Chapitre IV

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Les hurlements de " Bulletproof " de Black Bomb A rententirent dans mes tympans. Je jurai, sursautant comme à chaque fois quand mon réveil sonnait. Je roulais dans mon lit, encore enseveli sous ma couette, et tatonnais sur ma table de nuit pour trouver mon téléphone, le débrancher d'un coup sec en grognant.

Il m'indiquait six heures du matin, comme à l'accoutumée. J'allais me lever, pas franchement décidé à enfiler mon cargo de travail et mes chaussures de sécurité, quand j'apperçus la date affichée sur l'écran de mon smartphone; 1er Novembre 2023.

- Putain !

J'avais complêtement oublié que le premier novembre était férié. J'éteignais enfin la sonnerie qui me pétais les oreilles, grognant à l'idée de m'être fait bêtement avoir par mon emploi du temps. En plus, j'étais sûr d'avoir réveillé Pierre, mon colocataire, dormant encore dans la chambre voisine de l'appartement du 10, rue Bergère. Le téléphone valdingua à la rencontre d'une pile de linge propre à l'autre bout de la pièce, alors que je me saisissai de mon oreiller rageusement pour me le foutre sur la tête.

" Comme si ça allait m'aider à me rendormir... "

Je baillais à m'en décrocher la mâchoire, encore à moitié endormi. Ma main passa dans mes cheveux emmèlés sur le haut de mon crâne, alors que je me repassai en boucle les évènements de la veille, sans vraiment trop y croire. Je pensais être en pleine phase de délire, après avoir bu trop de Kilkenny. Pourtant, ma pinte d'hier soir était loin de me mettre aussi mal, d'habitude. A moins que Pierrot ou même Solal y aient introduit une goutte de GHB. Je ricanai à cette pensée, et décidai enfin de partir à la recherche de mon téléphone, saleté d'appareil qui ne quittai plus personne depuis deux décennies.

Je frissonnai en m'extirpant de sous ma couette, vêtu seulement d'un caleçon. Je commençai à chercher sur la pile de fringues étalées sur la chaise près de l'entrée, dans l'obscurité de ma chambre. Je n'avais pas non plus la foi d'ouvrir les stores de la fenêtre ou d'allumer la lumière blafarde du plafonnier. Je farfouillai entre chaussettes dépareillées et T-shirts avant de mettre la main sur mon précieux, vérifait qu'il n'était pas abîmé, et déverrouillais l'écran en m'affalant de nouveau sur le matelas derrière moi.

Les pâles rayons de l'aube filtraient faiblement à travers les stores d'alluminium, et je distinguais les ombres grisâtres de mon armoire grinçante, de mon bureau bancal et de mon pupitre qui penchait dangereusement sur le côté. Il faudrait un jour que je me décide à resserrer le pied de l'objet. Mon attention se reporta sur l'écran de mon téléphone, et sur le fil d'actualités Instagram. Je voyai défiler des dizaines de photos et vidéos sans réel intérêt, avant de m'arrêter sur la dernière publication de Mei, une photo de nous cinq, grimaçant au fond du Dé Dannan. Un sourire naquit sur mes lèvres alors que je détaillai le strabisme exagérément surfait de Pierre, l'expression faussement crâneuse de Cindy, la capuche de son survêtement rabattue sur sa tête à la manière des petites frappes des quartiers, la tête grimaçante de Solal qui mimait les cornes du Diable en tirant la langue, les merveilleux sourire et double menton de Mei, et enfin ma tête, affichant une expression toujours aussi détachée, alors que je mimai un baiser de la main. La jeune femme avait d'ailleurs indentifié chacun de nous sur la photo, nous adressant un sympathique commentaire rempli de petits coeurs noirs et d'émojis caca.

Je commentai sous la publication, riant tout seul de mes idioties, avant de finalement de décider de me servir un café. J'enfilai un sweat qui traînait au pied de mon lit, ce genre de vêtement qui n'est ni propre, ni sale, et qu'on ne sait pas si on de le plier dans son armoire ou le mettre dans la pannière. Ceci fait, je sortai de ma chambre en traînant des pieds, et arrivai dans le salon. Deux grandes fenêtres au fond de la pièce donnaient sur l'étroite rue Bergère en contrebas, et un vieux canapé convertible en tissus gris était placé entre celles ci. Pierre l'avait appelé Charlotte, en référence à " The Midnight Gospel " Une série d'animation dans laquelle la fourrure d'un chien Komondor éponyme avalait tout sur son passage. Et quand on perdait son téléphone, ses chaussettes ou sa carte bancaire sur Charlotte, on ne les retrouvai généralement jamais, téléportés dans une autre dimention, celle de ses ressors. Un grand plaid à motif tartan vert et rouge le recouvrait, ainsi que quelques coussins dépareillés.

Sur le mur droit de la pièce, il y avait un grand buffet patiné, et à l'angle de celui-ci, un énorme Ficus benjamina, qui touchai presque le plafond. Il commençait d'ailleurs à se sentir à l'étroit dans son ridicule pot de plastique vert sapin. Ce même buffet était encombré d'une multitude de plantes et de babioles, et dominait la pièce de toute sa hauteur. En face de Charlotte, il y avait une grande télé un peu passée d'âge et une table basse encombrée de tasses vides et d'un cendrier plein, ainsi que d'une trainée de tabac à rouler, de quelques livres et d'un grinder.

A gauche de la pièce, il y avait encore une petite bibliothèque, adossée à la tapisserie jaunissante et piquée dans les angles de la salle à manger. Le radiateur en fonte à côté était peint en noir était recouvert de poussière, et le robinet gouttait quand il était allumé. A côté de cette bibliothèque, il y avait un petit couloir, avec à gauche la chambre de Pierre, à droite la salle de bains et les toilettes. Au fond, finalement, il y avait la cuisine. Je m'y dirigeais, avant de buter contre quelque chose qui me passa entre les jambes.

- Putain Pantoufle ! Casse toi sale bête !

Le gros chat noir et blanc mité qui s'était faufilé entre mes mollets me feula au nez, et je manquai de peu de me faire griffer les doigts de pied par cette vermine moustachue, crachante et toussante. Le vieil animal ne m'appréciait guère, et c'était réciproque aussi bien pour moi que pour Pierrot. Pantoufle était le vieux chat de la défunte tante de Pierre Le Floch, dont il avait hérité en même temps que l'appartement. Le suppôt de Satan poilu qui braillait à mes pieds, quémandant sa paté dès que je mettai un pied dans la cuisine, n'avait jamais vécu avec quelqu'un d'autre que sa tante. Il était d'ailleurs très moche, un strabisme le faisait loucher, la vieillesse lui avait fait tomber ses premières dents, ce qui le faisait baver et avoir des expressions dignes des plus beaux memes. Il toussait assez souvent, et crachait d'enormes boules de poil pour nous signaler son mécontentement. Il n'y avait que Mei et Cindy qu'il supportait.

Je pénétrai dans une cuisine toute aussi kitch que le salon, et enclenchais la bouilloire. Je tirai d'un placard une tasse propre, vérifiant qu'elle n'était pas ébréchée. De l'autre main, je sortai d'un placard un pot de café soluble, que je savai dégeulasse, mais qui, au fil du temps, avait finit par me contenter tous les matins. Je prenais une cuillère dans l'égouttoir à vaisselle, repoussant précautionneusement Pantoufle qui continuait d'essayer de me griffer les mollets.

- Eh grosse poubelle ! Lâche moi la grappe !

Je parvenai enfin à ouvrir le placard sous l'évier pour en extirper un paquet de croquettes spéciales chat âgé, hyppoallergéniques et au poisson frais. Ouais, parce que cette saloperie ne supportai que ces croquettes, délivrées seulement chez les vétérinaires et qui coûtaient la peau du cul. La griffe viciseuse de Pantoufle frôla mon pouce quand je pris sa gamelle pour la remplir. Une fois déposée au sol avec un bol d'eau fraiche, le chat décidait enfin de me ficher la paix. Je versai de l'eau chaude de la bouilloire dans ma tasse, ouvrais le réfrigérateur pour chopper une brique de lait, en verser un peu dans mon café et la remettre à sa place, sans pour autant quitter le Sheitan des yeux. La tasse brûlante dans la main, je tendai mon autre bras vers un autre placard en formica, et farfouillai à taton pour y dénicher un paquet de biscuits déjà entammé.

Mon petit déjeuner de clochard en mains, je repartis en direction du salon, m'assurant de ne pas être suivi par Pantoufle. Je déposai ma tasse et les gâteaux sur la table basse, cherchai la télécommande de la télé, et l'allumai sans vraiment avoir la conviction de trouver quelque chose d'intéressant. Je zappai sur toutes les chaînes, avant de tomber par dépit sur des vieux épisodes des Dalton. Je soupirai, déçu de ne pas avoir trouvé mieux, et décidai d'aller pisser avant d'enclencher le mode " hibernation" de mon organisme pour deux bonnes heures.

Je me levai une seconde fois, traversais la pièce où le jour commençai à peine à filtrer entre les rues étroites du centre ville. J'ouvris la porte des sanitaires, jurai en m'appercevant qu'il ne restait qu'un demi rouleau de papier WC. Je relevai la tête vers le placard encastré dans le mur, cherchant vainement un paquet neuf de papier rose. Mais je trouvai bien autre chose.

- HAAAH !

Un hurlement étranglé sorti hors de ma bouche, et je manquai de me casser la gueule en marchant sur le chat qui passait derrière moi.

Thomas se tenait devant moi, encastré dans le placard à balais des chiottes. Je crus halluciner au départ, et me pinçai furieusement le bras gauche, avant de constater que je ne rêvai pas.

" Mon frère es... Non, le fantôme de mon frère est dans mes chiottes, dans mon appart ....?! "

- Thomas ! Qu'est-ce que quoi ?! Balbutiais-je, décontenancé. Qu'est-ce que tu fais là ?!

Le spectre blanchâtre me sourit faiblement, et, à ma grande surprise, me répondit aussi distinctment que si je l'avai eu au téléphone.

- Je te rappelle que nous avons pactisé avec une succube, Olivier ! Je suis coincé ici, maintenant, au lieu d'avoir trouvé le repos.

- T'es marrant toi ! Comment tu veux que je le sache ? Moi qui pensai que ce n'était qu'un rêve à la con ...

Je savais pertinemment que Casper ne m'en voulai pas. Et je n'en étai pas en reste. Au contraire, j'étais plutôt content de le trouver en face de moi, et de pouvoir lui parler, presque comme si il était encore vivant. Et d'ailleurs, le fait qu'il se retrouve coincé ici m'avait au moins confirmé une chose, je n'étai pas si nul que ça en sorcellerie. Je remerciai Pierrot en mon fort intérieur de m'avoir appris quelques trucs, et le narguais presque malgré moi.

- Et tac Le Floch ! Qui c'est qui invoque des fantômes aussi bien que sur World Of Warcraft ?! C'est Lauzel !

Je posai mes yeux sur mon vaporeux jumeau, toujours recroquevillé au travers des étagères du placard des WC, le bide coupé entre le placard des produits ménager et de la réserve de PQ. J'arquais un sourcil, et croisais mes bras sur mon buste, tapant du pied.

- Bon, Thomas, c'est pas que je ne t'aime pas, mais j'aimerai bien aller pisser.

Casper ne se fit pas prier, et son ombre s'effaça de ma vue. Je fronçais les sourcils, perplexe.

- T'est barré où ?

- Je suis passé dans la cuisine.

" Ah oui, suis-je bête ! Le mur ... "

Je fermai la porte à clé et libérai finalement ma vessie. Soulagé, je rangeai mes bijoux de famille dans mon boxer, tirai la chasse d'eau et repartai en direction du salon, quand la porte de la chambre de Pierrot s'entrouvrit en grinçant. Le visage de déterré de mon coloc apparut dans l'entrebaillement de celle ci. Il bailla à s'en décrocher la mâchoire, et, se grattant la joue, me demanda;

- Lauzel, pourquoi tu brailles dès le matin ? T'as vu un fantôme ?

Je me retenai de rire, et plaquai la paume de ma main sur la large face encore bouffie de Pierrot. Il réprima un grognement en retirant mes doigts de son gros nez.

- Bas les pattes, chacal ! Casse toi !

Je ne me fis pas prier, et fuyais sur Charlotte, alors que Pierre émergeait enfin de sa grotte, vêtu d'un bas de jogging et d'un T shirt défoncé. Le grand gaillard à la tignasse blonde se dirigeait aussi dans la cuisine, en quête d'un café chaud. Il me demanda d'ailleurs l'état de l'eau dans la bouilloire.

- Olivier, l'eau est encore cha... Rah ! Ta mère Pantoufle !

Le gros chat feula dans le couloir avant de débouler en doddelinant dans le salon, sa queue dégarnie fouettant l'air derrière lui par spasmes. Pierrot n'eut cependant pas le temps de terminer sa phrase, car un hurlement de surprise me déchira les tympans.

Mon coeur ne fit qu'un tour. Thomas était dans la cuisine.

- Mec, ça vas ? Demandais-je, bien qu'au fond de moi, je connaissais déjà la réponse.

Il ne me répondit pas. Mon coeur redescendit dans ma poitrine, alors que je prenais conscience que j'étai sans doute le seul à voir mon frère, comme je le ressentai avant en fait. Et que le pacte n'avait eu d'autre effet d'ajouter un colocataire dans cet appartement. Je me trompai lourdement. Quelques secondes suffirent à finalement confirmer mes angoisses. Je me levai une énième fois du canapé, sautai par dessus Pantoufle, et déboulai dans la cuisine, pour finalment voir un Pierrot pâle comme un mort, sa tasse vide encore dans une main, l'autre sur la bouilloire, regarder avec des yeux révulsés le fantôme de mon frère qui se tenait à quelques centimètres du sol, devant lui.

- Bordel Lauzel ... Qu'est-ce que c'est que ça ?!

Parallèle, Chapitre IV - A suivre ...

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