IV- Sur une tombe

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(Les musiques décrites, à écouter en fond: Tartini Violin Sonata in G minor ''Devil's Trill Sonata' et Gnossienne n°1)

Elle était là, à quelques pas de moi. Ses lèvres bougeaient légèrement, laissant sortir ces quelques mots. Son regard semblait s’éclaircir mais devenait aussi mélancolique. Ah… cette émotion lui allait bien. Il contrastait avec cet air aveugle qu’elle m’offrait à chacun de ses mots ou de ses gestes. Elle s'avérait… comprendre.

A ses côtés, je posais mon regard sur les différentes âmes. Chacune avait une manière bien à elle de retranscrire ses émotions dans sa danse. Les pieds sur une tombe, certains tournoyaient, d’autres sautillaient joliment. Ils tentaient de fusionner avec cette mélodie bien macabre, essayant tant bien que mal de ressentir les battements d’un cœur mort depuis longtemps. Voir des êtres si désespérés et pourtant aussi souriants… c’était attristant. Même pour moi. Je ne pouvais rien y faire, restant dans ma posture droite et légèrement hautaine. Je sentis quelque chose tirait ma manche alors que mon regard se posait sur la jeune femme à mes côtés. Ses yeux semblaient encore chercher quelque chose, montrant qu’elle n’avait pas fini sa quête.

« Vous voulez bien m’aider à trouver la tombe que je cherche ? Après ça, on ira à votre tombe ! »

Elle m’adressa un léger sourire alors que je hochais la tête en lui tendant mon bras. Quelle bonne idée… il est vrai qu’il serait mieux d’aller voir la sienne en premier.

En silence, nous avançons au milieu du cimetière. De temps en temps, nos regards se perdent dans les multiples âmes dansantes: sautant, tournoyant, riant, souriant jusqu’à ne plus pouvoir aligner deux mots sans avoir la tête qui tourne. Leurs lèvres s’étiraient démesurément, laissant voir leurs mâchoires tenant difficilement à cause des années. Leurs doigts s'entrelaçaient dans une quête perpétuelle de sens. Leurs corps s’envolaient vers la lune, cherchant ,peut-être, à reproduire sa lumière. Pourquoi dansaient-elles autant ? Je pense connaître la réponse, grâce aux nombres de fois où j’étais venu assister à ces splendides mais macabres spectacles. Disons qu’ils dansent-

« Pourquoi dansent-ils autant ? »

Je clignai des yeux avant de poser mon regard sur ma partenaire. Lisait-elle dans mes pensées ? Ce n’est pas rassurant. Je devrais faire attention à ce que je pense. Elle pourrait se fâcher en entendant mes méchantes pensées. Mes lèvres s’étirent finement. D’une voix étrangement douce, je m’adressais à elle.

« Réfléchis.

— Votre voix sonne tout doucement… on dirait que vous murmurez à l’oreille d’un bébé !

— Je pense que même un bébé trouverait ma voix terrifiante.

— Terrifiante ? »

Ses yeux me fixaient maintenant avec beaucoup de curiosité. Enfin, je parle en connaissance de cause. J’avais déjà murmuré des petits mots aux nouveaux-nés et j’en avais même porté. Mais à peine quelques secondes que je les avais dans les bras qu’ils voulaient partir. Ce n’est pas étonnant que ma « tante » soit si désespérée à me marier.

Mes pas faisaient légèrement craquer le sol alors que le vent envolait légèrement ma longue veste. Celle-ci ne me tenait pas vraiment chaud mais ,n’étant pas frileux, je m’en accommodais. Ce cimetière… même avec cette forte odeur de pluie, il gardait une atmosphère bien à lui. Non pas comme les vieilles histoires, faisant mention d’un cimetière lugubre et terrifiant. Ici, tout était fascinant. Les âmes, les pierres tombales, la végétation, toutes ces choses donnaient à ce lieu une aura impressionnante. Lorsque nous y pénétrions, nous pouvions avoir l’impression d’entrer dans un nouveau monde. Où les âmes sont toujours là et où elles dansent joyeusement, oubliant leurs tourments. Et moi-même, je me plaisais à danser avec chacune d'elles. Je les accompagnais avec ce visage froid et réconfortant jusqu’à ce que le soleil se lève, les endormant dans une lenteur religieuse.

Ensuite, les vivants se levaient, un sourire béat sur le visage pour affronter cette vie qu’ils se sont construite d’années en années, siècle par siècle. Cette vie qu’ils se disaient pour certains dénués d’intérêt alors que leurs morts les enviaient. Tellement qu’ils n’hésitaient pas à venir les hanter jusque dans leurs cauchemars. Cependant, souhaiter un peu de chaleur humaine, sentir un petit cœur battre dans leurs oreilles, même une légère respiration n’était en rien une faute. Je pouvais même dire... il y avait une part de tendresse dans ce souhait. Un souhait si petit mais inaccessible, acculant dans un cycle tous les êtres. Un cercle sans fin, où nous nous réveillerons la nuit, vagabonderons dans ces rues et danseront jusqu’au lever du soleil. Mais, sans qu’aucune larme ne trahisse le vide de ces âmes.

Me laissant guider par la jeune femme, je la scrutais sous toutes les couleurs. Ou plutôt, je l’inspectais. La couverture, devenue inutile, gisait sur ses épaules. Ne disant pas un mot, je récupérai cette pauvre chose pour la plier soigneusement. Un peu de lavage et elle serait toute neuve. Je pus sentir les yeux de la jeune fille sur moi.

« Tu n’as plus froid ?

— Non… je me sens même bien. C’est étrange mais pas dérangeant.

— Mmh… voilà qui est rassurant… où est la tombe que tu cherches ?

— Je ne sais pas.

— Ah bon ? Où vas-tu alors ?

— Je suis la mélodie… »

Elle continuait de marcher avec ce léger sourire. Celui-ci que je ne réussissais pas à connaître la signification. Comme le regard qu’elle m’avait porté. Ce qu’elle faisait ressortir n’avait rien de normal, c’était évident. Constamment, le tourment qui l’habitait se traduisait en regard fixe ou attentif; Je ne pouvais que réfléchir à la définition de ces attentions. Ses yeux… peut-être que si je les observais avec plus d’attention, je pourrais comprendre ? Je me penche légèrement pour rencontrer son regard.

Deux orbes claires, bien claires, trop claires. Elles me scrutaient sans une réelle attention, me jugeant aussi insignifiant que l’air se glissant entre ses lèvres. Ces dernières restaient levées en un sourire particulier. Aucune chaleur ne s’en dégageait. Rien qu’y n’était propre à une vivante joie. Mais, un mélange étrange y réside, entre de la mélancolie et de l’excitation. Ce genre de regard ne s’avérait pas des plus sains, d’après moi. Il y avait quelque chose qui me perturbait. Une autre chose dans son regard restait encore mieux caché.

“Tu aimes cette mélodie ?

— Oui. Pas vous ?

— Un peu… mais je la trouve bien trop entraînante.

— Vous aimez le calme… ce n’est pas étonnant.

— Être prévisible ne me dérange pas.

— Rien ne vous donne envie de changer un peu ?

— A quoi bon ? Quand nous changeons, il y a toujours une personne qui en est la cause. Pour ma part, il n’y a personne qui puisse me faire changer.

— Même pas moi ?

— Surtout toi.

— Ah… ce n’est pas grave. Du moment que j’ai cette jolie musique pour moi…

— Comment la trouves-tu ?

— Accueillante et étouffante…”

Étouffante ? Intéressant. Je tendis l’oreille pour vérifier ses dires. Les violons s’étendaient et montaient dans les aigus pour certains. Toutefois, ce n’était pas désagréable. De temps en temps, l’un d’eux s’amusait en provoquant une légère vibration, semblable à la respiration qui s’échappait de ses lèvres. Puis, il descendait dans les graves, telle une sombre force s’approchant. Cette mélodie ressemblait à un songe, où tout était si flou et pourtant compliqué, qu’on peinait à discerner la réalité. Elle nous berçait dans l’ignorance alors qu’un miasme s’approchait d’une lenteur terrifiante. Rampant jusqu’à nos pieds qu’il bloquait, l’horrible remontait tout doucement le long de nos membres sans que l’on ne réagisse. Aucun cri n’aurait permis de s’en échapper. Il ne fallait qu’attendre qu’il atteigne nos cous pour les empoigner avec force. Ainsi, dans le silence, nous finissions par nous habituer à cet étouffement devenu essentiel. Effectivement, la jeune femme à mes cotés avait trouvé la mélodie lui allant parfaitement. D’ailleurs, en reposant mon attention sur son regard, j’eus réussi à distinguer ce sentiment si bien caché. L’amertume.

Mais lorsque les pas de la jeune femme s'arrêtèrent, la mélodie fit de même. Mes yeux se portèrent sur la fraîche tombe devant nous, où un nom était marqué. Ma partenaire scruta le bouquet de fleurs et les mots colorés. Bien qu’elle demeurait lugubre, la pierre tombale paraissait plus attendrissante grâce à ces petits attentions. L’âme devait être ravie d’avoir ces cadeaux, réchauffant légèrement son cœur déjà glacé.

“C’est une jolie tombe.

— En effet… j’aimerai tellement les remercier…

— Tu le pourras, je l’espère.

— Moi aussi… mais c’est étrange, pourquoi la musique s’est arrêtée ?

— Elle t’attend.”

Son visage pâle et froid se tourna vers moi, nos regards devenus presque semblables se rencontrant. Je lui tendis alors ma main en effectuant une révérence.

“ Acceptes-tu de danser avec moi ?

Ne laissant plus qu’un dernier sourire chaleureux au monde, elle pose sa main dans la mienne.

“Oui, j’accepte”

Les notes d’un piano résonnèrent lorsque nous posâmes pied sur la tombe. Nos mouvements semblaient aussi lents que le piano. Ils devenaient parfois petits, parfois amples. L’instrument nous accompagnait dans cette mélancolique danse, où la douceur résultait de chaque geste. De temps en temps, les notes montaient légèrement, nos pas devenant plus fermes ainsi. Dans cette valse, nous étions bien seuls et pourtant fusionnels. Aucun de nous ne pouvait pleurer sur cette mélodie. Nos lèvres ne s’étiraient qu’en un léger sourire dénué de toute force. Nos yeux se plissaient légèrement, tentant d’accepter le repos éternel que cet air nous présentait. Tout cela se répétait, sans que nous y trouvions à redire. Le cycle musical se perpétuait dans nos mouvements, nos émotions, notre cœur. Comme les autres âmes, nous gardions cette euphorie que les notes fortes de l’instrument apportaient. Je pouvais distinguer la quiétude dans le regard de ma cavalière. Oui… elle semblait mieux. Pourtant, je devais toujours avoir mon regard mélancolique. Lorsque les accords résonnaient si lentement, je pensais au lendemain, au jour se levant et à mon retour dans ma tranquille demeure. Comme toutes ces ombres, j’étais et je serai à jamais enfermé dans ce cercle, restant muet face à ces danses. Néanmoins, alors que les lèvres de ma partenaire finirent par perdre leur éclat, elle débuta une dernière discussion.

“Je voudrais… connaître votre nom. Me le diriez-vous ?

— Bien sûr. Ici, les âmes et les vivants me prénomment la Mort.”

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