Chapitre II

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- Thomas ... Chuchotais-je, temblant.

A la lumière feutrée des réverbères passant au travers de lui, je voyais enfin depuis longtemps en face de moi. Je me pinçai bien fort pour m'assurer que je ne rêvais pas.

- Tu ne rêves pas, Olive !

La voix de Thomas, comme filtrée au travers d'un masque, résonna quelques instants dans mon esprit encore sous le choc.

Lentement, je me relevai. Et maladroitement, trébuchant sur mes affaires au sol, je m'avançai vers le fantôme de mon frêre. En face de moi, Thomas Lauzel se tenait bien droit, les épaules alignées. La peau aux tons d'ivoire fantômatiques ne faisait que faire ressortir les veines bleues qui couraient sur son cou, ses mains. Habillé comme au jour de sa mort, mon fère portait un large pull en mailles noires, un jean slim destroy aux genoux, et ses Vans fétiches. Son nez, qui aurait pu se retrouver rougi par les températures froides de cette présente nuit, s'était réfugié sous son écharpe à carreaux.

Les délicates boucles brunes qui encadraient son visage cachaient en partie son regard sombre et fatigué. Deux étincelles brillaient sur ce triste visage, ses prunelles améthyste. Ma mère nous avait toujours raconté le fabuleux mythe des yeux violets. Ceux qui naissaient avec ce regard avaient de soit disant pouvoirs, se révélant être des virtuoses, attirer la chance, communiquer avec les esprits ...

Hésitant, j'avançais lentement le bras vers le visage de mon frère. Il en fit de même, un faible sourire scotché à ses lèvres. Ma main gauche frémissante rencontre celle de Thomas. Les longs doigts de ma main partent maladroitement à la conquête de ceux qui sortaient de la manche du pull de laine noir. Nos regards se croisent furtivement, puis nos doigts se touchent.

Etincelle.

La main soudainement prise d'un choc électrique, je retirai mon bras beaucoup plus vite que je ne l'avais avancé. Que s'était-t'il passé ?! Je n'en avais pas la réponse, mais une chose était sûre, Thomas aussi, avait ressenti le choc électrique, et sa silhouette luisainte à la lumière des réverbères avait reculé d'environ un mètre.

Le visage de mon frère reflétai sans aucun doute mon expression en ce moment même. Mélange de joie, d'étonnement, de mélancolie peut être.

- Que...

- Que s'est-t'il passé ?! Lance faiblement mon frère derière le voile de sa forme éthérée.

Je n'en avais aucune foutre idée, mais toute la situation sonnait faux. Mon frère aurait dû disparaître. Ses mots résonnaient presque comme un échec à mes oreilles. Tant d'efforts, tant de recherches au fin fond des bibliothèques de toute la ville, tant de temps utilisé à potasser des centaines et des centaines de pages et de blogs sur Internet, pour ça ?! Nous avions gâché ces précieuses heures de recherches sur les forums, entre nous, tant fait pour essayer de percer à jour le mystère de la hantise de Thomas sur moi. Pierre m'avait tant appris sur les pratiques ésothériques en tout temps, Mei m'avait aidé à préparer le sabbat. Solal m'avait couvert auprès de mes patrons pour que je puisse récupérer tous les végétaux qui m'étaient nécessaires, et Cindy elle aussi, m'avait apporté son aide en me fournissant les plans du cimetière, et le passe partout.

Je prenai appui sur mes deux mains pour me relever, pris de vertiges. Plus péniblement que si j'avais pris une cuite, je me relevai, les jambes tremblantes.

J'avais l'impression de m'être pris une douche froide sur le coin de la tronche.

Nous restions là, pantois, au beau milieu du cimetière, près du caveau de la famille, sans mot dire. Puis, après un bref instant d'hésitation, nous nous jettâmes dans les bras l'un de l'autre.

Des sanglots me submergeaient alors que mes bras esserraient le corps éthéré de mon tendre Thomas. Le contact glacé de son fantôme contre moi m'éloignai autant de lui qu'il m'en rapprochai.

- Olivier !! Gémissai mon frère en serrant désespérément les manches de ma veste, mais sans autant pouvoir les saisir.

- Tu m'as tellement, mais tellement manqué ... Marchand de tapis ! Je ravalai péniblement la morve qui s'écoulai de mon nez.

Je lui frottai le dos le plus doucement que pouvais, laissant courir mes doigts, qui se gelaient à son contact, courir contre la colone aux vertèbres saillantes. Un frisson glacé me fit hérisser le peu de poils qui couraient sur ma peau.

Etreindre la mort de la sorte avait quelque chose de ... d'exeptionellement indescriptible. Je n'avais jamais été aussi proche d'imploser. Ce mélange de haine, de bonheur, de tristesse et de réconfort était grisant. La tête translucide de mon frêre tressautai dans d'incontrôlables sanglots, tout aussi violents que les miens. Nous restâmes de longues minutes ainsi, profitant de cette étreinte, aussi distante soit-elle, au beau milieu du cimetière.

Mais une question me brûlait les lèvres et me retournai le cerveau depuis déjà quelques minutes.

- Thomas ... As-t'on ouvert une brèche entre nos réalités seulement pour ce soir, ou est-ce pour toujours ? Soufflai-je dans ses cheveux.

En moi même, je redoutai du plus profond de mon coeur de ne pas l'avoir encore plus coincé sur Terre, enchaîné à mes chevilles et à son propre destin de solitude pour l'éternité.

Mon frère n'avait évidemment pas la réponse. Il hocha négativement la tête pour me le faire savoir, ses boucles brunes toujours coincées entre mon cou et mes épaules.

- Nous le saurons probablement bien assez tôt ... Soufflait-il à son tour, ravalant ses sanglots.

Un bruissement nous firent sursauter. Je tendai l'oreille vers les crissements, les muscles de mon corps se tendant sous le pic d'adrénaline que m'avait envoyé mes glandes surrénales. Thomas aussi les avait sans doute remarqués, mais son corps n'avait plus les capacités physiques de réagir.

- Bien ! Mantenant que les embrassades sont terminées ....

Nous sursautèrent tous deux au son de la voix qui s'élevait au dessus de nous.

Paniqué, je cherchai l'origine de ce son qui résonnait dans l'air, alors que nous nous écartions l'un de l'autre avec Thomas. Mes yeux aveugles dans l'obscurité croisèrent à toute vitesse le tombeau familial, les potées de plantes posées à la toussaint, les doigts griffus des grilles du cimetière, les chapelles funéraires affalées les unes sur les autres dans une cacophonie désordonée, leurs croix s'élevant comme des pals vers le ciel.

- Pas de panique chéri ! Je ne vais pas te manger ...

Deux yeux d'un rouge sang vif luisèrent dans l'obscurité, tout proche de mon visage. Je n'avais pas vu venir la silhouette mince et élancée, flanquée d'un amas imposant et difforme dans le dos. Horrifié, je me jette en arrière, essaye de me relever à reculons, trébuchant dans les graviers. La créature aux yeux de braise s'avance vers moi, se penche un peu plus sur ma personne. Une main griffue émerge de la noirceur diffuse de la silhouette, une dent trop aiguisée pointe sur une lèvre humanoïde.

A la vitesse de l'éclair, les longs doigts de porcelaine aux ongles noirs me saisissent le viage, tels des serres de charognard, avant même que mes réflexes aient eu le temps de me faire réagir. Les excroissances de kératine compressent mes joues, me lacèrent les pomettes. Une force inattendue ramène mon visage plus près encore de la chose.

- Quoique ...

Une autre main se lève, l'index vers les cieux. D'un coup, le corps translucide de mon frère s'élève d'une cinquantaine de centimètres du sol, entravé par des liens invisibles et indestructibles.

Son regard fuyant et révulsé trahit la panique muète dont il est assallit. Incapable de faire quoi que ce soit, Thomas ne peut que subir ce qui nous arrive.

Une splendide femme me scrute de part en part, son regard, mélange d'envie maladive et d'intérêt curieux saute de mon visage à celui de Thomas, de ma veste au contenu de mon sac étendu au sol, de la boucle de ma ceinture aux inscriptions de la tombe de ma famille.

- Ah ... Vous devez être des frères ... Susure la créature, presque sensuelle sur ces paroles.

Pétrifié, je n'ose pas bouger, pas remuer même un cil, même les lèvres. Pour une fois Olivier, ferme ta putain de gueule ! Ce qui se tient en face de toi n'est sans aucun doute pas plus humain de Kim Kardashian.

- Comme c'est cruel pour un nécromancien de ta trempe ... Sceller son propre sang, la chair de sa chair de la sorte pour en faire un Vassal ? Il y a quelque chose de ....

Mes yeux se révulsent à l'écoute de ce tissu d'obscénités. Le regard de la chose s'immobilise sur mes iris, les pénètrent avec plus d'intensité que les rayons d'un néon.

- Terriblement diabolique ... Susure-t'elle au creux de mon oreille, presque avec envie.

Mon coeur rata un battement. Qu'avait-elle dit ?! Un nécromancien de ma trempe, la chair de ma chair ?! Un Vassal !!! Tout cela n'avait ni queue ni tête. Je me débattai pour m'extirper de son étreinte d'acier, mais ne semblai pouvoir la défaire. Je décidai de désserer la mâchoire pour cracher quelques obscénités.

- Mais putain mais vous êtes quoi bordel ?!

La surprise gagna les traits sensuels de mon agresseur. Il tiqua une demi seconde, plus qu'assez pour que je puisse continuer sur ma lancée.

- Je bite rien à ce que vous me dites, espèce de gros sac à merde. Commencez par le commencement avant de faire genre que vous vous y connaissez dans ces trucs de charlatan ! Un nécromancien mon cul oui ! Y 'en a que dans World of Warcraft de ces conneries.

Furieusement, la créature aux yeux de braise lâcha mon visage et le repoussa de toutes ses forces. Contrairement à Mei, elle n'avait eu aucun mal à me décrocher la mâchoire. Je volai à quelques pas de là, projeté par une force bien supérieure à celle de Solal contre la pierre tombale de la famille Lauzel.

- Comment oses-tu t'adresser à une fille de Lilith de la sorte, insolent ! Parjure à ton titre !!! Tu devrais être envoyé dans l'un des neuf cerlces des Enfers pour ces paroles !

Ravisé, je me décidai à lui faire face et me relevai, grinçant des dents sous la douleur de la projection.

- Foutaises ! Foutez moi la paix maintenant! J'ai pu revoir mon frère maintenant renvoyez le pour de bon au Paradis, mon voeu est exaucé. Je peux rentrer chez moi maintenant ?! Y'en a marre de vos conneries.

Un rire malsain s'éleva dans les airs. Un rire dément, sarcastique, glaçant. Il rentrait dans tous les pores de ma peau, gelai les molécules de mon propre sang. Il résonnai interminablement dans le cimetière.

- Les hommes me surprendront toujours ma fraude ! Par tous les damnés du cercle de Minos, je veux bien qu'on me cannonise! En cinq mille ans d'existence, jamais je n'a entendu pareilles idioties !

La créature s'approcha une nouvelle fois de moi, pointant sa griffe accusatrice sur mon poitrail. Je commençai à bouillir, et le couvercle de la cocotte minute n'était pas vraiment bien vissé.

- Ton sabbat était certes très maladroitement réalisé, jeune nécromant. Mais je dois bien admettre avoir rarement été appelée avec une telle force spirituelle. Même ce cher Gilles ne m'avait pas autant impressionnée... Oh, mais tu ne serais pas par hasard un de ses féaux, ou bien alors l'apprenti d'un conv...

- Mais votre gueule putain ! Hurlai-je en balayant son bras d'une giffle. Commencez par m'expliquer ce qui nous arrive, merde !

La chose se ravisa. Elle souffla bruyemment, et planta ses yeux rouge dans le vert des miens. Je ne cillai pas, même en sachant, par ma vue périphérique, que mon frère me suppliai silencieusement de ne pas faire ce que je faisais.

- Bien.

Contre toute attente, elle se détendit quelques peu, et croisa les bras sur son poitrail, avant de s'accroupir. L'ombre de la chapelle funéraire qui cachait jusqu'à présent son corps au complet la laissa enfin se dévoiler. Je fis des yeux rond en découvrant une femme aux courbes divines. Entièrement nue, la peau pâle comme de la porcelaine, aux veines noires serpentant sous sa peau, la créature s'était campée sur ses jambes aux sabots de chèvre. Une queue aussi noire que les veines de sa peau, et que l'extrémité de ses membres fouettai l'air derrière elle, et d'immenses ailes de chauve souris étaient repliées dans son dos. Une chevelure aussi rouge que ses yeux flottai dans les rafales de vent de plus en plus glaciales.

" Un démon ?! " Me demandais-je intérieurement.

" - Pas tout à fait... " Fit la voix de Thomas dans ma tête.

Je plantai quelques secondes, détaillant les cornes ovidées qui trônaient sur la tête de la créature, et me remémorant les quelques paroles de celle ci.

" - Une succube ... "

Parallèle, Chapitre II - A suivre ...

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