Cylindres - 1 -

4 minutes de lecture

(Visite guidée)

I

L’arrivée

On est probablement venu me chercher. Du trajet je n’ai pas la mémoire, non plus.

Depuis les baies du vaisseau, la surface entière de cet astre semble n’être qu’un désert de plaines stériles et planes comme la roche nue, dépourvues du moindre dénivelé. Comment le savoir, puisque nous sommes allés du point A au point B, en ligne droite depuis quelque part dans le cosmos ; or, ce n’est visiblement pas le dessus d’un monde que l’on me conduit à visiter : nous nous posons lentement sur une aire faite d’un matériau blanchâtre et nul chemin aux alentours pour y conduire ou le quitter.

J’ai cru apercevoir de vastes cercles immenses et indistincts, de ci de là, lorsque nous étions en approche. Je ne saurai en être certain. Les lueurs que rayonne l’engin ont un peu perturbé ma vue. Il n’est pas impossible que je sois le seul à n’y être pas adapté.

Au niveau du sol, où nos pieds se posent maintenant, rien d’autre qu’un cube lointain. Et c’est vers ceci que nous allons. L’un de mes deux compagnons de voyage ouvre la marche en nous devançant et le second fait un geste du bras pour m’inviter à le suivre.

Ce premier est un homme, impeccablement chauve. Il me toise d’au moins trois têtes, large, épais, modérément musculeux sous une combinaison de nuit aux reflets anthracites. Le front grand et plat comme le paysage, le visage impassible aux traits lisses malgré l’expression guerrière qui s’en dégage, une lueur lointaine que rien ne pourrait souffler, semble-t-il, dans les confins de sa pupille pénétrante cerclée d’un iris restreint au bleu électrique. Un insigne dont j’ignore tout plaqué au centre du sternum – triangle équilatéral dans les fuchsias tirant vers le pourpre, pointe en bas, contenu dans un cercle d’un cyan vif, plus un autre au bleu indigo, à l’intérieur, qui inclut un trigone de couleur identique au plus grand, tourné dans l’autre sens, puis, pour finir, un second cercle à l’améthyste scintillante. Fait étonnant : toute cette géométrie aux répétitions inclusives repose directement sur le tissu qui habille l’individu. Ni écusson, ni cousue. Même peinte, on en doute. Peut-être incrustée dans la matière…

La seconde me décomplexe du géant avec sa taille moyenne au gabarit habituel, vêtue d’une tout autre façon, d’un voilage léger, transparent, virevoltant autour de mouvements gracieux, laissant voir un magnifique émeraude chatoyant qui enveloppe son corps aux courbures parfaites. Sa chevelure dorée dégouline en ondulant sensiblement jusqu’aux épaules, et sa face d’une beauté angélique n’arbore rien de sensuel, seulement très agréable à regarder. Ce qui attire, même aimante, ce sont ses yeux en amande, un chouïa inclinés vers le nez, où se mêlent un dégradé de tons, du turquoise à l’olive profonde ; ainsi que le doux sourire perpétuel affiché, dont l’immuabilité semble affirmer qu’aucune humeur et nulle émotion ne sauraient l’extraire de la paix qui l’habite.

Quand je m’approche de lui, je me sens instantanément rassuré, protégé, serein. Aux côtés d’elle, je suis comme aimé et compris, avant même que mon mental se mette à formuler une idée. Pour le dire en une phrase : leur présence modifie mon état.

Nul besoin de parler à celui qui nous guide, c’est elle qui s’en charge et sans avoir à ouvrir les lèvres. Pour autant, il me brûle de le questionner sur la signification de son si mystérieux insigne qui, lorsque j’y attarde ma curiosité, fait vibrer quelque chose d’indicible dans les tréfonds de mon être. Avec elle c’est un peu différent : quand je me trouve troublé ou accaparé par la jungle de mes pensées, elle doit se rendre audible pour être entendue, sinon s’adresse à moi directement dans la tête. À tout cela, une autre énigme encore vient s’ajouter : sa voix varie selon qu’elle se module aux cordes de sa gorge ou se formule avec le mental. Je ne dirai pas que cette dernière est froide et dénuée d’émotion, non, je dirai moins humaine, d’une chaleur moindre comparée à la première. Et à la fois beaucoup plus pénétrante. Avec cette sensation étrange que l’une s’adresse à ma personnalité, caressante, et l’autre davantage à mon âme, percutante.

Je n’ai pas même entendu le vaisseau repartir, tandis que nous approchions de cette cabine immobile, posée sur l’horizon à une quelque centaine de mètres. La matière, qui recouvre le sentier joignant l’aire au cube, me procure une sensation de ouate amortissante sous les semelles. Confort qui met en confiance. Karly – le nom de la femme – y glisse à la manière d’une patineuse au ralenti. Lui – Eroan – laisse des empreintes subtiles qui se gomment peu après ses pas. Possible qu’il s’agisse d’une "mémoire de forme’’…

Bientôt, nous sommes devant l’unique structure dressée dans le décor.

Je ne me suis pas trompé, elle s’avère en effet transparente, sauf qu’absolument rien d’apparent n'en occupe l’intérieur. C’est à peine si son plancher est visible. Toute paroi présente un vitrage vierge et pas une seule ne renvoie un reflet de la lueur des étoiles qui constituent l’éclairage de ce monde. Nous-mêmes n’y apparaissons pas. Un verre non réfléchissant en somme, s’il s’agit bien de cela… Instant surréaliste.

Là, Eroan pose sa main droite à plat sur une face, à hauteur de front, sa gauche sur son insigne et, sans délai, le pan du volume s’ouvre en coulissant verticalement. Ouverture telle qu’il me serait impossible de dire si le vitrage est monté ̶ pour s’encastrer où ? -, descendu, ou s’est fendu par le centre en deux parois distinctes. Autant, elle se serait volatilisée que cela ne surprendrait pas davantage. Excepté que, une fois entrés dans la cabine, elle reprendra sa place avant que j’eusse le temps de me retourner pour le vérifier.

Toute cette technologie me laissant admiratif, rempli de questionnements.

Je sentais que je n’étais pas au bout des surprises et des étonnements, et l’ascenseur nous emportait dans le ventre de la terre…

À suivre.

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