leur montrer, quoiqu’ils n’y verraient, j’en suis convaincu,

qu’un abricot, un citron desséché, une vieille graine de melon. »

Charles Bukowski

J’en chiais à l’écrire ce putain de bouquin ! Il partait vraiment en couille, et moi avec ! Des pages partout ! En veux-tu ? En voilà ! Et des notes encore plus ! Des kilomètres et des kilomètres de phrases écrites au stylo, sur des pages volantes, à foutre absolument dans ces lignes, comme une question de vie ou de mort. Y’avait d’ailleurs un peu de ça… un état d’urgence, vite finir le bouquin et le sortir ! Pourquoi faire ? La principale intéressée ne le lirait probablement pas, et dans tous les cas, je n’en saurais rien. Mais après tout, n’est-ce pas le jeu ? Écrire, ce n’est que balance les échos de notre propre chagrin dans le silence, personne n’y répondra. Au mieux on soigne les autres, en les touchant d’un mot par-ci, d’une ligne par-là, c’est ça le boulot, donner sans recevoir ! Au fond, je suis un sacré bon chrétien !

Sonia était rentrée plus tôt de Bourges finalement. Je crois qu’il y avait plusieurs raisons à cela : je lui manquais, ça lui avait fait de la peine de savoir que j’avais passé mon anniversaire tout seul et il y avait eu un énorme quiproquo avec sa pote, elles n’étaient simplement pas dans les mêmes envies au même moment. Sa pote avait la bougeotte et voulait sortir en soirée techno, et la techno à Sonia, ce n’était pas son truc.

Parlant de quiproquo il y en avait eu un beau entre l’entreprise de maçonnerie et moi. Je les avait plusieurs fois sollicité pour qu’ils me disent s’ils voulaient de moi encore une semaine. Ils ne m’ont jamais répondu. Et le lundi matin, comme je ne me suis pas pointé, j’ai reçu un appel d’un des associés :

« Mais je t’avais dit que, tant que je ne te disais rien, tu revenais.

– Désolé je n’ai pas entendu ça

– Tu es dispo pour venir du coup ?

– Non, je dois m’occuper d’un client jusqu’à mercredi.

– Bon ben on va trouver quelqu’un d’autres… »

J’ai raccroché. J’avais menti, je n’avais pas de client. Et au fond, j’avais envie d’une pause… J’étais donc parfaitement exaucé. Dans ma tête, Lola allait et revenait, mais ce n’était plus comme au début. Je le savais, à ne pas écrire tous les jours, et bosser en parallèle, à parler à des gens, j’en avais perdu la fréquence, la note et toute l’histoire de mon bouquin changeait…

Quand j’y repense, c’est dingue comment en l’espace d’un an, j’avais changé. Une bonne secousse émotionnelle bien placée et j’étais à l’opposé de l’homme qui avait attiré Lili. Mais, bien qu’attirant, ce personnage totalement fake que je m’étais alors fabriqué ne me vendait plus assez de bénéfices secondaires, face à cette souffrance, pour tenir encore le coup… En revanche, j’avais attiré Sonia. Et c’était… pour le moins que l’on puisse dire, totalement différent. Elle était le genre de femme qui répond systématiquement « comme tu veux » dès qu’on lui propose ce qu’elle veut faire. C’est vrai que là, j’aurais aimé une femme qui prenne les devants, me fasse sourire… Mauvaise pioche ! En fait, on était aussi déprimé l’un que l’autre. Elle était mon pansement, mais très léger. C’était moyen voire nul, dans tout, y compris au plumard.

Ombeline quant à elle, réalisait qu’elle voulait bien d’une histoire avec moi et faisait tout pour que je revienne.

J’ai sorti ces deux-là de ma vie pendant deux jours, et en cette dernière semaine des vacances d’avril, alors que mon fils était en voyage au Maroc au lieu d’être avec moi, ce qui était le mieux pour lui, vu mon état, je me suis reconnecté à Lola pour enfin la sortir cette histoire… Mon histoire avec Lili. Sans doute le chapitre le plus long et le plus chiant qu’il y aura dans ce bouquin… et au début en plus ! À mon avis c’était assez indigeste, j’aurais pu fractionner ça en plusieurs chapitre, mais j’avais plus envie d’y retourner ! Ça resterait comme ça. L’avantage d’un écrivain autoédité, On ne se vend pas, mais au moins on est libre ! Ça m’a pris presque vingt heures pour tout écrire ! Un jour et demi. On pouvait voir ça comme une façon de ma part d’y retourner pour ressasser le truc, continuer à me savonner la planche, ou comme d’un alibi pour ne pas m’avouer que je n’osais pas vivre ma vie, tout est juste. Moi je n’en sais trop rien, c’était un besoin, la fameuse urgence, un besoin de témoigner. Toujours est-il que ces 26 pages de révélation m’ont laissé sur le carreau. Je me suis foutu dans un état !... Au midi du deuxième jour, j’étais exsangue, déchiré, mais vivant. Et j’avais tout l’effet physique qui allait avec ! Comme si je m’étais pris un accident de bagnole et que la ceinture de sécurité m’avait défoncé la cage thoracique. C’était exactement ça l’effet : la poitrine défoncée ! Lola était repartie aussi soudainement qu’elle était revenue. J’ai appelé Sonia dans la foulée, on s’est vu. Sans me faire du bien, au moins, je n’ai pas si seul. Mais ma libido n’était pas là, j’ai eu la queue en berne pendant bien trois jours.

Marc - mail du 30 avril 2023

Bonjour Lili,

Je sais, tu ne me dois rien, et tu es passée à autre chose

Mais si comme tu le dis notre histoire à compté, et malgré le foirage de ces derniers échaanges,

acorde moi de te voir une dernière fois, même 5 minutes, même 2 minutes.

J’en ai besoin je crois pour finir cette histoire, passer moi aussi à autre chose

et pouvoir vivre ma nouvelle histoire plus sereinement.

S’il te plait… S’il te plait… Merci.

Et si tu ne veux pas, ne me répond pas « Non »,

ce serait encore plus violent pour moi que du silence.

Je n’ai jamais envoyé ce mail. Pauvre Lili qui se fait harceler et qui n’a rien fait ! Mais également espèce de grosse morue dégueulasse à l’âme froide ! Les deux mon capitaine ! Pourquoi je lui donnais tant de pouvoir, à elle qui adorait être la petite chose de son mec ?

Qu’est ce que tu ferais dans mon cas ?

Si tu revenais ?

Est-ce que je devrais te laisser crever ?

Comme tu l’as fait ?

Alors que moi

dans le passé

je t’ai ramassé ?

Dis moi…

Est-ce que je devrais faire

ce que tu as fait ?

Oui

OK, va crever !

Sauf que je me connais. Trop lâche, trop bon et trop con, je la ramasserai moi… encore… Bref, je commençais vraiment à tourner la carte bien comme il faut ! Je me faisais peur parce que, je savais où j’allais, puisque j’y étais aller déjà. Mais j’avais beau le voir, et lutter pour l’éviter, c’est comme si peu importaient mes choix, je me retrouvais à aller exactement au même endroit… Cela me faisait presque croire à la Destinée ! Du coup, plus de l’arbitre ! Tout étais donc si plié ?

Fallait que je trouve un moyen de calmer le tir un petit peu… Tout à ma folie et à ma transe littéraire, je n’avais rien mangé durant deux jours. Nourri exclusivement de litres de café, de dizaines de clopes, et le soir "d’entre les deux tours" si je puis dire, je m’étais chargé comme une mule au whisky, à la bière et à l’herbe. Déchiré, dans les deux sens du terme !

Le lendemain de la fin d’écriture de ce chapitre, j’avais encore plus mal que jamais, ce coup de front kick dans les poumons me faisait suffoquer !

Sonia m’a proposé d’aller faire une balade dans les gorges de Rustrel. Je n’y étais jamais allé, pourquoi pas. Sans être profondément rentré dans les détails, pars souci de politesse, Sonia était quand même renseignée su mon état. Le ciel était sombre, la pluie menaçait. Au bout de quelques kilomètres en voiture, j’ai senti mon corps me lâcher ! Je n’irais pas plus loin ! J’ai arrêté la voiture en urgence, je tétanisais. C’était un bord d’une petite forêt.

« On s’arrête là si tu veux bien, désolé.

– OK. »

Je suis sorti de la bagnole et j’ai saisi mon téléphone pour composer un appel. Répondeur, évidemment :

« Salut Vieux, c’est moi. Je voulais savoir si je pouvais passer te voir aujourd’hui, je vais pas bien, et j’ai besoin d’un ami. »

Que ce soit lui, elle, ou moi

on est tous comme ça

à haleter, à courir derrière

une solitude qui nous fait mourir

Cherchant un corps à baiser

pour y croire qu’on y donne

un cœur à aimer

Quelqu’un qui nous fait du bien

Quelqu’un qui nous fait du bien

Parce qu’on est incapable de nous le donner

à nous même

à nous m’aime

Parce que nous sommes écorchés, violés, déniés

Et aussi salauds que ceux qui nous ont salopé

Nous faisons aux autres

ce que nous n’avons pas aimé

mais… nous avons nos raisons

pour notre inhumanité

n’est-ce pas ?

Nous ne

devons

rien.

Avec Sonia on s’est un peu baladé dans cette forêt, entre Liman et Saint Étienne, près de l’espèce de centrale EDF, avec ses gros groupes, je ne sais pas très bien comment on appelle ça… Peu de temps après, le Vieux m’a rappelé, et j’allais le voir en début d’après-midi, Sonia, elle, aurait la gentillesse de me garder la chienne.

C’est en le voyant enfin, le Vieux, en lui faisant la bise, que je me suis rendu compte à quel point j’étais désactivé ! Même ma façon de le regarder, les couleurs, l’appréhension de son corps et du mien dans l’espace de sa cuisine, tout cela avait changé. Des sensations tout à fait nouvelles. On s’est assis et il m’a offert une bière.

« Alors, qu’est-ce qu’il t’arrive ?

– Rien de nouveau. Toujours cette histoire avec Lili, je deviens taré ! J’ai l’impression d’être dans une boucle, je me retrouve au même endroit qu’avec mon ex, tu sais, l’ancienne ?

– Comment oublier ? N’oublie pas qu’elle a été ma voisine.

– Ah oui, c’est vrai. »

Ce que je venais chercher chez lui ? Je pense un coup de pied au cul, un sermon. Pa dessus tout, j’avais besoin de son recul et de ses vingt ans de plus, d’expérience de vie supplémentaire.

« Mais t’as pas une nouvelle nana ?

– Si, elle est sympa mais… même si c’est pas gentil de dire ça pour elle, comme tu m’as dit une fois, quand t’es pas bien t’attires des ravans. Et elle est assez déprimée aussi comme fille.

– Vous allez vous entraîner vers le fond.

– Je vais faire gaffe que non, mais faut croire que c’est elle que je mérite.

– Ça c’est parce que t’es pas en mode winner. Et… tu va dire que je radote mais.. j’ai un peu plus d’expérience que toi et… à ton âge, même si j’avais déjà la maison et que la boîte de maçonnerie tournait bien, dans ma tête j’étais un cramé ! J’allais à fond en moto, à fond dans le canyoning à descendre des parois de barjo, bref…

– Tu cherchais la mort.

– En tout cas je flirtais avec.

– Moi c’est pareil, mais avec la folie.

– Comment ça ?

– J’en sais rien… On dirait que je fais tout pour me faire sauter le citron.

– C’est con, le citron c’est un super outil !

– Tu sais Vieux… J’en suis même à me demander si je ne dois pas retourner en psychiatrie, cachetons et tout le tremblement.

– Non, on va éviter ça… »

Et là, tout en vidant nos bières, je l’ai vu cogiter…

« Je connais quelqu’un qui pourrait peut-être t’aider… Élise, l’ancienne belle-sœur de Clovis. Elle a… des dons, et elle décape ! »

Alors, celle-là, si je m’y attendais… Le Vieux, si pragmatique, si cartésien qui me proposait d’aller voir une perchée ! Et donc il l’appelle, laisse un message. Elle rappelle dans la foulée et me la passe. On parle un peu, pas mal en fait, elle m’explique ce qu’elle fait, un mélange entre une psychanalyse médiumnique et une lecture de l’avenir avec les cartes. C’était le samedi, on prendra rendez-vous pour le mercredi.

« Ça peut durer de deux à quatre heures, j’aime prendre le temps. Mais je sais déjà où je vais vous emmener

– Ah, vous êtes déjà branchée sur moi ?

– Ça fait un moment. »

Je la remercie, on se souhaite une bonne journée, et on raccroche. Et là… j’ai percuté… la boucle ! Cette putain de bordel de boucle ! Ça me revenait en mémoire… Il y a sept ans suite à ma rupture et des connaissances, j’ai fait la rencontre de femmes. L’une était médium, elle m’avait prédit que je ferais flipper mon ex et que je rencontrerai dans un an la femme de ma vie. « Tu vas l’épauler et elle va t’épauler ». Une seule de ces prédictions c’est avérée vraie. La seconde femme était une énergéticienne, assez douée. Elle m’a sorti des choses… Mais ça ne m’a pas empêché de péter complètement les plombs. Donc voilà, après sept ans, deux Lili capricorne rencontrée en hiver, me baisant jusqu’à la création de leur ressentiment, puis une fois parties, emmurant mes appels de leur silence tout en se faisant arroser par le jus d’un autre, et moi, la folie qui rôde, qui reprend la guitare, puis l’écriture, puis rencontre des thérapeutes-médium. Ok, là c’était du deux en un, mais quand même… Sept années, c’est le temps qu’il faut pour le renouvellement total de nos cellules. On peut dire donc, qu’entre les deux Lili, je n’étais suis objectivement plus le même homme. Et pourtant… sept ans de vie bordel… sept ans d’alcool, de boulots, de femmes, de rires, de vexations et de doutes… sept ans… pour se retrouver au même endroit.

Qu’est ce que je devais faire de ces infos ? Qu’est ce qui allait se passer après ? J’étais terrorisé. Est-ce que devais l’annuler ce rendez-vous ? Pour arrêter la boucle ? Et de moi et de mon état, j’en faisais quoi ? De toute façon, ça me semblait plié ! Autant y aller droit devant. Est-ce que la douleur était suffisante pour que je puisse me rendre ? C’est ce que je voulais voir. Ce mercredi, je verrais…

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