2 – Mon Elle, Son Hell

21 minutes de lecture

« Si tu es déprimé et que tu as vraiment mal
Viens à l’endroit où je bosse
Et toute ta solitude j’essaierai d'apaiser
Je jouerai du blues pour toi
Non, N’aie pas peur, viens, tu pourrais croiser certains de tes vieux amis
Et toute ta solitude j’essaierai d'apaiser
Je jouerai du blues pour toi
Il n’y a pas de grand nom

Il n’y a pas de grande star
Je jouerai du blues pour toi sur ma guitare »

Albert King

Ça se passait dans l’école où travaillait ma mère quand j’étais enfant. C’était la nuit. Je traverse un couloir et ouvre une porte, celle de la petite cuisine où gamin j’allais parfois piquer des bonbons, quand il y en avait. Là se trouvait mon ex, Mary avec son nouveau gars. Enfin, ce n’était pas vraiment eux, je ne voyais pas leur visage, mais c’était leur silhouette. Ils regardaient une sorte de film d’horreur, où des gens se faisaient découper en morceau par une machine parfaitement chromée. Les bruit de découpe était terrifiants. Va savoir pourquoi tout d’un coup je me retrouve avec une tarte dans les mains. Et puis la scène se transfère dans la cuisine de mon enfance, dans l’ancienne maison de mon père, construite par mon grand-père. Nous sommes là tous les trois à chercher des couverts. Et de nulle part les lames en dents de scie de la machine du film arrivent. On a à peine le temps de les voir. Elles s’en prennent d’abord à Mary, pour à son mec. Puis je vois un de mes bras voler, puis ma tête, puis ma tête encore, sectionnée à la volée. Et ce bruit, ce putain de bruit !

Les frissons me réveillent ! Je regarde l’heure, 1h29 du matin. Une douleur immense me fige le cou. J’ai tellement broyé mes dents durant ce rêve que ça en a donné les bruits de découpe de la machine. Je m’étire un peu dans le plumard et reste un moment comme ça, les yeux grands ouverts dans le noir. Des petits bruits, me faisant immédiatement penser aux souris en train de causer dans la cloison se font entendre. Je tends un peu mieux l’oreille. Non, ça vient de la pièce d’à côté. Lola est en train de pleurer…

En ce dimanche matin, le temps s’était mis au diapason de l’ambiance. Il faisait gris, le sol était mouillé. Michonne n’est pas encore venue me dire bonjour au bord du lit que déjà ma tête repartais dans sa boucle. Elle… et tout ce qu’il y avait dedans. J’ai secoué la tête pour en chasser les idées, c’est descendu plus bas. Ma gorge avait mal et je sentais ma voix cassée. Tous ces cris inexprimés restés sur mon cœur migraient en gros blocs de glaviot colmatant ma trachée.

Allez lève toi Marc.

J’ai eu le temps de balayer les tapis de poils qu’avait laissé Michonne dans la baraque et de démarrer une cafetière avant que Lola ne fasse son entrée sur le morceau Estate de Chet Baker. Ces derniers temps, cette face B de son Live from the Moonlight s’accaparait ma platine. Il faisait encore un peu frais dans la pièce, le poêle avait du mal à démarrer, comme nous.

Emmitouflée dans son sweat immense de la veille, Lola a jeté un coup d’œil amusé à mon pantalon de survêt’ en loque. J’ai répondu par un haussement de sourcils. « Ouais je sais. – Et encore t’as pas vu ta coiffure. » La cafetière italienne s’est mise à accompagner la trompette de Chet.

« Café ?

– Non, thé pour moi.

– Euh… Ça va pas être possible. En revanche il doit me rester de la verveine sèche. Tu veux une tisane, avec un peu de miel ? »

Les yeux gonflés et le nez rouge, Lola arborait une magnifique sale gueule. Lola tenait ses bras croisés fort sur sa poitrine, comme pour empêcher à son cœur de se barrer. Mais c’était trop tard, le trou était déjà là. Son corps jouait à la perfection le rôle d’un monolithe aux yeux perdus dans le salon.

« Reste pas plantée comme ça au milieu de la pièce. T’es ici chez toi Lola. Prends tes aises.

– Si j’étais chez moi, il y aurait du thé. »

Ça y est, elle reprenait vie.

« Et y’a pas de pain non plus pour te faire des tartines. Mais je peux aller en chercher à l’épicerie du village si tu veux. Celui de la boulangerie est infect.

– Ils en vendent free gluten ?

– Alors faut que je t’explique : ici t’es dans ce que les élites urbaines appellent la France profonde. Ici, hormis des vieux, des flingues, la forêt, de la bière, du pâté, des chiens et des Pick up, y’a pas grand-chose. Mais pour ne pas être totalement de mauvaise foi, comme là plupart d’entre eux ont des maisons secondaires ici, on doit pouvoir en trouver au petit supermarché à dix minutes de voiture d’ici. Mais tu vas le payer un braquage.

– Tu sais l’argent ce n’est vraiment pas un problème pour moi. À ce propos si tu veux je …

– STOP ! N’y pense même pas.

– Tout travail mérite salaire.

– C’est un service que je te rends, ça me fait plaisir.

– T’as toujours autant de mal à accepter de l’aide toi hein ?

– Sans doute… C’est vrai, t’as raison. C’est mon côté survie à la con, ça m’empêche de vivre… Mais ça se place sur autre chose… Si tu me donnes de l’argent, je vais le dépenser n’importe comment.

– Même si je t’en donne de quoi te mettre à l’abri du besoin toute ta vie ?

– Ne… me tente pas, s’il te plaît Lola.

– Compte pas là-dessus. Mais en revanche le temps que je reste ici c’est moi qui paie la bouffe et les boissons.

– Ça d’accord, marché conclu. À condition que ce ne soit rien d’excentrique.

– Parce qu’on trouve de l’excentrique dans la France profonde ?

– Bien vu l’aveugle ! Par contre… dis moi que je ne suis pas en train de deviner que t’es devenue vegan et que tu carbures au jus de cèleri ?

– Disons que je préfère le jus de carottes. Mais oui.

– Ben mon colon ça va être gai !

– En parlant de gay, tu comptes me la faire ma tisane de gouine ou il faut que j’aille chercher l’eau à la fontaine ? »

* * *

Une fois le petit déj’ fini et débarrassé, j’ai foncé sous la douche. Faillait vraiment que je m’occupe de ranger et nettoyer cette pièce. Le bac à linges sales dégueulait. J’ai ouvert l’eau et attendant que vienne la bonne température, je me suis lavé les dents. Dans le miroir piqueté d’éclaboussure d’eau et de dentifrice – merci mon fils – j’ai un peu consulté ce que disait mon visage. Effectivement, sacrée coiffure ! Mais le pire c’est ce qu’il y avait dans le fond de mes yeux. Tu peux te raconter les bobards que tu veux, où tu veux, et quand tu veux, sauf devant ton miroir en te brossant les dents. Là ce n’est même pas la peine d’essayer, tout transparaît, transpirant ta réalité. Comme ce que j’y voyais m’était épouvantable, j’ai foncé sous l’eau essayant de d’y laver mes visions. Même un bon bloc de savon d’Alep n’y fait rien. Une crasse posée dans le cœur reste collée. Alors j’ai changé ça en musique et une chanson de Gainsbourg est venue, transmutée pour Lola, comme si c’était son ex qui lui parlait, ça donnait ça :

Une chose entre autres que tu ne sais pas

Tu as eu plus qu'une autre

Le meilleur de moi, est-ce ta faute ?

Peut-être pas.

Les parcours sans faute n'existent pas

J'en ai vu d'autres

T'inquiète pour moi

J'me démerde avec ce que je n'ai pas

J'suis passé à autre chose

Tu crois que j'allais revenir sur tes pas

Les miens, les nôtres, mais ça va pas, dans ta tête, tu te prends pour quoi ?

Oui, j'en ai vu d'autres, t'inquiète pour moi

Je me démerde avec ce que je n’ai pas

Une chose entre autres : j'étais à toi

Maintenant je suis à d'autres

Je ne te suis pas

En changeant un peu les arrangements, ce serait assurément une bonne reprise. Mais immédiatement, comme pour me die qu’il était hors de question qu’elle ne chante pas MES textes, combinée à la délicatesse de vouloir faire la vaisselle, Lola, en ouvrant l’eau froide de l’évier dans la cuisine, m’a instantanément coupé la mienne. et voici la chanson me collant à la peau brûler sous 70 degrés.

« OOOOOOOOOOOOOOWWWWWWWWWWW !

– OH ! DESOLEE ! »

Y’a pas de mal Lola…

Je suis sorti quelques minutes plus tard, la bouche et la peau propre, les cheveux brossés.

« C’est beaucoup mieux.

– À ton tour maintenant meuf, tu pues le chagrin.

– On va en causer ?

– Mais pas tout de suite, d’abord tu vas te laver »

Après sa douche Lola à pris ma voiture pour filer acheter un peu de bouffe. Enfin de la bouffe… Sa bouffe. Donc quelque chose davantage destiner à nourrir des oiseaux que des humains. Ah ces Babyloniens... Moi, pendant ce temps, je me suis coltiner à quelque chose qui m’épuise dès que je m’y mets à y penser : faire mes papiers. Ça a toujours été insupportable pour moi. Alors quand dégueule partout dans votre chambre l’accumulation administrative des dix dernières années et autant de déménagements, vous imaginez le chantier. Le tout entrecoupé de coups de téléphones, dont celui de mon père, m’expliquant à sa façon que je n’apprenais pas de mes erreurs et me retrouvais toujours dans mes les mêmes boucles. « Je sais Papa ». Avec le temps j’ai appris à ne plus lui en vouloir, il s’inquiète simplement pour moi. Je lui en ai bien fait baver à mon vieux ! Aux deux. Dans mon éternelle crise d’adolescence, je leur ai donné le pire châtiment qui soi. « Ah ouais vous m’avez fait ça, ben je vais vous punir en n’étant jamais heureux et en galérant toute ma vie. » Par deux fois je leur ai même enlevé leur fils pour le tuer. Quel magnifique renvoi d’ascenseur bien cruel !

J’en étais à peine à avoir fait quelques tas de papiers à peu près classés lorsque Michonne, qui jusque-là ronflait, s’est mise à aboyer. Mon système d’alarme à croquettes était toujours aussi efficace : Lola était de retour.

« Saluuuuut. »

– Salut. Pas trop emmerdée par des fans ?

– Seulement une centaines de selfies quatre interview et une quarantaines d’autographes, une matinée tranquille.

– Tu déconnes ?

– À ton avis ? »

Après le repas, rien pour moi hormis de la fumée et pour elle… je sais même pas comment définir ça, On s’est mis à l’aise pour causer. Moi dans mon fauteuil et Lola sur le canapé. Bien entendu la couverture en laine de l’armée Suisse qui servait de parure lui grattait le cul. Elle l’a dégagé. Et tout en écoutant une compilation de slow blues, tandis que la cafetière chauffait, on est entrés dans le vif du sujet.

« Alors… comment s’appelle celle qui a osé ?

– Attend, je croyais qu’on était clairs Lola, c’est pas moi le sujet.

– S’il te plait commence. T’es meilleur que moi à ce jeu-là, ça va m’inspirer et… après promis, je prends le relais. »

Coup de bol la cafetière s’est manifestée… J’ai pris le temps de me lever, d’éteindre le feu, de me remplir un grand mug - celui avec écrit en gros Mon Papa j’en suis gaga - du fameux liquide noir cher à Rimbaud, de revenir sur le canap’ avec, de me rouler une clope, de l’allumer et d’en souffler la fumée en me basculant la tête en arrière, ça me servait aussi à m’étirer les lombaires.

« Alors elle. On a qu’à l’appeler Elle… Et tu vois c’est pas si facile d’en parler… Ou plutôt… Je pourrais t’en dire des caisses à son sujet, mais ça tournerait autour de rien de bien honnête. Un peu comme si un drogué ici se jugeait victime d’un quelconque cultivateur colombien d’en être arrivé jusque-là. La seule vérité vraie, c’est que l’on a tous les deux parfaitement œuvrés à tous les deux flinguer cette histoire…

– Parles s’en quand même, ça peut te faire du bien.

– OK… Donc Elle est danseuse de cabaret.

– Cool.

– Carrément. On s’est rencontré l’été dernier au bord d’un lac. Je peux pas dire que ça ai collé tout de suite mais disons que tous les deux on a eu envie de ça. C’est le genre nana avec un visage aux angles bien saillants sur lequel est accroché un super joli sourire. Elle était séparé depuis peu, mère de deux enfants en bas âge, vivait dans un village de montagne et tenait plutôt bien sa barraque. Une sacrée nana !

– Je vois ça !

– Sauf que va savoir pourquoi, dès le premier rendez vous je lui ai dit que j’avais été diagnostiqué bipolaire à l’époque, avant qu’on se rencontre.

– Ouille ! Mais qu’est ce que t’as eu besoin de lui dire ça ?

– J’en sais rien. C’est venu comme ça. Ou plutôt, c’est venu comme un fait exprès. Figure-toi que le père de ses enfants était un instable entre guillemets, qui ne trouvera rien de mieux à faire que de s’exploser la gueule devant ses gosses après avoir mélangé cachetons et alcool tandis qu’Elle devait passé quelques jours chez moi. Autant dire qu’elle n’est jamais venue. Ça a duré quelque moi et, de toute façon, dans son système, je crois qu’elle chaussait des lunettes pour vérifier tout ce qu’il y avait d’instable et pas fiable chez moi. Doc au bout d’un moment, quand tu ne cherche que ça, tu ne trouves que ça. Et voilà.

– Elle ne te faisait pas confiance.

– J’en sais rien, je m’en fout. Pour moi la confiance n’est pas le propos.

– Comment ça ? Pour moi la confiance c’est la base du couple.

– Ben… Pffff….

– Attend Marc. Tu te rappelles pas nos conversations ?

– Pas toute mais… Attend je vais me refaire un café… Disons que j’ai évolué sur le sujet… La confiance n’existe qu’avec la notion de danger. Les personnes qui scandent qu’elles ont confiance en la bonté naturelle de l’être humain sont les premières à foutre une chaîne à leur vélo électrique pour éviter qu’on leur les vole. Donc dans le couple on va dire que tu vas t’autoriser à « faire confiance à l’autre » parce qu’en réalité on se fabrique un principe selon lequel l’autre nous veut du mal. Tu vois là, maintenant, entre tous les deux, je n’ai absolument pas envie de croire une seule seconde que tu me veux du mal, donc je n’ai aucune raison de te faire ou de ne pas te faire confiance. Mais EN MÊME TEMPS, comme dirait notre Jupiter national, quelle douceur et quel bien être de me sentir en confiance là avec toi. Tu comprends la dichotomie ?

– Ouais c’est pas faux… Ta gymnastique intellectuelle s’est améliorée avec le temps.

– Merci. Mais je n’ai pas fini sur Elle. Je n’ai fait que la moitié du chemin. Ah ! Le second café est prêt. Attend deux secondes…

– Pas de problème. Y’a ta chienne qui gratte à la porte. Je la fais rentrer ?

– S’il te plait. »

Et Lola de faire rentrer Michonne dans le salon et moi le café dans le mug. Choisissant parfaitement son entré, le morceau Don’t let me down des Beatles s’est inséré dans les enceintes. En silence, chacun réfugiés dans nos tripes, on l’a laissé se dérouler. À la fin, je suis venu me rasseoir sur le fauteuil.

« Pas mal, mais je préfère la version de Paolo Nutini.

– D’accord. Je sais pas Lola, je ne la connais pas.

– Et donc, l’autre moitié du chemin c’est quoi ?

– Tu veux pas qu’on aille se dégourdir un peu les jambes avant ? L’air nous fera du bien et ça dégourdira la chienne.

– Tu te dérobes ?

– Ah ton air canaille m’avais manqué ! Un peu… Disons qu’après j’ai un gros paquet à te lâcher. »

J’ai pris Lola, Michonne, le sac poubelle plein à craquer et j’ai foutu tout ça dans la bagnole direction la rivière… Cinq minutes plus tard on y était

Petites fleurs jaunes et violettes sortant d’un tapis de feuilles morts, odeur de bois pourri et de champignons, mousses et lichen, flaques de boue pour la chienne. Cette forêt commençait à me connaître. Je la sentais s’ouvrir un peu plus chaque fois. Je sais, c’est un perché, et c’est assez difficile à expliquer… Ce jour là pourtant, en moi, le cœur n’y étais pas, tête trop prise, pareil pour Lola. On s’est promenés une petite demi-heure, comme ça tranquillement avant d’arriver à là où l’eau ruisselait. Dans le sous-bois tout proche, je me suis assis sur le tronc d’un pin effondré. Puis après m’être armé de courage et d’une cigarette, je lui ai balancé le fond de ce qui me grattais dans le fond ma gorge depuis des semaines.

La vérité c’est que, j’avais aussi méticuleusement bien flingué l’histoire qu’Elle. En réalité c’était si limpide de simplicité que l’aveugle que j’étais en avait les yeux crevés de ne pas le voir. J’avais durant tant d’années si bien construit un personnage ne revendiquant que la liberté, comme un adolescent capricieux, un punk attardé, que cette liberté m’avait enchaîné. Ah ça, j’étais libre ! Libre ne pas être attaché à une histoire d’amour, libre de ne pas avoir de crédit sur le dos pour payer ma propre maison. Libre de tout boulot, de tout patron, de tout argent. Pourtant, je sais bien qu’au fond de moi résonne la croyance que je suis incapable de mettre un pied devant l’autre si je ne suis pas épaulé. J’ai compris trop tard que la liberté ce n’était pas l’absence de chaînes. La véritable liberté, c’est de les choisir.

Tu ajoutes à cela que, dans la posture de l’éternelle enfant fautif, je me suis considéré comme mon ennemi toute ma vie. Et que fait-on à son ennemi ? On lui fait en chier bien comme il faut ! Je me suis traité d’une façon… Sans déconner n’importe qui traiterait mon fils ou un proche comme ça, je lui pèterai la gueule dans la seconde !

Et enfin, moi qui croyais me draper dans un beau costume de winner par une quelconque force acquise par « mes efforts », « mon travail sur moi », mon passé m’est revenu dans la gueule et , je suis retombé dans les mêmes délire avec Elle qu’avec Corinne.

« Ah Oui c’est vrai, je l’avais oubliée celle-là !

– Ben moi aussi. Comme quoi ce n’était pas elle le sujet, mais bien moi. Comme là. Comme toi.

– Qu’est ce que tu veux dire par là ?

– On y viendra Lola, on y viendra… »

Comme tous les chiens, incapables de se secouer loin des gens, Michonne est venue nous arroser de son eau de rivière. Ça nous a sortir de cette lourdeur parce que, mine de rien, l’après midi tombait et, émotionnellement, la journée était chargée. Et ce n’était pas encore fini, fallait que Lola s’y colle… Et pour alléger un peu la suite, valait mieux tout envoyer maintenant. J’ai fait découvrir à Lola un peu de ce que je connaissais des environs, puis on s’est rentrés tranquillement.

* * *

« Allez femme ! À toi maintenant !

– Qu’est ce que tu veux dire par là, Homme ?

– Ben que ça fait exactement 24 heures que t’as repointé ta jolie bouille dans ma vie. Et que donc le moment est venu de me parler de ce qui te fait pleurer la nuit.

– T’as entendu ?

– J’ai entendu.

– Okay…

– …

– …

– …

– …

– Je t’en prie prend ton temps.

– Je ne sais pas par où commencer.

– Commence par me dire son prénom.

– Helline.

– C’est joli, original. Comment t’écris ça ?

– Avec un H et deux L.

– Diminutif Hell, putain l’enfer !

– Sa racine vient du grecque espèce de gros inculte. Ça signifie « éclat du soleil ».

– Ah oui, j’oubliais le papa prof de lettres…

– Je… peux en placer une ou tu comptes m’interrompre comme ça tout du long ?

– Pour l’instant je sais pas trop… Non t’as raison… Je te demande pardon. Vas-y.

– Tu m’offres une cigarette avant ?

– Ouais bien sûr… Tiens.

– Merci… Pffffouuuu… Tu peux pas savoir à quel point ce que tu as dit tout à l’heure me parle… Au cas où j’en doutais encore, ça m’a vraiment confortée dans l’idée qu’il n’y a que vers toi que je pouvais me tourner… Helline est une artiste, aussi. Elle travaille pour une compagnie de cirque. Je l’ai rencontré sur un tournage, ça a tout de suite collé, il y a un peu plus d’un an de cela. Lors de notre premier rencard j’ai voulu que tout soit impeccable, parfait. Je l’ai invitée chez moi manger des moules-frites sans savoir qu’elle était végétarienne. T’imagine la loose ? Rajoute à cela qu’au moment de démarrer la cuisson le gaz s’est coupé et tu auras une idée de l’échec annoncé. Sauf que ça l’a fait rire. Helline avait une façon toute particulière de dire it’s funny. C’est drôle

– J’avais compris. Joli début d’histoire…

– Ouais… Et la suite a été vraiment cool aussi. Sauf qu’à un moment donné y’en a toujours un des deux qui veut se pendre la tête… Entre nous ça a été toi. Après ça a été elle. Faut croire que je n’attire que les gens comme ça… Moi je sortais d’une histoire assez lourde qui m’avait un peu cabossée. Je désirais prendre mon temps… On vivait dans notre bulle, je trouvais ça vraiment bien, vraiment bien… Sauf qu’à un moment donné Helline en a voulu plus. Elle voulait me présenter ses amis, que je lui présente les miens, qu’on se fasse chacune rentrer dans nos mondes respectifs. J’étais pas prête à ça… Et puis elle m’a dit qu’elle voulait des enfants, sauf que pour moi c’était hors de question. Même pas la peine d’en discuter !

– Donc vous vous en êtes disputés.

– Yeah… On ne s’est pas vu pendant quelques jours. Je voulais nous laisser de l’air… Et puis j’ai appris… »

Mâchoires verrouillées, yeux détrempés… Là il y avait un gros morceau qui demandait à être chialé.

« Allez lâche le Lola. T’es là pour ça.

– Qu’elle m’a trompée ! Avec un mec ! Avec un putain d’mec !»

Tout est sorti au grand jour. Par le nez les yeux la bouche, en la pliant en deux. Depuis le temps qu’il était enfermé là son chagrin, au moindre coup de clé dans la serrure, il en a profiter pour la faire sauter, se montrant de partout tout d’un coup. Il attendait que ça le salaud ! Gerber hors de Lola en lui en faisant perdre toutes ses tripes. Et il a bondi tellement loin, et si gourmand, qu’il est venu m’attraper le mien aussi.

« FUCK ! Pourquoi elle a fait ça ? Pourquoi elle m’a trahi ? Depuis j’en peux plus. Ça me déchire le ventre, tout le temps ! J’arrive même plus à respirer ! Je lui ai écrit plusieurs fois… Je continue à le faire… Je sais même pas pourquoi ?... Je lui ai même dit que je voulais des gosses en y réfléchissant… Mais elle en a plus rien à foutre !...Je lui envoie des lettres, des chansons qu’on aimait… J’essaie de l’appeler mais elle ne répond pas… Ça dure depuis juillet !... Elle est avec moi tout le temps, quand je suis en vacances, là en prenant l’avion !... C’est plus fort que moi ! Pourquoi elle a fait ça ? J’ai l’impression que je vais crever putain ! »

J’ai attrapé Lola pour qu’elle vienne dans mes bras. Elle ne s’est pas faite prier. Elle m’a serré à m’en péter les côtes. J’avais plus qu’à attendre que l’orage passe. L’orage fini toujours par passer…

Plusieurs minutes après, lorsque ne s’est fait attendre dans mes bras que les reniflements de Lola, signe – avec l’arrêt des tremblements – que le plus gros de la tempête était derrière, et qu’il ne restait plus que quelques gouttes de tristesse à laisser tomber, pour le moment, je lui ai demandé dans un murmure si elle se sentait un peu mieux… Sa tête encore bien planquée à bouger que oui. « Ok, alors tu veux bien me rendre mes côtes s’il te plait ? Je crois bien qu’une ou deux sont brisées. » En disant ça je cherchais un hoquet de rire. Je l’ai eu.

« Pardon. Désolée.»

Lola a relâché son étreinte, tout en restant cramponnée.

« C’est rien… Je te savais pas aussi forte que ça… »

Lentement je l’ai reculée. Je voyais un peu ses yeux maintenant, ils étaient tout près. J’en ai essuyé les dernières larmes en la caressant de mes pouces.

« Ça va aller ? »

Question débile mais d’une certaine efficacité. Lola a bougé la tête pour dire ouais. Elle n’arrêtait pas de renifler, et me cramponnait toujours.

« Attend, je vais te chercher un mouchoir, tu veux bien me laisser y aller »

Le corps de Lola a bien voulu se retrouver seul. Je suis allé prendre un carré de sopalin dans la cuisine et lui ai tendu. Elle s’en est vidée à l’en percer. Deuxième carré.

Au quatrième mouchage, le plus gros des nuages était passé. Le ciel de Lola retrouvait un peu de bleu, dehors aussi. C’était le soir. 19 heures approchaient. Je lui ai proposé un verre de whisky. Elle a accepté. On a bu en silence, un moment. J’avais à dire sans savoir trop comment m’y prendre… Alors lorsque nos verres étaient presque vides, j’ai fait au plus simple :

« Prête à faire l’autre moitié du chemin ?

– Comment ça ? »

J’ai haussé les épaules lentement.

« Sortir de ton rôle de victime… Voir tes responsabilités.

– Que c’est à cause du fait que je ne voulais pas d’enfant c’est ça ?

– Non. Enfin si… Si tu veux… Attend laisse moi deux secondes le temps de bien formuler ça… … … Helline ne t’as ni trompé ni trahi Lola

– Ah ben je sais ce qu’il te faut ! »

L’ambiance avait changé d’un coup, le tonnerre s’annonçait, sans la pluie. J’ai essayé de trouver de comment faire partir la chose de chez moi sans qu’il foute le feu dehors.

« Ce qui est vrai c’est qu’elle a sauté sur une bite dès qu’elle en a eu l’occasion. On ne sait pas ce que ça veut dire pour elle. En revanche on sait que chez toi c’est venu taper dans une Lola qui s’est sentie trahie, rejetée, peut-être en manque d’exclusivité. Mais c’est toi qui as décidé de le voir comme ça.

– T’en a de belles ! Et tu voudrais que je le vois comment ?

– J’en sais rien. En version VRAIE, qui parle de toi, sans te juger victime du truc. Ce que je veux dire par là Lola c’est tu as autant souhaité qu’elle te trompe que ce qu’elle a souhaité se faire harceler par tes messages. Parce qu’elle doit bien en avoir soupé de toi. Et elle aussi doit brandir son panneau de victime. Ou mieux, celui de l’héroïne bien supérieure qui a tourné la page tandis qu’elle se farde les demandes incessantes d’attention de la pauvre petite chose fragile et à côté de la plaque que tu es, que tu veux bien lui servir. Sauf qu’elle est autant responsable que toi de ses propres dénis. Mais que d’elle je m’en tape. Alors, tu me l’enlèves ton costard ?

– …

– …

– Je vais te dire Marc… Sous tes airs de Môsieur Je Sais Tout Et J’Ai Tout Compris Sur La Vie t’es qu’un gros tas de merde qui pige que dalle à que dalle. Un pauvre paumé qui vit dans un trou paumé. Va te faire foutre putain d’enfoiré ! »

Lola est sortie en trombe, claquant la porte, pour aller bouder dans le jardin… Crise d’égo. Voilà ce qu’il se passe quand le rôle que l’on tient brandit son étendard de raison et ne veux pas lâcher le morceau… Ça arrive. Ça m’arrive. Tout le temps. Cependant Lola avait raison, je l’avais joué trop Môsieur Je Sais Tout Et J’Ai Tout Compris Sur La Vie. Alors que même ma propre vie j’y pigeais que dalle… Elle s’était foutue en rogne lorsque, bien campé dans mon rôle de professeur j’ai voulu l’écraser de ma supériorité imaginaire. Et elle a eu parfaitement raison de me renvoyer mes quatre vérités, donc en se plaçant supérieure à ce moment-là. Exactement dans mon jeu… Je me suis levé, j’ai donné des croquettes à Michonne et j’ai commencé à préparer le manger.

Un quart d’heure après Lola est entrée. Les mains bien au fond des poches. Les épaules montées. Elle avait dû se cailler !

« Je n’vais pas m’excuser, t’es qu’un con. Mais je m’excuse, j’ai été conne. Et… Si je devais dire une chose c’est… lorsque j’ai appris qu’elle avait couché ailleurs… Ça serait… Zut. J’avais envie d’y croire avec toi et… je sens que j’ai encore foutu le bordel et… je n’sais pas comment m’y prendre mais… j’en ai marre d’être seule. »

Pendant qu’elle disait ça sa tête hochait et ses yeux recommençaient à se mouiller. Moi entre le découpage de deux oignons j’ai souri, mais pris aux tripes, je voulais pleurer. Ce qu’elle venait de dire résonnait parfaitement chez moi. Lola parlait vrai.

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