13 – Prières

6 minutes de lecture

« Chaque instant est une prière

Prends soin de tes pensées
Demeure les sensées

pour ne plus broyer de la pierre »

Keny Arkana

Le jeudi ça a été craignos. Tout a commencé avec mon genou qui claque en rampant sous les combles pour étaler de la laine de verre. J’ai cru que j’allais descendre de là avec ma rotule dans la main ! Et j’ai senti un herpès me pousser sur la gueule…Ensuite, une bonne partie de l’après-midi, je n’avais rien à faire, et n’avais qu’à peine deux clopes de poudre de tabac à fumer. Après le boulot, en rentrant, je me suis tapé un vieux dans sa caisse pourrie qui roulait à deux à l’heure ! Deux minutes après qu’il ait tourné, je me suis tapé un autre vieux sur un scooter, à un à l’heure ! En arrivant à la supérette Cruis histoire de faire le plein de tabac et de bières : fermé, problème de caisse ! En redémarrant, la voiture faisait blup ! blup ! et ne semblait plus vouloir avancer à moins que je ne fasse gueuler le moteur. Et je n’avais aucun numéro à contacter au travail si j’en venais à les planter demain ! Finalement, j’arrivais à traverser le village en warning, encore moins rapidement que le scooter. Je suis rentré à la maison flippé et malheureux comme un pou sur la tête d’un chauve ! Et avant même de m’avoir embrassé, voici Lola qui me balance que mon ordinateur n’arrêtait pas de ramer !

Putain mais je devais comprendre quoi là ?

« Je… Lola, ça se peut que d’ici pas longtemps je me mette soit à pleurer, soit à crier très fort, voire même à péter des trucs.

– Pourquoi qu’est ce qu’il t’arrive ?

– La vie semble vouloir me dire qu’il faut que je ralentisse…

– Ah… Ralentir sur quoi ?

– Si je le savais, ma voiture roulerait et j’aurais des clopes. »

J’aurais aimé à ce moment là que Lola me réconforte. Je sais pas… n’importe quoi… qu’elle me prenne dans les bras en me balançant une phrase qui tout d’un coup me fasse changer d’air. Mais elle n’a rien fait. Sans lui en vouloir, sans lui en parler, je me suis débarrassé de mes fringues pleines de la poussière du chantier et j’ai foncé sous la douche. J’ai d’abord laissé couler l’eau cinq bonnes minutes sans me frotter, histoire que la laine de verre me gratte le moins possible… Puis je me suis shampouiné et, lorsque j’ai ouvert les yeux après le rinçage, Lola était avec moi, nue, et m’a embrassé, comme je le désirais.

« Tu m’appelée ?

– Oui. »

La suite, je vous laisse deviner la suite…

Après ça on s’est fait un petit joint en écoutant un disque, Le Big Bad Blues de B͟illy F G͟ibbons. Et pendant ce temps, on a fait ce qu’on savait faire de mieux avec Lola, nous mettre de part et d’autre du canapé pour nous masser mutuellement les pieds. Si vous connaissez ce disque, vous vous dîtes que le massage à été tonique, et vous aurez raison ! Sur Standing Around Crying, on s’est bien marrés ! Parfois un brin poudre de tabac nous passait dans la gorge quand on tirait sur le pétard, et on en toussait de rire. On était bien là, c’était simple. On était simplement bien ensemble. Il n’y avait pas d’enjeu, pas de projets. Mais me connaissant, ça allait pas durer… Ou alors me connaissant, peut être que pour une fois j’arriverais à la fermer. Et simplement profiter de ce que ma vie m’offrait… La présence de Lola à cet instant valait bien toutes les voitures en rades.

On est resté comme ça jusqu’à c que le disque finisse. Il était 21 heures. Ca a enchaîné avec Since have been loving you. I’ll play the blues for you et ainsi de suite. Jusqu’à ce qu’on émerge une demi heure plus tard :

« Qu’est ce que tu voudrais manger ?

– Honnêtement ?

- Honnêtement.

– Des morceaux de poitrines revenus dans du saindoux avec des oignons puis on y ajoute une boîte flageolets. Peut-être un peu de bouillon, sel, poivre. Du tabasco pour ceux qui veulent. Et voilà.

– J’en étais sûre.

– Bon alors ? feu !?

– Tu te moques de moi ?!!

– Je fais des haricots à part pour toi si tu veux.

– Marc.

– Lola…

– De tous les goujats que je connaisse, tu es le meilleur cuisinier.

* * *

Et donc le lendemain, ça n’a pas loupé, la voiture tournait trop au ralenti pour faire quelque chose. Cette satanée vanne EGR, que je me trainais défectueuse depuis des mois, me lâchait définitivement. Et étant homme d’une grande précaution, je ne mettais bien entendu pas garé devant la voiture de Lola, histoire de ne pas la bloquer, au cas où j’en aurais eu besoin pour partir au boulot. C’est tout à fait mon genre ça. J’ai donc appelé le boulot, bien sûr il n’y avait encore personne à cette heure… une heure avant de démarrer la journée… je n’ai pu que laisser un message signifiant mon absence, au moins pour le matin, avec mes excuses.

À l’heure théorique du départ, je me rendais donc à pied à la supérette histoire de faire le plein de clops et de café. Quand je suis rentré Lola émergeait. Les yeux crottés dans le salon, Elle s’étirait, arborant mon vieux t-shirt blanc motif de pin-up des années cinquante.

« T’es pas parti ?

– Ma voiture est en rade.

– T’es à moi pour la matinée alors ?

– Vu mon humeur je ne sais pas si c’est ta chance.

– Qu’est ce que tu vas faire ?

– Comme d’habitude, je vais appeler Maman au secours. »

J’ai appelé le Vieux d’abord, parce qu’il se levait tôt et, s’y connaissant un peu en mécanique, il aurait peut-être une solution.

« Tu ne t’en rappelle pas ?… On avait regardé déjà, elle est en bas derrière le blog moteur ta vanne, c’est inaccessible. Mais je passerai dans le week-end voir s’il n’y a pas moyen de la mettre en sécurité ou trouver une solution, que tu puisses l’amener au moins chez Alex. Tu l’as appelé au fait ?

– Pas encore j’attend qu’il ouvre. Merci Vieux. Bises »

Puis après un litre de café, j’ai appelé Alex, le garagiste. La petite trentaine, propriétaire de son business, grand beau, pratiquant la grosse boxe anglaise, sympa comme tout, menant bien ça barque, bref un type insupportable ! Il n’avait pas de voiture à me prêter d’ici deux semaines, mais on a convenu que je lui laisse la mienne pour qu’il la regarde mardi, vu que le lundi était férié, c’était Pâques.

Puis enfin, j’ai appelé Maman. Elle viendrait me chercher à midi pour que je bosse au moins l’aprèm’, et me prêterait sa voiture pour la semaine suivante.

* * *

Finalement j’avais bossé peu mais rentré au soir j’étais claqué. Et il fallait que je me douche et me prépare à aller chercher Diego, c’était notre week-end. Honnêtement, ce soir, j’aurais aimé être tranquille. Me morfondre un peu, tirer mon coup et rideau. Quelques minutes après le téléphone à sonner. Il y avait mon fils à l’autre bout.

« Allô Papa. Pour nous ça ne change rien vu que lundi c’est férié mais est ce que tu peux venir me chercher demain plutôt. Ce soir c’est la fête foraine et comme ça fait trois ans que je la rate je voudrais bien y aller avec mes copains. »

Il avait balancé sa phrase à toute allure. Il savait que j’allais râler, parce que si, ça changeait quelque chose, je le voyait une demi-journée de moins. Ce lundi était une journée de plus. Cette fois je changerais le rituel.

« Bien sûr mon fils. En plus j’y pensais, et comme je n’avais pas trop d’argent pour te la payer encore… Vas-y régale toi, à demain. Je t’embrasse.

– À demain Papa, bisou, je t’aime »

La vache, plus ça allait, plus mes prières étaient rapidement exaucées !

« Une fête foraine ? Et si on y allait ?

– Pfff… Non, j’ai envie de la jouer peinard. Demain si tu veux.

– Alleeeeez ! Ça nous sortira un peu, on va se marrer.

– Non Lola.

– Je t’invite.

– Putain tu vas me lâcher ? Je t’ai dit non ! »

Par cette phrase, irrémédiablement, l’ambiance a changé. On était cependant sur la même longueur d’onde : celle des renfrognés.

« C’est ton truc ça hein ?

– De quoi tu me parles encore ?

– Y’a toujours un moment où tu ne peux pas t’empêcher de tout foutre en l’air. »

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