Chapitre 4

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Agathe, de son côté, se pomponne la dévastation. Penchée sur le buffet du salon, elle se regarde les ruines dans le miroir piqueté. Dégoûté le miroir… T’imagine, Emile, ce que ce pauvre bout de verre doit recevoir comme image sans se fêler d’horreur ?
Mate un peu son calvaire ; elle se tend la peau des bajoues pour leur rendre un peu de couleur. Malheureusement, elle s’aperçoit que, certes, sa bidoche se tend comme un élastique, mais sans reprendre sa forme initiale. Et c’est tout juste si l’écart de ses bras suffit pour rendre un bref éclat de jeunesse (toute relative, entendons-nous bien, je veux bien faire des efforts mais quand même, faut pas voler la récompense à Raymond…) à cette peau parcheminée par des décennies d’emmerdes, de déceptions, de pleurs, de rires et de soupirs. Elle ne tarde pas, d’ailleurs, à regretter cette gymnastique car, dès qu’elle lâche ses joues, elles se mettent à pendre comme des oreilles de cocker. Sale temps pour les mouches ! Surtout pour celle qui vient de se faire happer dans les replis de la couenne de la vieille.
Après les joues, elle s’attaque aux lèvres, sort un tube de rouge à lèvres qui a fait la guerre avec le grand-père de Toutankhamon. La pâte est devenue violette, ou plutôt noire comme du sang coagulé. Aussi ne faut-il pas s’étonner de le voir s’étaler comme un vieux mastic pour fenêtre. Elle considère ça, un peu déconfite, mais elle a l’esprit pratique :

  • Si tu me veux, mon bonhomme, faudra te contenter de ça ! marmonne-t-elle dans cette barbe qu’elle n’aura pas le temps de raser non plus.

D’un geste ample et puissant, elle tente courageusement de se remonter les roploplos au-dessus de la ligne de flottaison. En vain, tu penses. Un peu déçue encore. Faut dire que des flotteurs qui pendent lourdement sur les genoux n’ont rien de très bandant, même pour un papy qui ne s’est pas remis le glandulaire à jour depuis des lustres et des lustres. Amen !
(Je soupire mais je consens quand même à lui filer un petit coup de main. Un simple clignement d’œil et la voilà affublée d’une poitrine un peu plus correcte. J’en raccourcis trente bons centimètres, la soulage d’une bonne dizaine de kilos superflus, masque quelques taches de vieillesse trop visibles… Je suis trop bon... Pour la suite, je laisse flotter les rubans, promis !)

D'ailleurs, la voilà, la suite :

Coquetterie bien féminine, elle se hume les aisselles. Vrai que la jungle qui prolifère là-dessous n’a pas vu de rasoir depuis lulure. (Ça la chagrine un peu mais, là, je reste de marbre parce que, tout diable que je suis, tout ne m’est pas possible à changer) Elle est coquette, n’est-ce pas ? Comme toutes les femmes, c’est vrai. Mais t’en connais beaucoup, toi, qui se jettent sur le premier pot de fleur venu pour gerber un bon coup tant l’odeur est atroce ?

  • Vous avez un problème ? s’inquiète Raymond du fond de la cuisine en entendant les bruits de chiotte que fait la vioque en se délestant d’un bon litre de sucs gastriques.
  • Bleurg…aourfff ! Non….brôaaa…tout…tout va bien, mon ami, éructe l’autre entre deux lampées.
  • Surtout, mettez-vous à l’aise !
  • Je vous….bleurgh…remercie ! agonise l’autre.

« Parce que, moi, je vais te mettre…à l’aise ! » pouffe Raymond à sa seule intention.
Il revient enfin de la cuisine, les bras chargés de tout le nécessaire pour leur campagne alimentaire. Il dispose rapidement les couverts, s’étonnant à peine de l’odeur pestilentielle qui émane de son fidèle et imputrescible rhododendron. Il se contente simplement d’ouvrir les fenêtres. Mamie en profite pour s’aérer les éponges et prendre un petit coup de frais. Elle commençait à manquer d’air. D’un œil discret, elle s’observe le poitrail avec attention. Elle gaffe qu’aucun invité en décomposition de son repas de la veille ne traîne sur son décolleté. Elle sait la puissance d’attraction d’une paire de nibards sur un étalon en rut, alors faudrait pas casser la magie du moment et puis, elle sent (et ce n’est pas qu’une expression !) que ça ferait mauvais genre…
Elle profite du départ du vieux pour un nouveau chargement à la cuisine pour virer subrepticement le rhodo vers la sortie mais là…elle a un peu de mal, la mère.

Faut dire que le pot pèse bien dans les quarante kilos tout mouillé et ça fait une éternité qu’elle a lâchement abandonné ses exercices de culture physique. Alors elle se pose le cul par terre et, avec sa jambe valide, tente de repousser la plante vers la lourde qui donne sur le jardin.
Raymond revient. La constate au sol. S’étonne.

  • Mais que vous arrive-t-il ? s’alarme-t-il. Vous z’allez pas me péter une durit maintenant, mémère !
  • Non, mon bon ami, mais je crois que je suis un peu fatiguée. Je me repose un peu et la fraîcheur du carrelage me fait un bien fou, improvise-t-elle.
  • Ça, c’est vrai ! Moi, j’adore marcher pieds nus sur le carrelage. Tous les matins. Au réveil, ça soulage. Eh bien, faites, ma douce, faites…
  • Merci, mon ami. Ça va me requinquer, le temps de le dire !
  • Oh, mais attendez, cette horrible fleur vous gêne ! Attendez, je vais la fou…la mettre dehors !

En fait, Raymond prie pour que la vieille barrique ne calanche pas avant les opérations de printemps, rien d’autre !

  • Oh, merci ! soupire Agathe, heureuse de la merveilleuse idée du centenaire.
  • Ce n’est rien ! Tout pour que je te niq…que je vous vois garder le sourire, conclue le vieux.

A son tour de souffler comme un bœuf pour virer la plante. Après bien des ahanements impuissants, il se retourne et, le cul appuyé sur le tronc du rhododendron, les reins cassés en deux, il pousse de toutes ses forces. Il profite d’être en face de la vioque, l’infâme saligaud, pour jeter un œil égrillard entre ses jambons. Et ce qu’il distingue le fait frémir d’impatience. Il en trouve le regain d’énergie nécessaire pour bouter le pot de fleur hors des frontières de son royaume. En fait, le pot se casse la fiole du haut de l’escadrin et finit sa chute dans les décombres qui parsèment déjà le jardin du bonhomme.
Un obstacle de moins entre lui et la vieille. Toujours ça de pris…

Ne reste plus qu’à re-verticaliser la vioque. Aussi se présente-t-il face à elle, la braguette à hauteur de ses yeux de biche. Et mémère ne se gêne pas pour sonder du regard (pour le moment) l’entre-jambe de pépère, espère Prosper !

Sans pouvoir plier les genoux (arthrite), il tend les mains vers Agathe. Elle lève les bras avec difficulté mais leurs mains finissent par se rejoindre. Un coup de rein, et là…

C’est parti !

A suivre...

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