III- Se plaisant à danser...

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Trente minutes. Trente longues et silencieuses minutes venaient de passer sans qu’aucun de nous ne parla. Il n’y avait que nos regards qui s'exclamaient, se vexaient, s’assombrissaient. Parler était signe de défaite dans cette bataille grandiose. Enfin, par grandiose je veux dire que j’avais réussi à totalement oublier mes vêtements qui, malgré la chaleur, restaient encore un peu mouillés.

Qu’est-ce qui pouvait bien le faire céder ? Qu’est ce qui le ferait accepter que je l’accompagne ? Je n’en avais aucune idée. Pourtant, mon esprit travaillait énormément pour trouver LA solution. Peut-être qu’il ne s’échauffait pas assez ?

Mon cher hôte, dont je venais d’asséner un coup d’orgueil, mit fin au combat en reportant son attention sur l’horloge. Ses sourcils se froncèrent et il mordit discrètement sa lèvre, le regard commençant à brûler. Était-il énervé ? Cela serait fâcheux mais amusant. Pourquoi ? Parce que j’avais trouvé ce qui pouvait le faire m’accepter.

“Puisque c’est Halloween, vous allez vous recueillir sur une tombe ?

—… comment ?”

Quel plaisir de voir cette expression déboussolée sur son visage si fermé. Les yeux grands ouverts, la bouche un peu aussi, les sourcils haussés, j’hésitai à lui lancer de la nourriture pour poisson pour vérifier que c’était bien le même. Pensait-il vraiment que je n’aurais jamais compris ? Enfin ! Il n’y a que pour un mort qu’on serait prêt à traverser la pluie. N’est ce pas ?

Je haussai les épaules en me rapprochant de la cheminée pour finir de me réchauffer. Un sourire moqueur restait sur mon visage, tranchant avec le sérieux dont je faisais preuve pour continuer cette discussion.

“Halloween est une fête pour célébrer l’âme des défunts normalement. Puisque vous êtes seul, ça ne serait pas étonnant que vous vouliez sortir pour aller vous recueillir. Et puis… Moi aussi, je dois aller voir une tombe. »

Un silence plana à la fin de ma phrase. Alors que j’observais les flammes ardentes de la cheminée, attentive aux crépitements, l’homme demeurait muet. Je restais dos à lui, comme pour m’empêcher de rencontrer son regard. Comment avais-je fait pour sortir une réplique digne d’un détective ? Je n’en sais rien. Même dans mon esprit, le doute planait. Cette peur que j’avais ressenti en observant cet homme, où était-elle désormais ? Quand s’était-elle volatilisée ? Pourquoi avait-elle disparu ? Et… ne risquais-je pas ma vie en donnant ma confiance en cet hôte ? Je ne le connaissais que depuis une heure et demie peut-être et pourtant mon esprit désirait le poursuivre. Un homme si froidement vivant, d’un regard si vide et sombre qu’on se demandait s’il était réel, cette prestance digne des plus élégants hommes qu’il existait encore dans ce monde moderne. Cet homme-là, mon cœur ressentait le besoin de rester à ses côtés. Contre ma volonté ou bien non, je ne le savais pas. Malgré tout, j’attendais. Une illumination, une déclaration ou même une révélation. Qu’importe la chose, je ne voulais que comprendre. Me comprendre. Mais cet hôte ne pouvait rien m’apporter de plus qu’en m’emmenant avec lui. Peut-être, en discutant, pourrions-nous mieux comprendre ensemble ma pensée ou mes réflexions. Si nous en étions capables, je l’espérais. Après tout, qu’avais-je de mieux à faire ?

L’hôte brisa le silence en posant sur mes épaules une couverture chaude. Tout de même, je ne lui adressais aucun regard mais le remercia d’une voix presque éteinte par mes réflexions. Il semblait se glisser vers les fenêtres, puisque je sentais les rayons lunaires s’amenuiser, ne laissant plus que la cheminée éclairait cette pièce. Ressentant un frisson dans mon dos, je retirai d’un geste vif ma cape que je finis par jeter dans les flammes. Bien contente de me débarrasser de ce fardeau, mon esprit semblait plus libre et clair, me permettant de mieux réfléchir. Le toussotement de l’homme me fit enfin tourner le regard vers sa direction. Il paraissait bien différent, comme s’il doutait moins de moi. Peut-être avait-il remarqué que nous étions tous les deux à la recherche de réponses. Ceci put faire ressurgir mon sourire alors que je m’approchais de lui.

“Alors ! On y va cher hôte ?

— Oui. Essaye de ne pas être trop mouillée.

— J’ai l’air d’avoir un parapluie ?

—Effectivement… tu n’en as pas…"

Un soupir s’arracha de ses lèvres alors qu’il s’approchait de la porte d’entrée où trônait deux parapluies à ma grande surprise. Sans attendre une quelconque autorisation, je m’emparai du second, un peu plus petit et clair que celui de mon acolyte. Ce dernier semblait peser le pour et le contre en me voyant faire avant de bien vite abandonner. Dans un silence lourd, il sortit de sa demeure, suivi par mes petits pas, hésitant devant la pluie battante. Je n’avais aucune envie de retrouver l’eau glacée ruisselant sur ma peau et me donnant l’impression d’être sans aucun nerf. Mais, c’était le seul moyen se présentant à moi. En ce pluvieux soir d’Halloween, où certains dorment et d’autres veillent, j’avançais calmement tel une ombre, aux aguets.

Un bruit d’égout, un petit animal, la pluie frappant le béton et les toits, les quelques voix sortant des habitations, tous ses bruits m’étaient communs et pourtant si éloignés. Un gouffre se plaçait dans mes oreilles pour qu’aucun de ces sons ne puisse me procurer une insignifiante émotion ou sensation. J’écoutais sans utiliser mon esprit. J’avançais sans observer le monde, au cours d’une route où la destination me semblait floue.

Tentant de retrouver mon habituel entrain, je portais mon attention à l’homme qui marchait d’un pas bien lourd et lent. Il semblait porter tout le désespoir du monde.. Aucune trace d’un sentiment autre que la peine ne traversait ses yeux noirs. Et le mutisme qui planait chez nous deux n’arrangeait rien. Je décidai donc d’observer les alentours, cherchant un sujet de discussion. Mais, une mélodie atteignit bien vite nos oreilles. A la différence de mon partenaire, je restais figée sur place, très étonnée.

Le tempo était bien rapide, tel une course effrénée. Mes pas se mirent à avancer plus vite à la suite de l’hôte qui marchait plus lentement. Seulement, les graves notes de violon me firent frissonner. Il semblait me mettre en garde, m’ordonnant de ne pas continuer sur cette route si ardue. Au fil du crescendo, ma gorge se serrait de plus en plus, empêchant mes membres de bouger. La lenteur de l’instrument me paraissait lourde à entendre. Mais une joie pouvait s’y déceler. Des rires cassèrent cette menace, me libérant. D’où pouvait venir cette mélodie qui donnait autant de volonté à mon corps ? Malgré la pluie toujours aussi froide, je ne pouvais m’arrêter. M’enfouissant dans une forêt dense, à l’extérieur du quartier, ma conscience me cria de suivre aveuglément ces notes devenues plus lentes et aiguës. La couverture sur mes épaules se prenait quelques taches de boue et le parapluie avait déjà bien vite abandonné l’idée de rester avec moi.

Les notes devenaient soit majestueuses soit plus calmes. Il me semblait entendre mon cœur et ma conscience se débattant, essayant désespérément de découvrir enfin la vérité, cherchant inlassablement cette dernière. Dans ces épais bois si sombres, les notes plus tendres du violon donnaient une impression plus précieuse à ces grands arbres. Les rires, les exclamations jusqu’aux sourires, il me paraissait facile de deviner tout cela. Encore. Cours encore un peu. Cherche encore. A droite. A gauche. Peut-être comprendrai-je cette vérité par laquelle m’attirait cette mélodie. Cette vérité qui ensorcelait mes pensées, me faisant oublier jusqu’à mes propres sens. Je sentis mon coeur tambouriner rageusement dans ma poitrine, souhaitant sauter dans les airs au rythme de la mélodie. Mes membres ressentaient l’irrésistible besoin de contracter leurs muscles, de tourner aux sons des violons. Mon esprit n’attendait plus que de ne faire qu’un avec le tendre piano, si rapide accompagné de l’instrument à corde. Pourtant, j’y arrivais à cette valse. J’arrivai devant cet immense cimetière où plusieurs âmes mortes se plaisaient à joliment danser. La fin de la partition ne me laissa qu’un mélange doux et cruel dans ma conscience. Des mots m’échappèrent alors:

“Quel cimetière accueillant pour mon coeur...”

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