10 – Les âmes en blues

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« Bien, tu gagnes.

Tu auras une chanson mon ami.

Et quand la musique s'arrêtera,

Nous nous dirons au revoir

Et puis je continuerai ma vie.

Ne reste pas trop près de moi,

Garde tes mains là où elles sont censées être.

C'est juste une lente danse, pas une romance

Tu sais que tu n'as aucune chance,

C'est juste une lente danse. »

Ana Popović

Sur cette terrasse de bar, avec le jour tombant de fatigue sur son sourire, j’aurais voulu la filmer tout en entier là, Lola. Comme ça j’aurais gardé toujours un souvenir net d’un de ses moments de bonheur. Mais à quoi cela aurait-il pu servir, à peine y avais-je songé que cet instant était parti, c’était déjà le passé.

« Au fait, demain je dois partir.

–Y’a un moment où la question de ton départ allait se poser.

– T’en a déjà marre de moi ?

– Au contraire, je crois que j’aimerais baigner dans ton énergie à jamais.

– De toute façon il ne s’agit pas de ça. Je dois aller voir un ami réalisateur à Paris, c’est pour le travail. J’y reste simplement le week-end.

– Tu fais comme tu veux Lola. Tu sais où je planque les clefs, la maison t’es ouverte. Moi j’ai trouvé du boulot pour deux semaines à partir de lundi. Une boîte de maçonnerie. Si ça roule et qu’ils modifient pas le tarif, ça va me faire un beau billet, de quoi respirer un peu.

– Cool ! De toute façon t’as ton fils ce week-end ?

– Non, Diego à décalé. Pas grave, je vais m’occuper du jardin, ranger la baraque, sortir la chienne, peut-être écrire une ou deux chansons, broyer du noir dans ma solitude, j’ai de quoi faire. On décolle ? Il commence à se faire tard. »

C’est toujours étrange, ce mystère de l’humain. C’est comme si on était des bulles chacun. Des bulles de savon volant dans la vie. Certaines plus grosses, d’autres plus lourdes. Et quand deux bulles se touchent, une surface plane apparait. Et cette surface, c’est finalement la seule chose que l’on comprend et voit de l’autre, tout le reste nous est inconnu. Et mes rencontres de bulles à moi, au lieu d’en faire découvrir plus de surface à l’autre, par peur sans doute qu’il y découvre tout ce que j’ai dans le fond, je les bien explosées. Comme si j’étais sale, comme si quelque chose n'était pas aimable. Alors que la vraie question, peut-être, serait plutôt de savoir ce que je juge, moi, ne pas être digne d’amour chez moi ? Je suis instable et alors ? Je me mets en colère et alors ? Je suis anxieux et alors ? Je fume, je bois, je flippe et alors ? Je me trouve moche, lâche, pas à la hauteur, et alors ? Je devrais plutôt me décerner un putain de trophée. Bravo mec, t’es un être humain ! Bien joué !

Longtemps j’ai considéré – et considère toujours - ma vie comme un problème à régler. Culpabilisant de n’être pas la hauteur, ce fameux point imaginaire, ce but à atteindre, que tout le monde s’invente pour savoir si on se like ou si on se nike. « J’ai réussi ça, je suis trop fort ! J’ai raté ça, je suis trop une merde ! » Que des cracks qu’on se raconte ! Et dans cette quête de rendre nos vies rentables, les techniques de « développement personnel » ne manquent pas. Comme s’il y avait quelque chose à développer… Partir en quête de la meilleure version de moi-même… Comme si je savais ce que ça voulait dire. À quoi elle ressemblerait ma vie, si d’un claquement de doigts, mes traumas, mes peurs, mes errances, mes « mauvais comportements » disparaissaient ? Aucune idée. Je serais peut-être exactement au même endroit, à porter des mocassins jaunes au lieu de bottes noires, et encore…

Et si la seule quête dans laquelle rentrer, c’était celle de mettre fin à la quête ? Si ma vie n’est pas un problème à régler, il n’y a aucune solution, et donc personne ne peut me l’apporter. Être moi et accepter de l’être serait mon seul objectif. C’est peut-être là que ça grince…

Tomber, avoir mal, recommencer, le prendre ainsi. Refuser désormais de pointer mon doigt vers l’autre, l’accuser de ceci ou de cela, qu’il ne voulait pas la même chose que moi, qu’il m’a trahit, abandonné, qu’on s’est trompés. En finir avec ça. S’il n’y a aucune voie où avoir raison, pourquoi y en aurait-il une où on se trompe ?

Finalement, l’instant que l’on vis est parfait, puisque c’est celui qui se présente. Le rest, c’est de la science fiction. Si j’avais fait ça à la place de, dit ceci au lieu de… Ça aurait changer les choses » Qu’en sait-on ? Admettre être le seul est unique responsable, que ça vient de moi tout ce qui m’arrive, même si ça tape, surtout quand ça tape, même si ça semble dégueulasse d’injustice, mais aussi quand ça va, voilà qui fait apparaître des changements de perspectives. Dégager de ce jeu puéril qui consiste à aller chercher le responsable ailleurs que chez moi. Retourner à la source… Tous mes malheurs, tous mes drames, toutes mes douleurs et mes joies, n’ont jamais eu aucune autre source que moi.

J’avais envie d’être plus clairs avec mes émotions aussi. Pleurer quand ça doit pleurer, rire quand ça doit rire. Depuis gamin, avec des phrases comme « pourquoi tu pleures ? » J’en ai fait basculer des tripes à la tête des courants qui aurait dû simplement me traverser. Comme s’il fallait des mots sur tout, tout devoir expliquer… Le résultat c’est que ma vie entière n’était que le résultat d’émotions bien enfouies et déniées. Parce que dans la croyance populaire, si tu montres la moindre sensibilité, l’autre va te flinguer, je m’en fait un beau de blindage ! Et l’émotion refoulée, c’est l’eau empêchée par le barrage. elle s’accumule, et elle va pas pousser de moins en moins. Au contraire, elle va pousser de plus en plus jusqu’à passer au-dessus ou tout casser : une maladie, un cancer, une fracture, un deuil, une rupture, elle va se débrouiller pour fabriquer dans la vie de quoi sortir l’émotion. Si on la laisse passer tout de suite, comme font les enfants, c’est bon. Si on l’enterre, comme font les adultes, elle fabriquera une expérience plus forte pour qu’on soit incapable de la contrôler cette fois. L’histoire de nos vies se répète pour ça. Depuis le temps qu’elle poussait l’eau chez moi, si je ne voulais pas claquer d’une maladie répugnante quand mon corps serait trop fatigué pour tout supporter, j’en avais un gros un gros paquet à gueuler et à chialer. Pour espérer que ce soit le dernier, cet amour mort là, je voulais bien le pleurer.

Bref, me foutre la paix ! Capter qu’on défaut était aussi une ressource. Aller jusqu’à aimer le fait que je ne m’aimais pas.

« Ça va Marc ? T’as l’air alleurs…

– Ouais, je suis triste.

– Pourquoi ?

– Qu’est ce qu’on en a à faire ? Je suis triste, c’est tout ! »

Fallait admettre, elle m’aidait bien Lola en tant que miroir.. Aussi, j’avais décidé de me mettre un peu en pause, de m’autoriser à vivre autre chose. Je voulais me montrer plus doux avec Lola, comme une idée d’être plus doux avec moi. C’est pas si facile, en dehors des certitudes qu’on fait siennes, c’est surtout l’état mental qui donne la note. Et le mien était embarrassé : comment écrire un album sur le chagrin d’amour en étant bien avec soi ? Si d’aucun arrivent à se scinder, moi, ça n’a jamais été mon affaire, je ne suis pas assez désinvolte pour ça.

Alors, une fois rentrés, douchés et nuit tombée, j’ai teinté la soirée de bleue. Discutions canapé, lumière tamisée, triptyque bières-clopes-blues et feu de cheminée. Comme tout ce que l’on émet nous reviens, j’ai beaucoup aimé me rendre heureux au travers des rires de Lola. La soirée passait, les bières se vidaient. Le morceau Slow Danse d’Ana Popović s’est fait entendre dans les enceintes. Lola s’est levée et s‘est mise à tanguer lentement au rythme du son. Les ondulations de son corps et l’ivresse aidant, je suis venu me coller près d’elle, derrière et je l’ai enlacée. Pour me signifier qu’elle était d’accord, Lola à basculer sa tête en arrière, et on s’est mis à danser doucement, comme ça, sur le slow. Ça nous a chauffé et tandis qu’elle ondulait des hanches en planquant ses fesses contre moi là où il fallait, mes lèvres ont frôler ses épaules, puis son cou. Lola s’est faite traverser par un frisson. Nos bouches hésitaient, alors que nous souffles se rejoignaient déjà.

« Tu crois que c’est bien ce qu’on est en train de faire ?

– Je ne sais pas, t’as envie qu’on crée quoi ?

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