15 – L’équilibre

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« Ne pas comme ça, tu me fous la trouille

Ne pleure pas comme ça, j’ai le cœur qui rouille »

Yves Jamait

Week-end de Pâques. Balançage de fions dans la gueule entre deux tranches d’agneaux. Diego qui demande à aller chez sa mère chercher je ne sais quoi. Qui se dispute avec son fils de pute de beau père d’arabe de merde. Moi en bas, dans la voiture, qui entend tout et ne fait rien. Puis moi qui l’emmène à la fête foraine où il se bousille le poignet en tapant comme un débile dans le punching-ball. La partie de poker, le soir, qui part en quenouille parce qu’il me rend fou… Puis au couchez, quand je le surprends à me piquer une clope… Puis des rêves à la con où mes anciennes femmes soufflent leurs bougies… Et Lola au milieu de tout ça… Et mon cœur qui tape, piégé entre une envie de chialer un bon coup et celle de tout exploser… Avec rien qui sort, juste un cœur qui tape, qui tape, qui tape…

Qui blâmer ? On ne peut s’en prendre qu’à soi, pour tout.

Je n’ai fait que réagir à ce qui m’arrivait. Plus de vision nette de quoi que ce soit, plus de projet, plus de futur, tout est tombé. Une femme aimante, une maison à moi, une voiture qui roule, un peu d’argent en réserve, fonder une famille, voir ma femme me faire de beaux enfants que je pourrais élever, voir grandir… La vie de tout le monde. Plus j’ai tenu à ces rêves, plus ils se sont échappés, ne laissant qu’une lourde enclume d’absence dans mon cœur. Un manque si présent…

Le soir enfin, chacun chez soi avec dans mon antre Michonne et Lola. Le petit feu de cheminée, la bière, les quelques dernières cigarettes, moi dans le fauteuil, Lola dans le canapé, et puis ce célèbre morceau de Harold Melvin and The Blue Notes comme bande originale de la scène.

« Lola, j’ai une chose à te dire, mais c’est pas facile…

– C’est bon Marc, je sais déjà.

– Comment tu peux savoir ?

– Je commence à te connaître. Et ça sonne comme une redite pour moi, à plusieurs niveaux.

– … ?

– Le soir de notre dernière nuit ensemble, à peu de choses près, on était dans la même configuration avec Helli. Donc je sais ce que tu me veux.

– Quoi ?

– Tu veux que je me casse ! Sauf que tu ne vas pas le tourner comme ça… Tu vas me dire que t’en aime une autre. Right ?

– Euh… C’est à peut-être ça.

– Tu vois, je savais. Et tu sais comment je savais ? Parce que tu m’as déjà fait le coup ! Remarque cette fois tu me le dis en face, ça montre un peu plus de couilles qu’une lettre déchirée !

– Merci mais… J’ai rien dis encore.

– La ferme ! Tu mériterais des claques espèce de sale con ! Tu connais le nombre de mecs qui aimeraient être à ta place, avec moi ? Toi qui te vois toujours pauvre, tu les gagnes, là, tes millions ! Et si tu crois que je vais te laisser faire cette fois, tu te fourres le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Je ne vais pas te donner la satisfaction de me virer pour que tu te roules dans ton malheur.

– Pourquoi ? T’as envie d’être avec moi toi ?

– Je suis avec toi crétin !

– Eh ben… T’es vite passée à autre chose vis-à-vis d’Helli…

– Arrête ton cirque ! À trop regarder le monde comme un zapping, normal que tu vois des zappeurs partout. Non, je ne suis pas « passée à autre chose » que tu dis, je l’aime toujours, elle me manque toujours, mais je ne vais pas bousiller ma vie pour elle. Ou plus exactement pour me punir de l’avoir perdue. Et je me mets avec toi avec cette souffrance, parce qu’elle fait partie de moi. Y’a une information que tu n’as pas encore saisie Môsieur Le Philosophie Des Caniveaux : Tu as ton passé, j’ai le mien, ça ne nous empêche en rien. Et puisque tu aimes les citations, en voici une de Tolstoï « Ce qui compte pour faire un mariage heureux, ce n’est pas tant votre compatibilité que la façon dont vous gérez l’incompatibilité ».

– Je crois que je préfère celle où il dit que quand il aura les trois quarts du corps dans la tombe, je dirai ce qu’il pense des femmes avant de rabattre vivement la dalle sur lui.

– La mienne est bien meilleure, il était moins d’humeur à se planquer.

– Et il a été marié au moins lui ?

– On s’en fout bordel, je te parle de NOUS ! C’est toujours la même avec vous autres les écorchés. Vous croyez que vous n’êtes aimés que pour des baises et autres instants passionnés, et qu’ensuite, lorsqu’on a eu notre dose de fascination, on retourne vers quelque chose de plus stable.

– Et c’est pas le cas ?

– Si. Mais ce n’est pas pour cela qu’on ne peut rien projeter avec vous de durable. Malgré ce que tu crois de toi, tu peux être un bon compagnon de route.

– J’en connais une qui dirait le contraire.

– Et moi j’en connais une autre qui dirait le contraire de celle que tu connais. Je te prends tel que tu es Marc. Avec tes ambivalences, tes désirs cachés et tes doutes. On désire la même chose toi et moi : aimer et être aimer. Le reste, comme tu le dis, c’est des cases à cocher et des excuses. On n’est pas bien ensemble ? Pourquoi tout foutre en l’air en trouvant des prétextes à la con ?

– T’as bien mieux appris la leçon que moi. La seule chose demeurant stable chez moi, c’est mon instabilité Lola. Et en ce moment elle me ronge. Je ne sais même pas comment l’exprimer… C’est comme une perpétuelle envie brulante de vomir, sans rien qui sort. Et ça reste là à s’accumuler, tantôt derrières les yeux, tantôt dans la voix. Ça me charcute de partout, ça me percute de partout… Putain… Putain… Mais pourquoi je suis comme ça ? Elles sont où ces putains de vannes ? Je suis totalement paumé Lola.

– Je sais… Je sais…

– Tu ferais bien mieux de te barrer.

– N’y pense même pas ! Et lieu de dire des conneries, tais-toi et… embrasse-moi. »

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