11- Laisser tomber !

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Week-end seul. C’est décidemment ce que j’arrivais le mieux à fabriquer dernièrement, la solitude, voire même l’isolement. Je la reconnaissais, elle était puissante chez moi cette injonction : « je regarde la vie de façon à ce que la vie me prouve que je ne mérite aucune compagnie et que personne ne me comprend. » Je n’avais pas à chercher à le changer ni à en triturer mon passé pour en chercher la source, juste l’intégrer, voire même en éprouver de l’affection, une certaine tendresse et puis en sourire, « ben oui, cher être humain, cette croyance fait partie de toi, et tu sais la manifester à merveille ! »

J’avais passé le samedi à me défoncer, fumer et écrire. J’avais reçu un message de Elle, gentil comme tout. Je l’ai envoyé chier, de façon bien méchante et bien sournoise. J’ai pas résisté à la tentation d’être méchant, histoire de me venger sur elle du malheur que je me fabriquais tout seul. Et comme ça j’avais une vraie bonne excuse pour me détester, et noyer mon amertume dans la bière. Elle était avec un mec depuis plusieurs mois. Je l’ai invitée à venir boire un verre et elle m’a demandé de ne plus insister. Je lui ai dit que j’avais tenté, comme elle avant, je savais pas qu’elle était toujours avec, les hommes ça se remplace si vite ses derniers temps… Bref, du haut de gamme. Puis je me suis rendu compte que mon fameux courrier n’était pas parti. J’ai hésité, un moment, à le renvoyer. Puis j’ai laissé tomber, je me suis dit que j’avais une seconde chance avec cette erreur de manipulation, et j’ai décidé de perdre ma guerre. C’est ça qui m’a saoulé. Des litres et des litres de bières à boires, des mètres de joints et de clopes à rouler ! De quoi plein mourir à ne pas vouloir choisir la vie !

Et puis j’ai pris le .38 dans les mains et y ai placé une balle de .357 magnum. J’ai placé le canon sous mon menton, j’ai armé le chien, et j’ai posé le doigt sur la détente. J’avais tous les droits sur ma vie, y compris celui d’en supprimer l’expérience… Une simple pression… légère… et je pouvais arrêter le film. Finie cette série Z mettant en scène un Marc pauvre, alcoolique, gras, aigri, qui ne vit que dans le manque de son fils, de l’amour d’une femme, du matériel, d’une vie de famille. Toute cette souffrance, tous ces pleurs, toute cette mélancolie, une légère pression, et c’était fini. J’allais appuyer. Et puis soudain j’ai senti quelque chose se poser sur cuisse : la patate de Michonne. Elle avait ses yeux marrons plantés droits dans les miens. J’ai baissé mon arme…

« J’en peux plus mon chien, j’en peux plus ! »

Pour toute réponse, de sa façon un peu bourrine, comme elle est, elle a reposé sa patte sur ma cuisse, puis a glissé sa tête sous mon bras armé, pour que je la caresse. J’ai posé le flingue sur la table basse, l’ancien petit bureau de mon fils. Et l’eau du barrage a cédé et une grosse partie de ce que je croyais être moi a été emportée. Et je suis tombé en larmes, en râles et en hurlements dans les bras de ma chienne. puis la gerbe m’a pris et j’ai vidé mes chaos dans les chiottes. Le ciel ce soir décidai de tomber avec moi. J’étais misérable, paumé, seul… Vivant !

* * *

Dimanche 2 avril 2023.

Encore KO des remous de la veille. Le dos en vrac, de mettre écrouler là, sur le carrelage, à côté des chiottes. Je me relevais, la tête prise dans un étau d’alcool et de déshydratation. Machinalement, j’ai préparé la cafetière et roulé quelques cigarettes. J’avais un trou béant dans la poitrine, un trou de deuil. Je me suis rappelé que la veille, je m’étais filmé avec mon téléphone, j’ai regardé les vidéos. Fin bourré, je me parlais à moi, je parlais à Elle, tout ce que j’aurais tué pour avoir la chance de lui dire les yeux dans les yeux. Mais ça n’existerait plus. Elle se préservait à distance, derrière un clavier ou un téléphone. Et elle avait raison. Elle avait raison.

Cet homme dans l’écran, ce moi d’hier, qui à un moment se fout un flingue sous la bouche, il était si triste… il l’était tellement… triste et seul, avec encore tant qui lui plombait le cœur… C’était ça le trou que je ressentais, un vide d’enclume.

J’ai parcouru des yeux le salon, sur ce que j’en faisais de ma pièce principale de vie, et de ma vie en elle-même…. Hagard, j’ai regardé cette maison comme si je n’y avais jamais vécu. Des cadavres de canettes, un cendrier plein, de la crasse sur le carrelage, de la graisse sur la cuisinière, du bordel partout, et le revolver, encore chargé, au milieu de tout ça. J’ai souris. Un sourire triste, ému, quelque chose entre l’infection et l’affection… une immense tendresse triste.

« Bon Dieu Marc, mais qu’est-ce que tu t’infliges ? »

J’étais si désolé pour moi… Sur tout ce que je m’étais fait !... Depuis tout petit… Mais comment on pouvait en arriver là ?!... Comment on pouvait tolérer de se faire ça ?...

« Pardon Marc, je te demande tellement pardon ! »

Il restait encore de l’eau dans le barrage…

Au petit matin, le ciel était trouble, les cloches de l’église sonnaient… La pluie avait fait du bien à la terre. Pleurer m’avait fait du bien. Un vent de tempête balayait et asséchait tout.

Retrouver le courage de vivre, de se tromper, en chute libre vers l’inconnu

j’ai décidé de mettre au peu le holà sur tout cela. Tenter autre chose, respirer autre chose… Déplacer cette caméra soudée à mes yeux, lui autoriser un petit décalage, comme si je me regardais d’un autre point de vue.

Resté aussi longtemps… enfermé, je m’étais fabriqué ma propre prison, faîtes de croyances et de certitudes. Et j’avais laissé mes rêves de côté depuis si longtemps que je ne me rappelais même plus de quoi ils avaient l’air. Certains pour leur 40 ans rêve de tatouage, moi je rêvais de liberté, et ça se définissait ainsi : passer mon permis moto et chevaucher une Harley. Mais je devais laisser de la place pour cela, toutes mes attentes étaient pleines, plus rien ne pouvait rentrer.

Après plusieurs clopes et cafés, j’ai posé mon paquet de tabac, presque plein, sur mon étagère à CD. Et je lui ai foutu la paix. Dès le lundi j’attaquerai un nouveau boulot. Je me confronterai à d’autres gens, d’autres miroirs. J’allais toujours mal à l’être. Mais l’imposture de la posture ne tenait plus. Je ne savais trop comment encore mais, j’allais laisser tomber. Quelque chose avait cassé. Maintenant fallait ramasser les morceaux, faire le ménage, dans la maison et d’en moi. J’avais choisi la vie, même dans ce qui fait mal. Et je reconnaissais enfin ce morceau de moi, cassé, totalement vulnérable, nu, humain. Dans dix-neuf jours, j’aurais 38 ans.

Dimanche 2 avril 2023

Cruis, Alpes de Haute Provence

10h23

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