Chapitre VI

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La clé tourna à nouveau dans le barillet de la porte d'entrée de l'appartement. Je m'y réfugiais en passant mon sac de courses en premier. Son ventre rebondi s'affala mollement dans le couloir miteux de l'habitation, dans un crissement de paquets de chips.

- Alors, la pêche à été bonne ?! Tu en as mis du temps ! S'éleva la voix étouffée de Pierre depuis sa chambre.

Le bougre d'âne s'était enfermé dans sa grotte, et avait sans doute vissé son casque de PC sur ses oreilles. En ce moment, mon coloc jouait à Starcraft, et il passait des heures entières à trucider des Zergs. Il ne ressortait de sa chambre que pour aller se chercher du café, prendre un truc à manger ou aller pisser, toujours au pas de course. Là, il m'avait entendu rentrer, et attendait sans doute que je pointe le bout de mon nez pour me chapparder une bière.

- Je suis passé voir Mei, elle vient prendre l'apéro dans deux heures.

- Génial ! Tu lui fera les présentations n'est-ce pas ?!

Je soufflais en me rendant compte qu'effectivement, il allait falloir que notre nouveau coloc, aka Thomas, refasse la connaissance de Mei Morrel, face à face. Elle avait connaissance de mon " problème" avec mon jumeau, et avait d'ailleurs déjà expérimenté la présence de son spectre auprès d'elle, mais sans jamais le voir. La jeune femme elle aussi était familière des phénomènes paranormaux, bien qu'elle ne distingue pas de fantômes. Je la soupçonnais presque d'avoir du sang de sorcière. Elle tirait les cartes régulièrement, faisait de temps en temps des rêves étranges, se trimballait toujours avec son pendule accroché autour de son cou, et était une fervente praticante de " Kitchen Witchcraft ", de la magie de cuisine, donc. A base de décoctions de plantes, de petites formules purifiatrices d'encens et d'huiles essentielles, ses petites potions lui avaient valu la réputation d'avoir été formée par le professeur Severus Rogue lui même. On ajoutait à ça les cours du professeur Trelawney pour la cartomancie et tout ce qui suit. C'était d'ailleurs aussi Mei qui m'avait fait cadeau de l'améthyste qui ne quittai jamais mon sac, plutôt par habitude que par réelle croyance en lithotérapie.

Le Pouvoir des Pierres consistait pour moi à lancer des pavés tous dûrs sur la flicaille en geulant, pas à passer une bonne nuit.

J'ôtais mes Vans et les laissai sur le portoir à chaussures près de la porte d'entrée. Je saisissais de nouveau les anses de mon cabas, et me dirigeais dans la cuisine, évitant une fois de plus Pantoufle, bien décidé à me casser les noix pour le restant de la journée.

- Ah! Vas t'en Satan ! Grognais-je en levant haut les pieds, évitant de peu une griffe vicieuse.

Je rangeai les bières au frigo, mettai les chips dans le placard, et me resservai un café.

Ceci fait, j'emportai mon précieux dans ma chambre, en faisant gaffe à ne pas renverser le contenu de ma tasse sur mes chaussettes, et refermai la porte du genoux. Une fois la tasse posée sur mon bureau, je m'afférai à ouvrir les stores grinçants de la pièce, la remplissant de la lumière terne du jour.

Ma chambre était des plus banales, avec un mobilier des plus banals. Une grande armoire basque, qui grinçait dès qu'on ouvrait une de ses portes, était appuyée contre le mur, recouvert d'une tapisserie grisonnante, aux motifs vert d'eau et crème, en face de la fenètre. Mon lit, large et défait, était d'habitude recouvert d'un plaid en tissu polaire effet fourrure, dans les tons beige, et la grosse couette noire et blanche était, elle, étalée sur le parquet à chevrons vieux d'au moins soixante dix ans. Aux pieds de celui-ci se trouvait une malle miteuse, que j'avais retapé, et qui contenait des couettes et draps de rechange. En face de la grosse armoire, et sous la fenètre, il y avait mon bureau, du fait main, confectionné avec du bois de palettes et des anciennes caisses de munition, qui me servaient d'ailleurs de rangement. Un ordinateur portable y était posé, entre quelques pots de plantes en terre cuite, et une bonne dizaine de livres commencés. J'avais d'ailleurs rajouté à ce bureau quelques étagères, collées aux montants de la fenètres, qui s'étaient rapidement remplies de dizaines de livres.

Entre autres, on y trouvait une grosse partie de la bibliographie de Pierre Bottero et d'Erik l'Homme, ainsi qu'une bonne dizaine de polars, de pavés que l'on nomme communément " Le Seigneur des Anneaux ", ou encore de l'intégralité des quarante et uns volumes de la fresque du " Disque Monde " de Pratchett. J'avais également amassé une belle collection de recueils sur la botanique et les méthodes de culture en tous lieux et tous âges. Et enfin, tout en bas de mes étagères, ma petite partothèque, essentiellement des recueils de technique de second cycle, de concertos pour alto d'Adaskin, d'arrangements des suites de Bach, et de photocopies de partitions d'orchestre.

En parlant de musique, tiens. Rangé sur le côté, appuyé contre l'angle de la pièce et le bureau, on y trouvait l'étui de mon alto, rangé près d'un pupitre bancal. J'avais arrêté les cours quelques années auparavant, trops pris par mes études, et laissé tomber, à regrets, mon instrument. Je le sortai tout de même régulièrement pour jouer quelques pièces, sans pour autant être satisfait de mes performances, assez floues sans l'aide de Loïc, mon ex professeur de musique. Jouer me manquait énormément. Plus jeune, je jouai même avec Thomas au violoncelle, dans le même orchestre, à la même école de musique, dans le Morbihan. Souvent, nous jouions les suites pour violoncelle de Bach ensemble, ce qui faisait le bonheur de nos proches.

Accroché au plafond de la pièce, il y avait une suspension Ikea, une sorte de sphère que l'on pouvait, en actionnant la corde qui dépassait du lustre, déplier ou replier sur elle même, et ainsi régler l'intensité de la lumière dans la chambre. Une chaise en osier était quand à elle située près de la porte, à côté de la vieille armoire basque, sculptée dans un bois vernis, presque noir. Celle là, de chaise, croulait sous des vêtements propres, qu'il fallait que je plie. Je n'en avais absolument pas la foi. C'est à ce moment là que Thomas entra dans ma chambre, en passant à travers le mur, et de mon poster Hellfest 2018, accessoirement.

Mon jumeau plantait ses yeux d'améthyste dans les miens, et se laissait presque tomber sur le matelas au milieu de mon lit, ses pieds encore chaussés de Vans ectoplasmiques frottant contre le tapis à franges rayé. Je l'observais un moment, sans trop savoir que dire. Nous nous connaissions tellement bien, que souvent, et aussi de son vivant, nous n'avions pas besoin de mots pour nous comprendre. Je me laissais choir sur la chaise devant mon bureau, assis à l'envers de celle ci, et posai mes bras sur le dossier du mobilier. Nous restâmes ainsi un moment à nous observer, le sourire aux yeux, et les les larmes au coin des lèvres.

Je savais pertinemment que ce moment rien qu'entre nous, si calme, si complice, serait l'un des seuls avant un moment. Au fond de moi même, j'espérais que Pandora, la succube avec qui nous avions pactisé ne reviendrait jamais me voir. C'était sans doute peine perdue, mais l'espoir fait vivre, dit-on.

Je posais affectueusement mes yeux sur l'étui de mon instrument, et me décidai, plutôt que de m'allonger pour lire la suite de Messe Noire, où à me mirer dans mon frère comme un chien se mire dans une andouille, à me relire la suite numéro cinq. Je posai avec une certaine apréhension la boîte de mon instrument sur mon lit défait, et dézipai l'objet, fait de toile et de velours vert sapin et noir, sous le regard mélancolique et complice de Thomas, qui me sourit tendrement, voyant que je déscratchai le manche de mon alto de sa protection. Quelques désacords mécontents fusèrent hors de l'instrument alors que je le manipulai, et je sortai aussi le grand archet noir du couvercle de la boîte, tendais en même temps les crins blancs de sa mèche, vérifiant qu'il y avait assez de colophane dessus.

Je coinçai l'épaulière de mon instrument en bas de sa caisse de résonnance, observant avec attention le bois d'érable vernis de mon petit bijoux, à la couleur brune si particulère, les nervures presques noires strillant l'instrument, que je connaissais par coeur, brillant à la lumière blafarde qui venait de la fenêtre. Des pizzs brefs sur ses quatre cordes me firent grimacer, il s'était complêtement désaccordé. J'entreprenai de régler ce détail, posant l'alto sur mon épaule gauche, mon menton contre la caisse cramoisie, et laissai mes oreilles jauger les accords entre les cordes, l'archet dans ma main droite faisant sonner les cordes à vide, à la recherche d'un son juste. Bougeant les clés de l'instrument, je pus enfin obtenir, au bout de quelques minutes, un son convenable.

Satisfait, je me décidai enfin à laisser courir les doigts de ma main gauche sur le manche, tirant quelques gammes pour me mettre en doigts, et me dégourdir les phalanges. Sceptique, je cherchais ensuite, tenant l'alto et son archet dans ma main gauche, une partition qui me plairais de jouer, sans avoir vraiment idée de ce que j'allais lire. Je fus coupé dans mes réflexions par un bruissement dans mon dos. Sans doute Thomas.

- Dis, t'aurai pas une idée de ce que je pourrais jouer, Thomas ? Commençais-je.

Je me retournai, et constatai avec stupeur que Thomas n'avait pas bougé d'un iota. Deux yeux rouge vifs aux pupilles fendues me dévisageaient, beaucoup trop proches de mon visage. Je hurlai, et me laissai tomber sur les fesses au sol, tenant encore mon instrument devant moi, de crainte que ma chute ne le fasse tomber où ne l'abîme de quelque manière que ce soit.

Pandora.

Elle se tenait devant moi, en chair et en os, ses longs cheveux cramoisi encadrant un sourire des plus mauvais. Derrière elle, sur le lit, mon frère était tout aussi sidéré, et, s'il n'avait pas été mort, aurait été aussi pâle que celle ci. Sorti de ma mini crise cardiaque, je me reprenai, et baissai le bras qui tenait encore l'alto, le plaçant contre ma poitrine, l'entourant de mes deux bras. Je me braquai instantanément, essayant de ne pas perdre la main.

- Qu'est-ce que vous faites ici ?!

Son sourire s'élargit encore plus, alors que la créature s'accroupissait à ma hauteur, les serres qui lui servaient de main croisées sur ses cuisses à l'apparence caprine.

- Je viens réclâmer mon paiement.

Une douche glacée s'abatit sur ma tête. Un court instant, je ne sû quoi répondre, avant de me reprendre.

- Je ne vous paierai pas !

Pandora aurait pu m'étriper vivant ou me cracher au visage, mais elle ne fit rien de tout cela, bien au contraire. La démonne choisit de presque me rire au visage, et prenait un malin plaisir à me toiser de son regard perçant, où le vice transpirait par tous les pores de sa peau. Une langue bifide dardait entre ses lèvres pulpeuses et charnues.

- Allons très Cher, ne me fait pas ce cinéma, tu veux ? Cela nous évitera les problèmes superflus. Quoi qu'il arrive, je finirai par t'avoir. Alors autant briser la glace de suite, et commercer à me verser les premières honoraires.

- Comment ça, verser ?! Je ne vous donnerai rien, c'est clair ?!

Si, son petit manège était très clair. Nous savions pertinemment, mon frère et moi, ce que cette saloperie me voulait. Elle voulait mon énergie vitale, me vider de celle ci, m'essorer comme une éponge. Les succubes et incubes récupèrent cette préciseuse énergie venant des humains en ayant des rapports sexuels avec eux, où en récupérant leurs âmes à la fin de leur vie. Personellement, je ne tenais absolument pas à être damné, où à lui faire quoi que ce soit d'obscène, bien que, effectivement, la créature était d'une beauté sidérante. Cette apparence n'était pas un prétexte valide à mes yeux pour sortir ma queue et en faire usage pour ses propres intérêts.

" Et puis qui sait ce qu'elle en ferait, une fois sortie ... Tu risques de perdre tes bijoux de famille avant d'avoir fait quoi que ce soit, Lauzel ! "

- Je t'ai permis de retrouver ton Saint jumeau ! S'impatientait Pandora. Elle pointa une griffe accusatrice et menaçante sur mon nez. - Si je dois te violer pour arriver à mes fins, je n'hésiterai pas à le faire, sois bien prévenu. Je n'aime pas vraiment forcer mes victimes, mais sache que tu as bien de la chance que je sois sous contrat avec toi, vermisseau. Si cela n'avais pas été le cas, tu serais déjà mort à l'heure qu'il est, vidé de toute ton énergie, aussi sec qu'une momie.

Je la narguai d'un oeil intéressé. Ainsi, elle ne pouvait pas me tuer elle même, et je supposais être en position forte par rapport à ce foutu contrat. Un sourire narquoi apparut sur mon visage, presque malgé moi. Je jouais avec le feu, mais à ce moment là, je dois bien avouer avoir trouvé la situation amusante.

- Essayez un peu, tienez.

Avant d'avoir pu accomplir quoi que ce soit, la sonnerie de l'interphone retentit dans le couloir. Je sautai sur l'occasion pour m'enfuir, déboulai hors de ma chambre, le coeur battant tellement fort que j'avais l'impression qu'il allait s'arracher de lui même de ma poitrine.

J'appuyais sur le bouton de l'appareil, et laissais monter Mei.

Parallèle, Chapitre VI, A suivre ...

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