9 – Boom Boom Boom Boom !

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« Malgré tous nos serments d'amour
tous nos mensonges jour après jour
et bien que l'on ait qu'une vie
une seule pour l'éternité
malgré qu'on la sache ratée....

Faut vivre. »

Mouloudji

C’est étrange non ? On traverse une journée campée dans un état d’esprit, puis lassé de la vivre, on en fini par dormir. Là, la nuit, son travail c’est de remettre la capsule à zéro, faire de la place pour du neuf. Et moins de dix minutes après le réveil, la même rengaine revient, sans qu’on la prévienne, mais peut-être en la souhaitant tout de même au fond de nous. Et ça peut durer en boucle une semaine, puis un mois, puis d’autres, puis des années, et arriver ainsi jusqu’au minuit de sa vie…

Bosser n’y changeait pas grand-chose… Dès le petit matin, dans le camion avec le Vieux, direction le chantier, j’en étais déjà tout plein de mes gravas émotionnels. C’est tout de même drôle les émotions… On se dit qu’on a fait le travail, que cette fois ci on a compris, qu’on est plus fort, mais elle, bien cachée dans un coin, et attend que son heure sonne. « Toc toc toc toc, c’est moi ! Tu m’avais oublié hein ?(En fait de toctoc, ça serait plutôt Boom Boom) Me revoilà ! » Mon réflexe pavlovien à moi… juste fait pour la litière des chats. Et ça m’enveloppais comme ça… Un brouillard dense et mou et presque violet…Qui tapait juste à la porte de mon cœur sans s’arrêter, il tapait et tapait et tapait…

« Oh putain ! Marc ! Réveille-toi ! » que je me suis mis à dire tout haut d’un coup ! Et le Vieux de me demander si j’avais mal dormi.

« Non, c’est mes émotions qui me travaillent la tête. Ça tourne en boucle !

– Toujours avec ta gonzesse ?

– Ouais.

– Tu sais… un clou rouillé en chasse un autre. Dis autrement, faut que tu t’occupes de toi, parce que sinon tu vas attirée le même genre de cintrée. Et je sais de quoi je parle…

– Je sais bien Vieux. Et puis je suis dans un marasme loin d’être attirant en ce moment. C’est comme si j’arrivais plus à avancer depuis qu’elle est plus là…

– Ce qui est complètement con parce que si tu lui disais tu crois qu’elle te répondrais quoi ?

– Un truc du genre : Ben écoute, recule !

– Voilà ! Et dans ta vie, elle y est toujours, ce qui te fait chier, c’est que tu sois plus dans la sienne. »

Toujours aussi pragmatique le Vieux…. Vous vous demandez d’ailleurs pourquoi je l’appelle le Vieux. Lino Ventura appelait Jean Gabin ainsi, et pour les mêmes raisons : du respect et une profonde affection. et puis on est arrivé au chantier, ça m’a un peu libéré la tête, un peu, mais pas le cœur, donnant toujours cette impression qu’il voulait se barrer ! Boom Boom Boom Boom ! J’étais tout mort en dedans, tandis que je redonnais vie à une salle de bains au dehors. À un moment, les clients, comme souvent, nous on offert de boire un café. Dehors, tout en fumant nos clopes un tasse à la main, le Vieux c’est approché de moi, je croyais qu’il allait me parler du boulot d’abord…

« Tu sais, si je peux me permettre… J’ai vingt ans de plus que toi… Et ça passe vite… T’es encore jeune et vaillant, beau garçon et t’es loin d’être un manche… Ne perd pas ton temps pour une histoire à deux ronds. Sinon un jour tu te réveilleras vieux en te rendant compte que t’as passé ta vie à pleurer ton passé. Tu me connais, j’ai fait pareil que toi ! Ça ne vaut pas le coup. Des gonzesses y’en a plein ! »

Il avait raison… le bon sens même. Fallait croire que mon cœur lui en était dépourvu… J’aurais dû mettre un Vieux à la place de mon cœur…

S’il est une chose indéniable, c’est que ce n’est pas la force de l’occupant qui fait l’occupation, mais la faiblesse de l’occupé en la laissant se faire…Et moi j’en étais là… elle m’occupait. Et j’avais pas d’excuse, ou au contraire, je n’en avais que trop, puisque c’était justement ces excuses qui me polluaient. Mais le Vieux avait raison, fallait que j’embraille, sauf que… je puais la demande. Et y’a rien de moins sexy qu’un mec en demande d’une meuf. Pourtant, passé un temps, c’est bien ce qu’elles nous reprochent : sur le fait qu’elles ne soient pas une évidente priorité. Donc elles nous demandent de devenir ceux par quoi elles ne sont plus attirées ? Bref dans tous les cas on est baisés ! Et sortir de ça… c’est comme plonger dans le vide. M’accrocher à ce fantôme de relation, c’est la dernière corde qui me tenait. La lâcher, ça serait comme faire mourir le personnage qui la tient cette corde, le souvenir de cette histoire. Ce serait comme un petit suicide intérieur… ne plus vouloir tenir à ses raisons, perdre sa croisade, qui est réellement capable de cela ? Où elle est la différence entre zapper une émotions dite désagréable par déni, par fuite, et s’y enfermer dedans par fuite du reste ? Comment concilier les tout ça ? Comment avancer blessé, encore, toujours, et vers quoi ? Une autre blessure ? Une autre condition qu’on a pas vu venir et qui va tout claquer ? C’est quoi ce putain de jeu ? Quand on se fait du bien, faut accepter aussi de se faire du mal non ? Je crois que c’est ça qui est dur à respirer ! Se barrer, tenter ailleurs, à autre, c’est mieux, ça met tout à l’extérieur. Ouais… Ouais… N’étais-ce pas… à ma manière, exactement ce que je faisais ? Je n’en savais rien. Et… je commençais de comprendre que je ne saurais jamais rien profondément de l’autre, tout comme lui ne saurais rien de moi. Au fond… Nous sommes si seuls ! Si seuls avec seulement la mort au bout !

Et qu’est ce que j’en avais marre de tenir mon avatar à bout de bras. Ce personnage si à l’aise dans le malheur, simplement pour se donner une raison de vivre, pour chopper des likes quand il en causait ! Alors qu’entre nous, soyons francs, il n’y a aucune raison de vivre, il y a simplement à vivre…

J’avais totalement laissé tomber Lola durant ces derniers jours. Lorsqu’on est trop enfermé dans ma tête, on a du mal à laisser de la place pour celle de l’autre. Ce jeudi-là, ayant fini de jointer le carrelage assez tôt, j’ai décidé de corriger le tir. Finalement c’était assez simple : pour me faire du bien à moi, et être cool avec moi, je n’avais qu’à être cool avec Lola, et lui faire du bien… Alors je sus aller dans la chambre et j’ai sorti mon .38 de sous le matelas, un beau revolver Smith et Wesson chromé. Quand je pense au nombre de gauchistes anti arme à qui j’ai cassé les pattes arrière tandis qu’elles étaient dessus… Bref ! j’ai pris les trois dernières boîtes de munitions qui me restaient dans le coffre, deux casques, et je sus allé rejoindre Lola qui, allongée dans le lit de Diego, écoutait de la musique sur son smartphone.

« Viens, on va aller faire un truc cool.

– Quoi ?

– Faire des trous dans des cibles en faisant du bruit. »

J’avais appelé le président du club avant, Maurice, il a un peu râlé mais bon, je lui avais suffisamment bien vendu Lola pour qu’il accepte. Et il me connaissait, connaissait le Vieux, savait qu’on se connaissait et c’était en milieu de semaine, peu de chance qu’il y ai d’autres personnes que nous, l’un dans l’autre, ça faisait pas mal de bonnes garantis. Il a dit ok.

Même américaine, mais dorénavant surtout Hollywoodienne, Lola et ses préjugés sur les armes ont d’abord été réticents à cette idée, surtout qu’elle n’avait jamais tiré. Mais au moins ça la sortait de la case. Sur la route je lui expliqué les règles de sécurité concernant les armes à feu. Y’en avait pas dix, y’en avait quatre, c’était simple :

« Règle numéro 1 : Toujours considérer une arme comme chargée. Même si c’est la tienne, même si tu sais qu’lle est vide. Toujours ! Règle numéro 2 : Ne jamais pointer une arme vers une chose que l’on ne veut pas détruire. Règle numéro 3 : Ne jamais mettre son index sur la queue de détente avant d’être sûr de tirer. Et enfin quatrième et dernière règle….

– If this is your first night at Fight Club, you have to fight. ?

– …

– Oh ça va sourit un peu !

– Quatrième et dernière règle disais-je…, toujours être conscient de son environnement. Ça vaut surtout pour les militaires, parce qu’ils interviennent dans des endroits où il y a des otages, un gosse peut passer… Mais c’est bien de l’avoir à l’esprit.

– Ambiance.

– Alors vas-y, répète. C’est quoi la règle numéro 2 ? »

Arrivé au stand de tir, Lola connaissait les règles. Comme je le pensais, il n’y avait personne hormis nous et l’œil des caméras. Pour qu’elle prenne le coup, je l’ai d’abord placée devant les cibles à bascules, à quinze mètres. Après lui avoir expliqué l’arme, comment la tenir et commet viser, je lui ai montré les munitions, à commencer par les Wad Cutter.

« Ça c’est une balle spéciale pour le tir sur cible, tu vois la tête coupée, comparé à celle là de .38 normal ?

– Oui, c’est tout plat.

– Voilà. Tu les mets comme ça dans le barillet. C’est bon, l’arme est chargée. Tiens.

– C’est lourd !

– Un petit kilo. L’avantage c’est que si t’as plus de balle, tu peux toujours éclater des fronts avec. Allez, t’as l’arme dirigée vers les cibles, c’est quand tu veux.

– Donc j’arme le chien…

– Fais gaffe après la détente est super sensible. Et… enlève ton index de là s’il te plait, règle numéro 3.

– Ah oui, pardon.

– On l’a tout fait au début t’inquiète. »

À son premier tir, Lola à senti la détonation et le recul de l’arme. À la fin du barillet elle était mordue. Au bout du troisième elle avait choppé le virus. Je l’ai positionnée ensuite sur des cible à 25 mètres, d’abord les plaques, puis, les cibles rondes en tant que tel. Honnêtement pour une première fois, elle s’en tirait bien surtout au .38, on n’est sur un calibre de gonzesse. Après une bonne heure ee demi, entrecoupée de quelques pauses et de débriefing, je l’ai achevée :

« Bon, tu vas essayer ça maintenant. C’est du calibre .357 Magnum.

– Comme l’inspecteur Harry ?

– C’est ça, comme l’inspecteur Harry… Tiens plus fermement ton arme par contre parce que c‘est plus… plus viril disons. »

Lola a chargé, reculé le chien, visé… BOOM ! BOOM ! BOOM ! BOOM ! BOOM ! BOOM !

Quelques douilles encore et puis on s’est tiré. Lola a proposé de payer son verre, on s’est donc assis à un bar sympa que je connaissais, un peu, et on a commandé deux mousses. Le soir s’annonçait tranquillement, il faisait bon, j’en ai profité pour poser une question dont je connaissait déjà la réponse.

« Alors ?

– Ben oui gros malin ! C’est trop cool ! Mais c’est pas si facile. Je comprends mieux en quoi John Wick c’est du cinéma.

– Mais Keanu Reeves est bon, j’ai vu quelques vidéos ou il s’entraine, c’est bien ce qu’il fait. . Et encore t’as testée que le révolver, c’est facile comme arme de poing. Avec un Glock j’ai tendance à tirer plus bas moi. Et une plateforme comme un AK ou un AR15 c’est encore un autre sujet. Moi j’aime bien le tir à la lunette aussi. J’avais une bonne carabine, mais j’ai dû m’en séparer pour payer le loyer. C’est comme ça… Plus de gonzesse, plus de boulot, plus de tunes, plus de flingues, les emmerdes ça volent toujours en escadrilles.

– En parlant d’emmerdes, comment elle s’appelait cette jolie serveuse dans ce bar où tu m’as emmené à la Réunion ?

– Maeva.

– T’as réussi à la baiser ou pas ?

– Penses-tu ! Peu après ton départ et a foutu le camp en métropole pendant six mois, et quand je l’ai recroisée, elle avait pris 10 kilos dans chaque jambon. Là elle a essayé de me brancher, mais j’ai dit non, je suis pas grossiste !

– Quel enfoiré !

– Ben quoi ? Y’en a qui aime, pas moi.

– Tu sais Helline… Je m’imaginais déjà, parfois… quand elle buvait son café le matin en bossant devant son ordinateur… Bref tu vois… Je m’imaginais déjà lui faire l’amour quand elle serait vieille et fripée. Ça veut dire quoi d’après toi ?

– Je sais pas… Peut-être que tu commençais à décrocher du physique pour apprécier autre chose… l’âme ? J’en sais rien. Dans tout les cas vous avez foutu cette histoire en l’air et elle n’a pas l’air de vouloir retenter le bordel en mettant carte sur table sans bobard ni déni alors… Je vais te dire ce que m’a dit le Vieux, la vie est courte et vingt ans ça passe vite. Moi-même quand je fais le calcul, sur les vingt dernières, j’ai dû en passer dix à être en vrac. Entre les histoires avec la mère de mon fils et Corinne, je m’en suis bien fait baver !

– Putain elle, je l’avais oubliée !

– Pas moi. Mais ça s’est estompé. J’y pense parfois.

– T’as jamais eu de nouvelles ?

– Non… Et je ne crois pas que j’en voudrais. La dernière fait pareil, elle lit tout ce que j’écris. Au moins, ça en fait un des deux qui a des nouvelles de l’autre, de son état d’esprit, même si c’est pas celui qui en voudrait mais bon, c’est mon petit fardeau à moi. Si elle se dispense de me coller un procès déjà, ça me va. Mais tu sais, c’est drôle, elles ont pas mal de points en commun… Que veux-tu que je te dise, c’est comme ça, j’écris sur mes femmes quand elles me quittent. Et elles, elles fuient mon corps et ma présence mais pas mes mots, c’est space !

– Puisque t’en parles, je suis désolée que le bouquin que t’as écris sur nous n’ai pas marché. Mais une fois de plus t’as fait ta tête de mule, j’aurais t’en présenter vingt de éditeurs.

– Le bouquin tu, il a eut sa vie. Il a parlé aux gens à qui il devait parler. T’as eu la gentillesse de m’en faire la quatrième de couverture déjà, et le Toit – tu sais ce bar où bossais Maeva – j’en ai vendu quelques-uns là-bas. Donc ça avait de la gueule, un roman vendu sur le comptoir d’un bar, c’était super stylé pour moi ! Et si ne serait-ce qu’un seul mot à taper exactement à l’endroit où il devait taper chez une seule personne, le roman à rempli son rôle. »

Lola m’a souri d’une façon qui m’a ramené sept ans en arrière. Un sourire brillant, doux, hétéro. Elle qui m’était revenue quand même assez masculine, tout d’un coup dégageait tout ce que j’avais aimé chez elle, ce mélange féroce de délicatesse, de feu, et de malignité.

« Tu sais ce que j’aime chez toi Marc ?

– Non. J’aurais même du mal à le comprendre.

– Tant mieux, c’est comme ça qu’il faut que tu restes.

– Désespéré, pitoyable et castré ?

– Non, viril mais écorché. Ça te fait baiser super bien sur une bande son qu’aucun autre homme n’aura jamais.

– Hey ! T’es en train de me draguer là ?

– Va savoir ?

– Je couche pas comme ça moi, faut que tu me paies d’autres verres avant ! »

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