La trahison

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La trahison

Aux temps de Ur

Qu’étais-je alors ?

Ni Homme ni géant. Telle est la seule certitude.

*

Ma communauté m’avait désigné pour porter secours aux humains.

Ils étaient en fort péril, nous devions les aider.

En ces âges, désormais reculés voire oubliés, le monde était habité par deux sortes de bipèdes constitués de chair et d’os : l’hominidé sentimental et intellectuel et le géant. Ce dernier n’étant que la dégénérescence d’une espèce bien plus ancienne, non charnelle, originellement céleste, désormais prédatrice. C’est de cela que les Hommes avaient tout à craindre.

Je sortis donc de la forêt qui était notre royaume pour aller à la rencontre des résistants.

Ils montaient des campements de tentes robustes aux lisières du territoire périlleux, depuis lesquels ils s’organisaient et préparaient le moyen de mettre un terme à ce danger qui pesait toujours davantage sur l’existence de toutes et tous.

Ce que devenaient les disparus nul ne le savait avec certitude. Aucun n’avait encore pu en revenir pour le dire. On supposait l’esclavagisme et redoutait pire encore. J’ignorais à ce stade sous quelle forme se concrétiserait mon secours, c’est pourquoi je devais m’entretenir avec eux. Une limite toutefois, et pas des moindres, se présentait à la situation : je n’étais pas incarné comme eux. Ma réalité se trouvait sur un plan parallèle à la leur, au plus proche, et bien qu’intimement intriquée majoritairement inaccessible à leurs perceptions. Certains me voyaient et/ou pouvaient m’entendre – directement dans leur tête, d’autres me devinaient à peine et beaucoup en étaient incapables. Je devais de ce fait m’adresser aux plus perceptifs.

Le médium du clan avait reçu en vision l’intention de notre intervention, par mon intermédiaire pour commencer, en avait fait part à leur chef puis nous avait communiqué leur accord en retour. J’étais attendu.

Ce sont ces deux qui m’ont réceptionné. Me surplombant de trois à quatre fois ma taille, le premier, celui parmi tous qui me captait le mieux, se tenait devant moi à l’orée du campement. L’autre pouvait juste m’entendre et c’était déjà heureux.

Après un assez court entretien d’accueil, durant lequel ils firent ma succincte connaissance, ils me conduisirent à la tente des concertations, des planifications et des conseils où j’étais attendu par la totalité de la communauté, réunis là pour l’occasion.

Sitôt entré, je partis me percher sur un mini promontoire qui allait permettre à quelques-uns de me voir et moi de m’offrir une vue d’ensemble. Le chef prit sa place d’orateur et le médium se mit où il pourrait au mieux servir d’intermédiaire.

— Chers toutes et tous, j’ouvre maintenant la réunion en compagnie de notre visiteur, qui se trouve où vous montre Erdeklès !

Le médium fit un geste dans ma direction, me souriant. Je le remerciai intérieurement et le chef continua, pendant que certains me cherchaient du regard, désorientés :

— Comme entendu, c’est lui qui nous aidera et nous allons discuter de la meilleure manière de procéder…

Après une série d’échanges, qu’il serait inutile d’énumérer, nous avons convenu que j’interviendrai sur le prochain mastodonte intrusif et que les plus vaillants me seconderaient pour la suite des opérations ; à la condition impérative toutefois qu’ils laissassent la créature repartir, sans lui porter aucun préjudice. Parce que, voyez-vous, nous autres, le petit peuple des bois, nous respections la vie sous toutes ses formes, si imparfaite et vile pût-ce-t-elle être.

Forts de cette entente, dont je n’ai pas douté un instant, nous nous sommes préparés et il n’y avait plus quà…

Comme les assauts étaient rendus relativement fréquents, nous n’eûmes pas long à le voir débarquer.

Venant toujours avec des cordages pour effectuer leur capture et d’une façon véritablement méprisable : ligotant les proies par la cheville en grappes, flanquées par dessus l’épaule avant de repartir aussi sec, tels de vulgaires consommables pour ne pas dire des animaux.

Et c’est là que je devais agir !

La masse imposante d’os et de muscles lourds se fit entendre depuis les alentours par ses grognements, les vibrations subtiles du sol éveillèrent mes sens en alerte. Je m’élançai aussitôt vers lui, sans le laisser approcher davantage du groupe qui se tenait prudemment en arrière, à sage distance. Quoique ma présence le laissât de marbre, puisque les âmes corrompues comptaient parmi les moins aptes à me percevoir. Ce qui me donna toute latitude pour faire à ma guise.

Je bondis avec vélocité et légèreté sur son corps, l’escaladant à la manière d’un chamois à l’aise dans sa montagne – genou, main, biceps, épaule – et me retrouvai où je devais en moins de temps qu’il ne lui aurait fallu pour réaliser que les sensations de pressions ponctuelles soudaines venaient d’un être invisible !

Le méchant avait déjà effectué sa cueillette du jour et probablement cru bon de l’enrichir en se servant dans le paquet d’humains rassemblés ici. Quatre ou cinq prisonniers pendaient dans son dos quand je cisaillai la corde épaisse à l’aide d’une lame. Le bougre ne savait plus où donner de la tête, saisi par la panique, s’agitant et grommelant. Il voyait bien que quelque chose était entrain de couper le lien, tout autant incapable de dire quoi, il tentait de me chasser de son autre main en balayant l’air qui ne me fit ni chaud ni froid.

Je pouvais agir sur la réalité tangible or la réciproque était impossible. Ma chance !

En bas, à la quasi verticale, une toile tendue par une ronde de compagnons attendait les libérés sous peu, et lorsque ceux-ci y chutèrent le géant se trouvait au comble de son affolement doublé de la rage. Puis, par je ne su jamais quel stratagème secret, des agencements prestes de cordages astucieux enserrèrent ses chevilles et il partit se fracasser lamentablement au sol, dans un nuage de poussière !

Je venais d’être trahi dans notre engagement !

La peine et la déception dans l’âme, je rompais la promesse et retournais vers les miens, laissant les humains à leur fourberie assoiffée de vengeance.

Mémoires Lémuriennes

2013-2023

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