Chapitre V

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- Bordel Lauzel ... Qu'est-ce que c'est que ça ?!

Je regardais Pierre d'un air interdit, cherchant vainement une aide de la part de l'ectoplasme. D'ailleurs, celui-ci venait de disparaître, dans un bruit semblable à celui d'un couvercle de confiture que l'on ouvre. Je sursautai, et mon coloc aussi. Mon regard se posai sur Pierrot, puis à l'endroit où se tenait Casper, alternant enre les deux positions. Nous échangeâmes nos plus belles têtes de lendemain de blackout, tous les deux dans l'incompréhension la plus totale.

- Mec ... J'ai bien vu ce que je viens de voir ...

Je ne répondis pas, car quelques secondes plus tard, le spectre réapparu, apparemment remis de ses émotions. Nous sursautâmes une énième fois, Pierrot frôlant de peu la crise cardiaque. Interloqué, je lui posai la question.

- Thomas ... C'était quoi ce que tu nous a fait ... ?

Mon jumeau me fit une moue ahurie, se foutant de ma gueule.

- J'en sais rien. Quand je suis surpris où que je n'ai pas envie d'être là, je disparais, c'est tout.

Une nouvelle fois, le regard de Pierre, blanc comme un mort, sautait du spectre de Thomas à ma personne. La bouche grande ouverte comme celle d'un poisson rouge, le grand gaillard réitéra sa question, à la limite de la crise de panique. Je me décidai à répondre.

- Un raton laveur zombie déguisé pour la Gay Pride, pourquoi ?!

Silence.

Mon coloc chercha, sans détacher ses yeux de Thomas, une chaise derrière lui. Sa grosse patte farfouilla dans les airs quelques secondes avant de tomber sur le dossier d'une des vieilles chaises d'osier de la table de la cuisine. Il la tira dans un grand crissement sur le carrelage, et s'y laissa tomber, sans voix.

- Mais... Mais c'est pas possible ... Co .. Comment ...

- Oulà ... C'est une très longue histoire, il vas falloir que je t'explique. T'as eu raison de t'asseoir. Prends toi un café.

- Ouais ... D'abord, je me roule une clope ... Je crois que j'ai besoin d'un gros pétard.

Je finissai de raconter mes péripéties à Pierrot au bout de deux bonnes heures. Le pauvre bougre m'avait écouté d'une oreille attentive, et réfléchissait à toute vitesse, des connections mystiques se faisant dans son esprit. Il ne me coupait que très rarement, et me posait des questions intéressantes, généralement sur mon sabbat ou d'autres genres de réfexions. Le Floch était un grand amateur d'ésothérisme et de théories du complot en tous genres. Aussi, c'est lui qui m'avait épaulé dès le début. Dès que j'étai arrivé au Grand Blottereau, il avait senti que quelque chose était en quelque sorte spécial, en moi. Il avait vu juste. Plus les mois passaient depusi le décès de Casper, et plus je le sentai à mes côtés, me hanter, ne pas me lâcher d'une semelle.

J'avais petit à petit fait mon deuil du tragique décès de Thomas. Et Pierre avait été le pilier principal de ma reconstruction, ses yeux bleu azur illuminant comme un phare mon sombre et sinueux chemin. J'avais évité de peu la dépression grâce à lui. Et, accessoirement, le solide gaillard en face de moi avait lui aussi toujours senti la présence d'entités en ce bas monde. C'était en partie pour cela, m'avait-il confié un jour, qu'il fumait régulièrement Canabis sativa, pour que les auras et mauvais spectres qu'il pouvait ressentir lui fichent la paix. Je vous laisse alors imaginer sa surprise alors qu'il voyais pour la premièref fois mon double en ectoplasme planté au milieu de sa cuisine à sept heures trente du matin.

Il était d'ailleurs très heureux que le sabbat qu'il m'avait concocté ait fonctionné. Il avait cherché des heures durant, m'épaulant les mois précédents, retournant tous les sites de magie noire, de sorcellerie et d'ésothérisme disponibles sur le net, sans compter l'épluchage massif de tous les livres disponibles sur le sujet de la Fnac de Commerce ou tout le rayon éponyme de la médiathèque.

- Alors du coup ... Pourquoi tu as invoqué la succube ... Nous avons dû faire une erreur dans l'interprétation des plantes. Ca ne peut pas être le tabac ... Le genêt a bien accompli sa mission de porte chance, vue que tu as obtenu ce que tu voulai, en quelque sorte ...

- Mais le problème reste le même ! Fis-je en levant les yeux au ciel, exaspéré. Je m'affalai encore plus sur le dossier de ma chaise, qui grinçait sous mon poids. Je me retrouve avec une succube au cul, et ce n'est qu'une question de temps avant qu'elle ne revienne quémander son dû.

- Ouais, il n'y a pas vraiment d'alternative ... Mais c'est bien sûr ! Tu as bien utilisé du houx femelle ? Celui avec les boules rouges ?

Je fronçai les sourcils. Je ne voyai absolument pas pourquoi le grand gaillard en face de moi faisait une fixette sur ce maudit Ilex aquifolium. J'aurai plus eu peur que ce soit ma prière aux Dieux, ou le vol de la rose de Noël qui m'aient porté préjudice.

- Bah j'ai choppé un rameau sur le premier pied venu. J'ai pas fait gaffe si il était mâle ou femelle. Y'avait de l'importance ?

Le Floch me dévisagea, outré. J'avais dit ou fait quelque chose qu'il ne fallait pas. Mon coeur rata un battement, alors que je devinai presque que cette saleté de plante avait sans doute scellé mon destin.

- Le pied femelle, qui produit les graines rouge, et qui ne pique pas, est symbole de protection pour éloigner les mauvais esprits. A contrario, bien que je n'ai absolument rien trouvé sur le sujet, les pieds mâles ont des feuilles recouvertes d'épines, représentant la damnation du Christ, sa couronne d'épines. En d'autres termes, sa signification aurait très bien pu être contradictoire et diamétralement opposée si tu as utilisé un rameau mâle pour le sabbat !

Je m'étouffai dans ma tasse de café, et manquai de renverser son contenu, sur la toile cirée petits moutons de la table ronde de la cuisine. Etranglé, je me frappai le plexus du poing, les larmes aux yeux, tout en regardant mon coloc, littéralement sur le cul. J'avais scellé un pacte avec un démon à cause d'une erreur de gamètes ?! Je jurai au plus porfond de moi, sentiment partagé par Thomas et Pierre.

Celui-ci me répondit par un regard compatissant, et jetai un oeil à la pendule gifi accrochée au dessus du linteau de la porte de la cuisine. Elle affichait maintenant neuf heures quarante six. Je me décidai enfin à me lever de ma chaise, sans être vraiment déterminé à faire autre chose de ma journée, mis à part glander sur Charlotte en mangeant des chips et en buvant de la bière bon marché. Je savais d'ailleurs qu'il ne nous restait aucune canette ou bouteille de bière en réserve. J'avais besoin de boire pour oublier, et de sortir prendre l'air pour me rafraichir l'esprit.

- Bien ... Fis-je en m'étirant de toute ma hauteur. Je vais aller faire deux-trois courses. Mis à part de la tease et du PQ, tu as besoin d'autre chose ?

Pierrot me sourit en se roulant une autre clope, sans herbe cette fois ci. Il chercha quelques secondes avant de me confirmer que quelques paquets de ramens instantanés ne seraient pas du luxe. Acquiescant à sa demande, je filais de nouveau dans ma chambre, et enfilais un jean, des chaussettes et un gros pull, empoignai mon portefeuille, mon double de clés et mon téléphone avant de filer vers l'entrée de l'appartement, situé entre la chambre et la cuisine, la porte à gauche, le plus au fond, au milieu du couloir donnait sur le palier du premier étage de l'appartement.

Je chaussai une paire de Vans et refermai la porte du logement miteux derrière moi, sans oublier d'attraper au vol un sac de courses en toile de jute que m'avait balancé mon coloc. Je descendai les escaliers quatre à quatre, et poussai la lourde porte de bois pleine de trous d'insectes.

Arrivé sur le palier devant ma rue, je senti un frisson me parcourir. Je balayai les alentours du regard, et le crachin qui tombait ce jour là n'arrangeait rien à ma morositude. Les ombres des objets de la rue semblaient se mouvoir comme des spectres, voiles d'obscurité entre une voiture ou derrière une poubelle débordante de détritus.

Le froid mordant de la matinée, couverte par de gros nuages gris impénétrables et bas dans le ciel, me fouettai le visage. Une très forte humidité de l'air me rendit immédiatement frissonnant, et je décidai de fourrer les mains dans les poches de mon jean, enfouissant la pointe de mon nez dans le col roulé de mon pull. Je bifurquai vers la rue Félicien, comme toujours, et la descendai pour arriver, environ cinq minutes plus tard sur la place Viarme. Il n'y avait pas un chat, mais pourant, je sentai que quelque chose me pesait sur les épaules, ou dans le crâne, depuis que j'étais parti de l'appartement. Je n'y prêtai plus attention, mettant ça sur le coup de la fatigue, et me dirigeai vers l'arrêt de tram, direction Pont Rousseau ou Neustrie. Il était hors de question que je me tape vingt minutes de marche à pied par ce temps de chiotte.

Le tram arriverait dans environ cinq minutes. Je m'asseyai contre l'arrêt, et me recroquevillai sur moi même, ne cherchant même pas à sortir mon téléphone pour passer le temps. Je me contentai de regarder la place vide devant mes yeux, et le vieux qui attendait le tram en face de moi, de l'autre côté de la rame. J'avais décidé de phaser sur le réverbère en face, quand tout à coup ...

Je plissai les yeux, croyant avoir apperçu dans la lumière grisâtre une ombre, au loin au fond de la place. Enfin ... Ce n'était pas vraiment au fond de la place ... Mais plutôt, à l'angle d'une rue, à côté du monument de la Croix de Charette. Je pensais d'abord que ce n'était que l'ombre d'un passant, qui avait bifurqué à l'angle de cette même rue, bien qu'il n'y ait pas un chat dans les parages.

Ce n'était d'ailleurs pas la seule gêne que je ressentai. Il y avait comme une atmosphère moite et pesante, que je n'avais jamais connue avant sur la place. Cette même moiteur lourde lors de grosses chaleurs, la sensation d'avoir la nausée à cause de la température. Sauf que le froid ne me faisai jamais un tel effet. Je fus tiré de mes réflexions par le crissement du tram qui arrivait à toute allure vers moi.

L'énorme machine verte et blanche ouvrit ses portes automatiques, et personne ne sortit de l'engin. Je pénétrai dans l'engin, qui referma ses portes sur le froid de la place. Je m'affalai sur un fauteuil bleu dans celui-ci, qui s'ébranla dans un grand à-coup silencieux. Il ne se passa que deux minutes avant que je descende à l'arrêt suivant, bien content de ne pas avoir parcouru cinq cent mètres dans le vent froid de fin d'automne.

" Bretagne ... " Commentai la voix monocorde enregistrée dans le micro. " Bretagne. "

Je me levai et descendai du tram, au pas de course. Je passai devant celui-ci, avant qu'il ne s'ébranle de nouveau, et me dirigeai vers le U Express le plus proche, celui de la rue du Calvaire, qui remontait de la sorte jusqu'à la place de l'Edit de Nantes. Je coupai par la rue Paré, passant derrière la rue du Calvaire, et arrivait devant Rock à Gogo, fermé aujourd'hui, malheureusement. La devanture taguée du magasin de mode alternative apportai une belle touche de couleur toxique à ce décor gris morose. J'avai l'impression d'être observé. Plus anxieux que d'habitude, je ne cessai de regarder derrière moi, de lever les yeux vers les toîts de la ville, au cas où quelqu'un ou quelque chose me sauterai dessus.

Mes pas m'amenèrent vers le monoprix, fermé lui aussi en ce 1er novembre. Seuls quelques badauds se baladaient sans avoir vraiment de but dans la rue, et deux-trois punks faisaient courageusement la manche devant l'entrée grillagée du supermarché. Je leur adressai un sourire sans vraiment les voir, et passai mon chemin, avant d'arriver devant la petite ouverture du supermarché, encore ouvert à cette heure.

Je slalomai entre les rayons, que j'avai fini par apprendre par coeur, et me munissai du papier WC qui nous faisait tant défaut, d'un pack de quatre canettes de 8.6, plus par dépit que par choix, de Doritos et de sauce aigre douce. Je ne résistai pas à l'envie de raffler un paquet de Chokobons, et passai à la caisse. Quelques minutes plus tard, je ressortai du petit supermarché, mon sac plein. Je le balançai sur mon épaule, et reprenai le chemin inverse, vers l'arrêt " Bretagne " .

" Tiens, Mei doit encore bosser à cette heure. Et un premier novembre, il doit y avoir du monde à Coquelicot. "

Tout en me faisant la réflexion, je bifurquai à gauche, au 17 de la rue Paré, l'adresse du fleuriste où travaillait mon amie. Quelques clients regardaient à l'extérieur de l'établissement les potées de chrysantèmes et les cyclamens joliment disposés autour de la porte et de la vitrine, qui s'était parée de citrouilles, de fausses toiles d'araignées et de rameaux de vigne. La clochette du carillon sonna mon entrée, et j'attendais gentiment mon tour, faisant mine de m'intéresser à un bouquet bulle beaucoup trop cher.

La touffe fluo de Mei, cachée par un bonnet noir me fit un clin d'oeil, et la jeune femme, affairée à encaisser un client, me rendit mon sourire, me souhaitant un rafraichissant " Bonjour ". Quelques instants plus tard, après avoir souhaité un chaleureux " Au revoir " à sa cliente, Mei Morrel sortit de derrière son plan de travail, s'essuyant les mains à l'aide d'un torchon taché de vert.

- Olivier ! Comment ça à été hier ? Me fit-elle en me faisant la bise.

- On peut dire que ça aurait pu être pire.

- Oh ! J'ai vu quelque chose hier soir, Oli.

Son regard s'asombrit soudainement, alors qu'elle allait commencer à me retenir pour m'expliquer encore une énième de ses visions. Peu rassuré de ce qu'elle pourrait me dire, et presé de retourner chez moi, je m'écartai un peu d'elle.

- Je te raconterai ça si tu me promets de passer prendre l'apéro à ta débauche ! Et j'écouterai ta prédiction, évidemment!

Je lui tendit mon sac de course débordant de canettes de bière et de chips, le regard malicieux. Elle me rendit mon sourire par un regard rayonnant impeccablement fumé de tons ocre et de paillettes dorées.

- A vos ordres, chef ! Je termine à treize heures, tâchez de ne pas tout boire avant que j'arrive !

Parallère, Chapitre V - A suivre ...

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