14 – Interlude

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« Je bois toutes les nuits
Et tous les whiskys
Pour moi ont le même goût
Et tous les bateaux
Portent ton drapeau
Je ne sais plus où aller tu es partout

Je suis malade »

Serge Lama

Écrire, ça voulait dire quoi ? Pourquoi je les noircissais ces pages ? Et en plus je parlais pendant… je dictais tout, à voix basse… c’était ma petite messe. Il y avait dans cette questions des réponses facilement trouvables, des raisons facilement avouables. Écrire, déjà, c’était un moyen d’expression facile pour moi, j’y arrivais à m’y vider les tripes facile là-dedans. Ça me servait aussi, surtout, à mettre de l’ordre mon chaos. Je pouvais tout sortir en vrac, là, et revenir me faufiler entre les lignes pour tenter d’en éclaircir le mystère, voir si j’y comprenais quelque chose… Pour être sincère, plus j’écrivais, moins tout cela me semblait compréhensible. Derrière le brouillard, c’était encore du brouillard.

Écrire c’était aussi une manière de raconter ma vie en y rajoutant des bobards. Quelque chose dans ce genre… Puis repasser dessus en y ajoutant le maximum d’émotions. Ouais, c’était ça, c’était ma façon à moi de m’autoriser à ressentir. L-F Céline disait « c’est mettre sa peau sur la table », je suis assez d’accord. Il y avait quelque chose de cet ordre. Ici, sur la page, je pouvais construire ou détruire, embrasser, violer, caresser, frapper, feindre, tordre, provoquer, me sentir libre ou prisonnier. Rien de bien sensationnel là-dedans, c’était un secret aussi éventé qu’une bière ouverte depuis trois jours…

Mais il en avait une autre de raison, plus lâche, donc moins avouable : ça gardait le lien. Un lien de trou du cul sans couilles et sans panache. Je savais qu’Elle me lisait quand je postais mes petits mots sur internet. En mode furtif, sans jamais donner un avis, me faire de publicité ou me permettre de récolter un like. Mais je le savais, je savais entre deux suçages de queue, c’est mes mots à moi qui défilaient sous ses yeux. C’était quand même vachement hypocrite et tordu quand on y pense, et des deux côtés ! Moi, je m’enchaînais toujours à un fantôme, et Elle, tout en ne donnant pas de nouvelles, ni de présence, gardait toujours un œil sur les miennes de nouvelles, et ressentait ainsi de temps en temps ma présence… Ce qu’elle en faisait, ça… ça lui appartenait. Moi, je n’avais pas le courage de l’en sortir, de la bloquer, comme on dit en geek. Et… c’est étrange, qu’elle reste ou qu’elle parte, les deux solutions me provoquaient jouissance et souffrance simultanément. Mais je préférais, je crois, qu’elle reste… Peut-être qu’en lisant cela elle partirait, ou resterait, ou reprendrait contact, est-ce qu’on ne pourrait pas se voir, parler en face de tout en buvant un café ? Le jour où j’aurai un follower de moins, je saurai qui c’est, et je serai bien content de m’en lamenter ! Ouais… tordu, hypocrite et lâche !

Lola avait raison… je me débrouillais toujours pour tout foutre en l’air… Putain de sentiment d’abandon ! Tout ça parce que peut-être un jour j’ai perdu ma mère dans un supermarché ! Quel choix de trauma à la con !

Le plus timbré là-dedans, c’est que les évidences sont ce qu’il y a de plus difficile à admettre. Brûler de l’intérieur pas nos conditionnements, on irait jusqu’à se piétiner pour ne pas en sortir ! Alors que c’est si simple : on adore se faire du mal. Auquel cas, il nous semblerait parfaitement improbable de se servir de l’autre pour souffrir, car aucune personne sur cette terre ne mérite que tu te rendes malheureux pour elle. Pourtant je pratiquais cela à merveille, malgré Lola. Ce que je recherchais ? Ce qui me manquait, quoi d’autre ? Nous ne savons reconnaître que cela, et nos rêves non aboutis.

Si je croisais ma femme idéale dans la rue… Est-ce que je saurais la reconnaître ? Est-ce que Lola était celle-là ? Oui, tout comme l’autre, tout comme les autres. Elles étaient toutes la femme parfaite qu’il me fallait au moment où elles ont débarqué dans ma vie. Ce n’est pas cela qui empêche la douleur. La douleur, c’est d’admettre mon timing à la con. Je n’avais pas de place pour elles… Je ne leur en donnais qu’à leur départ. C’est ainsi : tout le monde joue sa note sans se rendre compte qu’il fait partie de l’orchestre, ainsi va le drame des désaccords ! Et pourtant… est-ce que ce ne serait pas au contraire remarquablement bien arrangé ?

« Qu’est que tu fais Marc ?

– Je me torture.

– Pourquoi ?

– Faut croire que j’aime ça.

– C’est pas plus facile de s’aimer soi ?

– Vraisemblablement pas dans mon cas. »

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