4 – N’importe quand le téléphone peu sonner

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« Allô Lola ? J’ai fini.

– Déjà ? Y’a eu un problème ?

– Non, aucun. Je reviens demain. Tu viens me chercher ?

– Je suis là dans un quart d’heure »

Dix minutes après ma voiture avec Lola dedans arrivaient sur le parking de l’Intermarché des Mées là où je l’avait laissé deux heures plus tôt.

« Alors, Oh Vénérable Maître Perché, ta journée a été rapide ?

– Carrément. Michonne est pas avec toi. T’es pas rentrée ?

– Non, je suis restée à visiter un peu le coin. Apparemment j’ai bien fait.

– T’as vu quoi ?

– Rien… Y’a rien ici. À part les gros rochers.

– On les appelle les Pénitents. Y’en a un qui s’est cassé la gueule sur des baraques y’a quelques années, mais aucunes victimes heureusement. Y’a une histoire derrière ces rochers, tu veux la connaître ?

– Je t’écoute.

– La légende la plus connue remonte au Moyen âge. Un Noble était revenu des croisades avec comme trophées sept des plus belles volées aux Sarrasins.

– Charmant !

– Ouais moi aussi je trouve ça stylé ! Bref son but était de les conduire dans son château et de se faire plaisir avec. Mais ça n’a pas plus aux autorités de l’Eglise qui on menacer d’excommunication. Comme à l’époque ça handicapait un peu plus la vie qu’un simple article frauduleux sur Wikipédia, il n’a pas eu d’autre choix que de livrer ses belles mauresques à un monastère. Les moines de la montagne de Lure – celle au-dessus de ma maison – furent chargé de les accompagner une partie du chemin. Seulement, comme ces femmes étaient très belles, pour ne pas succomber au désir, les moines portaient de grandes capuches rabattues afin de ne pas les voir. Mais ce coquin de Diable souffla un vent assez violent pour soulever leur capuches pile aux moment où les belles Sarrasines passèrent devant les moines. Ils eurent donc la possibilité de les admirer et, bien entendu, s’en éprirent. Alors aussitôt, Saint Donat, un ancien ermite de Lure, provoqua une foudre qui frappa les moines, changeant leur cortège en pierre. On dit que les pointes des rochers seraient leur capuches. Enfin il est dit qu’après une longue pénitence, d’où le nom de ces rochers, miséricorde leur serait accordée et les pierres redeviendrait poussière.

– C’est ce qui est arrivé à l’une deux tu crois, celui qui est tombé ?

– Va savoir ?

– C’est une belle histoire… Ça pourrait faire un bon film… Et toi alors ? Elle t’a dit quoi ta réalité ?

– Ben… Que j’ai bossé dans une maison de retraite en construction. Un travail facile, mais rien de bien passionnant. Et j’ai trouvé le gars avec qui je vais bosser les deux prochains jours très sympas. Après quoi ? Il a des dents pourries et apparemment pas mal de problèmes de santé, son boulot est tranquille, bien payé, ses patrons sont cool, tant que le taf est fait. Et il était auto-entrepreneur aussi, comme moi, mais là il se prend plus la tête et il est content. Ça ça m’a donné à réfléchir pour la suite. Par contre la chaleur dans les chambres, un four. Ils vont les cramer nos vieux s’il laisse ainsi quand se sera fini. Mais plutôt ne expérience agréable. Ça fait du bien de se bouger.

– En parlant de bouger, puisque t’a fini tôt, ça te dirait pas qu’on sorte manger dehors ce soir ? Je t’invite.

– Ça te gène pas d’attendre mercredi, que j’ai fini de bosser ?

– Quel boute-en-train.

– En réalité je pensais faire autre chose avec toi cet après-midi.

– Si c’est encore un cours de philosophie je passe mon tour ! Au fait, j’ai essayé ton truc, tout à l’heure au café.

– C’est pas un truc… et alors ?

– C’est complètement con !

– Bon et bien heureusement que je te proposais de nous trouver un endroit tranquille au soleil, peut-être acheter une ou deux bières, et qu’on se mette à écrire une ou deux chansons. Un ou deux airs me sont passés par la tête…

– Marc…

– Lola…

– Merci.

– De rien. Mais concentre-toi sur la route, je te sens virer sentimentale, et c’est pas le moment, y’a des virages. »

À peine arrivés, j’ai reçu un coup de fil du Vieux. C’était un ami depuis plus de dix ans maintenant. Depuis avant la Réunion, on s’était rencontrés au krav maga. Un biker avec le visage aussi dur que ses poings. Mais le cœur sur la main, avec des principes si raides qu’il s’en était soudé la colonne vertébrale. Il m’avait sortir de la panade plusieurs fois et, ces derniers mois, c’est à lui que j’avais pu m’acheter du pain. Son boulot s’était de renover des salles de bains, il me l’apprenait. Là il me proposait un petit chantier peinture, sympa, minutieux mais de quoi se faire quelques billets. J’ai dit feu, ok. Je l’appellerais d’ici la fin de la semaine pour qu’on aille voir le chantier. Sauf que le problème avec le Vieux, malgré toute la tendresse que j’ai pour lui, c’est qu’une fois qu’il vous à choppé au téléphone, il ne vous la lâche plus. Sauf que moi, fallait que je décolle, après plusieurs tentatives, j’ai reussi

« Faut que j’y aille Vieux. Je t’appelle dans la semaine. Bises

– La bise camarade. »

J’ai raccroché.

« On dirait que tes affaires reprennent…

– On dirait Lola. On dirait… Inch Allah comme disent les anglais »

* * *

« T’as le titre de la chanson ?

– Ouais.

– Et comment elle s’appelle ?

– Comme toi.

– … Je crois qu’il y a déjà une chanson célèbre qui porte ce nom.

– Pas Comme toi, Comme toi. Comme toi, comme toi… Lola.

– Y’a aucune chanson qui s’appelle Lola ?

– Moi j’en connais une, mais je suis pas certain que les paroles te plaisent…

– Vas-y…

– Lola, c’est pour toi que je me lave sous les bras…

– OK laisse tomber ! »

J’ai éclaté de rire. On était bien là, sous un beau soleil de printemps. Adossés contre un chêne truffier, j’ai ressorti un vieux carnet. Clopes bières et stylos de sortis, on pouvait y aller. En haut en bas partout, Michonne se défoulait.

« Alors, de quoi tu veux qu’elle parle cette chanson ?

– J’en sais rien. De moi.

– Mais encore ?

– …

– Attends. Avant que tu ne commences à l’ouvrir, je vais te couper. Comme c’est la première que l’on écrit, ça va être la première du disque. Et, elle va donner le nom à l’album.

– Mais…

– Non ! C’est pas discutable.

– Je crois que t’as tout décidé en vrai.

– Euh… Ouais.

– Moi non plus, mais puisque tu es là, on va trouver… »

Moi je savais pourquoi elle était là Lola. Elle me faisait du bien. Depuis qu’elle était arrivée, m’occuper de son mal à elle m’empêchait de m’occuper de mon mal à moi. C’est égoïste, certes, mais qui ne l’est pas ?

« Tu vas me fredonner ça : Lola, taladam ta taladam, taladam ta taladam tala damdam. En boucle. Mais tu me marquer un temps histoire de laisser un peu d’espace entre chaque répétition. Ça marche ?»

Après quelques essais ça a marché. La mélodie que j’entendais à peu prêt tournait dans la voix de Lola. Petit à petit je m’en suis imprégné et j’ai me suis reconnecté à cette sensation… Cette musique des mots… Il fallait que ça la présente, il fallait que ce soit vrai, il fallait que ça donne le ton d’entrée. Il fallait… que ça vienne des tripes et donc se foutre en vrac…

« Tu commences à écrire quand exactement ? Parce que ça fait bien trois minutes que je tourne en boucle et je vois rien sur ton cahier.

– Est-ce tu veux bien la boucler ? Primo c’est parce que c’est une longue intro, tu m’as jamais dit que tu voulais un disque au format radio, deuxio, ce fait ce que je vaux, et ter-troisio, roule, ça vient bientôt.

– Ça y est, j’ai retrouvé l’artiste »

Lola à repris son champs. J’ai laissé passer trois boucles, et les mots sont venus. Des couplets de deux lignes. Faudrait après revoir à froid mais… c’était plutôt pas mal. Tandis qu’elle fredonnait, je sentais les yeux de Lola scrutant mon carnet. Elle a sourit et détourné les yeux rapidement, tout en continuant sa mélodie.

« Ok l’actrice. Tu vas me faire la même mélodie mais cette fois, je veux qu’elle vienne de là (je me suis mis à taper sur mon plexus). Je veux pas que tu gueules. Je veux pas que tu chiales. Je veux que tu souffres. Comme si tu exprimais quelque chose qui venait du fond de toi sachant bien que tout le monde n’en a que mépris. Un cri étouffé par le silence.

– C’est pas contradictoire « avec ton je veux pas que tu gueules ? »

– C’est toi la pro, roule. »

Lola a cherché… s’est connectée… il a pas fallut beaucoup de tour de chauffe pour que ça devienne parfait. Le stylo a filé. Quand il en a eu son compte, je l’ai une nouvelle fois interrompue pour qu’elle me redonne une autre mélodie.

« C’est quoi ça ? Le refrain.

– Non y’a pas de refrain. C’est plus comme un break, ou un pré chorus, mais sans chorus.

– Y’a pas de refrain ?

– Pourquoi faire ? les couplets sont parfaits. Le refrain c’est Lola. »

Lola a pris un air étonné. Pus elle a haussé les épaules, genre « C’est toi le patron » et elle a fait ce que je lui demandais, se permettant quelques variations loin d’être inappropriées. Après tout, c’était elle l’interprète. Ce boulot là se faisait en couple. Il n’était donc ni question d’acceptation, ni question de tolérance. Mais bien de permission. Lola me permettait d’écrire ce que je voulais. Je lui permettait de l’interpeter à sa guise.

« C’est bon, c’est fini…

– Fais voir fais voir ! »

Lola m’a arraché le carnet des mains

« Grosso modo. Faut corriger certains trucs… placer, deplacer les strophes…

– Tais-toi, je chante. »

En effet Lola chantait, en silence. Je voyant sa tête onduler selon la mélodie qu’elle se murmurait en lisant mes mots. C’est toujours une sensation étrange, que de scruter le visage de l’autre en train de parcourir votre travail… J’ai vu celui de lola s’interroger, sourire, acquiercé, et à un moment donner beuguer.

« César ?

– Ben quoi t’as pas gagné un César ?

– Ça rime pas avec Lola.

– Ça, ça va dépendre de la façon dont tu le dis ».

Lola est retournée à sa lecture. Quand elle a eu fini elle a fermé claquement le cahier. Puis elle a tourné ses yeux d’un coup sec droit dans les miens. Puis ils sont parti ailleurs, derrière moi.

« Marc…

– Putain ça ne te plait pas !

– Si mais non c’est pas ça.

– Quoi ?

– Je crois que ta chienne vient de se rouler dans une merde. »

Putain la connasse !

De toute façon la chanson était finie dans son premier jet. On a plié nos gaules et on est rentrés. Bien évidemment Lola croulait de rires en voyant ma mine dégoutée en miroir de l’air absolument ravi de ma chienne.

« Et là ça dis quoi sur ta réalité ?

– Fais pas chier »

Rentrés à la maison, lola s’est précipitée à l’intérieur, mo carnet à la main. Moi j’étais parti pour arroser le jardin avant d’arroser la chienne. Les premiers accord de guitare se sont fait entendre avant mes premiers arrosoirs. Elle cherchait encore ces accords. Dix minutes après, quand j’en étais à me battre avec Michonne pour lui enlever son collier plein de merde et la nettoyer au gant, Lola composait des arpèges et commençait de chanter. J’aimais assez. Encore dix minutes, je suis rentré dans le salon, un brin énervé. Lola, sur mon canapé, les bras dans la guitare et le pif dans le cahier, ne savait même plus que j’existais. Puis a un moment elle a levé la tête.

« J’ai du mal à dire couverture sur les magazines. Ça vient pas bien.

– Que penses-tu de… photographes et magazines ? »

Elle a testé de le chanter… « Ah oui c’est mieux ! » Et est retournée dans son jus. Moi je fesais du rangement, commençait à réfléchir sur le repas du soir… Je pensais aux merguez dans le congélateur…

« Il faudrait peut-être un petit solo de guitare à cet endroit.

– Demande à David Gilmour, il irait sur ce que tu joues.

– Carrément ! Son style collerait très bien. Mais je le connais pas.

– Tu dois bien connaître quelqu’un qui le connait.

– À supposer qu’il accepte…

– Lola…

– Oui, quoi ?

– J’en chie des caisses de tract depuis une heure… T’en penses quoi de ce que j’ai écrit ?

– T’as encore besoin qu’on te valide ?

– Faut croire que oui…

– Tu crois que je bosse depuis tout à l’heure pour le fun ?

– Oui.

– Oui c’est vrai, c’est fun. Mais j’adore ce que tu m’as écrit espèce d’abruti, c’est exactement ce que je voulais »

J’ai fermé mon énervement pour lui ouvrir un sourire grand comme ça. Touché. Merci Lola. De la voir s’occuper à sa musique, de sortir de son histoire grâce à mon petit texte, je m’en suis senti grand. Après une douche j’ai préparé le repas. Légumes pour elle, légumes et merguez pour moi. Même durant le repas on a parlé musique. Lola était surexcitée. Une gamine un soir de Noël. Pour débrayer après manger, on s’est dit qu’on pourrait regarder un film. La bataille s’organisant autour de l’idée de le voir en VF ou en VO. Là, gagner une guerre tout en la perdant était facile : regarder un film français en VO.

« Cyrano ?

– Quoi d’autre ?. »

À l’envolée du « Je vous aime, j’étouffe » de Cyrano à Roxanne, le téléphone a sonné. Pas le mien, celui de Lola. Pause sur le film. À voir sa tête, j’ai compris qui c’était à l’autre bout… Lola est partie s’enfermer dans sa chambre. J’ai compris que je regarderais le film seul. C’est ce que j’ai fait. Chacun son cinéma dans sa langue.

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