8 – Boxing blues

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Lundi, je m’étais réveillé tôt pour partir bosser avec le Vieux jusqu’à Dignes. Diego était retourné chez sa mère et Lola dans son lit. Il était 19 heures lorsque je suis rentré, longue journée à se les cailler dans le vent. Entre-temps je m’étais arrêter m’endetter encore un peu plus pour des steaks et des bières. Je n’avais envie que de simples choses : une bonne douche, une bonne bière et de bons steaks. Peut-être un peu blues ou du Leonard Cohen, des sourires avec Lola et pas trop de poils de Michonne à balayer.

Mais c’est fou parfois ce qu’il se passe quand on ouvre une porte, entre le devant et le derrière. D’un côté c’est à l’heure d’été, tout lumineux et plein de vent, et de l’autre, c’est tout calme comme la mort, tout sombre pareil et tout froid.

Et on retrouve une femme belle comme c’est indécent pour certaines entièrement recroquevillée dans ses pleurs. Elle en débordait de partout. Ça avait inondé la maison jusqu'à en éteindre le feu dans poêle.

« Qu’est ce qu’il s’est passé Lola ?

– Plus m’voir… Hell veut plus m’voir »

La suite est si pitoyablement humaine qu’elle est racontable vite fait : Lola n’avait pas décroché, suite à l’appel de la dernière fois, elle lui envoyait encore des messages, des morceaux de textes fait exprès pour Hell. Sauf que des messages et des textes, l’autre, elle en avait cure, c’était vers son nouvel homme qu’elle se soignait. Et Lola elle, tournait en boucle dans son film, sans conscience d’en être à la réalisation. C’est si évident que ça en est con : quand tu envoies du manque, tu reçois du manque. Et il en manque toujours un pour faire un film à deux. Lola, elle aurait bien le rebooter le film, y faire une suite voire même en créer une saga. Mais Hell ne voulait plus y être dans son film, elle était « passée à autre chose », ça veut dire à une autre histoire, avec une autre personne, dans la même solitude, tournant sa propre saga à elle, avec ses propres thèmes, fonçant tête baissée dans ses boucles, jusqu’à ce qu’elle en rencontre une assez forte pour en voir la percussion, ou pas, on en est tous là : des dénis de nos vies, tout un naufrage à se noyer pour les yeux d’un autre.

Et moi là, si je respectais un peu tout ce avec quoi je lui avais bourré le crâne après en avoir fait dégueulé le mien, j’aurais dû le voir aussi, là, mon chagrin. Tout enfermé sur lui-même avec les sanglots et tout. Mais je lu ai dit de fermer sa gueule, que là je voulais le héros. Mais le chagrin à fait son black bloc, il a voulu tout péter en moi pour que je cède à son caprice. Alors, j’ai discuté. Et j’ai joué l’héroïque chagrin quand tout à ma peine à moi, j’ai pris celle de Lola dans les bras. Sauf qu’en fait de chagrin, c’était de la haine que j’avais moi, de la haine de l’insupportable qu’il faut supporter. Parce que c’est pas possible que les gens se servent de l’autre pour se donner de la peine à ce point-là. Ça nous fait des craquelures dans le cœur à en plus pouvoir sourire pour de vrai… à terme… car la craquelure, à la place de la laisser un peu comme elle est, vulnérable, on y balance des seringues de béton émotionnel dedans, on se blinde d’humanité. En un simple geste. On repousse nos mains loin devant et on dit « je ne vois pas de quoi tu parles », sauf qu’on voit tout à fait, on parle de toi. Oui, de toi.

Alors je l’ai pris en entier ce chagrin, et ma haine avec, et ma haine… je l’ai vue se former dans les poings fermés de Lola, quand elle m’a agrippé. C’était sa haine aussi la mienne, puisque j’étais là. Et comme je connaissais aucun autre moyen pour la faire sortir, je lui ai qu’on y allait. Et Lola de me demander où ça?. Et moi d’en finir : « Boxer. »

Quand les gens y connaissent rien, ça à l’air facile, bourrin, animal de taper dans un sac. C’est le préjuger, les sports de combats c’est pour les violents. Moi je dirais – en tout cas à ceux qui ne vont pas chercher l’exception pour réconforter leur petite règle – que les sports de cmbats sont pour ceux qui ont accepté leur violence. Et de mémoire de vie, mais amis les plus fidèles, je les ai rencontré en échangeant les gants, en les combattants. C’est un savoir faire de détruire, beaucoup plus technique qu’il n’y parait, le moindre débutant en frappant comme un sourd dans un sac en pleure instantanément son poignet. Et quand le corps sait, faut que le cœur suive, et les poumons avec, et l’engagement mental qu’il y a dedans. Et l’œil aussi, voir un coup arrivé et en fabriquer des réflexes pour pas le prendre, j’en connais guère des disciplines qui mènent à cet étant, celui d’être décontracter alors qu’on y joue sa santé. Lola au début, j’ai essayé de lui expliquer comment pas se faire mal, comment c’était un équilibre la guerre, mais elle voulais rien savoir. « ton air de prof m’agace » qu’elle à dit. Alors je n’ai plus rien dit, juste regardé se faire mal…

Moins d’une demi-heure de sac après, à trop vouloir taper dans du rien plus dur qu’elle, son chagrin et sa haine étaient fatigués, en tout cas pour ce soir. Ils ruisselaient d’une aigreur qui n’attendait qu’une douche pour dégager.

« Ok, maintenant que t’es propre, j’y vais. Et ensuite steak-bières.

– Je suis devenue végétarienne !

– Et moi je suis devenu d’extrême droite il paraît, alors tu vois… »

Rien de mieux que le cadavre cuit saignant d’un animal plus gros que vous avec un peu de salade et de bière pour aller mieux ! Lola elle, avec ses graines, elle en bavait de ma bavette. Je lui ai proposé un morceau mais l’orgueil, quand il est touché, il prend toute la place, y’a plus rien à lui dire. Et puis je la voyais…comme moi… pas là. Elle était comme le rêve d’un bel avion sans pilote Lola, elle planait encore sur une histoire qui s’est crashée. Le passé, c’est juste bon à fabriquer des poètes et des mélancoliques, c’est tout un blues pas vendable pour tous ceux qui se fabriquent des amnésies quand ça les arrangent. Mais c’est une qualité. J’en tuerai dix des comme moi si je pouvais m’en payer ne serait-ce qu’une seule année à être comme eux. « Cap droit devant et mes dégâts derrière ! » C’est eux les heureux qui dirigent le monde, qui en sont maîtres, pas moi. Moi, je suis leur champ d’expérimentation, comme ils sont le mien. Et pourtant tout ça c’est plusieurs conneries en une seule… Tout le monde ment, à soi et aux autres ! Mais à quoi bon pleurer le souvenir d’une personne qui se moque de notre vie ? Le blues, simplement l’amour du blues. Parce que c’est le plus bleu, et que le bleu est la couleur la plus jolie. Même s’il nous en fait vibrer plus dans l’amour, il nous en fait baver aussi plus quand il se casse. Et il nous casse avec. On n’y peut rien.

« Tu veux me dire quelque chose ?

– Comment ça ?

– Marc, tu penses tellement fort que je t’entends d’ici. »

C’était pas tort…

« Oui c’est vrai Lola, j’ai envie de t’en dire des choses. Mais je sais pas si c’est louable… Et comme j’ai pas envie d’être dans des affaires de colère avec toi, je préfère garder la mienne, en ce qui te concerne, bien au chaud dans ma gorge, elle sortira plus tard.

– Là t’en a trop ou rien dit.

– Très bien, comme tu voudras…

–On est entre adulte non ? On sait ce qu’il se passe quand on joue avec les jouets de autres ?

– T’as jamais eu l’impression petite que ton jouet s’était toi ? C’est comme jouer avec eux Lola, C’est comme jouet avec eux.

– Mais qu’est-ce que tu racontes ? Marc t’es bourré ou quoi ?

– Peut-être un peu. Mais puisque je dois vider mon sac, parce que ça a être ça… Je pense qu’il est le moment…

– Quel moment ?

– Le Vieux m’a donné un peu de sa beuh. Ça fait longtemps pour moi mais… Avec de la musique et ton beau portrait, ça devrait pouvoir groover…

– Voilà qui ouvre des perspectives…

Alors je l’ai roulé le pétard… et après l’avoir allumé, comme Lola me l’a re-re-demandé, après lui avoir fait tourné, je me suis mis en roue libre du blablatage.

« Hell s’est cassée Lola. Hell veut même que tu crèves, ou tout comme, que tu lui foutes la paix. En tout cas t’es crevée dans sa tendresse et son désir, c’est ainsi, faut croire que la tendresse et le désir… ça n’existe qu’en un seul lot… on donne tout à quelqu’un ou on donne rien à personne. Hell t’as dit en toute hypocrisie qu’elle veut que tu ailles bien…. Mais c’est parce qu’elle sait que quand tu iras bien, tu lui foutra la paix… C’est le dialogue actuel, tout en tournures, rien en franchise. Mais je parle pour moi aussi tu sais, dans le même temps, Elle ne comprend pas mon point de vue tout en râlant que je ne comprenne pas le sien. Et c’est tout à fait vrai ça. Et tu sais pourquoi c’est vrai ? Parce qu’aucun d’entre nous ne l’a été, vrai, avec l’autre… Dans notre petit ménage à quatre, on a tous menti ! Et là tous les deux maintenant, on est bien embêté de voir que notre bobard nous vide notre plumard tandis qu’elles remplissent le leur avec. Tu sais ce qu’Hell pense de toi ? Si elle est heureuse ? Si en ce moment elle est en pleine déprime à califourchon sur un mec ou heureuse en train d’écouter de la musique, ou l’inverse ? Ou peut-être que maintenant tout de suite elle est malade. T’en sais rien de ce qu’elle a au fond d’elle, et Hell en sait rien non plus sur toi. Que dalle ! Rien… Tout ça c’est juste pour ta petite branlette à toi, ton petit cunni perso de « je suis qu’une merde qu’on abandonne ». Je ne le critique pas ton malheur, au contraire, je le vis, je le compatie, mais c’est dans Ta vie tout ça, c’est pas La vie. C’est juste une histoire que tu te racontes pour croire que tu existes quand t’as mal. Alors que c’est pas mal d’avoir mal, ça fait aussi partie de l’existence. Y’a pas d’histoire à raconter dessus. On a mal parce qu’on en a besoin, chercher une cause ailleurs, des responsables qui sont pas nous, c’est comme se taper sur les doigts et mettre en cause le marteau, faut admettre qui tient le manche… Hell s’en branle de tes rires ou de tes pleurs, comme Elle s’en fout de ce que je ressens. Alors, dis-moi Lola, est-ce qu’on va crever pour qu’elles s’en foutent où on va rebondir pour qu’elles s’en foutent pareil ?

– T’as pas mal toi ?

– Si j’ai mal, j’en crève même. Ça me brûle en dedans comme t’as pas idée. Mais ce mal, et les images que je mets dessus, j’accepte juste que ce soit moi et moi seul qui les fabrique, Elle n’y est pour rien, elle a juste joué sa note, et elle n’était pas bleue. Mais ça ne m’empêche pas d’avoir l’impression d’en mourir de ne plus la savoir avec moi, même loin. Parce qu’elle est là la différence, dans la pensée. On est bien seul quand on sait que quelqu’un pense à nous. Quand on sait que ce quelqu’un pense à un autre, là être seul deviens l’enfer. Ça se rempli dans un sujet de bac philo, pourquoi la peur de la solitude ? Parce que s’il n’y a personne pour m’observer en train de vivre, je n’existe pas. Mais c’est que de la flute tout ça, des histoires qu’on se raconte, douloureuses certes, mais des histoires quand même.

– Et toi tu veux quoi ?

– Je veux essayer d’être bien avec moi, et de penser à moi et que ce soit doux. Et comme ça je laisserai de la place à l’autre de ne pas combler mes manques. Et alors j’aurais de la place en lui, et là, peut-être que je verrais un autre bleu encore. Au bout du bout Lola, sans être solitaire, je veux être bien avec ma solitude, parce qu’il n’y a qu’avec elle que je crèverai. C’est le but, alors pour l’instant, j’en crève surtout de ne pas m’aimer seul… Et en même temps je te mens comme jamais. Parce qu’autant de solitude me brûle… Et je suis comme un chien à ne plus baiser depuis des mois !

– Enfin une parole censée !

– Ouais… je suis… défoncé ! »

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